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Titre: Une gerbe — Poésies
Auteur: Le May, Pamphile (1837-1918)
Date de la première publication: 1879
Lieu et date de l'édition utilisée comme modèle pour ce livre électronique: Québec: C. Darveau, 1879 (première édition)
Date de la première publication sur Project Gutenberg Canada: 5 juin 2008
Date de la dernière mise à jour: 5 juin 2008
Livre électronique de Project Gutenberg Canada no 127

Ce livre électronique a été créé par: Rénald Lévesque

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UNE GERBE



DU MÊME AUTEUR

ESSAIS POÉTIQUES
Un volume in-8.

LES POÈMES COURONNÉS
Un volume in-18.

ÉVANGÉLINE
TRADUCTION DU POÈME DE LONGFELLOW
Un volume; in-18.

LES VENGEANCES
POÈME
Un volume in 12.

LES VENGEANCES
Drame en six actes. Br. in-18.

LE PÈLERIN DE SAINTE-ANNE
ROMAN
Deux volumes in-18.

PICOUNOC LE MAUDIT
SUITE DU PÈLERIN DE SAINTE-ANNE
Deux volumes in-18.


PAMPHILE LEMAY

UNE
GERBE

POÉSIES



QUÉBEC
TYPOGRAPHIE DE C. DARVEAU
82 ET 84, rue de la Montagne

1879



UNE
GERBE



AVE MARIA

Ave Maria, mon unique joie,

Espoir de l'enfance et son tendre appui.

Amour à ton Fils! Montre-moi la voie

Qui nous mène vers lui.


Ton nom, vierge admirable, est la molle harmonie

Que l'on entend monter de la vague brunie

Par les teintes du soir,

Alors que le pêcheur ferle ses blanches voiles,

Que les esprits de l'air allument les étoiles

Aux voûtes du ciel noir.


Ave Maria. Miroir de justice,

Dans le droit sentier dirige mes pas.

Enivre mon coeur, vase de délice

Que l'on n'épuise pas.


Il est plus doux, ton nom, que ces soupirs étranges

Qui s'élèvent des champs lorsque les petits anges

Versent à l'humble fleur

Son enivrant arôme, et plus doux que l'obole

Qui tombe dans la main du pauvre et le console

Aux jours de la douleur!


Ave Maria, limpide rosée

Qui viens réfléchir les feux du matin;

Mon âme t'a vue et s'est reposée

Dans un calme divin.


Il est plus doux, ton nom, qu'en juin le frais ombrage

Plus doux que dans l'automne, après le sombre orage,

Un rayon de soleil!

Plus doux qu'après le jour la nuit mystérieuse!

Plus doux qu'après la nuit l'aurore radieuse

Et le matin vermeil!


Ave Maria. Rose printanière,

Verse ton parfum plus pur que le miel.

Tu t'épanouis, ô fleur de lumière,

Dans les jardins du ciel!


Ton nom, c'est la parure

Des bois diaprés!

L'insecte le murmure

Aux trèfles pourprés

Et la fontaine pure

Le chante aux verts prés!


L'alouette gentille,

Qui dès l'aube sautille

Sur le galet qui brille,

Le répète aux flots bleus!

Et l'ajonc du rivage

Et le saule sauvage

Se le disent entre eux!


Ave Maria, ravissante étoile

Qui brilles, la nuit, dans le ciel obscur,

Pour chasser l'orage et guider la voile

Vers un rivage sûr!


Ton nom, c'est le symbole

Du soleil levant.

Comme un baume il s'envole

Sur l'aile du vent.

Il est mon auréole:

Je le dis souvent!


Puis l'aigle solitaire

Le porte au mont austère,

Le fleuve avec mystère

Le murmure en son cours.

Le sillon que je rouvre

Et le ciel qui me couvre

Le modulent toujours!


Ave Maria. Daigne me sourire;

Protège ma foi contre les méchants!

Que ton souffle pur, effleurant ma lyre,

Divinise ses chants!





LA DÉBÂCLE

SOUVENIR DU PRINTEMPS DE 1865.


«Avril! aimable avril, que ton haleine est pure!

«Que de charmes nouveaux je trouve en son murmure

«Quand elle enfle ma voile et berce mon esquif,

«Quand elle fait frémir le ruisseau fugitif,

«Quand elle vient jouer dans la chauve ramure,

«Secouer, sur mon cou, ma longue chevelure,

«Ou rafraîchir mon front mouillé par le travail!

«Que ton soleil est chaud! Il consume l'émail

«Dont l'hiver recouvrait nos champs et notre fleuve,

«Et redonne à nos prés une parure neuve!

«Il ramène l'amour et l'oiseau sous nos cieux!

«Il rend à nos forêts leurs choeurs mélodieux!

«Il emplit les rameaux d'une sève abondante,

«Le coeur des jeunes gens, d'une vigueur ardente!

«Avril! avril! ton souffle est plein de volupté!

«Tes matins et tes soirs, ô beau mois enchanté,

«Naissent dans l'harmonie et les flots de lumière!

«Avril, c'est toi qui viens égayer la chaumière

«Dont la bise d'hiver attristait le foyer!

«C'est toi qui fais encor, sous ton souffle, ondoyer,

«Quand tes feux ont fondu leurs cristaux immobiles,

«Les flots du Saint-Laurent redevenus dociles.

«Hâte-toi, mois d'amour, que je cueille une fleur,

«La première des bois, la plus fraîche en couleur,

«Pour orner les cheveux de ma jeune Henriette!

«Hâte-toi, que je berce en ma barque coquette,

«Sur les vagues d'azur du fleuve paresseux,

«Celle qu'ont fait rougir mes pudiques aveux!»


Ainsi chantait, un jour, d'une voix douce et fière,

Sous les bois sans ombrage, au bord du lac Saint-Pierre,

Un fils du Saint-Laurent, un barde jeune et bon.

Doué du plus fatal mais du plus noble don.

Et, pendant qu'il chantait, son oeil mélancolique

Suivait, dans le lointain, une scène magique:

C'était le fleuve aimé qui, las d'être captif,

S'agitait dans son lit comme un coursier rétif,

Secouait le fardeau de ses glaces massives,

En éclats scintillants les poussait vers ses rives,

Et les broyait ensemble avec autant de bruit

Qu'en fait, à son réveil, un volcan dans la nuit.


Les paysans heureux, pour mieux voir le spectacle

Qu'offrait, ce printemps-là, la tardive débâcle,

Jusques au bord des eaux venaient de toute part,

Et, par des cris joyeux, saluaient le départ

De ces bancs de cristal dont l'attitude altière

Avait voulu braver la saison printanière.

On voyait accourir la troupe des enfants

Jetant, dans le ciel pur, mille cris triomphants;

Les cheveux enchaînés sous de molles résilles,

On voyait accourir l'essaim des jeunes filles,

En corsage d'indienne, en modestes jupons.

Leurs bouches prodiguaient des sourires fripons

Et leurs voix frappaient l'air de notes argentines.

Elles semblaient ainsi de joyeuses ondines

Que le printemps rendait à leurs limpides eaux,

Et qui cherchaient leur grotte au milieu des roseaux.


Mais quelle est cette vierge à l'air doux et candide

Qui laisse sa compagne et va, d'un pas timide,

S'asseoir sur le vieux tronc d'un orme renversé?

De quel touchant espoir son coeur est-il bercé?

Quelle peine nouvelle ou quelle inquiétude

Lui font, quand tout est gai, chercher la solitude?

La joie et la douleur n'aiment guère le bruit.

Son regard, attaché sur la glace qui fuit,

De temps en temps se lève et se porte à la rive,

Plein d'un trouble charmant et d'une ardeur craintive.

Quel est l'objet aimé dont le charme puissant

Peut enchaîner ainsi ce regard ravissant?

Est-ce donc toi, Damas, est-ce donc toi, poète?

Et celle qui t'attend est-ce ton Henriette?

Ah! oui, car je te vois, le front tout radieux,

Diriger, moins rêveur, ta course vers les lieux

Où la fille des champs est assise plaintive!

En te voyant venir ton amante attentive

A baissé son beau front où montait la rougeur,

A baissé ses cils d'or et son grand oeil songeur!


Pendant que jusqu'au loin les glaces ébranlées

S'agitent sourdement sur les ondes gonflées;

Pendant que sur les bords les timides échos

Disent les chants du ciel et la clameur des flots,

Comme deux jeunes fleurs épanchent leur dictame,

En secret les amants vont épancher leur âme.

Ils disent, en riant, leurs soins un peu jaloux,

Échangent, de nouveau, les serments les plus doux,

Et se sentent plus forts pour l'heure de l'épreuve.

Les parfums de la brise et l'aspect du grand fleuve,

La pureté des airs, les murmures, les chants,

Les rayons du soleil qui dansent sur les champs,

Les bruits qui tout à coup succèdent au silence,

Cette étrange vigueur et cette effervescence

Qui circulent partout, venant tout ranimer,

Redoublent, dans leur coeur, la puissance d'aimer.

Et la terre à leurs yeux paraît bien rétrécie!

Ils n'auront pas assez, pour s'aimer, de la vie!

Ils sentent quelque chose au fond de tant d'amour

Que ne peut leur donner le terrestre séjour!

Leurs regards confondus se remplissent de larmes;

Ils se trouvent heureux et des mots pleins de charmes

S'échappent de leur bouche avec de longs soupirs.

Hélas! pourquoi faut-il qu'au milieu des plaisirs

Il se glisse souvent une pensée amère?

Est-ce pour avertir que tout est éphémère?

Que rien ne doit durer dans ces mondes flottants?

Que tout passe bien vite et nous en même temps?


--Henriette, disait le sensible poète,

Ton amour est ma vie, et pourtant je regrette

De t'avoir inspiré de si suaves feux;

Je regrette le jour où mes chastes aveux

Ont fait naître soudain des roses sur ta joue.

Je t'aime comme alors, et plus, je te l'avoue;

Mais que sert de s'aimer si l'on ne peut s'unir,

Si le Prêtre de Dieu ne doit pas nous bénir?

Je suis bien pauvre, hélas! et mon coeur désespère

De te voir volontiers partager ma misère.

Mon luth, ô mon amie, est mon unique bien;

Le monde aime mes chants mais ne me donne rien:

Je ne ramperais pas, d'ailleurs, devant un trône;

Je ne chanterais point pour une vile aumône;

Et j'aime mieux rester à jamais indigent

Que de vendre, ma lyre une pièce d'argent!


--Par quel chagrin, Damas, ton âme est-elle étreinte?

Pourquoi me blesses-tu par une injuste crainte?

Partager ton destin, être pauvre avec toi

N'est-ce pas, ô Damas, mon seul désir à moi?

L'or n'apporte souvent qu'un bonheur bien futile:

L'amour et la vertu le donnent moins fragile.


--Mais pourrai-je chanter si je te vois souffrir?

Mes accords désolés devront bientôt mourir.


--Oh! j'unirai ma voix à ton accent suprême,

Et le monde dira qu'on pleure mais qu'on aime.


--Qui parle par la bouche, ô charme de mon coeur?

De tous mes vains discours ton amour est vainqueur.

Je craignais de trouver ton âme résignée

Et par un autre amour peut-être dominée.


--Tu me blesses, Damas, par ce cruel soupçon.

Tribul est riche et laid; c'est un méchant garçon.


Il insulte l'Eglise et méprise le prêtre:

Son coeur est plein de fiel et son bras est bien traître:

La vengeance a pour lui les attraits les plus doux;

Et, s'il aime quelqu'un, il est sombre et jaloux.


--Pardonne à ton ami, ma sensible Henriette,

Tu m'aimes, je le sais, d'une amitié parfaite.

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Mais regarde, là-bas, cet énorme rempart

Que forment les glaçons emportés au hasard;

On dirait qu'un géant les entasse avec rage

Pour détourner le fleuve et noyer son rivage.

Quels bruits! quelles clameurs et quels rugissements!

Quels chocs et quels éclats! quels vifs scintillements

Le soleil fait pleuvoir de ces informes glaces!

Comme on voit se dresser leurs immenses surfaces!

Et le fleuve profond s'arrête épouvanté;

On dirait qu'à sa source il remonte irrité!

Son flot sombre et grondeur jusqu'à nos pieds s'élance!

Il couvre le rivage! Il s'avance! Il s'avance!...

Adieu! mon Henriette, adieu! pardonne-moi;

Je vais joindre ma mère et calmer son effroi.


Saint-Laurent! Saint-Laurent! ô superbe rivière,

N'as-tu donc plus assez, pour ton onde si fière,

Du lit que Dieu lui-même a voulu te creuser?

Pourquoi, fleuve orgueilleux, sur ton rivage oser

Jeter, comme un linceul, l'écume de ta lame?

Es-tu donc aussi toi pris du désir infâme

D'agrandir ton royaume en volant tes voisins?

Depuis quand ces verts prés et ces riants jardins

Sont-ils donc devenus comme une urne profonde

Où peut insolemment se dérouler ton onde?

Pourquoi ta voix grossie a-l-elle tant d'horreur,

Et pourquoi ton aspect répand-il la terreur?


Cet air de paix profonde et d'allégresse pure,

Qu'on voyait rayonner sur la brune figure

De tous les paysans réunis prés des eaux,

S'effaça tout à coup au penser des fléaux

Que pouvaient apporter les ondes déchaînées.

La gaîté déserta leurs âmes consternées;

Ils quittèrent en foule et précipitamment

Le rivage où montait le terrible élément.


Quand Damas, pour aller vers sa mère inquiète,

Eut laissé, sur l'ormeau, la fidèle Henriette,

Elle resta pensive en face du tableau

Qui s'ouvrait devant elle étrange autant que beau:

Elle entendait encor dans son âme attendrie

Vibrer de son amant la voix noble et chérie.


Bien vite cependant le tumulte et les cris

Que poussent, jusqu'au ciel, les paysans surpris

L'arrachent aux douceurs de son aimable rêve:

En voyant que tout fuit, honteuse, elle se lève

Et tourne promptement ses pas vers la maison.

Mais voici que soudain, à travers un buisson

Jeté comme un rideau derrière le tronc d'orme,

Elle voit s'avancer une face difforme

Dont les yeux dilatés flambent d'un feu jaloux.

Elle n'entend qu'un mot: Malheur! malheur à vous!

Que lui jette au hasard une bouche en grimace,

Pendant qu'un poing crispé se lève et la menace.

«--Tribul! Tribul! dit-elle, ô monstre, laisse-moi!»

Et rapide elle fuit toute pâle d'effroi.


Quel spectacle inouï! quel désordre! quel trouble!

Tout s'agite partout; le tumulte redouble!

Les braves paysans, émus, épouvantés,

En implorant le ciel, courent de tous côtés.

Les uns laissent déjà leur maison peu solide,

Emportant avec eux, dans leur fuite rapide,

Tous les objets divers qu'ils ont d'abord trouvés,

Et cherchent un refuge aux lieux plus élevés;

Les autres, moins craintifs, à cette heure suprême,

Attendent leur destin dans leur demeure même.

La mansarde leur offre un gîte bien étroit?

Ils n'en pourront bientôt sortir que par le toit;

Mais plutôt que de fuir ils en font leur asile.


On sort de leur étable et l'on mène, à la file,

Par des chemins nouveaux, sur le haut du fenil,

Les bêtes que menace un imminent péril.

On entend le cheval qui hennit et piétine

Et le boeuf paresseux qui beugle et se mutine.

Les coqs battent de l'aile et chantent follement;

les chiens, flairant le sol, hurlent sinistrement:

La jeune fille en pleurs jette une plainte amère

Et l'enfant étonné se cramponne à sa mère.


Le spectacle est navrant. Les banquises, là bas,

S'accumulent toujours avec un sourd fracas.

Et le fleuve gonflé, sur ses rives fécondes,

Implacable, rejette avec fureur ses ondes.

Les champs sont engloutis sous des torrents nouveaux

Les arbres sans feuillage, élevant, leurs rameaux

Au dessus de ce lac au flot rapide et sombre,

Ressemblent au vaisseau qui perd sa voile et sombre.

Comme après un naufrage, étendus sur les mers,

Flottent, au gré des vents, mille débris divers,

Ainsi flottent partout, dans l'immense prairie,

Mille objets emportés par le fleuve en furie.

Et le soleil répand, comme ou signe d'adieu,

Sur ce tableau lugubre un long sillon de feu.


Quel calme tout à coup règne dans la nature!

Pas un seul chant d'oiseau, pas un léger murmure!

Au loin les bancs de glace, immobiles, pressés,

Semblent d'immenses rocs l'un sur l'autre entassés.

Les eaux ne montent plus, le fleuve se repose.

Est-il donc effrayé des souffrances qu'il cause,

Ou se repose-t-il dans un profond sommeil.

Pour mieux recommencer la lutte à son réveil?

Dans les prés, au-dessus de ces vagues étranges,

On ne voit s'élever que les combles des granges

Où tremblent, confondus, les divers animaux,

Que les faîtes pelés des pommiers, des ormeaux,

Et que les gais pignons des maisonnettes blanches.

Des canots effilés ou des radeaux de planches

Aux fenêtres des toits demeurent amarrés:

C'est le dernier asile où viendront, éplorés,

Les pauvres paysans chassés de leur demeure.

Et sur la nappe humide on voit fuir, à toute heure,

Au bruit de l'aviron qui plonge dans les flots,

D'une maison à l'autre un de ces longs canots.

Mais quelle est donc, là-bas, cette fière nacelle

Qui semble se courber sur l'onde qui ruisselle?


Quel est ce couple heureux qui se parle d'amour

Sur l'élément perfide et sous les feux du jour?

C'est le barde rustique avec son Henriette!

Aimez-vous! aimez-vous! nulle voix indiscrète

Au vent ne jettera vos propos amoureux!

En face du malheur, enfants, soyez heureux!

L'amour est plus puissant entouré de ruines!...

La souffrance et l'amour font les âmes divines!...

Aimez-vous! aimez-vous! Le bonheur, doux enfants,

Est infidèle, hélas! comme les flots mouvants!


O soleil paresseux, tu caches ta lumière

Et tu n'as pas fini ta course journalière!

Vas-tu donc te coucher comme un vieux pèlerin

Qui ne peut, sans dormir, achever son chemin?

Pourquoi ce voile noir dont tu couvres ta face?

Ce regard qui languit? ce rayon qui s'efface?

Pourquoi ton front brillant s'est-il donc obscurci,

Et ton orbe orgueilleux, tout à coup, rétréci?

Naguère, en descendant derrière nos montagnes,

Tu souriais encore à nos fraîches campagnes;

Tu ranimais nos bois par ta douce chaleur

Et rendais à nos prés leur charmante couleur!

O soleil paresseux, la terre est belle encore

Quand ton joyeux reflet l'illumine et la dore!

Ne te hâte pas tant de prendre ton sommeil;

Verse-lui jusqu'au soir ton feu pur et vermeil;

Chasse au loin devant toi cette nue au flanc sombre

Qui monte à l'horizon comme un spectre dans l'ombre!

Et toi ne souffle pas, fraîche brise du soir!

Si les flots à ta voix venaient à s'émouvoir,

Si ton souffle agitait cette nappe mobile

Qui recouvre partout notre rive fertile,

Quels seraient nos malheurs! quel serait notre deuil!...


Ah! nos champs deviendraient un immense cercueil!

Le soleil, dérobé par un épais nuage,

A laissé, sur les eaux qui couvrent le rivage,

S'étendre, par degrés, de ténébreux sillons;

Dans les cieux grisonnants quelques pâles rayons,

S'ouvrant en éventail, s'échappent de la nue.


Ils présagent qu'un vent, sur la campagne nue,

Va s'élever bientôt, violent, furieux.

Le front des paysans devient plus soucieux;

Leur coeur, saisi d'effroi, bat avec violence;

Les époux consternés échangent, en silence,

Un regard où la crainte est mêlée à l'amour;

Les mères, les enfants s'en viennent, tour à tour,

S'agenouiller en pleurs devant la sainte image

De celle dont la voix dissipe tout orage:

«O vierge, disent-ils, nous espérons en vous;

Nous sommes vos enfants, vierge, secourez-nous!»


Déjà l'ombre au ciel plane et le jour baisse vite;

Sous l'haleine du vent déjà l'onde s'agite.

Les flots après les flots s'avancent menaçants,

Déracinent les troncs des arbres frémissants,

Emportent au hasard les débris des clôtures,

Et se heurtent aux toits avec de longs murmures.


O rivages aimés, naguère si joyeux,

Quel aspect désolant vous offrez à nos yeux!

Vous avez dépouillé vos vêtements de fête,

Et le printemps n'a pas couronné votre tête!

Vous êtes devenus pareils au lit profond

Où s'élance, écumeux, un fleuve vagabond.


La nuit! voici la nuit, le front ceint de ténèbres!

La nuit avec des voix, des murmures funèbres!

J'entends de longs soupirs, de rauques hurlements!

J'entends d'étranges bruits, d'affreux gémissements!

Des plaintes, des clameurs qui montent jusqu'aux nues!

Désespoirs inouïs, angoisses inconnues!

Voix d'hommes effrayés appelant au secours!

Voix de femmes pleurant les fruits de leurs amours!

Jeunes filles qu'étouffe une terreur amère!

Petits enfants en pleurs qui demandent leur mère!

Cris divers d'animaux qui pressentent la mort!

Vent qui souffle toujours et de plus en plus fort!

Sourds murmures des flots qui s'agitent et roulent!

Lugubres craquements des maisons qui s'écroulent!

Tout se plaint, tout gémit dans les ombres du soir!

Tout n'est partout, hélas! que mort ou désespoir!


O nuit pleine d'horreur! ô nuit épouvantable,

Lève ton voile noir et ton ombre implacable!

Laisse-nous contempler ces désastres nouveaux!

Quels flots bondissent, là, comme de blancs troupeaux?

Quels flots tumultueux, au souffle des tempêtes

Agitent, en hurlant, leurs écumeuses crêtes,

Comme des pins altiers tourmentés par le vent

Agitent les rameaux de leur faîte mouvant?

Ils mordent les lambris des maisons et des granges!

A leurs chocs répétés des voix, des cris étranges,

Comme de sourds échos, répondent tristement!


Voyez-vous? voyez-vous sur le sombre élément

Ce toit démantelé qui s'éloigne et vacille?

Il berce, sur l'abîme, une pauvre famille

Qui demande à grands cris un secours trop tardif.

Entendez-vous, là bas, cet autre accent plaintif?

C'est le suprême adieu d'une mère éplorée

A son fidèle époux, à sa fille adorée!

Trop faible pour laisser sa couche de douleur,

Elle commande aux siens d'échapper au malheur?

Qu'elle ne peut hélas! éviter elle-même.

Rien ne doit la sauver de ce danger extrême.

Elle voit devant elle une effroyable mort.

Mais s'occupe d'eux seuls et tremble pour leur sort.

L'eau s'élève avec bruit vers son lit solitaire

Comme le sable autour d'un tombeau qu'on enterre!

Déjà le toit frémit, s'incline, et, sur les flots

S'écroule en étouffant ses suprêmes sanglots!


Là-bas! là-bas! ô ciel! qui luttent dans les ombres!

Quels sont, de toute part, quels sont ces groupes sombres

Qui se tiennent noués au faîte des ormeaux?

Qui, noyés à demi, cramponnés aux rameaux,

Se ballottent au gré de la bise et des lames?


Des vieillards décrépits et d'adorables femmes,

Des vierges à l'oeil pur et de faibles enfants

Ont confié leurs jours à ces gîtes mouvants!


Ici, l'arbre, chargé d'une masse trop lourde,

S'incline lentement, pousse une plainte sourde

Et rend les malheureux à l'abîme obscurci:

Là, c'est un faible enfant que, de son sein transi,

Laisse tomber, hélas! une mère épuisée!

Et, plus loin, un vieillard dont la main s'est brisée?

En serrant les rameaux d'un cenellier noueux,

Replonge dans les flots son crâne sans cheveux!


Où vont-ils? où vont-ils sur la mer furibonde

Ces canots vacillants et tout remplis de monde?

Ce n'est plus au refrain des joyeuses chansons

Que dans les flots obscurs plongent les avirons,

C'est au bruit des sanglots et des plaintes funèbres!

Où vont ces malheureux au milieu des ténèbres?

Ne vont-ils pas bientôt se heurter à l'écueil?

N'auront-ils pas aussi les ondes pour cercueil?

O ciel! protège-les! c'est assez de victimes!

Referme, Dieu puissant, ces horribles abîmes

Que ton bras redoutable a laissés s'entr'ouvrir,

Et que l'on voie encor ces rives refleurir!


O prière inutile! En vain ma voix implore,

Il faut une victime! une victime encore!

O Damas! ô Damas! réponds, où donc es-tu?

Que devient ton amour? Que devient ta vertu?

Ton esprit égaré rêve-t-il d'harmonie?

Damas, n'entends-tu pas un râle d'agonie,

Une plaintive voix qui va s'affaiblissant?

N'entends-tu pas, Damas, un adieu saisissant

Que l'orage qui passe emporte sur son aile;

Que berce sur son sein la vague solennelle?

Ne vois-tu point ces bras qui se lèvent vers toi?

Ces regards suppliants, pleins d'amour et d'effroi,

Que plongent dans la unit une vierge mourante?

Pauvre Damas, c'est elle: elle ta tendre amante

Qui se débat en vain, et, par un long effort,

S'épuise à repousser l'étreinte de la mort!

Mais si tu u'entends pas sa douloureuse plainte,

Un autre la comprend. Seul il vogue sans crainte

Au milieu des débris qui flottent sur les eaux,

Il aime la tempête et rit de ces fléaux

Qui vont anéantir les paysans superbes.

Leurs bouches n'auront plus pour lui de mots acerbes!


Au bord de son canot il allume un fanal

Et s'avance en chantant un couplet infernal.


En face de la mort la vierge malheureuse

A saisi cependant, d'une main vigoureuse,

La branche d'un pommier qu'elle même a planté;

Elle soutient ainsi, sur le gouffre irrité,

Son visage souffrant, sa chevelure blonde

Que chaque brise incline et chaque flot inonde.

De temps en temps sa voix n'élève dans les airs,

Mais nul ne veut répondre à ses sanglots amers.

Est-ce une illusion? une barque s'avance!

A son humide proue un fanal se balance.

La vierge sent l'espoir renaître dans son coeur;

Elle s'attache à l'arbre avec plus de vigueur

De crainte de périr tout près d'être sauvée.


La voilà! la voilà! la barque est arrivée!

Mais quel démon la guide! Il ouvre un oeil brutal

Et sa bouche prodigue un rire qui fait mal!

Alors dans sa terreur Henriette s'écrie:


--«O Tribul, sauve-moi! sauve-moi, je t'en prie!»


Et Tribul la regarde avec un air moqueur;

Et son oeil se remplit d'une fauve lueur

A la pâle clarté du fanal qui scintille.


--«Par pitié! sauve-moi!» reprend la jeune fille.

Et son bras fatigué glisse sur le rameau.


Toujours silencieux, son infâme bourreau

Voit sur l'arbre agité sa main blanche qui glisse,

Et, dans son coeur pervers, jouit de son supplice.


--«Tribul! Tribul! pour Dieu!... je péris!... je péris!»


Et le monstre est muet: et l'étrange souris

Qui fait épanouir sa figure damnée

Répond seul aux sanglots de cette infortunée.

Il voit les flots émus soulever ses cheveux;

Il voit se tordre en vain ses bras purs et nerveux;

Il voit sa main étreindre, avec douleur et force,

La branche qui frémit et dont la rude écorce

Déchire et fait saigner à chaque instant ses doigts!

La vierge s'affaiblit et sa bouche est sans voix;

Ses regards effarés se couvrent de nuages;

Son esprit voit flotter de sinistres images.

Et le monstre impassible est là qui rit toujours;

Pouvant la sauver, il la laisse sans secours.

Il la regarde encor d'un d'oeil sinistre et fauve:


--«Jure d'être à moi seul, dit-il, et je te sauve.»


La vierge qui se noie, en entendant ces mots,

Par un suprême effort élève, sur les flots,

Son front pâle et glacé d'où la vague ruisselle.

On voit se ranimer une vive étincelle

Dans ce regard mourant qui semblait ne plus voir.

Elle est charmante encor malgré le désespoir

Qui contracte et flétrit sa figure étonnée:

--«Misérable!» dit-elle, et sa voix indignée

Dans l'écume des flots va se perdre et mourir.

Ses doigts endoloris commencent à s'ouvrir;

Sa main n'a plus de force; elle glisse! elle glisse!


--«Jure, dit le démon, je finis ton supplice!»


Tout est sourd à sa voix hors le vent qui gémit!

Mais la main de la vierge étreint l'arbre et frémit.

C'est le terme fatal d'une lutte effrayante!...

Une forme légère, indécise, ondoyante

Se berce au gré des flots, des vents impétueux;

Une main entr'ouverte, un bras voluptueux

S'élèvent par instants au dessus de l'abîme;

Mais bientôt tout s'efface, il ne reste qu'un crime!

Le barbare Tribul, sans bruit, s'éloigne alors

Et vogue poursuivi par un sombre remords.


O Damas! ô Damas! laisse pleurer ton âme!

Elle n'est plus déjà cette adorable femme

Dont la vertu touchante et le naissant amour

Payaient tes chastes feux d'un si tendre retour!

La mort a moissonné, dès l'aube de son âge,

La plus charmante fleur de ton joli village!

N'éveille plus les bois par tes chants réjouis!

Tes projets de bonheur se sont évanouis

Comme un songe au réveil et comme une fumée!

Ne la demande plus ta jeune bien-aimée:

Son corps charmant et pur gît au fond du torrent!

Elle a tourné vers toi son regard expirant!

Elle t'a demandé dans une humble prière!

Et seul un homme impur, un monstre au coeur de pierre,

Est venu souriant pour la voir expirer!

Le lâche! le pervers! il pouvait espérer,

En lui portant secours à cette heure suprême,

Te ravir à jamais celle que ton coeur aime;

Mais, détestant l'infâme et fidèle à sa foi,

Elle aima mieux mourir que de vivre sans toi!


«Juin répand sur nos bords les fleurs de sa corbeille,

«De suaves accents, dès que le jour s'éveille,

«Font retentir au loin nos bois mystérieux;

«Sur les sillons fumants les insectes joyeux

«Se hâtent à poursuivre une facile proie;

«Le papillon doré tend ses ailes de soie

«Et danse tout le jour dans un rayon de feu;

«Le vaste Saint-Laurent déroule son flot bleu

«Qui vient mourir sans bruit sur les bords du rivage

«L'air est plein de parfums, le ciel est sans orage,

«Mais rien n'est beau pour moi, car tout espoir est vain!

«Je voudrais que le jour n'eut plus de lendemain!

«Ceux qui m'aimaient le plus m'ont laissé, sur la terre,

«Achever, triste et seul, mon chemin solitaire!

«Je cherche autour de moi les êtres regrettés,

«Que le ciel, en un jour, hélas! m'a tous ôtés!

«Partout je n'aperçois que ruines, désastres!

«La nuit est dans mon âme et mon ciel est sans astres!


«O rivages chéris, où sont ces toits riants

«Qui naguère brillaient au milieu de vos champs

«Pareils à des rubis au bord d'un diadème?

«Pourquoi vois-je partout la face morne et blême

«De quelques malheureux qui pleurent comme moi?

«L'aspect de l'avenir me fait trembler d'effroi.


«Roule, ô beau Saint-Laurent, roule calme et tranquille!

«Viens caresser nos bords de ta lame docile!

«Ta vengeance est parfaite, ô fleuve souverain!

«Mais réponds à ma plainte, et redis mon chagrin!

«Murmure, comme moi dans ma douleur amère,

«Le nom de mon amie et le nom de ma mère!

«Et, quand je vais prier sur leurs humbles tombeaux,

«Unis à mes accents le doux bruit de tes eaux!»?


Ainsi chantait Damas, et sa muse plaintive.

Sa muse attendrissait les échos de la rive

Et puis, de temps en temps, deux noms mélodieux

S'échappaient de sa lèvre et montaient vers les cieux.





HISTOIRE D'UN ANGE

(Traduit de Longfellow)


Un vent d'hiver soufflait. Sur les campagnes nues

La neige avait semé ses flocons argentés,

Et l'étoile irisait de ses molles clartés

Le firmament d'azur où flottaient quelques nues.

La ville, d'où montait un bruit continuel,

Allumait, tour à tour, ses brillants réverbères;

Et la nuit commençait, la nuit des grands mystères,

La nuit sublime de Noël!


Dans les beffrois altiers et les humbles tourelles

Les cloches balançaient des accords merveilleux;

Car c'est dans cette nuit que leurs chants sont joyeux

Et que leurs douces voix deviennent solennelles.

Bien des pauvres humains, lassés de leur labeur?

Et courbés sous le poids d'une nouvelle année,

Croyaient voir refleurir leur jeunesse fanée

Et songeaient encore au bonheur!


Cette nuit vit l'amour remplacer la vengeance,

Le pardon relever le coupable soumis;

Elle vit l'union de bien des ennemis;

Elle vit, sous le chaume où régnait l'indigence,

Les coeurs se rassurer contre le lendemain;

Elle vit la douleur sécher ses tristes larmes,

Chaque bouche sourire avec de nouveaux charmes

Chaque front prendre un air serein!


L'automne, en s'en allant, laissait, sur son passage,

Un parfum de bonheur doux et mystérieux.

Le riche et l'indigent levaient ensemble aux cieux

Un coeur rempli d'amour, un esprit sans nuage.

La paix et l'allégresse habitaient les palais;

La joie et l'abondance étaient dans les chaumines;

Et rien n'était plus gai que les voix argentines

Des enfants réjouis et frais.


Dans le deuil cependant une de ces demeures

Était plongée, hélas! depuis quelques moments!

Sous les lambris dorés des beaux appartements?

Le désespoir sonnait de lamentables heures:

Une petite voix faiblement murmurait,

Au milieu du silence, une plainte légère.

Et puis de temps en temps sanglotait une mère,

Car son jeune enfant se mourait.


Suspendus avec art, de beaux rideaux de soie

Enveloppaient son lit de leur moelleux contours;

Les pieds, sans bruit, foulaient des tapis de velours.

Mille objets curieux dont il faisait sa joie

N'avaient rien maintenant qui put l'émerveiller;

Et les jolis cheveux, dont ses épaules rondes

Naguère gentiment portaient les boucles blondes,

Flottaient épars sur l'oreiller.


Les ressources et l'art d'une ville savante

Pour sauver un enfant se virent épuiser;

Ils n'empêchèrent pas un fil de se briser,

Un mot sombre et fatal de semer l'épouvante!

Le chagrin d'une mère et son puissant amour

Ne purent pas, non plus, retenir auprès d'elle

Cet être bien-aimé qui tendait sa jeune aile

Pour voler au divin séjour.


Elle était à genoux au chevet de la couche,

S'efforçant, pour calmer son douloureux transport,

De sourire à l'enfant que lui prenait la mort.

Elle baisait son front et sa petite bouche:

Elle lui fredonnait un suave refrain;

Lui disait que bientôt il irait aux vallées

Prendre des papillons, ces douces fleurs ailées

Qui naissent avec le matin.


Soudain l'enfant sourit en rejetant son lange,

Et l'on ne sentit plus battre son petit coeur.

Sur sa lèvre entr'ouverte ainsi qu'une humble fleur

Un soupir expira. Quelque chose d'étrange

Paraissait imprimer à son front radieux

Une vive surprise unie à l'allégresse;

Et ses beaux yeux d'azur semblaient fixés sans cesse

Sur un objet mystérieux,


Venu, sur un rayon, des voûtes immortelles,

Un ange, enveloppé dans un voile éclatant,

S'avançait vers l'alcôve où reposait l'enfant.

Ses regards étaient purs comme des étincelles.

A son épaule une aile à l'éclat sans pareil

S'agitait, comme au vent une fraîche corolle,

Et son front, couronné d'une ardente auréole,

Resplendissait comme un soleil.


Pendant qu'avec amour le messager céleste

S'inclinait sur le nid, tout petit et soyeux,

D'où ne s'élevait plus nul ramage joyeux,

Et que sur sa poitrine, avec un tendre geste,

Il appuyait le front de son nouvel ami,

Un froid mortel saisit la mère infortunée:

Son adorable enfant l'avait abandonnée,

S'était à jamais endormi!


Cependant, déployant ses deux ailes de flamme,

L'ange prit son essor vers les parvis sacrés.

Il flotta mollement dans les airs empourprés

Comme un cygne de neige au sommet d'une lame.

Et, pendant qu'il portait l'objet de son amour,

En triomphe, bien loin d'une patrie ingrate,

Il mit à ses côtés une rose incarnate

Cueillie au terrestre séjour.


Et le petit enfant, dans sa joie ignorante,

Demande que sa mère avec lui monte aux cieux

Il fixe, tour à tour, un regard anxieux

Sur son guide céleste et la rose odorante

Qui repose toujours près de son coeur aimant.

Mais l'ange, souriant de son inquiétude,

Le presse sur son coeur avec sollicitude

Et lui fait ce récit charmant.


Apprends, ô mon ami, que le ciel à la terre

Par de touchants rapports a voulu se lier;

Qu'il voit ce qui s'y passe et ne peut l'oublier.

Les longs tourments de l'homme et sa joie éphémère

Au ciel trouvent toujours un écho solennel.

Sur la terre l'amour bien vite, hélas! s'épuise;

Dans le ciel, au contraire, il croit, se divinise;

Dans le ciel il est éternel!


Dans un pauvre quartier de cette grande ville

Dont, au dessous de nous, tu vois luire les toits,

Et dans un gîte obscur se trouvait, autrefois,

Un petit orphelin souffreteux et débile.

Il n'avait pas connu la suave pitié,

Et, dans l'âpre chemin d'une existence aride,

Jamais la charité n'avait servi de guide

A son faible et timide pié.


Tous les mornes ennuis et toutes les misères

Qui ne viennent à vous que sur l'aile des ans,

Et dont l'enfance ignore, au moins, les traits cuisants,

Broyaient son jeune coeur dans leurs nombreuses serres!

Au matin de la vie, il en voyait le soir.

Pour nourrice il avait l'indigence au sein maigre,

Pour unique héritage il cueillait un mot aigre

Quand il passait sur le trottoir.


Trop faible pour prier, n'ayant nul camarade

Qui voulut près de lui demeurer un moment,

Il voyait tous ses jours s'écouler tristement.

Bien souvent il mettait son pauvre front malade,

Comme un roseau brisé, dans ses petites mains;

Appelant le sommeil qui le fuyait sans cesse,

Il laissait, bien souvent, sa tête avec tristesse

Tomber sur ses grossiers coussins,


Son esprit s'égarait en des rêves étranges:

Il s'imaginait voir de lointaines forêts,

Des choeurs mélodieux et des ombrages frais;

Il s'imaginait voir, échappés à leurs langes,

Des bambins tout roses courir sur le gazon,

Égrener, dans les airs, les sous de leurs voix gaies,

Et traîner derrière eux l'aubépine des haies

En retournant à la maison.


A peine se glissait, dans cette rue obscure

Où vivait, délaissé, le petit orphelin,

Le bienfaisant rayon d'un ciel pur et serein.

Quand l'air chaud de l'été ranimait la nature,

Cet air que vous aimez, qui n'a rien d'accablant

Dans les riants bosquets qui vous prêtent leur ombre,

Suffoquait le petit sous son toit bas et sombre

Ou sur le pavé tout brûlant.


Par un jour des plus beaux que le ciel vous envoie,

Tout chantait dans les airs, la ville était tout bruit,

Il sortit de nouveau de son triste réduit,

Et, d'un pas chancelant, suivit la grande voie.

Il arriva tout près d'un superbe jardin

Qu'entourait avec grâce une ceinture en pierre:

Au milieu s'élevait une maison princière

Dont l'aspect l'arrêta soudain.


Là se berçaient au vent des arbres gigantesques

Dont les rameaux formaient plus d'un antre vermeil,

Où jouaient, tour à tour, et l'ombre et le soleil.

Des guirlandes de fleurs tombaient en arabesques

Et caressaient le front d'un enfant gracieux.

Des fontaines lançaient, en ruisselantes gerbes,

Les ondes de leur sein qui tombaient sur les herbes

Avec des bruits harmonieux.


L'orphelin avança sa figure amaigrie

A travers les barreaux de la porte de fer.

Il contempla longtemps cette ondulante mer

De verdure et de fleurs, de bois et de prairie

Qui s'offrait tout à coup à ses regards surpris.

Dans ses heures de paix, dans ses rêves de rose,

Jamais il n'avait vu si ravissante chose

Sourire à ses jeunes esprits.


Vous étiez à jouer dans les larges allées;

Votre petite main jetait des fleurs en l'air;

Et puis de votre bouche un rire frais et clair

S'échappait tout à coup, quand les fleurs effeuillées

Retombaient en flocons sur vos jolis cheveux.

Là de cette maison se trouvait l'espérance

Car vous étiez gardé dans la magnificence

Et l'on veillait sur tous vos jeux.


Du seuil de la maison, cependant, la servante,

Lasse d'apercevoir ce front pâle et vilain,

Alla tout droit trouver le petit orphelin,

Et, lui jetant un sou d'une main méprisante,

Lui dit avec rigueur de bientôt s'en aller.

Et quand il entendit cette parole dure,

De ses grands yeux rêveurs sur sa maigre figure

Des pleurs se mirent à couler.


Mais votre coeur d'enfant si naïf et si tendre

Fut touché de ces pleurs qu'un enfant comme vous

Répandait, sans pourtant ressentir de courroux.

Et, laissant là vos jeux, vous êtes allé prendre

Une éclatante fleur, la plus belle du lieu,

Et vous êtes de suite, avec un gai visage,

Venu la lui donner, à travers le grillage,

En lui disant un doux adieu.


L'aspect de cette fleur, son merveilleux arôme,

Le charme de ce mot sensible et généreux,

Pour l'esprit désolé du petit malheureux

Furent, en ce moment, comme un céleste baume.

Lui que tous accueillaient avec des mots d'aigreur,

Il ressentit alors une joie inouïe:

Il garda, dans sa main, la rose épanouie,

Et le tendre mot, dans son coeur.


Puis il s'en retourna, palpitant d'espérance,

Dans son pauvre réduit. Pauvre!... oh! non! désormais

Il est tout inondé de douceur et de paix!

Car les rêves sacrés de l'innocente enfance,

L'amour et le repos, le bonheur et l'espoir,

Sur la couche paisible où le petit sommeille

Voltigent par essaims à la lueur vermeille

Des étoiles d'un calme soir!


L'aurore n'avait point du chevet solitaire

Chassé la vision; et le pauvre petit,

Plus faible que la veille, avait gardé le lit.

Avait-il entendu les riches de la terre

Lui parler, dans un rêve, avec calme et bonté,

Que tout fut, ce jour-là, d'une douceur extrême?

Oh! c'était cette fleur dont le charme suprême

Eloignait toute anxiété!


Il souriait toujours en regardant la rose,

Et bien qu'il vit tomber, dans sa débile main,

Une par une, hélas! les feuilles de carmin!

--Faut-il donc voir périr une aussi belle chose!...

Ma fleur, tu renaîtras, dit-il, dans ses transports.

Le lendemain matin, lorsque, dans la mansarde,

L'aube laissa glisser sa lumière blafarde

La rose et l'enfant étaient morts.


Apprends, mon bien-aimé, que notre Maître Auguste

Ne dédaigne jamais les bonnes actions;

Que l'amour pur qui naît dans les afflictions,

Sous le ciel orageux de votre monde injuste,

En Dieu se fortifie et devient éternel;

Et que les purs esprits créés dans la lumière

Conservent à jamais, dans son ardeur première

L'amour né comme eux dans le ciel.


Ainsi l'ange parlait à l'enfant de la terre,

Puis il penchait son front sur le fardeau charmant

Qu'il pressait dans ses bras avec ravissement.

Et l'enfant, étonné de ce nouveau mystère,

Interrogeait des yeux le brillant ciel d'azur

Qui devant lui s'ouvrait avec tant de délice,

Et la magique fleur dont l'éclatant calice

Lui versait un parfum si pur.


Et l'Ange, souriant, reprit bientôt encore:

--Le Seigneur m'a permis de vous aller chercher

Avant que le malheur ne soit venu toucher,

De son souffle mortel, vos jours à leur aurore,

Avant que le péché n'ait souillé votre coeur;

Car j'étais l'orphelin auquel, dans sa misère,

Vous daignâtes offrir cette rose si chère

Avec un mot plein de douceur.


Et, dans cette cité dont avait parlé l'ange,

Au fond du cimetière, un superbe tombeau

Avait été construit du marbre le plus beau.

Il se voila de fleurs d'une richesse étrange

Sitôt que du printemps le vent tiède souffla.

Et, près de ce sépulcre émaillé de verdure,

Était une autre tombe, humble, petite, obscure...

Nul ne savait qui dormait là!





LA VIE


Et je disais: Pourquoi la vie,

Ce grand banquet où l'on convie

Tant de pauvres coeurs soucieux!

Les longs sanglots de la misère

Qui s'élèvent de cette terre

Deviennent-ils chants dans les cieux?


Pour celui, mon Dieu, qui t'oublie,

C'est un bien peu digne d'envie

Que ce mystère si profond.

La vie est comme une colline

Dont la pente abrupte s'incline

Vers un précipice sans fond.


Sur le sommet tout est verdure,

Tout est mélodie et murmure,

Tout est parfum et volupté!

Ou y voit folâtrer l'enfance,

Et son oeil plein de confiance

Va se perdre en l'immensité!


Mais à mesure que l'on glisse

Vers l'insondable précipice

Le brillant tableau s'obscurcit:

La fleur s'éteint parmi la mousse,

Le sol est froid, l'herbe est moins douce

Et l'horizon se rétrécit!


Et, sur cette rapide pente,

Pour cueillir une fleur brillante,

On voudrait s'arrêter parfois;

Mais une étrange voix nous crie:

«Marche! marche!» et la fleur chérie

Échappe à nos débiles doigts!


Et nous marchons avec vitesse,

Poussant de l'épaule, sans cesse,

Ceux qui cheminent devant nous.

Et l'enfance à son tour nous presse;

Elle nous crie en son ivresse:

«Vous êtes vieux, retirez-vous!»


Oh! du moins laissez-nous encore

Nous retourner vers notre aurore

Et contempler les jours passés!

Mais le passé n'a point de charmes!

Les sillons creusés par nos larmes

Ne sont pas encore effacés!


Le passé, c'est un cimetière

Où reposent, dans la poussière,

Nos voeux, nos projets les plus beaux!

Où nos plus chères espérances,

Où nos plaisirs et nos souffrances

Ont trouvé de muets tombeaux!


Pourtant, de distance en distance,

Dans ce vaste champ du silence,

On voit surgir de douces fleurs:

Ce sont les souvenirs suaves

De ces temps où nulles entraves

Ne captivaient nos jeunes coeurs!





TABLEAU D'HIVER


L'hiver!... voici l'hiver! Il plane sur nos têtes

Comme un cygne blanc sur les flots.

L'hiver, sous notre ciel, c'est la saison des fêtes;

C'est le signal des long sanglots;

C'est l'époque enivrante où plaisirs et lumières

Inondent les salons dorés;

C'est l'heure redoutable où les froides chaumières

Abritent des malheurs sacrés!


Sur le flanc des coteaux, au milieu des prairies,

La neige étincelle au soleil;

On dirait jusqu'au loin d'immenses draperies

Aux fils d'argent et de vermeil.

Et des troupes d'enfants, sur leurs rapides traînes,

Glissent en riant aux éclats....

Enfants que je chéris, vers la saison des peines

Vous glissez bien plus vite, hélas!


Quelques flocons de neige aux arbres sans feuillages

Se sont attachés, par hasard,

Comme les cheveux blancs que suspendent les âges

Sur le front ridé d'un vieillard.

Le givre s'est collé, comme un rideau de gaze,

Aux vitres de l'humble réduit;

Et le pauvre ouvrier que le travail écrase

Ne peut voir si le soleil luit.


Il ne voit pas, non plus, sur la neige éclatante,

Glisser ces superbes traîneaux

Qu'emportent, frémissant sous la rêne flottante,

Des couples de fougueux chevaux.

Peut-être un sourd murmure, un blasphème, peut-être,

Monterait du fond de son coeur,

S'il voyait tant d'heureux passer à sa fenêtre

Comme pour narguer son malheur.


Promenez votre orgueil sur vos riches voitures,

Vous que le ciel fit naître heureux;

Enveloppez-vous bien dans vos chaudes fourrures;

Fouettez vos coursiers vigoureux;

Éblouissez le gueux par votre absurde faste;

Troublez ses jours si peu sereins....

Il pourrait oublier qu'il est d'une autre caste,

Que vous êtes ses souverains!


Quand minuit a sonné, que le bal se repose

Pour mieux après se réveiller;

Quand vos petits enfants aux visages de rose

Dorment sur leur tiède oreiller,

Sous le chaume du pauvre une mère travaille

Depuis le lever du matin;

Ses petits, décharnés, grelottent sur la paille

Et demandent un peu de pain.


Pendant que le vent souffle et que la neige fouette

Vos grands châssis tout radieux,

Près d'un feu qui s'éteint, l'indigence muette

Verse des pleurs silencieux.

Elle sent sur son front la lèvre froide et blême

Du spectre des mornes hivers;

Elle croit qu'au hasard, dans un désordre extrême,

Dieu laisse rouler l'univers.


O vous qui m'entendez, indigents de la terre

Qui trempez votre pain de pleurs,

Je sais tous vos chagrins, moi; je suis votre frère;

J'ai bu la coupe des douleurs;

J'ai mangé le pain noir qu'à son chien qu'il caresse

Le riche n'oserait offrir!

Quand avec un coeur noble on tombe en la détresse

Je sais tout ce qu'il faut souffrir!...


Mais les grands de ce monde ont aussi leurs misères:

Ils cachent plus d'un long regret!...

Et, croyez-vous, mon Dieu! les peines moins amères

Quand l'orgueil les garde en secret?

Courbons nos fronts soumis sous cette main divine

Qui dispense biens et fléaux!

Restons pauvres, souffrants... Bien vite l'on chemine

Vers le terme de tous les maux!





RÉPONSE

A MON AMI L. H. FRÉCHETTE


Oui, mon coeur se souvient encore,

Poète au luth harmonieux,

De ces rêves que notre aurore

Faisait flotter devant nos yeux,

Alors que nos âmes aimantes

Se plaisaient au bruit des tourmentes

Comme au murmure des ruisseaux,

Alors qu'à l'avenir tranquille

Nous demandions un doux asile

Pour chanter comme les oiseaux.


Ta nef, Louis, le vent d'orage

L'emporte, hélas! bien loin de nous!

Mais ton audace ou ton courage

Se moquent des flots en courroux.

Comme l'oiseau de la tempête

Qui plane sur la mer et jette

Aux vents ses cris victorieux,

Ainsi la lyre souveraine

Sur l'ouragan qui se déchaîne

Fait pleuvoir ses chants glorieux!


Ah! nos muses en deuil te pleurent!

Elles n'entendent plus tes chants

Quand les derniers bruits du jour meurent,

Quand l'aube dore au loin les champs

Et les nymphes de nos fontaines

Te demandent aux fleurs des plaines

Qui penchent leurs beaux fronts vermeils.

Et l'aigle interroge l'espace

Pour voir si dans ta noble audace

Tu n'as pas franchi les soleils!


Pour moi, Louis, quand sonne l'heure,

L'heure si douce du loisir,

Au foyer d'une humble demeure?

Je viens m'asseoir avec plaisir.

Je vois s'éloigner la misère

D'une famille qui m'est chère,

Et le bonheur est moins lointain.

A qui le demande j'avoue,

Comme le cygne de Mantoue,

Qu'un dieu bon m'a fait ce destin.





FILII HOMINUM, USQUEQUO GRAVI CORDE?


Vous demandez encore un refrain à ma muse:

Elle devait ne chanter plus,

Mais je l'éveillerai. Si ma voix vous amuse,

Mes chants ne sont point superflus.

Et vous pardonnerez au sensible poète

S'il n'est pas plus gai qu'autrefois,

Quand son corps est souffrant et son âme inquiète

S'il a des larmes dans la voix.


Bien des cris d'allégresse et bien des plaintes vaines,

Concert triste et mystérieux,

S'élèvent en ces jours des poitrines humaines,

Car l'on chante ou pleure en tous lieux.

Fière de sa vigueur, en souriant, l'enfance

Fixe les yeux sur l'avenir;

La vieillesse gémit. Elle est sans espérance

Et se plaît à se souvenir!


Sur l'aile du progrès le monde marche et vole.

Hélas! n'erre-t-il pas un peu?

Le mal ne rougit plus et l'or est une idole

Qui reçoit plus d'encens que Dieu.

L'heureux se divertit, le prolétaire souffre,

La jeunesse rêve d'amour.

Chacun fait des projets, et la mort, comme un gouffre

Engloutit chacun à son tour.


De l'autre bord des mers une jeunesse obscène

Se réunit pour blasphémer.

L'autorité l'irrite et le Seigneur la gêne,

Mais elle sait bien réclamer.

Elle veut, à son tour, régler le sort du monde,

Lui donner de nouveaux élans,

Et le faire sortir de ce sentier immonde

Où Dieu l'a tenu six mille ans.


O jeunesse aveuglée! ô jeunesse stupide

Qui demandes la liberté

Et qui crois, pour l'avoir, que ta main homicide

Doive immoler l'autorité!

Qui veut que l'homme libre, approchant de la bête

Ne reconnaisse aucune loi,

Et que, dans son orgueil, il ne courbe la tête

Devant Dieu, ni devant le roi!


Un jour l'on te verra, jeunesse sacrilège,

Frapper avec férocité

Cette société qui t'aime et te protège

Par crainte ou par impiété.

Les princes deviendront tes premières victimes

S'ils ne te mettent pas de freins;

Car leur indifférence ouvre d'affreux abîmes

Et Dieu leur sondera les reins!


Mais tout n'est pas blasphème. Et, pendant qu'au sarcasme

Se plaît la sotte vanité,

L'univers a des voix pleines d'enthousiasme

Qui chante la divinité.

Et c'est ce poids sacré jeté dans la balance

Qui tient l'équilibre en tout temps;

Car le ciel en faveur de la douce innocence

Épargne les impénitents.


Qui sait ce que Dieu garde aux nations du monde?

Car peuples comme individus

Ont leur âge d'épreuve où leur grandeur se fonde

Et passent des sentiers ardus.

Ils ont leurs missions souvent grandes et belles,

Puis ils descendent au cercueil,

Honnis, s'ils ont failli; s'ils ont été fidèles

On s'en souvient avec orgueil.


O peuple Canadien, pour toi les jours d'épreuve

Ont-ils assez été nombreux,

Ou faudra-t-il encor que ton beau sol s'abreuve

De ton sang noble et généreux?

Tes ennemis sont forts, mais ton courage est ferme

Et ton nom, couronné d'honneur.

Et ton passé nous dit que tu portes un germe

D'indépendance et de grandeur.


Meurs sous tes fiers drapeaux ou gagne la victoire

Et mérite d'être immortel!

Nouveau peuple de Dieu, tes succès et ta gloire

Ne tomberont qu'avec l'autel.

Ta jeunesse est ardente, avide d'héroïsme;

Qu'elle aime sa langue et sa foi!

Qu'elle aime le travail et craigne l'égoïsme,

Un jour elle te fera roi!





TERNAIRES


Bel an qui fuis, adieu! Naguère avec ivresse

J'acclamais ton retour, j'écoutais ta promesse.

De l'aigle ou du simoun ta course a la vitesse!


Une fleur s'est fanée, et notre froide main

La laisse retomber sur le bord du chemin

Que d'autres, à leur tour, vont parcourir demain.


Le monde est-il meilleur? la charité, plus forte!

Le riche avec plaisir fait-il ouvrir sa porte

A l'homme malheureux que la misère escorte?


La bouche de l'envie est-elle sans venin?

Le traître rougit-il de son lâche dessein?

La paix est-elle acquise à tout le genre humain?


Les Princes se sont dit dans leur orgueil stupide:

«Nous régnerons sans Dieu; notre bras intrépide

«Peut défendre nos droits contre un sujet perfide.»


Ils ont régné sans Dieu comme ils se l'étaient dit.

Des ennemis du Christ la phalange applaudit.

La Foi voila son front et, triste, elle attendit.


Et l'esprit de révolte, ainsi qu'un vent d'orage

Qui tourmente, soudain, les ondes d'un parage,

Fit tressaillir les coeurs d'une farouche rage.


Et le sujet s'est dit: «Le peuple est souverain,

«Et le roi, c'est moi seul! Arrière, droit divin!

«Les hommes sont égaux, et tout pouvoir est vain!»


De tous les points du ciel montent de noirs nuages;

Un bruit sourd et plaintif vient de tous les rivages;

Un malaise ineffable oppresse tous les âges.


Sur son axe vieilli l'univers a tremblé;

L'audace de l'impie en ces temps a doublé,

Et le juste, partout, dans sa paix est troublé.


L'homme ne se croit plus qu'une fange pétrie.

Il désire la mort pour son âme flétrie,

Et la terre qu'il foule est sa seule patrie!


Il se complaît au mal, il boit l'iniquité;

Le mensonge l'attire, il hait la Vérité;

Pour une heure de joie il vend l'éternité.


C'est en vain qu'en ces jours les puissants de la terre

Recouvrent leurs desseins du voile du mystère,

Et cherchent à cacher l'effroi qui les atterre.


Le Seigneur Tout-Puissant élèvera la voix

Et leurs projets honteux crouleront à la fois,

Comme au souffle du vent les feuillages des bois!


Au jour de sa justice Il vannera le monde;

Au loin Il jettera toute semence immonde;

Il brisera l'espoir où le méchant se fonde!


Adieu! bel an qui fuis pour ne plus revenir,

Qui fuis comme un torrent que rien ne peut tenir!

Adieu! toi qui n'es plus déjà, qu'un souvenir!





RÉMINISCENCES


Passez devant mes yeux, souvenirs que j'adore!

Comme ces flots d'azur qu'illumine l'aurore,

Passez! passez devant mes yeux!

Comme au milieu des nuits ces brillants météores

Qui glissent dans le ciel avec des bruits sonores,

Passez, souvenirs radieux!


O jours de liberté! jours d'amour et d'ivresse

Où rien ne captivait ma sauvage jeunesse,

Je vous revois encor souvent,

Comme, de temps en temps, sur la vague en écume

Le rocher voit reluire, au milieu de la brume,

Les rayons du soleil levant!


Je le pleure toujours, toit bâti par mes pères,

Foyer religieux où tant d'amours sincères

Comblaient le coeur du troubadour!

Et toujours je te pleure, ô chambre, solitaire

D'où mon regard pensif sur le ciel et la terre

Flottait doucement tour à tour!


Ah! que de fois tout seul j'ai marché sur la rive,

Regardant à mes pieds chaque vague plaintive,

Écoutant le gai matelot!

Que de fois en secret j'ai tracé sur le sable

Un adorable nom que le flot implacable

Venait effacer aussitôt!


Je regardais au ciel, dans les longs soirs d'automne,

Ces aspects merveilleux qu'un soleil couchant donne

Aux oeuvres sublimes de Dieu.

Je regardais la nue avec sa longue frange

Flotter, comme un navire à la structure étrange,

Dans un vaste océan de feu.


Je regardais jaunir nos riches pâturages;

Je regardais nos bois, sans feuilles, sans ramages,

Partout s'endormir pour longtemps.

Mais l'arbre reverdit que le soleil caresse!

Et pour l'homme qui touche au seuil de la vieillesse

Il n'est plus jamais de printemps!


Cascades qui sonnez comme des cors de cuivre,

Vieux pins qui tout l'hiver vous drapez dans le givre

Comme, dans l'hermine, un grand roi,

Solitaires sentiers, bosquets pleins de mystères,

Fontaines qui courez, sous les fraîches fougères,

Vous souvient-il encor de moi?


Tu glissais dans les airs, ô vive luciole,

Tu glissais, chaque soir, avec ton auréole

Comme une étoile qui soudain

De la voûte des cieux se serait détachée;

Souvent dans le gazon tu te croyais cachée

Mais ton éclat guidait ma main.


Fauvettes, laissez-vous de minute en minute,

Vos notes onduler comme un doux son de flûte

Dans le silence de la nuit?

Vous, gentils écureuils, avez-vous peur encore

D'une feuille qui tombe au pied du sycomore

Pendant que vous rongez un fruit?


Berce-toi, papillon, sur ton aile de gaze,

La rose ouvre pour toi sa coupe de topaze,

Pour toi les prés sont veloutés!

Ah! je voudrais aussi parmi les fleurs sauvages

Voltiger, au hasard, sur mes heureux rivages,

Loin du tumulte des cités!...


O vous dont le berceau fut en nos champs tranquilles,

Pouvez-vous respirer l'air empesté des villes

Sans regretter vos prés en fleurs?

Mes yeux de toutes parts n'aperçoivent que l'homme:

Dieu semble se cacher; c'est en vain qu'on le nomme,

On ne voit pas bien ses splendeurs!


Je cherche un horizon baigné dans la lumière,

Et mes tristes regards se heurtent à la pierre

D'un mur qui tombe inachevé!

Je demande aux zéphirs mes arômes champêtres,

Et la brise du soir n'apporte à mes fenêtres

Que la poussière du pavé!


Ah! comment voulez-vous que mon âme s'élève,

Dans un transport d'amour, vers ce Dieu qu'elle rêve

Et que le désert lui montrait!

Du livre où je lisais la page s'est fermée!

Et jamais je ne vois qu'à travers la fumée

Le ciel d'azur qui m'inspirait!


Hélas! qui me rendra mon rustique village?

Qui me rendra mes bois avec leur vert feuillage

Et ma nacelle aux durs tolets?

Qui me rendra mes prés couronnés de verdure

Et le ruisseau qui suit avec un doux murmure

Son lit parsemé de galets?


Qui me rendra le toit où ma paisible enfance,

Comme un rêve qu'on aime, a vu, dans l'innocence

Si vite s'écouler ses jours?

Qui me rendra, Seigneur, la pelouse fleurie

Et les sentiers fanés de la vaste prairie

Où je rêvais à mes amours?


Et mes amours, c'était la vagabonde voile!

C'était le flot profond! c'était la vive étoile

Qui brille sous les pieds de Dieu!

C'étaient l'arbre feuillu que fouette la tempête,

Et l'humble lis des champs qui relevait sa tête

Quand le soleil luisait un peu!


C'étaient le geai d'azur, la grive à la voix douce,

Le chardonneret d'or qui recueillait la mousse

Pour construire son petit nid!

C'était le ciel du plomb d'où la foudre s'élance!

C'étaient ces lieux déserts où règne le silence,

Où l'écho du monde finit!


C'étaient les aboiements des lointaines cascades,

Les peupliers plantés comme des colonnades

Autour des rustiques maisons!

C'étaient près d'une source, au bord d'une futaie,

Le bruit sec, éclatant, cadencé de la braie,

Et les gais refrains des chansons!


C'étaient, quand le fermier liait ses blondes gerbes,

Les grillons éveillés qui sautaient dans les herbes

Et les boeufs qui rentraient au pas!

C'était l'airain bénit dont la voix solennelle

M'appelait, le dimanche, à la sainte chapelle

Où la foule priait tout bas!


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Passez devant mes yeux, souvenirs que j'adore!

Comme ces flots d'azur qu'illumine l'aurore,

Passez! passez devant mes yeux!

Comme au milieu des nuits ces brillants météores

Qui glissent dans le ciel avec des bruits sonores,

Passez, souvenirs radieux!





NOËL


L'hiver a suspendu, comme la blanche hermine

Qui borde le manteau des rois,

Sa guirlande de neige éblouissante et fine

Aux rameaux dépouillés des bois.


Le jour a disparu. La nuit traîne ses ombres;

Les champs semblent plus désolés;

Les sapins du coteau se dessinent plus sombres

Dans l'azur des cieux étoilés.


Et l'on entend parfois, sur la neige stridente,

L'acier d'un rapide traîneau,

Et le souffle glacé de la bise mordante

Qui fait gémir chaque rameau.


Et l'on entend aussi dans la blanche chaumière

Retentir de joyeuses voix.

L'heure avance; il est tard et pourtant la lumière

Brille encore aux châssis étroits.


Enfants, qu'attendez-vous pour gagner votre couche

Vieillards, vous aimiez le sommeil?

Vierge, si tu ne dors, adieu la fraîche bouche,

Le front de rose et l'oeil vermeil....


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Mais j'entends plus souvent, sur la neige stridente,

L'acier des rapides traîneaux,

Et le souffle glacé de la bise mordante

Qui fait gémir tous les rameaux.


J'entends des rires,

Des chants joyeux,

De douces lyres

Aux sons pieux!

J'entends encore

Sur le rocher

L'airain sonore

Du vieux clocher.

Sa voix tremblante

Qui pleure ou chante

Dans l'obscurité,

Semble la trompette

D'un ange qui jette

Dans l'Eternité

Son cri répété!

Le temple étincelle,

La voûte ruisselle

De mille clarté?

Comme la houle

L'ardente foule

S'empresse et roule

De tous les côtés!

Le feu s'allume

Et l'encens fume

Devant le saint autel!

L'orgue sublime

Soudain s'anime

Sous les doigts d'un mortel!

C'est la mer profonde

Qui berce son onde,

La foudre qui gronde

Au sommet des monts!

C'est la flûte molle,

L'oiseau qui s'envole,

Où l'humble corolle

Qui glisse aux vallons!


A genoux! à genoux! troupe fidèle et sainte,

Devant un modeste berceau!

A genoux! à genoux! Que la pieuse enceinte

Retentisse d'un chant nouveau!


Cet enfant qui vagit sur le sein de sa mère,

Quatre mille ans l'on attendu!

C'est le Verbe Éternel qui descend sur la terre

Pour sauver le monde perdu!


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Dans une crèche sombre

Marie était alors.

Il faisait froid dehors,

Elle chantait dans l'ombre:


«Dors, Jésus, mes amours,

«Je veille sur tes jours!


«Quelle ardeur me transporte!

«Les hommes savent-ils,

«O Jésus, mon cher Fils,

«L'amour que je te porte?


«Dors, Jésus, mes amours,

«Je veille sur tes jours!


«Comme ta bouche est rose!

«Comme ton oeil est doux!

«Sur mes faibles genoux,

«O mon enfant, repose!


«Dors, Jésus, mes amours,

«Je veille sur tes jours!


«Tu n'as pas de beaux langes

«Comme l'enfant d'un roi,

«Mais je chante pour toi

«Les paroles des anges!


«Dors, Jésus, mes amours,

«Je veille sur tes jours!


«Dans mon âme ravie

«Je possède le ciel!

«Les femmes d'Israël

«Me porteront envie!


«Dors, Jésus, mes amours,

«Je veille sur tes jours!


«Et puis dans ma vieillesse...»

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Mais quel triste penser

Fit tout-à-coup cesser

Ce doux chant d'allégresse?


A genoux! à genoux! le Verbe est incarné!

Un nouvel astre a lui pendant la nuit obscure!

A genoux! à genoux devant la Vierge pure

Qui pleure sur son nouveau-né!


Et, dans l'église toute ornée,

Pendant cette sublime nuit

Où l'étoile des Mages luit,

La foule reste prosternée.


Les hymnes glorieux?

De la reconnaissance

S'élèvent jusqu'aux cieux.

La prière s'élance

De l'autel radieux,

Et l'orgue recommence

Ses accords merveilleux,

Et l'encensoir balance

Ses parfums précieux!


La cloche résonne

Dans l'air retentissant!

L'étoile sillonne

L'azur resplendissant!

Le givre rayonne

Sur l'arbre frémissant!

Le vent murmure

Et la nature

Fête en tout lieu,

Et l'âme pure

S'élève à Dieu!





LE RETOUR AUX CHAMPS


Enfin, j'ai secoué la poussière des villes;

J'habite les champs parfumés.

Je me sens vivre ici, dans ces vallons tranquilles,

Sur ces bords que j'ai tant aimés.


L'ennui me consumait dans tes vieilles murailles,

O fière cité de Champlain!

Je ne suis pas, vois-tu, l'enfant de tes entrailles

Et ton coeur me semble d'airain.


Je suis né dans les champs; je suis fils de la brise

Qui passe en caressant les fleurs;

Je suis fils du torrent qui mugit et se brise

Sur le roc avec des clameurs!


Je suis né du désert, du désert sans limite

Où règne le calme et l'effroi;

Je suis né des forêts que la tempête agite,

Des cimes dont l'aigle est le roi!


Mes premières amours, douces fleurs des vallées,

N'ont-elles pas été pour vous?

Pour vous, rocs au front nu, forêts échevelées,

Vagues des fleuves en courroux?


Pour vous, charmants oiseaux qui semez, à l'aurore,

Les doux accords de votre voix,

Comme des diamants qu'égrène un vent sonore,

Après l'orage, sous les bois?


Je souffrais dans ces murs où s'entasse la foule,

Où l'herbe ne reverdit pas,

Où la fleur ne naît point, où la poussière roule

Comme un flot sale sous nos pas!


J'avais bien assez vu comme le fort repousse

Le faible à son boulet rivé,

Comme de son orgueil la sottise éclabousse

L'esprit qui traîne le pavé!


J'avais bien assez vu la richesse hautaine

Ecraser, de son vil dédain,

L'indigence en haillons qu'une espérance vaine

Jette au hasard sur son chemin!


Nul vent harmonieux ne passait sur ma lyre,

Et mes chants étaient suspendus.

Je ne retrouvais plus le souffle qui m'inspire,

Et je pleurais les jours perdus!


Il me fallait de l'air, le parfum des prairies

Où fleurissent les blancs muguets;

Il me fallait l'espace et ces courses chéries

Le long des onduleux guérets!


Il me fallait le calme, alors que chaque étoile

Sourit comme un regard de Dieu,

Calme que rien ne rompt si ce n'est une voile

Qui retombe sur le flot bleu!


Il me fallait revoir, au milieu de la plaine,

Sur le penchant du vert coteau,

Le laboureur qui rêve à la moisson prochaine

En ouvrant le sillon nouveau!


Il me fallait l'odeur du foin qui se dessèche

Sur le champ où passe la faulx,

L'odeur du trèfle mûr que flairent dans la crèche,

En hennissant, les fiers chevaux!


Il me fallait entendre encor la voix bénie

Du vieux clocher de mon hameau;

Cette voix qui répète, en vagues d'harmonie,

Les gais cantiques du berceau;


Qui porte des chrétiens la prière et l'hommage

Au ciel, dans un divin accord,

Et qui fera peut-être, un jour, gémir la plage

Du glas funèbre de ma mort.





DULCIA LINQUIMUS ARVA


Pourquoi donc fuyez-vous notre belle patrie,

Jeunes gens aux bras vigoureux?

N'a-t-elle plus besoin ni de votre industrie,

Ni de votre sang généreux?

Est-ce ainsi que fuyaient, en d'autres temps, nos pères

Qui virent tant de jours mauvais?

D'un rivage étranger les gloires mensongères

Ne les séduisirent jamais.


Quoi! vous vous exilez! Mais dans nos vastes plaines

N'est-il pas de place pour tous?

Craignez-vous de l'hiver les rigides haleines?

L'été n'est-il pas assez doux?

Sont-elles sans parfums les fleurs de nos charmilles?

Sans ombre nos grandes forêts?

L'amour et la vertu croissent dans nos familles

Comme les blés dans nos guérets.


Aiguillonnez les flancs de la glèbe féconde;

Traînez partout le soc vainqueur;

Des sueurs du travail que votre front s'inonde;

Le travail retrempe le coeur.

Transformez nos déserts; que la ronce sauvage

Fasse place à l'or du froment.

Laissez à vos enfants, pour premier héritage,

L'exemple d'un grand dévoûment.


Un son qui vient de loin vous trouble et vous enivre:

Est-ce donc un concert si beau?

C'est la voix de l'airain, c'est la clameur du cuivre,

Le cri du fer sous le marteau!

Ah! combien plus sacrés sont les accents rustiques

Qui font retentir nos hameaux!

Voix de nos gais enfants, chants des vierges pudiques,

Soupirs du vent dans les rameaux!


La grande république, ivre de sa conquête,

Proclame haut ses libertés;

Mais écoutez le vent qui passe sur la tête

De ses populeuses cités:

Quels accents discordants son vol rapide égrène

Comme la grêle de l'hiver!

Et cette république, elle chante la haine

Sur un luth aux cordes de fer!


Écoutez! écoutez l'implacable musique!

Écoutez l'étrange clameur!

C'est le sourd grondement de l'immense fabrique

Où les engins chantent en choeur,

Le râle des pistons plongeant dans les chaudières

Leurs énormes jambes d'acier,

Comme aux gués bouillonnants des rapides rivières

Les sabots d'un fougueux coursier!


C'est le bruit des marteaux qui font hurler l'enclume

Comme un taureau dans l'abattoir!

C'est le pétillement de la flamme qu'allume

L'haleine d'un grand soufflet noir!

Ce sont les cris stridents des ardentes bobines,

Des cylindres vertigineux!

C'est le concert affreux de toutes les machines

Qui travaillent toujours pour eux!


Et, parmi tous ces bruits, une plainte s'élève,

La plainte du pauvre ouvrier

Qui travaille dès l'aube et jusqu'au soir sans trève,

class="i6" Et n'a pas le temps de prier.

Sa femme, ses enfants, comme d'humbles esclaves,

Sont tous les jours à leurs métiers.

Ils vieillissent ainsi sans briser les entraves

Qui les enchaînent tout entiers!


Ah! si les habitants des villes ouvrières

Avaient l'ombre de nos grands pins;

S'ils avaient les parfums de nos fleurs printanières,

L'air embaumé de nos matins;

S'ils pouvaient, comme nous, en s'armant de la hache,

Défricher un sol plantureux,

Comme ils accompliraient leur glorieuse tâche,

Et qu'ils se trouveraient heureux!


Aimez, ô Canadiens, le sol qui vous vit naître,

Et qu'il ne soit jamais qu'à vous!

Sur les bords étrangers chacun est votre maître:

Demeurez libres parmi nous!

Aimez votre village et vos temples champêtres

Où Dieu vous parla tant de fois.

Aimez le cimetière où dorment les ancêtres

class="i6" Sous l'humble égide de la croix!





LA FENAISON


O les vives chansons qui montent des prairies!

Les doux arômes du foin mûr!

O le soleil ardent! Les riches draperies

Qui flottent sous le ciel d'azur!


Sur la forêt lointaine

L'aube soulève à peine

Sa paupière aux cils d'or,

Et, sur la grève humide,

L'alouette rapide

Ne danse pas encor.


Prenant sa faulx tranchante,

Avant que l'oiseau chante

Dans le buisson fleuri,

Le paysan agile

Retourne au pré fertile

Où le trèfle a mûri.


Et le foin plein d'arôme

Sur le sol qu'il embaume

Se couche frémissant,

Comme, sur le rivage,

Le frêle ajonc sauvage,

Sous le flot incessant.


O les vives chansons qui montent des prairies!

Les doux arômes du foin mûr!

O le soleil ardent! Les riches draperies

Qui flottent sous le ciel d'azur!


Sur la cime vermeille

Cependant se réveille

L'harmonieux pinson,

Et, prenant sa volée,

A travers la feuillée

Il chante sa chanson!


Et la fraîche rosée

Qui s'était déposée

Sur le rameau mouvant

S'échappe, à son passage,

Du verdoyant feuillage

Comme au souffle du vent.


Et l'on dirait que l'aile

De l'humble philomèle,

Dans ses doux battements,

Fait pleuvoir sur les herbes

Les scintillantes gerbes

De mille diamants.


O les vives chansons qui montent des prairies!

Les doux arômes du foin mûr!

O le soleil ardent! Les riches draperies

Qui flottent sous le ciel d'azur!


La jeune paysanne,

Qui s'avance et ricane,

Tient, dans sa brune main,

Une fourche de saule,

Et, sur sa ronde épaule,

Un vase d'eau tout plein.


La coquette églantine

Semble moins purpurine

Que n'est sa joue alors:

Un corsage de toile

Avec chasteté voile

Les grâces de son corps.


On dirait qu'elle rêve

Lorsque sa main soulève

Les trèfles empourprés,

Et, qu'à chaque secousse,

Une odeur neuve et douce

S'exhale des verts prés.


O les vives chansons qui montent des prairies!

Les doux arômes du foin mûr!

O le soleil ardent! Les riches draperies

Qui flottent sous le ciel d'azur!


J'entends, par intervalle,

Comme un bruit de cymbale

Qui retentit pressé:

Pour affiler sa lame

Que le silex entame

Le faucheur s'est dressé,


Il a pris, tout humide,

Dans le vase limpide,

La pierre au rude grain,

Et, d'une main précise,

Sur l'acier qui s'aiguise

La promène grand train.


En se contant fleurettes,

Les gars et les fillettes,

Munis de leurs râteaux,

Amassent, desséchée,

L'herbe molle couchée

Par la mordante faulx.


O les vives chansons qui montent des prairies!

Les doux arômes du foin mûr!

O le soleil ardent! Les riches draperies

Qui flottent sous le ciel d'azur!


Satisfait de l'ouvrage

Qu'il fait avec courage

Depuis que l'aube a lui,

Le faucheur, sur la plaine,

De temps en temps promène

Son oeil autour de lui.


Sur sa faulx il s'appuie,

Et, de sa main, essuie

Son front tout ruisselant,

Car une effluve chaude

Sur le pré d'émeraude

Circule maintenant.


Et, le long des clôtures,

Les pesantes voitures

Que traînent les boeufs roux

Amènent à la grange

Le foin mur qui s'effrange

Aux épines du houx.


O les vives chansons qui montent des prairies!

Les doux arômes du foin mûr!

O le soleil ardent! Les riches draperies

Qui flottent sous le ciel d'azur!


La verte sauterelle

Sur la tige nouvelle

Découpe son profil,

La libellule rase

De son aile de gaze

Les aigrettes du mil;


Et, d'une ardeur égale,

Le grillon, la cigale

Chantent leur chant joyeux:

Dans le ciel la dernière,

Le grillon, sous la pierre

Qui le dérobe aux yeux!


Ainsi l'humble chaumière

Et la demeure altière

Ont des chants de bonheur;

Et que nul ne s'étonne,

Car c'est une oeuvre bonne

Que l'oeuvre du Seigneur.


O les vives chansons qui montent des prairies!

Les doux arômes du foin mûr!

O le soleil ardent! Les riches draperies

Qui flottent sous le ciel d'azur!





NAPOLÉON III


Il passait sur son char traîné par des cavales,

Des cavales aux durs sabots;

Il passait au milieu de l'éclat des cymbales

Et des clameurs de ses hérauts.


Comme un torrent qui brise une digue impuissante,

Pour voir cet homme tant vanté,

La foule s'élançait, profonde, frémissante,

De tous les coins de la cité.


Puis elle demeurait là, les pieds dans la boue,

Ou la tête sous le soleil,

Tant que sur le pavé résonnait une roue,

Tant qu'on voyait le char vermeil.


Et les fronts s'inclinaient jusque dans la poussière:

On aurait pu baiser ses pas.

Ceux même qui, parfois, l'insultaient en arrière,

Devant lui se courbaient plus bas,


C'est qu'il était puissant, et que souvent la force

Est le dieu le mieux adoré;

C'est que le peuple, aussi, sous une saine écorce

Cache un coeur souvent ulcéré.


Il était renommé dans toutes les provinces

Et craint dans mille lieux divers;

Il était le plus grand de tous ces brillants princes

Qui se partagent l'univers.


Des amis, prosternés devant son diadème

Offraient l'encens du courtisan,

Mais ils ne laissaient pas arriver l'anathème

Que lui jetait le paysan.


Et, quand il regardait défiler ses phalanges,

Comme des flots, au champ de Mars,

Il se croyait un dieu dont les millions d'anges

Portent la foudre en toutes parts.


Son nom jetait l'effroi comme un coup de tonnerre.

Quand il fronçait son noir sourcil,

Au levant, au couchant, les rois s'armaient en guerre,

Et croyaient leur trône en péril.


Comme l'ange maudit il ne crut qu'en lui-même:

Il méconnut la voix de Dieu,

Il aurait agréé, dans sa superbe extrême,

L'encens qui monte du saint lieu.


Il avait oublié, ce grand prince, une chose:

C'est que Dieu règne sur les rois;

Qu'ils n'ont tous qu'un mandat que le ciel leur impose,

Et que les peuples ont des droits.


A son front orgueilleux, d'une main tout sanglante

Et riant d'un rire infernal,

La révolution, devenue insolente,

Avait mis le bandeau royal.


Il lui fit des faveurs, la reçut dans sa couche,

Lui vendit son âme et son corps.

L'impudique baiser qu'il reçut de sa bouche

Ne lui laissa plus de remords.


Elle devint hardie, exigeante, importune,

Comme une fille sans pudeur

Qui prodigue l'amour et conserve rancune

A qui doute de son honneur.


Pour calmer le dépit de l'infâme maîtresse

Il la fit asseoir près de lui;

Il lui sacrifia l'Eglise et la noblesse

Qui sont des rois le seul appui.


Mais elle se lassa de ce royal hommage

Qui lui semblait suspect toujours.

Elle aimait mieux des siens l'accouplement sauvage,

Et mieux les brutales amours....


Mais sur le chaud duvet de l'alcôve fermée

Par des rideaux épais et doux;

Dans les palais des grands où la canaille armée

Prouve l'égalité de tous.


Et voilà que soudain la maîtresse effrontée

Livre ce prince ambitieux

A la foule des siens subitement montée

De la fange des mauvais lieux.


Et rien des ennemis n'arrête l'avalanche:

Leurs bataillons sont infinis.

Ils ont la soif du sang. C'est leur jour de revanche,

Et les corbeaux sont réunis.


Pour le festin des morts, pour la grande curée

Sont réunis les noirs corbeaux.

Ils viennent, les impurs, de la France éplorée

Se partager quelques lambeaux.


Les autres rois, alors, enfoncent sur leur crâne

Leur diadème profané.

Ils se cachent de peur ou frappent d'un pied d'âne

Les flancs du lion enchaîné.





OÙ SONT MES RÊVES?


Où sont mes rêves d'or? Où sont mes espérances

Et ces jours de soleil qui se levaient si beaux?

Ah! laissez-moi traîner mes mortelles souffrances

Au milieu des tombeaux!


Insensé! je croyais au bonheur de la terre;

J'étais fait pour aimer et mon coeur était bon!

Je n'avais qu'un besoin: la paix que rien n'altère.

Comme l'oiseau, j'allais fredonnant ma chanson.

Mon âme est une lyre aux branches suspendue,

Et la brise qui touche à sa corde tendue

Lui fait rendre une plainte. Elle est une humble fleur

Éclose, le matin, au bord de la prairie,

Qui ne demande au ciel qu'une goutte de pluie

Et qu'un doux rayon de chaleur.


Où sont mes rêves d'or? Où sont mes espérances

Et ces jours de soleil qui se levaient si beaux?

Ah! laissez-moi traîner mes mortelles souffrances

Au milieu des tombeaux!


Ah! que j'étais heureux quand je pouvais encore,

Loin du bruit des cités, loin des hommes jaloux,

Courir seul, chaque jour, sur la plage sonore,

Écouter les sanglots des vagues en courroux

Qui s'en allaient aussi pour ne plus reparaître!

Mon Dieu! disais-je alors, je ne viens que de naître,

Et, comme ce flot bleu se perd dans l'océan,

Je me perdrai bientôt dans ces affreux abîmes

Qui ne rendent, hélas! jamais plus leurs victimes,

Dans les abîmes du néant!


Où sont mes rêves d'or? Où sont mes espérance»

Et ces jours de soleil qui se levaient si beaux?

Ah! laissez-moi traîner me» mortelles souffrances

Au milieu des tombeaux!


Que dis-je? le néant! Erreur, songe, folie l

Le néant, c'est le monde avec son sot orgueil;

Le monde qui n'a rien et que son destin lie,

Comme un pauvre forçat, au mal, aux pleurs, au deuil!

Le monde qui promet et qui jamais ne donne!

Qui toujours vous offense et jamais ne pardonne,

Le monde qui gémit et s'en va soucieux!

Ah! que dans ce néant le malheureux s'endorme!

Notre âme est immortelle, et rien ne la transforme

Lorsque Dieu la rappelle aux cieux!


Où sont mes rêves d'or? Où sont mes espérances

Et ces jours de soleil qui se levaient si beaux?

Ah! laissez-moi traîner mes mortelles souffrances

Au milieu des tombeaux!


Où sont ceux que j'aimais? Ces amis de l'enfance,

Ces jeunes compagnons qui partageaient mes jeux!

Nous marchions côte à côte, avec insouciance,

Sous le soleil brillant ou le ciel orageux.

Il nous semblait alors que la vie était belle,

Que rien ne finissait, qu'une effluve éternelle,

Pour rajeunir le monde, en tout lieu débordait.

Il nous semblait alors que la vieillesse en larmes

N'avait jamais connu les rires et les charmes

Que la jeunesse possédait!


Où sont mes rêves d'or? Où sont mes espérances

Et ces jours de soleil qui se levaient si beaux?

Ah! laissez-moi traîner mes mortelles souffrances

Au milieu des tombeaux!


Où sont les coeurs de feu, les longues chevelures

Que le vent caressait pendant les soirs sereins?

Où sont les anges blonds, les jeunes filles pures

Qui se laissaient bercer par mes premiers refrains?

Où sont les verts sentiers, les bouquets de bruyères

Où nos mains se joignaient dans les mêmes prières,

Quand chantaient les pinsons sur les épais rameaux?

Nos esprits s'envolaient dans un brillant délire;

Nous nous sentions heureux, mais alors, pour le dire,

Nos lèvres n'avaient pas de mots.


Où sont mes rêves d'or? Où sont mes espérances

Et ces jours de soleil qui se levaient si beaux?

Ah! laissez-moi traîner mes mortelles souffrances

Au milieu des tombeaux!


Mais le torrent rapide entraînait la nacelle....

Les vertes oasis et les arbres fleuris

Qui couronnaient le front de la rive nouvelle

Disparurent bientôt à mes regards surpris.

Et j'entendis soudain, l'éclat de la tempête;

Je sentis un vent froid qui passait sur ma tête,

Et puis un voile épais tomba devant mes yeux.

Je crus qu'un lourd sommeil pesait sur ma paupière;

Je voulus le chasser; j'appelai la lumière....

O ciel! j'étais devenu vieux!


Où sont mes rêves d'or? Où sont mes espérances

Et ces jours de soleil qui se levaient si beaux?

Ah! laissez-moi traîner mes mortelles souffrances

Au milieu des tombeaux!





LE PRINTEMPS

A MADAME P. J. O. CHAUVEAU


Salut, printemps fécond. Tu souris à la terre;

Tu rends au pré ses fleurs, au bois son vert manteau,

liais tu ne saurais rendre à la plaintive mère,

Printemps si beau,

Par tes effluves embaumées,

Ses jeunes filles bien-aimées

Qui reposent dans le tombeau!


L'hiver qui recouvrait de son voile de glace

Nos coteaux, nos vallons,

Comme un drap mortuaire étendu sur la face

Des morts que nous pleurons,

Au soleil s'est fondu comme une molle cire.

Sur l'aride forêt

L'on ne voit plus, au loin, le blanc frimas reluire

Comme un léger duvet.

Les brouillards qui traînaient leurs longues robes grisa

Sur la cime des bois,

Au souffle parfumé des matinales brises

S'envolent à la fois;

Et les échos joyeux de leurs grottes profondes

Sortent tout triomphants;

Et l'on entend partout le murmure des ondes

Et les cris des enfants.


Salut, printemps fécond. Tu souris à la terre;

Tu rends au pré ses fleurs, au bois son vert manteau,

Mais tu ne saurais rendre à la plaintive mère,

Printemps si beau,

Par tes effluves embaumées,

Ses jeunes filles bien-aimées

Qui reposent dans le tombeau!


Et la terre, déjà, de fleurs est étoilée

Comme l'azur du ciel.

Et déjà l'on entend, sous la cime voilée,

Un concert éternel.

Le gazon reverdit sous les pieds qui le foulent,

Et les champs labourés

Paraissent jusqu'au loin comme des flots qui roulent

Vers des bords empourprés.

Le chant du laboureur qui revient de l'ouvrage

Au coucher du soleil,

Le murmure du vent, les soupirs du feuillage,

Le bruit du flot vermeil

Qui déchire aux cailloux son éclatante écume,

Le nuage argenté

Et le grillon mutin sur le sillon qui fume,

Tout est plein de gaîté!


Salut, printemps fécond. Tu souris à la terre;

Tu rends au pré ses fleurs, au bois son vert manteau,

Mais tu ne saurais rendre à la plaintive mère,

Printemps si beau,

Par tes effluves embaumées,

Ses jeunes filles bien-aimées

Qui reposent dans le tombeau!


Une molle vapeur, comme un rideau de soie?

S'élève le matin

Du fond de la vallée où la rose déploie

Sa robe de satin.

Et l'on voit, à travers ces nappes diaphanes,

Flotter, comme dans l'eau,

Les profils indécis des flexibles lianes

Et du pâle bouleau.

Ainsi de l'avenir l'anxieuse jeunesse

Croit parfois entrevoir

Les contours incertains, la forme enchanteresse,

Quand l'amour ou l'espoir,

Comme un rayon de feu, comme une douce haleine,

Pénètrent le rideau

Tombé devant les yeux de la sagesse humaine

Depuis notre berceau.


Salut, printemps fécond. Tu souris à la terre;

Tu rends au pré ses fleurs, au bois son vert manteau,

Mais tu ne saurais rendre à la plaintive mère,

Printemps si beau,

Par tes effluves embaumées,

Ses jeunes filles bien-aimées

Qui reposent dans le tombeau!


Mille arbustes nouveaux, mille nouvelles plantes

Surgissent du sol nu.

Le printemps leur a fait des promesses brillantes,

Mais, l'automne venu,

En vain l'on cherchera la trace d'un grand nombre.

Ainsi pour les humains!

Quand le soir de la vie étend au loin son ombre

Sur les tristes chemins,

Ceux qui restent debout retournent en arrière

Des regards superflus:

La route est recouverte, hélas! de la poussière

De ceux qui ne sont plus!

Un besoin de soleil ou des feux implacables,

L'onde ou les aquilons

Ont fait périr beaucoup de ces fleurs adorables

Dont les jours semblaient longs!


Salut, printemps fécond. Tu souris à la terre;

Tu rends au pré ses fleurs, au bois son vert manteau,

Mais tu ne saurais rendre à la plaintive mère,

Printemps si beau,

Par tes effluves embaumées.

Ses jeunes filles bien-aimées

Qui reposent dans le tombeau!


Il est doux maintenant de reprendre les courses

Sur les coteaux lointains,

De s'asseoir et prier au bord des fraîches sources,

Sous le dôme des pins.

Il est doux d'écouter les grives et les merles,

Revenus au buisson,

Égrener, tour à tour, comme un collier de perles,

Leur vibrante chanson!

Le soleil qui descend derrière les nuages

Jette un ruban de feu,

Une auréole d'or au front des monts sauvages

Et du graud fleuve bleu.

Ces gerbes de rayons, ces ardentes traînées

Qui descendent des cieux

Sont comme un souvenir de louis jeunes années

Pour ceux qui se font vieux!


Salut, printemps fécond. Tu souris à la terre;

Tu rend» au pré ses fleurs, au bois son vert manteau,

Mais tu ne saurais rendre à la plaintive mère,

Printemps si beau,

Par tes effluves embaumées,

Ses jeunes filles bien-aimées

Qui reposent dans le tombeau!


Et la gaîté renaît dans l'obscure chaumière

Que l'hiver désolait.

A travers les carreaux maintenant la lumière

Laisse entrer un reflet.

Qu'importe qu'au foyer toute flamme soit morte,

Le soleil est bien chaud.

Pour ranimer son fils, la mère ouvre la porte

A ce rayon d'en haut.

Et tous les coeur» brisés, dans la pauvre famille

Qui trouvait le ciel dur

Quand la bise emportait la fleur de la charmille

Et le dernier fruit mûr,

Bien joyeux aujourd'hui que revient l'espérance,

Montent vers le Seigneur:

Ils n'ont plus souvenir des jours de la souffrance

Au retour du bonheur!


Salut, printemps fécond. Tu souris à la terre;

Tu rends au pré ses fleurs, au bois son vert manteau,

Mais tu ne saurais rendre à la plaintive mère,

Printemps si beau,

Par tes effluves embaumées,

Ses jeunes filles bien-aimées

Qui reposent dans le tombeau!





A MON AMI J. A. GENAND


Sous l'orme plein de sève

Je me suis endormi,

Et, dans un divin rêve,

Je t'ai vu, mon ami.


Sur une tombe sainte

Tu priais à genoux,

Et ta sublime plainte

Arrivait jusqu'à nous.


Tu disais à la brise

Qui berce les rameaux,

A l'humble pierre grise

Qui marque les tombeaux:


Moi je n'ai plus de mère,

Je suis seul ici bas

Sur cette pauvre terre

Où se traînent mes pas!


Je suis la sensitive

Qui n'a plus de soleil,

Et l'écho de la rive

Qui n'a plus de réveil,


Le vagabond nuage

Qui glisse à l'horizon

Et la brûlante plage

Qui n'a pas de gazon;


Car je n'ai plus de mère,

Je suis seul ici bas

Sur cette pauvre terre

Où se traînent mes pas!


Je suis l'humble corolle?

Qui tombe avant l'hiver,

La barque sans boussole

Au milieu de la mer!


Je suis le brin de mousse

Qui rampe sur le sol,

Ou le ramier qui pousse

Une plainte en son vol;


Car je n'ai plus de mère;

le suis seul ici-bas,

Sur cette pauvre terre

Où se traînent mes pas!


Je suis l'ombre légère

Qui s'incline sans bruit,

L'oiseau sous la fougère

Qui gémit dans la nuit,


La roche solitaire

Qui déchire les flots,

L'airain du sanctuaire

Qui jette des sanglots;


Car je n'ai plus de mère;

Je suis seul ici-bas,

Sur cette pauvre terre

Où se traînent mes pas!


Je suis comme un rivage

Qui n'a point de moissons,

Je suis comme un bocage

Qui n'a point de chansons!


Je suis le cerf agile

Qu'une flèche a percé,

Ou le roseau fragile

Qu'un souffle a renversé;


Car je n'ai plus de mère;

Je suis seul ici-bas,

Sur cette pauvre terre

Où se traînent mes pas!


Ainsi ta voix plaintive

Murmura chaque mot,

Et ma lyre attentive

Les redit aussitôt.


Et je vis, mieux parée?

Que la fille d'un roi,

Une vierge adorée

Qui s'approchait de toi.


Sur la tombe nouvelle

Elle effeuilla des fleurs:

--Je suis l'ange, dit-elle,

Qui doit sécher tes pleurs;


Car tu n'as plus de mère;

Tu vis seul ici-bas,

Sur cette pauvre terre

Où se traînent tes pas!





LE POÈTE PAUVRE


Prends ce morceau de pain, mais tu seras esclave;

Tu m'appartiens dès aujourd'hui!

Les larmes couleront de ta paupière cave

Et partout te suivra l'ennui.

Prends ce morceau de pain, ô poète au front blême,

Prends! et dis adieu pour toujours

A cette liberté qui fut ton bien suprême!

Renonce à tes douces amours,

Au ruisseau qui gazouille à travers les vallées,

Au blé qui dore le guéret,

Aux nids qui dans le ciel jettent leurs voix perlées,

Aux ombrages de la forêt.


Comment! hésites-tu? Vainement tu me braves,

Le temps des rêves est passé.

Quand on est indigent a-t-on peur des entraves?

Seul, ici-bas, l'or entassé

Peut conduire au bonheur. Les talents, la science

Sont des biens qu'on ne compte pas.

Le riche les supporte avec impatience,

S'il ne les brise sous ses pas.

Courbe ton front marqué du cachet du génie

Devant l'orgueil du parvenu;

Souffre sans murmurer la honte ou l'avanie,

Passe avec le flot inconnu....


Prends ce morceau de pain, ô poète, te dis-je,

Pour assouvir ta pâle faim.

Ah! ton oeil se dilate et déjà le vertige

Fait frémir ta débile main!

Souviens-toi de ton père! Il est vieux et sans force

Pour travailler jusques au soir.

Tu tenterais en vain, sous ta rigide écorce,

De me cacher ton désespoir.

Prends ce morceau de pain, et pour ta jeune femme

Dont le chaste sein est tari,

Et pour tes blonds enfants qui te déchirent l'âme

De leur prière et de leur cri!


Eh bien! pour les sauver tous ces êtres que j'aime,

Oui, j'ai dépouillé ma fierté.

Je ne m'appartiens pins, je ne suis plus moi-même

Et j'ai vendu ma liberté!

Le maître parle; allons! inclinons donc la tête

Et laissons là les rêves d'or.

Devant un plus puissant je ne suis qu'une bête

Et mon esprit n'a plus d'essor.

Le ciel est tout d'azur, les vallons, pleins d'arômes,

Les oiseaux chantent dans les airs,

Les insectes luisants babillent dans les chaumes,

Les ruisseaux roulent des flots clairs;


Poète, prends le joug, car ces flots d'harmonie,

Pauvre enfant, ne sont plus pour toi.

Ferme! ferme l'oreille à cette voix bénie

Qui met la nature en émoi.

Ici-bas tout s'achète. Il n'est de jouissance

Que pour le riche, en vérité.

Hommes, choses, tout est soumis à sa puissance,

Tout vient servir sa volonté!

Pour lui s'ouvre la fleur dont le parfum enivre;

Pour lui mûrissent les sillons;

Pour lui, durant l'hiver, et la neige et le givre

Emoussent leurs froids aiguillons.


Et n'est-ce pas assez de souffrir en silence

Les maux qui me viennent du ciel!

Faut-il qu'à chaque instant, dans leur froide insolence,

Les hommes m'abreuvent de fiel?

Ah! si j'avais pu naître au milieu des richesses

Comme sont nés tant d'idiots,

Si j'eusse eu pour berceau les genoux des duchesses,

Des dentelles à mes maillots,

Je n'aurais pas aimé d'amitié plus profonde

Les êtres que j'aime aujourd'hui,

Mais j'aurais vu comment nous apparaît le monde

Quand on plane au-dessus de lui!


O règne du métal, règne de la matière

Dont se moquera l'avenir,

Alors que nos neveux sortiront de l'ornière

Où nous aimons à nous tenir,

Triomphe de l'argent, âge du servilisme,

Siècle de l'or, je te maudis!

Tu portes sur ton front le sceau de l'égoïsme;

Tes yeux pervers sont alourdis;

Comme ces lourds oiseaux qui sortent des décombres

Lorsque le soir est de retour,

Tu promènes ton vol dans les épaisses ombres

Plutôt que dans l'éclat du jour!


O mes rêves aimés, mes croyances chéries,

O mes ivresses d'autrefois,

Comme les papillons des riantes prairies

Vous avez à mes pauvres doigts

Laissé la poudre d'or de vos brillantes ailes,

Et vous vous êtes envolés,

Envolés pour toujours aux rives éternelles!

Parfois mes regards désolés

Cherchent encore, au ciel, la trace lumineuse

Qui devait rester après vous;

Mais je ne vois plus rien, rien qu'une nuit affreuse

Que je vais attendre à genoux!





POUR TE CHANTER


Je t'aime, ô ma jeune patrie,

Quand le printemps t'orne de fleurs;

Et, quand l'automne t'a flétrie,

J'aime encor tes champs sans couleurs,

Tes bois où plane le mystère,

Tes fleuves et leurs riants bords!

Pour te chanter, ô noble terre,

Toujours ma lyre a des accords!


J'aime tes coutumes charmantes

Que chaque an ramène à son tour;

J'aime tes vierges innocentes

Que fait rougir un mot d'amour;

J'aime ton ciel souvent austère

Et tes garçons joyeux et forts!

Pour te chanter, ô noble terre,

Toujours ma lyre a des accords!


J'aime les prés où se balance

La jaune moisson de l'été;

J'aime ta sublime espérance,

Ton culte pour la liberté;

J'aime ta foi vive et sincère,

Le plus riche de tes trésors!

Pour te chanter, ô noble terre,

Toujours ma lyre n des accords!


J'aime qu'autour des gerbes blondes,

Quand on a fini la moisson,

L'on danse de joyeuses rondes,

En choeur, sur le tiède gazon;

J'aime la fête populaire

Avec ses rustiques décors!

Pour te chanter, ô noble terre

Toujours ma lyre a des accords!


J'aime, aux nuits froides, ton étoile

Dont le regard est si joyeux;

Ton givre qui jette un blanc voile

Sur l'ébène de nos cheveux;

J'aime aussi ta neige légère

Qui semble le linceul des morts.

Pour te chanter, ô noble terre,

Toujours ma lyre a des accords!


J'aime, en hiver, tes jours de fête

Et les chansons de ta gaîté;

J'aime à voir une blonde tête

Qui déride un front argenté;

Et mon âme, alors moins sévère,

Peut du monde oublier les torts

Pour te chanter, ô noble terre,

Toujours ma lyre a des accords!





LIBERA!


J'étais, depuis longtemps, las du bruit de la ville

Et je voulus revoir mon village tranquille,

Les oiseaux des forêts qui chantent leurs amours

Et les grands boeufs pensifs qui ruminent toujours,

Les épis balancés sur leurs tiges égales,

Et, dans le ciel de feu, les stridentes cigales.

J'ai toujours regretté la paix de nos hameaux,

La splendeur de nos bois, l'air pur de nos coteaux.

Je suis comme un captif qu'un long ennui dévore

Et je rêve toujours aux chaumes que j'adore.

Je les revoyais donc ces bords tant regrettés.

Je marchais à pas lents, cherchant, de tous côtés,

Si du progrès nouveau la baguette magique

Avait des lieux aimés changé l'aspect rustique.

Les nuages flottaient comme de grands ballons;

Les brouillards du matin dormaient dans les vallons.

Dans le calme des cieux, soudain, les cloches saintes

Jetèrent à la fois de douloureuses plaintes.

Elles sonnaient des glas. Puis le peuple éploré

S'achemina sans bruit vers le parvis sacré.


Ce matin-là l'oiseau, sur la branche embaumée,

Ne chanta pas gaîment comme à l'accoutumée,

Le soleil ne luit point sur la nappe des eaux

Et la bise gémit en berçant les roseaux!


Alors je vis venir à travers le village,

De loin, sur le chemin tout bordé de feuillage,

Quatre jeunes garçons qui portaient un cercueil.

Ils marchaient lentement dans leurs habits de deuil.

Quatre filles suivaient, jeunes, en robes blanches,

Les yeux en pleurs, le front couronné de pervenches.

Un long voile de point, tombant jusqu'à leurs piés,

Dérobait à demi leurs contours déliés.

Sur la tombe un drap blanc avec larges dentelles,

Des couronnes de lis et des fleurs d'immortelles?


Semblaient les ornements qu'on prête avec bonheur,

Les jours de grande fête, à l'autel du Seigneur.

La touchante amitié de compagnes chéries

Avait cueilli, la veille, au milieu des prairies,

Pour le tombeau sacré, ces virginales fleurs.

Je me sentais ému; mes yeux roulaient des pleurs;

Mon coeur était serré par une amère angoisse,

Et je prenais ma part du deuil de la paroisse.


Dans le même moment Houde courut à moi,

Et, me serrant la main:

--Tu l'aimais bien, je crois?


--Qui?


--Mais tu me comprends; celle qu'en terre on porte;

Dulice.


--Que dis-tu? Mon Dieu! Dulice est morte?...


Un nuage passa devant mes yeux alors;

Une froide sueur inonda tout mon corps,

Et j'allai m'appuyer, d'une marche indécise,

A la croix qui s'élève en face de l'église.

Un doux rêve oublié passa devant mes yeux

Et j'entendis longtemps des accords merveilleux.

Dans le calme du ciel toujours les cloches saintes

Jetaient, en se berçant, leurs douloureuses plaintes.


Elle m'avait aimé. Son jeune confesseur

Lui disait de bannir tout amour de son coeur...

Mais pourquoi réveiller ces tristes souvenances?

Tout est fini pour nous, amour comme espérances!

Un souffle inexorable, avant les jours d'été

A brisé cette fleur dans toute sa beauté.


Elle voulut me fuir, et, pour sauver son âme

Faire monter vers Dieu sa sainte et vive flamme.

Elle vint à Lévis, demander au couvent

La paix que, depuis lors, cherchait son coeur fervent.

Je la revis plus tard; trop tard!... D'amères larmes

Tombèrent lentement de ses yeux pleins de charmes

Quand elle me parla. Comme elle j'ai pleuré...

Ne te réveille plus, souvenir adoré!


Le temple était en deuil, les autels, sans parures

Et les tableaux, voilés par de sombres tentures.

Six grands cierges de cire allumés à la fois

Berçaient leur flamme pâle au côté de la croix.

Quand le prêtre eut offert le divin sacrifice;

Quand du Christ il eut bu, dans l'auguste calice,

Le sang inestimable, et que le saint Agneau,

Pour nous, sur le calvaire eut monté de nouveau,

Un chant incomparable éclata sous les voûtes.

De l'orgue frémissant les voix montèrent toutes,


Dans un cri de pitié, vers le juge des mort».

Le choeur psalmodia de sublimes accords.

C'était un chant d'espoir; c'était une prière;

C'était de la terreur; c'était, dans la poussière,

La faible créature implorant l'Eternel!

C'était l'âme appelant, en ce jour solennel,

Pour désarmer le bras de son juge suprême,

Toutes les grandes voix de ce monde qu'il aime!

Des nuages d'encens flottaient sous les arceaux;

Le catafalque noir portait mille flambeaux.

Le clocher répéta ses lugubres volées,

Et l'écho les redit jusqu'au fond des vallées;

Jusqu'à saint Édouard, jusqu'à saint Casimir

On entendit alors nos trois cloches gémir;

Et le vent qui passa dans les vieux sycomores

Parut unir sa plainte à ces plaintes sonores!


Libéra! libéra! pitié! pitié! Seigneur!

Disaient toutes ces voix dans leur grande douleur,

Libéra! libéra! pitié! pitié pour elle,

Et ne la livre pas à la mort éternelle!

Ne la rejetez point, Seigneur, loin de vos yeux,

En ce jour redoutable où la terre et les cieux

Jusqu'en leurs fondements frémiront d'épouvante,

Quand du siècle apostat qui s'insurge et se vante

De ne pas croire un Vous, Vous viendrez, ô mon Dieu,

Juger l'amour impur et l'orgueil par le feu!


Et pendant que les clercs, l'airain et l'orgue antique

Chantaient, dans leurs accords, ce sublime cantique,

Que le prêtre faisait, pour bénir le tombeau,

Du goupillon d'argent pleuvoir les gouttes d'eau,

Je pleurais à genoux, dans un banc, en arrière.


Tout le peuple suivit la tombe au cimetière.

Je voulus suivre aussi; mais soudain du cercueil

Je crus voir s'élever, comme il passait le seuil,

Une forme légère, ondoyante, élancée.

Par le rhythme pieux elle était balancée,

Se drapait noblement dans son brillant linceul

Et regardait l'endroit où je me trouvais seul.

Son front resplendissait d'une vive lumière,

Sa bouche souriait, et pourtant sa paupière

Roulait encor des pleurs, comme en ce triste jour

Où nous nous séparions sans espoir de retour!

Elle parut monter sur un rayon d'opale....

Je tombai devant elle à genoux sur la dalle.

Quand je me relevai le temple était désert,

Un rayon de soleil perçait le ciel couvert.





JE N'Y CROIS PLUS


Vents chargés de parfums, ô brises printanières,

Éveillez-vous!

Faites entendre encore, à travers les bruyères,

Ces chants si doux

Qui se mêlent au bruit des limpides fontaines,

Au chant des nids

Que l'amour berce encor sur les cimes lointaines

Des bois jaunis.


Feuillages, fleurs, oiseaux, chantez à mes fenêtres,

Brises, chantez!

Car peut-être, ô mon Dieu, vous êtes tous ces êtres

Tant regrettés

Que la tombe implacable a pris à ma tendresse

Quand, sans soucis,

Nous étions au festin de la folle jeunesse

Ensemble assis.


Fuyez, brouillards épais qui traînez votre voile

Sous le ciel bleu!

Fuyez, brouillard épais! Laissez la vive étoile

Sourire un peu!

Ce rayon qui descend de la céleste voûte

Quand il est tard,

D'une âme qui s'unit à mon âme est sans doute

Le doux regard!


J'aimais, j'étais aimé: mon coeur était sensible

Comme une fleur.

Un rayon de soleil faisait, au val paisible,

Tout mon bonheur.

Quand un souffle divin me jette dans l'extase,

Je chante encor;

Je chante pour le ciel comme un cygne qui rase

La vague d'or!


Aujourd'hui j'ai perdu bien plus d'une espérance

En floraison,

Et le doute a soufflé sur ma frêle existence

Son froid poison.

Ici-bas j'ai cherché des amitiés divines,

Soins superflus!

L'amour a des regrets, le bonheur, des épines....

Je n'y crois plus!





LE PASSÉ


Avez-vous quelquefois, dans un rêve suave,

Reporté vos pensers vers un âge lointain?

Avez-vous recueilli, comme une riche épave,

Un souvenir d'amour qui revenait soudain?

Et vous souvenez-vous de ces vagues tristesses

Qui passaient sur nos fronts et flottaient dans nos yeux?

Et vous souvenez-vous de ces belles promesses

De n'oublier jamais quand nous serions bien vieux?


Flotte devant mes yeux, flotte encor, douce image

O douce image du passé!

Flotte devant mes yeux comme un brillant mirage

Aux yeux du voyageur lassé!

Et qu'importe à mon coeur, qu'importe le mensonge

Qui le berce et l'enivre ainsi?

La réalité même, après tout, n'est qu'un songe,

Puisqu'hélas! elle passe aussi!


Arrêtons-nous un peu dans notre folle course;

Asseyons-nous ensemble au bord du vert sentier;

Remontons, en esprit, nos jours jusqu'à leur source;

Évoquons le passé. Notre coeur tout entier,

Dites-le moi, vous tous, est-il en nous encore?

Aux épines du doute, aux baisers de l'amour,

Aux étreintes du mal, ah! qui de nous l'ignore,

Ne s'est-il pas brisé depuis lors sans retour?


Avez-vous repeuplé la chambre solitaire

Où se réunissait, pour causer, chaque soir,

Ainsi qu'au fond d'un nid où plane le mystère,

La famille joyeuse? Alors il fallait voir,

Aux propos des enfants, le front bruni du père

S'éclairer tout à coup de sublimes reflets;

Alors on faisait cercle autour de la grand'mère

Pour entendre, en tremblant, parler de feux follets?


Mais toujours nous allions sur le torrent du monde;

Nous pensions que nos jours n'auraient pas de déclin.

Nous glissions, nous glissions comme la nef sur l'onde

Quand souffle le vent frais dans la voile de lin.

A peine avons-nous pu recueillir, au passage,

Une fleur, ou les sons d'une adorable voix;

Déjà nous sommes loin, bien loin de ce rivage

Que le pied voyageur ne foule qu'une fois!


J'aime à me souvenir des heures d'innocence

Que le ciel me donna dans nos champs fortunés.

Non, je ne cherche point la bruyante existence

Et je meure d'ennui dans nos murs calcinés.

Et je ne chante plus. J'ai suspendu ma lyre

Aux rameaux odorants des pins de nos coteaux.

Je redemande en vain la muse qui m'inspire;

Elle ne m'entend plus, mes chants ne sont point beaux!


Quand on revoit les lieux où s'écoula l'enfance,

Qu'on entend d'autrefois les chants délicieux,

On éprouve un regret, on sent une souffrance,

L'angoisse étreint le coeur, les pleurs coulent des yeux;

Mais bientôt on oublie, en un rêve sublime,

Que les ans sont venus et que l'on a vieilli.

Le présent disparaît, et, du fond de l'abîme

Le passé radieux devant nous a jailli!


Moi je ressens alors comme une sainte ivresse:

Ma poitrine se gonfle en doux et longs soupirs;

Je retrouve les ris de l'heureuse jeunesse,

Mon âme plus aimante a de brûlants désirs.

Je crois voir s'élever un nuage d'arômes

Et je me sens bercé dans ses replis moelleux.

Tout chante dans le ciel, dans les bois, dans les chaumes,

Tout chante dans mon coeur, et je me crois heureux!


Je vois se dérouler, à l'ombre des charmilles,

Les sentiers où j'allais, parfois, me recueillir;

Je vois passer encor l'essaim des jeunes filles

Plus fraîches que les fleurs qu'elles allaient cueillir;

J'entends, comme autrefois, le gai babil du merle,

Dans le grand peuplier, devant notre maison;

Je vois, dans le pré vert, luire comme une perle,

La goutte de rosée aux pointes du gazon.


J'écoute les piverts en quête de chenilles,

Frapper le bois de leurs becs durs;

Je vois mes compagnons, armés de leurs faucilles,

Courir gaiement vers les blés mûrs.

Et pendant que je rêve au bord de la fontaine,

Parmi les blancs convolvulus,

J'entends un faible écho de la cloche lointaine

Qui nous annonce l'angelus.


Je vois venir du champ, sous les feux de l'étoile,

Les chariots remplis de foin.

Les paysans, vêtus de leurs blouses de toile,

Dans le calme du soir, au loin,

Font entendre, en guidant leur pesant attelage,

Des rires francs et des cris vifs

Qui redonnent la vie au paisible village

Et hâtent les chevaux craintifs.


Je revois, à l'église, un vieux et bon lévite

Qui nous apprend la loi de Dieu.

Son aspect nous remplit d'une crainte subite

Quand il entre dans le saint lieu.

Il nous fait feuilleter les plus sublimes pages

Du livre de l'humanité,

Et nous rend, en un jour, plus savants que les sages

De la savante antiquité.


De ce côté je vois, en allant vers l'école,

A la fourche des deux chemins,

Le cenellier noueux qui forme une coupole

Couverte de beaux fruits carmins.

Arbre compatissant il me prêtait son ombre,

Et son fruit tendre et sa chanson,

Pendant qu'aux autres gars le maître froid et sombre

Faisait réciter la leçon.


Je revois, ô mon Dieu! là-bas, à la lisière

Des bois que les feux ont noircis,

L'endroit couvert de mousse, au bord de la rivière,

Où souvent je me suis assis,

Rêvant à l'avenir enveloppé de brumes,

Rêvant à quelqu'amour béni,

Et laissant mes pensera voler comme des plumes,

Je ne sais où, dans l'infini!


Dans les jours de chagrin l'espérance est bien douce:

On se plaît à dorer le ciel de l'avenir.

J'aime mieux le passé: rien encore n'émousse

Le plaisir que mon coeur trouve à se souvenir.

En s'éloignant de nous les jours mauvais s'épurent

Et déchirent souvent leur voile de brouillard.

Les brumes du matin guère longtemps ne durent:

Le soleil est plus chaud quand il se montre tard.


Quand mon esprit ainsi vole, vole en arrière

Jusqu'aux jours de l'enfance, au foyer des aïeux,

A ces jours où mon front imprégné de lumière

Ne s'était incliné que sous l'éclat des cieux,

Je sens vibrer alors les cordes de mon âme

Comme un luth où jouerait un veut mystérieux,

Un souffle étrange passe ainsi qu'un trait de flamme,

Et je chante ou je pleure en des refrains pieux.


O courses dans les prés éclatants de verdure,

Parmi les foins en fleurs, sous des flots de soleil

O courses dans les bois, sous la sombre ramure,

Au bord du fleuve immense ou du ruisseau vermeil,

Vous étiez tout mon bien, vous faisiez mes délices!

Je me sentais ému, j'oubliais l'univers

Devant vous, douces fleurs qui leviez vos calices,

Comme un front calme et pur, dans nos vallons déserts!


O les jours d'autrefois, les premiers de la vie,

Comme ils étaient sereins! comme ils ont été courts!

Et pourtant on jetait alors un oeil d'envie

Sur l'avenir obscur qui s'avançait toujours!

Et ceux qui se penchaient sous le poids des années,

Ceux qui touchaient déjà le terme du chemin,

Nous disaient, en partant, que leurs courtes journées

N'avaient, leur semblait-il, pas eu de lendemain!





AUX EXPATRIÉS


Venez, vous tous que la Patrie

Pleure, hélas! depuis de longs jours!

Vous traînez une âme flétrie

Sur des bords froids et sans amours.

Venez, amis, avant que l'âge

Enchaîne vos pas à jamais

Ah! vous cherchez en vain la paix

Loin du ciel de votre village!


Venez! le soleil luit encor!

Sur nos grandes prairies

Tout fleuries,

Dorment au loin ses reflets d'or.

Venez! la gentille hirondelle,

Quand renaît la saison nouvelle,

Prend toujours vers son nid fidèle

Son essor.


Revenez aux rives natales,

Au toit qui vous est toujours cirer!

Ah! si nos tables sont frugales,

Le pain de l'exil est amer!

Hélas! que de places sont vides

A nos foyers toujours en deuil!

On dirait que sur chaque seuil

Ont passé des tombeaux livides....


Venez! le soleil luit encor!

Sur nos grandes prairies

Tout fleuries

Dorment au loin ses reflets d'or.

Venez! la gentille hirondelle,

Quand renaît la saison nouvelle,

Prend toujours vers son nid fidèle

Son essor.


Heureux ceux qui jamais ne laissent,

Pour d'autres bords, leur doux hameau,

Comme les feuillages qui naissent

Et qui meurent sur le rameau!

Venez, pour que votre poussière,

Avec les cendres des aïeux,

Repose à l'ombre des saints lieux,

Sous l'humble croix du cimetière.


Venez! le soleil luit encor!

Sur nos grandes prairies

Tout fleuries

Dorment au loin ses reflets d'or.

Venez! la gentille hirondelle,

Quand renaît la saison nouvelle,

Prend toujours vers son nid fidèle,

Son essor!





LOIN DE LA FOULE


Le vent souffle avec rage, et sa brûlante haleine

Réchauffe, à son réveil, chaque fleur de la plaine,

Chaque léger brin de gazon;

Puis la forêt frémit dans sa verte parure,

Jetant au ciel de feu son immense murmure,

Comme une divine oraison.


Un voile de fumée obscurcit les campagnes:

Il ouvre ses replis au-dessus des montagnes

Jusqu'à l'azur du firmament.

On dirait que d'un temple aussi grand que la terre

C'est le suave encens qui monte avec mystère

class="i6" Vers le trône du Dieu clément.


Le soleil apparaît dans ce vaste nuage

Comme un boulet rougi qui se fraie un passage

Dans la cime épaisse des bois.

Le fleuve soulevé s'élance vers la grève,

Et de la côte abrupte où chaque jour je rêve

Il ronge, en hurlant, les parois.


Près de moi le bouleau traîne sa robe blanche,

Le chardonneret d'or saule de branche en branche

Avec le merle et le pinson.

Quand le printemps renaît sur nos rives si belles

Ils reviennent toujours, ces compagnons fidèles,

Nous chanter leur douce chanson.


Oh! qu'il fait bon, mon Dieu, d'être loin de la foule

Dont l'existence aride et s'agite et s'écoule

Au milieu d'un frivole bruit!

Qu'il fait bon d'être seul et de lire une page

De ce livre éternel--la Nature--où le sage,

Chaque jour, de nouveau s'instruit!





LA MAISON PATERNELLE


J'ai revu la maison où le ciel m'a fait naître;

J'ai revu l'humble chambre où, seul, pour rêver mieux,

Je m'enfermais souvent quand se voilaient les cieux.

Je me suis, comme alors, assis dans la fenêtre

Pour entendre le vent et les feuilles gémir,

Pour regarder le ciel avec ses blancs nuages,

Les bois à l'horizon et les gras pâturages,

Et le fleuve qui semble au loin toujours dormir.

Je ne retrouve plus cette douce lumière

Qui descendait d'en haut sur la pauvre chaumière;

Mes arbres ont grandi: sur leurs épais rameaux

Je n'entends plus chanter mes gais petits oiseaux!


Depuis longtemps le feu s'est endormi dans l'âtre

Et le seuil vermoulu s'est voilé de gazon.

On ne voit plus de croix pendue à la cloison,

Ni d'images de saints, ni de niches en plâtre.

Sous le foyer moussu les grillons réunis

Jettent, de temps en temps, leur cri mélancolique,

Et, dans la cheminée, aux angles de la brique,

Les agiles moineaux ont accroché leurs nids.

Sur les carreaux poudreux l'araignée âpre et louche

A suspendu, sa toile où meurt la pauvre mouche.

Et, du soleil de juin jamais les doux rayons

N'entrent pour réchauffer les humides plafonds!


O sainte vision! Dans cette salle basse,

Au pied d'un vieux crucifix noir,

Je revois la famille, à chaque jour qui passe,

Faire la prière du soir.

Mon père avec soucis près de lui nous rassemble:

Longtemps il prie à haute voix.

Après chaque oraison nous répondons ensemble:

«Amen» en regardant la croix.


Les auvents sont tombés, et l'eau, pendant l'orage,

Goutte à goutte descend le long des vieux lambris.

Moi je pleure à l'aspect de ces tristes débris,

Et je vois rire, hélas! les enfants du village.

Ils me croient étranger, moi, dans ces lieux bénis

Qui furent si longtemps à mes yeux tout le monde!

Ce soleil qui reluit, cet air pur qui m'inonde,

C'est l'air, c'est le soleil de ces enfants brunis

Qui vont courir, pieds nus, le longs des vertes haies,

Dénichant les oiseaux, cueillant de rouges baies,

Et ne se doutant pas que j'ai couru comme eux

Dans ces prés verdoyants et ces taillis ombreux!


Rien n'a changé, du reste, à l'horizon de flamme.

Au bout des champs de blé je vois, comme jadis,

Le grand fleuve rouler, entre ses bords hardis,

Les flots verts où se plonge en cadence la rame.

Et, par delà le fleuve, au milieu des vieux pins,

Deschambeault lève encor ses deux flèches timides.

Comme un ruban d'azur aux front des cieux sereins,

La forêt, au midi, se déroule en ceinture.

Le ciel sourit partout. O charmante nature,

Tu n'as pas comme moi vu mourir sans retour

Ta jeunesse suave et tes hymnes d'amour!


O ma pauvre maison, il me semblait, naguère,

Que ton beau pignon rouge et ton joli carré

Dessineraient toujours sur le ciel azuré,

Comme au fond de mon coeur, leur silhouette fière!

Et tu croules déjà! Ton maître d'aujourd'hui?


Te regarde tomber avec indifférence.

Tu n'as pas abrité les jours de son enfance,

Tu n'es pas, ô mon toit, un lieu sacré pour lui!

Reste debout pourtant, reste debout encor!

Quand m'aura moissonné le mal qui me dévore,

Tu tomberas alors ainsi que sont tombés

Mes amours d'autrefois et mes rêves dorés.





LA VOIX DES BOIS


Que nous disent nos bois dans leurs accords sublimes,

Et les choeurs des oiseaux qu'ils bercent sur leurs cimes,

Les cris mystérieux ou les soupirs plaintifs

Que leurs hôtes divers poussent sous les feuillages,

Les flots qui vont bondir au milieu des récifs,

Comme de blancs agneaux dans les gras pâturages,

Et nos champs recouverts de neige ou de moisson,

Et nos humbles sentiers comme nos avenues?

Que nous répètent-ils? quels chants leurs voix connues

Chantent-elles à l'unisson?


Ah! ces bois arrosés du sang de nos apôtres,

Du sang d'un Lallemant, d'un Jogue et de tant d'autres

Qui jadis, à leur ombre, ont élevé la croix,

Et ces champs défendus par le bras de nos pères

Contre des ennemis qui méprisaient nos droits

Ou se montraient jaloux de nos moissons prospères,

N'ont pas que des échos remplis de volupté!

Leur voix n'invite point la jeunesse volage

A venir badiner sous leur discret feuillage,

Ou sur leur gazon velouté!


Ils éveillent en nous de plus hautes pensées,

Nous chantent, tour à tour, les victoires passées,

Les luttes du présent, l'espoir de l'avenir!

Ils nous disent comment, aux jours de l'injustice,

Sous le même étendard nous devons nous unir!

Comment un peuple lier que l'on traîne au supplice

Sait répandre son sang pour sauver son honneur t

Comme il doit ressaisir sa puissance échappée!

Et quelle gloire attend le brave dont l'épée

Se brise au combat du Seigneur!


Ces prés verts que le soc, au mois de mai, sillonne,

Ces grands bois rajeunis où la sève bouillonne

Et qu'un nouveau feuillage est venu couronner,

Disent que la jeunesse est le temps de la vie?

Où de saintes vertus notre âme doit s'orner.

L'arbre chargé de fruits, dont chaque branche plie,

Fait monter la rougeur au front du paresseux.

Le ruisseau qui serpente à travers la prairie,

Et la feuille qui tombe, incolore et flétrie,

Disent que nous passons comme eux!


Et leur vague soupir, leur murmure ineffable

Agite et ravit l'âme. Et l'on n'est point capable,

Dans le trouble sacré que l'on ressent alors,

De saisir, un par un, les sons pleins de mystère

Qui forment, réunis, ces magiques accords;

Mais on sent que vers Dieu ces transports de la terre

S'élèvent à chaque heure, à l'aurore et le soir;

On sent que la Nature est fidèle à son Maître,

Qu'elle bénit ses lois, et qu'elle sait connaître

Mieux que les hommes son devoir.





LE CHANT DU CANADIEN


Je suis Canadien, ma patrie--

Une terre de liberté--

Comme la fleur de la prairie

Lève son front avec fierté.

Au loin, déjà, l'on dit sa gloire,

Et l'on se découvre à son nom.

Chaque page de son histoire

Pour sa couronne est un fleuron.


La neige dans ses serres blanches

Étreint souvent le vert coteau,

Et sous les odorantes branches?

Ne court pas toujours le ruisseau;

Mais la perfide indifférence

Ne saurait étreindre mon coeur,

Et vers l'amour ou la souffrance

Je cours toujours avec bonheur!


Le sourd murmure du grand fleuve

Endormit mon humble berceau,

Comme, dans sa parure neuve,

Le bois endort un nid d'oiseau.

Je ne devais jamais connaître

L'éclat qui remplit d'autres lieux!

Dieu soit béni qui me fit naître

A l'humble foyer des aïeux!


Bientôt le doux rêve s'envole

Et l'on n'a plus que des regrets.

Loin de toute ambition folle

Je trace mes féconds guérets.

Je vieillis sans bruit et sans crainte,

Servant mon pays de mon mieux;

Puis j'irai dans la terre sainte....

C'est par là que l'on monte aux cieux.





1837


I


PAIX ET GUERRE


La France n'avait pas perdu tout le prestige

Qui s'attachait à son drapeau;

La France n'avait pas, dans un jour de vertige,

Vendu, comme on vend un troupeau,

Le peuple Canadien à la riche Angleterre.

Nous vivions dans une humble paix,

Et, sur ces bords nouveaux, notre destin prospère,

Ne devait s'altérer jamais!


Nous ne demandions rien, rien que cette justice

Que l'on doit même aux plus petits;

Nos coeurs étaient bien droits et jamais l'artifice

N'avait eu place en nos esprits.

Fidèles, en ces temps, aux conseils de nos pères

Qui savaient bien vivre de peu,

Nous promenions le soc dans le sein de nos terres

En élevant nos coeurs vers Dieu.


Et, quand venait le temps de la moisson féconde,

Le temps de couper le blé mûr;

Quand les épis bruyants se berçaient comme l'onde

Sous les reflets d'un ciel d'azur,

Chacun courait au champ, dans l'heureuse famille,

Et le gai couplet des chansons

Semblait, comme l'épi, tomber sous la faucille

Des fillettes et des garçons.


Et l'on dansait alors autour des blondes gerbes,

Sous l'oeil de la lune, au vallon;

Et bien des pieds gentils foulaient les molles herbes

Aux gais accords du violon.

Et les fronts, couronnés ainsi qu'au temps antique

De bluets et de boutons d'or,

Sous le fardeau pesant d'aucun joug despotique

Ne s'étaient inclinés encor!


O jours heureux! jours d'amour et de gloire

Où mon pays déroulait, sous les cieux,

Ses étendards que suivait la victoire,

Jours de grandeur, pour vous pleurer mes yeux

Auront, hélas! d'intarissables larmes!

Jour du combat où les nobles aïeux,

Trahis, mouraient en embrassant leurs armes,

Jour du combat, que tu fus glorieux!


Mais le drapeau sacré qui protégeait nos rives.

Le drapeau blanc fleurdelisé

Fut souillé, fut trahi par les lâches convives

D'un roi que l'âge avait usé

Bien moins que la débauche. Et nous fûmes, ô crime!

Et nous fûmes vendus, un jour,

Nous peuple de héros, nous nation sublime,

Pour un impur baiser d'amour!


Le maître vint s'asseoir avec sa morgue sombre

A nos foyers hospitaliers.

Et nos enfants tremblaient quand ils voyaient son ombre

Se dessiner sur les paliers.

Il n'avait--en ce temps--qu'un but, un but inique:

Nous faire promptement périr,

Nous les enfants du sol, et dans cette Amérique

Où la liberté doit fleurir!


Il voulut balayer, comme un grain de poussière,

Le nom français de ce pays.

Sa gloire le blessait ainsi que la lumière

Blesse l'oeil de l'oiseau des nuits.

Il voulut effacer, par des lois tyranniques,

Le doux langage de nos soeurs;

Il voulut étouffer les germes catholiques

Sous la semence des erreurs!


Des hommes se sont dit, dans leur haute sagesse:

--«Désarmons nos maîtres jaloux:

Ne versons pas le sang, nous que la force oppresse,

Et faisons taire le courroux...»

Mais que peut le plus faible, et que peut la justice

Contre la raison du plus fort?

Courbe la tête, ô peuple, et bois l'amer calice

Au fond duquel l'attend la mort!


Une voix retentit pareille au glas funèbre

Qui sonne à l'heure de minuit.

Jamais, sur notre rive, une voix plus célèbre

Ne fit soudain autant de bruit.

Son accent inspiré, semblable à la bourrasque

Qui soulève les océans,

Fait au loin bouillonner les esprits. Il démasque

Sous nos pieds les gouffres béants!


Dans les murs des cités, au milieu des campagnes,

Retentit cette immense voix.

Elle fait tressaillir les échos des montagnes,

Tressaillir le fleuve et les bois!

Elle annonce partout la fin de la souffrance

Au prix du noble sang des preux.

Elle fait naître au coeur un rayon d'espérance

Le soir de ces jours ténébreux!


Entendez-vous, là-bas, la bruyante fanfare

Et le grondement du canon?

Entendez-vous, là-bas, le coursier qui s'effare

Et l'écho qui redit un nom,

Un nom harmonieux comme un chant de linotte,

Comme le murmure de l'eau?

C'est le nom immortel du plus grand patriote,

L'immortel nom de Papineau!


Et le peuple s'émeut. De bouillantes phalanges

Surgissent dans les prés en fleurs;

Les femmes, au foyer dont elles sont les anges,

S'agenouillent toutes en pleurs;

Le drapeau d'Albion tombe dans la poussière,

Mais haut, dans la pourpre des cieux,

De la révolte sainte on voit l'humble bannière

Ouvrir ses plis audacieux!


Et l'altière Albion, rugissant de colère,

Appelle à ces nouveaux combats,

Nombreux comme les flots de la grande rivière,

Ses vieux et fidèles soldats.

Ils viennent de partout, et leur troupe alignée

Comme un cercle de fer s'étend.

Ils vont avec bonheur broyer cette poignée

D'aventuriers qui les attend.


Mais, ciel! où fuyez-vous si vite et sans armure?

Soldats, qui vous a dépouillés?

Vos canons se sont tus devant l'humble murmure

De nos vieux mousquets tout rouilles!

Comme tombe, l'automne, un bouquet de feuillage

Au souffle des vents alizés,

Votre arrogance tombe en face du courage

De nos guerrier improvisés!


O champs de St. Denis! ô vallons de St. Charle,

Tressaillez de joie en ce jour!

Tressaillez de plaisir, vous dont l'histoire parle

Avec orgueil, avec amour!

Un jour, vous avez vu la puissante Angleterre

Faiblir devant vos bataillons,

S'arrêter de stupeur, sous l'effroi qui l'atterre

Replier ses fiers pavillons!


Mais que peut le courage auprès d'un nombre immense?

Il recule l'instant fatal

Et c'est tout épuisé par sa longue défense,

Dans un combat trop inégal,

Le héros, à son tour, hélas! chancelle et tombe,

Mais son âme s'envole au ciel

Et son nom est béni. L'espoir naît de sa tombe,

Son souvenir est éternel!


Les guerriers d'Albion, honteux de leur défaite,

Plus irrités et plus nombreux,

Reviennent de nouveau pour tenter la conquête

De ces hameaux peuplés de preux.

Mais flans chaque demeure on soutient bien le siège:

Tous à mourir sont résignés;

Et plus d'un ennemi vient d'un sang sacrilège

Rougir nos sillons indignés.


Mais quel jeune guerrier, par delà le grand fleuve,

Combat toujours armé du fer?

Qu'importe que partout une mitraille pleuve

Comme la grêle de l'hiver!

Du temple du Seigneur il fait sa forteresse,

Et les assaillants, par monceaux,

Sous ses coups vigoureux viennent tomber sans cesse

Comme les épis sous la faulx.


Gloire à toi, ô Chénier, le plus braves des braves,

Digne d'un destin plus heureux!

Gloire à toi! Pour sauver ton pays des entraves

Tu verses ton sang généreux!

A tes amis tu dis comment, frappés en face,

Tu dis comment, frappés au coeur,

Ils doivent, eux aussi, suivre ta noble trace,

Et savoir mourir pour l'honneur!


Comme un coeur maternel que la douleur abreuve

A la mort d'un enfant; comme une jeune veuve

A la mort de l'époux,

La Patrie est en pleurs. Elle a voilé sa face,

Et, dans un deuil profond, un deuil que rien n'efface,

Elle prie à genoux.


Sans armes et sans chef, même sans discipline;

N'ayant pour se guider que l'audace divine

Qui produit les hauts-faits,

Les héros canadiens, sur le champ de bataille,

Ont bravé bien longtemps l'infernale mitraille

Des bataillons anglais.


Ils sont tombés pourtant ces patriotes braves!

Mais leur mort a brisé pour jamais nos entraves?

Et porte leur gloire en tout lieu!

Ecrasés par le nombre, auprès de leurs victimes,

Ils sont tombés enfin, chantant les noms sublimes

De Patrie et de Dieu.


II


L'ÉCHAFAUD


Bien sombre est l'horizon, et des plaintes funèbres

S'élèvent des forêts au milieu des ténèbres,

S'élèvent des flots noirs et des rocs escarpés!

L'oiseau ne chante pas sur son nid de feuillage,

Le vent ne berce plus le roseau du rivage.

L'on entend seulement les sons entrecoupés

De la cloche d'airain qui pleure dans l'espace;

On entend les sanglots d'une femme qui passe

Au pied des murs noircis d'une haute prison...

Bien sombre est l'horizon!


Femme, que cherches-tu dès l'aube matinale!

Et pourquoi ces soupirs que ta jeune âme exhale?

Pourquoi, sur ton front pur, ce voile de douleur?

Que dis-tu, par instant, à l'enfant que tu presses

Sur ton sein qui bondit? Et pourquoi cas caresses

Qui vous font tant de mal que vous pleurez tous deux?

Es-tu, nouvelle Agar, par ton époux chassée

Loin de l'humble demeure où reste ta pensée?

Près de ce noir donjon qui trouble la vertu,

Femme, que cherches-tu?


Quels sont ces spectres noirs qui vont et qui reviennent

Pareils à des démons que les sorciers retiennent,

Au milieu de la nuit, sur un impur autel?

Quelle est, collée au mur, cette charpente sombre

Qui semble un long squelette ouvrant ses bras dans l'ombre

Pour étreindre quelqu'un dans un baiser mortel!

Qui montent à pas lents ces lugubres échelles?

O femme, tu pâlis, tu trembles, tu chancelles!

As-tu vu s'écrouler tes suprêmes espoirs?...

Quels sont ces spectres noire?...


Qui donc va monter là! Le jour perce la nue;

La charpente hideuse apparaît toute nue....

O ciel! un échafaud! O spectacle d'horreur!

En face du soleil, quelle pauvre victime?

Va venir expier la grandeur de son crime?

O femme, je comprends l'angoisse de ton coeur....

Le soleil monte encore et la foule s'avance.

Insolente et cruelle, en son impatience

Elle crie au bourreau qu'il faut finir cela....

Qui donc va monter là?


Victimes, avancez! Bourreaux, faites vos tâches!

Voyons donc au grand jour quelles ignobles taches

Souillent le front de ces forçats.

Victimes, avancez!... Ah! voilez cette scène!

Héros de mon pays, quoi c'est vous que l'on traîne

Sur le gibet des scélérats?


Que n'êtes-vous tombés, au jour de la bataille,

Au champ de Saint-Eustache, au champ de Saint-Denis!

Que n'êtes-vous tombés, broyés par la mitraille

Avec vos compagnons bénis!


Mais, pour calmer un peu cette haine enragée

Qu'en son âme implacable il gardait contre nous,

Colborne voulait boire une chaude gorgée

D'un sang dont il était jaloux,


Il fallait, pour autel, une ignoble potence,

Il fallait, pour témoin, un ignoble troupeau,

Pour victime il fallait la divine innocence

A ce grand prêtre fait bourreau!


Comme si la terreur, la honte et l'anathème,

Qui font une couronne à l'échafaud sanglant,

Pouvaient graver aussi leur stigmate au front même

De celui qui meurt innocent?


Défenseurs malheureux d'une cause humble et sainte,

Votre nom à jamais sera glorifié!

Maudits soit les tyrans! Mourez! mourez sans crainte,

Le gibet est sanctifié.


Vous n'êtes plus, hélas! mais de votre poussière

Un germe s'est levé qui ne doit point périr.

De vos tombes jaillit un rayon de lumière

Qui nous guide vers l'avenir.


Peuple, courbe ton front et souffre sans rien dire;

Espère un temps meilleur, pauvre persécuté.

Tes défenseurs sont morts, mais leur sanglant martyre

Vient d'enfanter la liberté.





LA VISION DE MONTGOMERY


A son roi comme à Dieu notre peuple est fidèle.

Et la grande Albion n'eut jamais auprès d'elle

Un défenseur plus noble, un plus vaillant support.

Il fut, dans tous les temps, loyal jusqu'à la mort.

Et pourtant, on le sait, ce peuple doux et brave

Fut traité bien des fois comme un indigne esclave.

Les échos attristés de nos vieilles forêts

Redirent de nos chefs les odieux projets.

Mais le bruit de ces fers qu'avait forgés le maître?

Fit surgir des héros au lieu de faire naître

D'implacables vengeurs.

N'allez pas, toutefois,

O vous qui m'écoutez, croire que l'humble voix

Du faible qu'on opprime est toujours entendue.

O peuple Canadien, ta plainte s'est perdue

Souventefois, hélas! avant d'atteindre aux cieux!

Ne croyez pas, non plus, que, fort peu soucieux

De son nom, de sa gloire, aux jours sombres d'orage,

Le peuple ait mieux aimé, sans force et sans courage,

Marcher, le cou plié sous un joug odieux,

Que tomber au combat sur le sol des aïeux.

Si le peuple a souffert, sans craindre ou sans maudire

Ses nombreux oppresseurs, c'est, il faut bien le dire,

Qu'il sentait dans son âme une vie, une foi

Que ne pouvait briser la plus inique loi;

C'est qu'il avait en Dieu placé son espérance!

Albion, tu le sais, adoucis sa souffrance!

Ou le poursuis encor comme ou traque un troupeau,

Albion, il est là pour sauver ton drapeau!...


Quand les fils turbulents de la plaintive Irlande,

Par tes lois relégués jusqu'au fond de leur lande,

Pour se venger de toi se firent Fénians,

Et vinrent t'insulter jusqu'aux bords Canadiens,

Notre peuple vola, déployant tes bannières,

Notre peuple loyal vola jusqu'aux frontières;

Et l'ennemi, surpris de tant de dévoûment,

Dans son repaire sûr s'enfuit honteusement.


Aux jours de trente-sept, quand, sous la tyrannie,

Gémissait de nouveau notre terre bénie;

Que Papineau semblait sonner enfin tes glas,

O puissante Albion! quelques héros, hélas!

Osèrent seuls, pourtant, dans leur ardeur suprême,

Fouler aux pieds tes lois et te dire anathème!

Le peuple protesta devant tout l'univers.

Sa loyauté sublime et le bruit de ses fers

Le faisaient ressembler aux saints martyrs de Rome!...


Plus loin, dans le passé, Chateauguay que l'on nomme,

Nous peuple de conquis, avec un noble orgueil,

Chateauguay fut-il pas comme un voile de deuil

Dont nous avons couvert la grande république?

Dites, ne fut-il pas la meilleure réplique

A ceux qui méprisaient notre antique valeur?


Plus loin, dans l'autre siècle, en ces temps de douleur

Où ceux-là qui vivaient avaient tous souvenance

D'avoir vu, sur nos murs, le drapeau de la France

S'incliner tristement devant le Léopard,

Nous les fils des vieux Francs, dans ce même rempart

Qui couronne le front de notre illustre ville

Comme un bandeau royal; nous qu'une haine vile

Avait calomniés et voués au mépris,

Nous nous fîmes soldats. Et le maître, surpris,

Nous dut, vous le savez, une insigne victoire.

Nous versions notre sang, il recueillait la gloire.

Qu'importe? On nous disait: «C'est le devoir, allez!»

Et nous allions au feu, certains d'être criblés

Par les balles de plomb et l'ardente mitraille.


Il a peut-être droit celui-là qui nous raille

De notre dévoûment parfois si mal payé.

Nous Canadiens-Français, nous avons étayé

Sur notre sol fidèle, ô superbe Angleterre,

Ta gloire chancelante et ton pouvoir austère,

Quand,--après cent combats,--le peuple américain

Te chassa de ses bords et nous tendit la main.


Et quand Montgomery vint dans nos froides plaines,

C'est toi qu'il poursuivait!... Et ses mains était pleines,

Pour nous, tu le sais bien, d'entraînantes faveurs!

Ses soldats courageux étaient-ils des sauveurs

Ou de traîtres amis qu'on fit bien de combattre?

Dieu nous protégea-t-il quand ils vinrent s'abattre,

Sur notre sol aimé, comme un troupeau de loups?

Dieu nous protégea-t-il, ou fût-il contre nous?...


Or voici ce qu'un jour redira la légende:

C'était l'hiver. Le givre attachait sa guirlande

Comme une fleur de lis aux sapins toujours verts.

La nuit ouvrait son aile; et les cieux, recouverts

De grands nuages gris que roulaient les tempêtes,

Faisaient tourbillonner la neige sur nos têtes.


Québec ne dormait pas sur son vaste rocher.

On voyait, dans la nuit, lentement s'approcher

Comme un serpent qui rampe autour d'un nid, sur l'herbe

La troupe américaine. Empressée et superbe,

Elle avait tout conquis sur son passage heureux.

Montgomery guidait les guerriers valeureux.

Toujours sur le sommet de l'âpre citadelle

L'étendard d'Albion flottait. La sentinelle

Passait silencieuse au milieu des brouillards,

Plongeant dans la noirceur ses inquiets regards.

Le peuple s'agitait dans les étroites rues

Comme on voit, quelquefois, au fond des herbes drues,

S'agiter les fourmis. Et toujours il neigeait.

Et le front dans sa main Montgomery songeait:

Il songeait au moyen de surprendre la ville.

Tout à coup, dans les airs, une clameur fébrile?

Se fait entendre. Il croit que cet étrange cri

Est un signal de mort, et qu'un feu bien nourri

Va pleuvoir aussitôt sur sa troupe surprise.

Il lève ses regards vers la muraille grise

Qui se dresse sur lui. Soudain deux traits de feu

Éclairent le brouillard comme un regard de Dieu.

Il voit deux glaives d'or, il voit deux lames nues

Qui se croisent sans bruit dans l'épaisseur des nues.

Et, petit à petit, se dessinent, brillants,

Les traits mystérieux de deux guerriers vaillants.

Et près d'eux est assise une femme voilée.

L'étendard d'Albion, la bannière étoilée

Déroulent leurs replis sur le front des lutteurs.


Et toujours le vent souffle. Et puis sur les hauteurs,

Dans les créneaux étroits et dans nos tours célèbres,

Il semble qu'on entend des murmures funèbres.

Montgomery, troublé, s'adresse à ses soldats:


--« Voyez donc, leur dit-il--Il montrait de son bras--

«Voyez donc dans les airs ces choses tout étranges!...

«Voyez ces étendards!... ces glaives et ces anges!...

«Ah! c'est notre drapeau!... C'est l'étendard anglais!...

«Quel combat merveilleux!... Quels guerriers!... Voyez-les!...

«Et cette femme en deuil!... Le vainqueur la possède!...

«Ah! notre pavillon!... Il se replie!... Il cède!...

Personne ne voyait l'étrange vision.»


--Nous n'apercevons rien: c'est une illusion,

O vaillant Général! dirent, d'une voix grave,

Les soldats stupéfaits.


Montgomery le brave,

Immobile et muet, suivait toujours, des yeux,

Le spectacle étonnant qui se passait aux cieux.

Mais; les glaives, bientôt, n'eurent plus d'étincelles,

Et l'ardeur s'éteignit dans les fauves prunelles

Des soldats éthérés. La femme, peu à peu,

Se fondit dans la nuit comme la cire au feu.

Et les deux étendards, changés en noirs nuages,

Lançaient de leurs replis le vent et les orages.

Montgomery baissa son front ruisselant d'eau:

Il tira lentement le sabre du fourreau.

Un éclair s'échappa de la pointe aiguisée.


--O mon pays, dit-il,--et sa voix épuisée

Se perdit dans l'orage--O mon pays aimé,

Suis-je l'ange vaincu qu'un prodige innommé

Vient de te faire voir! O ma noble bannière,

Nous tomberons tous deux dans la même poussière!...


Au même instant, perçant la nuit de son regard,

Il voit l'Esprit vainqueur debout sur le rempart

La femme, à ses genoux comme une esclave, rampe.

Et l'Esprit tient serré la glorieuse hampe

De l'étendard anglais. La femme a rejeté

Le voile de vapeur qui cachait sa beauté,

Et, d'un oeil triste et morne elle cherche la trace

Du bel ange vaincu disparu dans l'espace.

Alors le général eut un sourire amer.

Son coeur fut tout à coup troublé comme la mer

Quand souffle, vers la nuit, les vents froids de l'automne,

On l'entendit crier comme le ciel qui tonne:


--Je te ferai mentir, ô présage odieux!


Et, dans son désespoir, il parut radieux.

Il courut en avant de sa troupe vaillante.

Le vent soufflait toujours, et la neige mouvante

Toujours tourbillonnait comme les noirs pensers

Dans un cerveau malade.


Au pied des hauts rochers

Où Québec dort assis dans sa parure neuve

Serpente un noir sentier. Au midi le grand fleuve

Ferme, de ses flots verts, le chemin tortueux.


C'est par là que s'envient le chef impétueux.

L'audacieux, il croit escalader l'enceinte,

Pendant que vers le nord, sur une attaque feinte,

Accourt la garnison. Il s'avance sans bruit.

Déjà le dernier poste apparaît dans la nuit;

Il semble enveloppé dans un morne silence.

On n'entend que le fleuve, et le vent qui balance,

Dans le cap Diamant, les sapins rabougris.

Montgomery tressaille. Il s'élance surpris

De voir tant de succès couronner son audace.

Soudain l'ange vainqueur, comme un éclair qui passe,

Descend du haut des airs.... Est-ce l'ange de Dieu?

Il touche les canons de son glaive de feu.

Un choc épouvantable ébranle la montagne.

On entend les échos gémir dans la campagne.

Un cri monte dans l'air, un cri long, douloureux...

La mitraille a fauché le guerrier valeureux!


Le vent souffle toujours, et la neige éclatante

Prête au mort son linceul. D'une main palpitante

L'Esprit vainqueur reprend, le drapeau d'Albion.

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La femme rêve encore.... Et c'est la nation.





LES BRAYEURS


Allons à la corvée! allons, bande joyeuse,

Car le temps est venu de broyer le lin mûr!

On nous attend là-bas où la côte se creuse,

Comme une fraîche alcôve, à deux pas du flot pur.

Nous sommes vigoureux et nos mains sont brunies.

Nous aimons le soleil, nous aimons les hivers!

Pour nous enfants des champs les saisons sont bénies:

Nous aimons leurs travaux et leurs plaisirs divers.


Au-dessus des sapins s'élève la fumée,

Veillez au lin qui sèche, oh! veillez bien, chauffeurs!

Dans plus d'un oeil d'azur la flamme est allumée!...

Veillez au lin qui sèche et veillez à vos coeurs!


Frappons fort, jeunes gens! frappons tous en cadence!

De ces vallons connus éveillons les échos.

Travaillons tout le jour avec zèle et prudence:

Plus rude est le labeur, plus doux est le repos.

Frappons! frappons gaîment; et, sous l'active braie,

Le lin va se changer en un panache d'or.

Quand le devoir est fait, l'âme devient plus gaie

Et l'esprit retrempé prend un nouvel essor.


Au-dessus des sapins s'élève la fumée,

Veillez au lin qui sèche, oh! veillez bien, chauffeurs!

Dans plus d'un oeil d'azur la flamme est allumée....

Veillez au lin qui sèche et veillez à vos coeurs!


Autour de nous, partout, voltigent les aigrettes....

On dirait de la neige à travers les rameaux.

Nous rions, nous chantons dans les douces retraites

Où naguère chantaient seuls les petits oiseaux.

Nous luttons de vitesse, et la filasse blonde,

La filasse en cordons se tresse tout le jour....

Mais nous tressons, le soir, pour danser une ronde,

Sous les yeux des parents, nos mains avec amour!


Au-dessus des sapins s'élève la fumée,

Veillez au lin qui sèche, oh! veillez bien, chauffeurs!...

Dans plus d'un oeil d'azur la flamme est allumée...

Veillez au lin qui sèche et veillez à vos coeurs!...





SI TU POUVAIS PARLER


Si tu pouvais parler dans tes fiévreuses courses,

O fleuve merveilleux! ô fleuve vagabond!

Tu nous dirais pourquoi, loin de tes humbles sources,

Tu vas enfin te perdre à l'océan profond,

Comme ces blonds enfants qui laissent leur village

Avec un coeur naïf et des voeux superflus,

Comme ces blonds enfants à l'âme un peu volage

Qui vont dans les cités d'où l'on ne revient plus!


Tu nous dirais pourquoi, sous une tiède haleine,

L'on voit frémir ton sein;

Pourquoi souvent aussi, comme une morne plaine,

Tu t'aplanis soudain,

Et pourquoi, tour à tour, ta voix est humble ou fière;

Pourquoi tu dors parfois,

Entre tes bords fleuris, dans ta couche de pierre,

Comme un lac sous les bois;

Et pourquoi tu brandis ton panache d'écume,

Torrent impétueux,

Comme un coursier secoue, une aigrette de plume

Sur son front fastueux!


Si tu pouvais parler, tu nous dirais peut-être

Que ces vagues rumeurs, ces soupirs, ces sanglots

Qu'on entend tour à tour et s'éteindre et renaître,

Sont la voix des noyés que tourmentent tes flots;

Tu nous dirais combien de longues chevelures,

Aux baisers de l'amour promises autrefois,

Se traînent maintenant sur tes glaises impures,

Ou se collent sans bruit à tes glauques parois.


Combien d'infortunés, jeunes, vieux, hommes, femme»,

Par le trépas surpris,

Sur les cailloux glissants, au caprice des lames,

Traînent leurs corps meurtris!

Combien de fiancés dans leurs habits de fête,

Au jour de leur bonheur,

Pour orchestres ont eu la foudre et la tempête,

Et la vague en fureur

Pour couche nuptiale! Et combien, sur les berges,

Les reptiles rampants

Souillent, de leurs baisers, le sein bleui des vierges

Et le front des enfants!


Si tu pouvais parler, tu me dirais, ô fleuve,

Les joyeuses chansons des filles du hameau

Qui s'en vont, chaque soir, dans leur parure neuve,

Qui chaque soir s'en vont, dans un léger bateau,

Promener leur amour sur tes vagues discrètes,

Au souffle du zéphir, au bruit des avirons,

Pendant que dans le ciel, comme l'oeil des coquettes,

La lune verse au loin ses perfides rayons.


Tu me dirais la paix de ces humbles chaumières

Dont les pignons blanchis

Sont, comme les donjons aux toitures altières,

Par tes eaux réfléchis;

Les chants et les clameurs des cités orgueilleuses

Qui brillent sur tes bords

Comme, sur un cou blanc, des pierres précieuses;

Les sublimes accords

Des oiseaux réunis sous les épais feuillages

Des saules et des pins;

Tous ces bruits, ces baisers, ces rires, ces ramages

Des soirs et des matins!


Si lu pouvais parler, tu nous dirais encore

Combien de malheureux, lassés du poids du jour,

Sont allés demander à ton onde sonore

Un repos incertain. Ames sans pur amour,

Esprits vains et sans foi, coeurs malades ou lâches

Qui ne purent porter leur fardeau jusqu'au bout,

Trouvèrent plus aisé d'abandonner leurs tâches

Que de lutter toujours et de mourir debout!


Quand tes flots d'émeraude, au pied de nos collines,

Se reposent sans bruit,

Parmi les verts roseaux les nymphes, les ondines,

Dansent toute la nuit,

Du haut du ciel serein les pensives étoiles

Te regardent dormir,

Et, le long de leurs mâts, en vain les blanches voiles

S'efforcent de frémir,

Un sentiment d'amour s'empare de nos âmes,

L'univers est plus beau,

On voudrait s'élancer sur des ailes de flammes

Vers un monde nouveau.


Et le barde rêveur reprend sa molle lyre

Pour te chanter encor dans ton noble repos.

Il voudrait, l'insensé, que son âme en délire

Pût être calme un jour comme le sont tes îlots.

A-t-il donc oublié que ce calme limpide

N'est qu'un masque profond qui cache ta fureur.

Et que dans les replis de ce manteau perfide

S'agite incessamment tout un monde d'horreur?





TENTATION


Oh! quel amour profane

M'a soudain enivré!

Je crois que je me damne!..

Secourez-moi, Sainte-Anne,

Sainte-Anne de Beaupré!


Depuis que je l'ai vue auprès de la fontaine

S'asseoir tout rêveuse, et, sur la cime lointaine

Fixer son grand oeil noir,

J'ai là, devant les yeux, je ne sais quel nuage,

Mon coeur est agité comme au léger feuillage

Par la brise du soir.


Depuis que je l'ai vue, à l'ombre du grand chêne,

Orner coquettement ses longs cheveux d'ébène

De l'humble fleur des champs;

Depuis que je l'ai vue, innocente et superbe,

Dans le calme du soir, s'agenouiller dans l'herbe

Pour écouter les chants,


Les chants de la linotte à la cime de l'arbre,

Mon coeur indifférent, que je croyais de marbre,

S'est tout à coup fondu;

Et la nuit est en moi. Le bonheur, la souffrance,

L'amour et le remords, la crainte et l'espérance,

Tout semble confondu.


Oh! quel amour profane

M'a soudain enivré!

Je crois que je me damne....

Secourez moi, Sainte-Anne,

Sainte-Anne de Beaupré!


Depuis que je l'ai vue, à l'ombre des vieux saules,

Rejeter en tremblant de ses blanches épaules

Son châle de satin,

Pendant que les oiseaux, au-dessus de sa tête,

De plaisir et d'amour, comme en un jour de fête,

Modulaient leur refrain;


Depuis que je l'ai vue, à la moisson dernière.

Demeurer tout un jour sous les flots de lumière,

Dans le champ de blé mûr,

Glaner les blonds épis oubliés sur la planche,

Aux moissonneurs lassés verser, de sa main blanche,

Le cidre frais et pur;


Depuis que je l'ai vue, entre cent belles femmes,

Dans la fièvre du bal, sous les ardentes flammes

Des lustres de vermeil,

Au son des instruments s'élancer en cadence,

Comme, aux jours chauds de juin, un papillon qui danse

Dans les feux du soleil.


Oh! quel amour profane

M'a soudain enivré!

Je crois que je me damne!...

Secourez-moi, Sainte-Anne,

Sainte-Anne de Beaupré!


Depuis que je l'ai vue, un soir, à sa fenêtre,

Regarder en pleurant chaque étoile apparaître

Au fond de l'Orient,

Et serrer sur son coeur, dans un transport fébrile,

Elle pour qui l'hymen est demeuré stérile,

Un enfant souriant;


Depuis que je l'ai vue écrivant, solitaire,

Sur la grève sonore, à l'heure du mystère,

Deux noms entrelacés,

Et les traçant plus loin, sur les sables arides,

Quand le flot qui montait, sous ses baisers humides

Les avait effacés,


Mon âme est une mer que soulève la bise,

Un torrent qui mugit, une flamme qu'attise

Un souffle impétueux!

Et je voudrais prier. Le feu court dans mes veines;

Ma bouche balbutie, et mes prières vaines

Ne montent plus aux cieux!


Oh! quel amour profane

M'a soudain enivré!

Je crois que je me damne!

Secourez-moi, Sainte-Anne,

Sainte-Anne de Beaupré!





DIS-MOI TON NOM


Enfant, dis-moi ton nom, je le veux, je t'en prie,

Qui pourrait deviner quelle est, dans la prairie,

Parmi toutes les fleurs,

Celle qui, la première, entr'ouvre sa corolle

Pour verser son arôme au papillon qui vole

Et vient sécher ses pleure?


Je le demande en vain aux guirlandes mignonnes,

Aux sachets parfumés qu'aujourd'hui tu me donnes

En me cachant ta main;

Aux pages que ta plume a par deux fois tracées,

Aux pages que déjà mes pleurs ont effacées,

Je le demande en vain!


En vain j'entendrai donc vibrer ta voix touchante!

Tu fais comme l'oiseau qui se cache et qui chante

Sous le dôme des bois.

On le cherche, il se tait; on s'éloigne, il gazouille.

Est-ce donc, le cruel, pour que notre oeil se mouille

Qu'il élève la voix?


Quand j'erre, vers la nuit, sur la plage sonore,

Puis-je dire s'il vient du couchant, de l'aurore,

Le son mystérieux

Qu'apporte, en expirant à mes pieds, l'onde pure?

Puis-je dire d'où vient le solennel murmure

De la terre et des cieux?


Enfant, dis-moi ton nom, je le veux, je t'en prie!...

Qu'il soit la goutte d'eau sur la feuille flétrie,

Qu'il soit, dans le ciel noir,

Un rayon de lumière, un regard de l'étoile!

Qu'il soit, ô douce enfant, pour le mystère un voile,

Et pour l'amour l'espoir!





LES MONDES


Il est bon d'élever quelquefois sa pensée

De ce monde visible aux mondes inconnus,

De signaler à tous la conduite insensée

Des hommes que l'orgueil a longtemps retenus

A l'ombre de la mort. Il est bon de se dire

Que l'astre vagabond où nous sommes jetés

Est un vaste tombeau qu'il ne faut pas maudire,

Parce qu'il s'ouvrira pour les ressuscités,

Il est bon, quand la nuit est paisible et l'espace,

Rempli jusques à Dieu de soleils éclatants,

D'admirer l'univers dont la grandeur surpasse

Ce que diront jamais les calculs des savants!

Notre pensée alors s'unit, dans le mystère,

Aux pensers des humains qui peuplent tous ces lieux,

Et le rayon d'amour qui monte de la terre.

S'accroît de monde en monde on se rendant aux cieux.


Qui peut jamais, devant le spectacle indicible

Que nous offre, le soir, votre ciel étoilé,

Qui peut jamais, mon Dieu, demeurer insensible

Et ne pas deviner votre Verbe voilé?

Qui ne sent pas, courbé sous ses douleurs profondes,

L'invincible besoin de prendre son essor,

Pour vous chercher partout dans ces étranges mondes

Que vous avez semés comme des sables d'or?


O mondes étonnants que nul penser n'embrasse,

Poussière de soleils qui jouez devant Dieu,

Quel oeil, dans l'infini, peut suivre votre trace?

Quel esprit peut sonder vos entrailles de feu?

Avez-vous, comme ici, des mers aux vastes ondes

Où d'autres globes d'or baignent leur front vermeil!

Des fleuves, des torrents, et des plaines fécondes

Où, l'été, les épis se dorent au soleil?

Avez-vous des forêts tout pleines de mystères,

De chants d'oiseaux, de bruits et de douces senteurs?

Avez-vous des coteaux, des monts, des pics austères,

Des souffles embaumés et des vents destructeurs?

Sur vos flots avez-vous les reflets d'une lune

Comme des fils d'argent qui traversent la nuit?

Comme une frange blanche avez-vous, sur la dune,

L'écume d'une mer qui s'avance et s'enfuit?


Ou comme cette terre où, nous autres, nous sommes

Naissant, mourant toujours depuis des milliers d'ans,

Astres mystérieux, avez-vous donc des hommes

Créés d'une parole à l'aurore des temps?

Et, comme nous encor, quelque péché funeste

Les a-t-il dépouillés de leur glorieux sort?

Et, comme nous aussi, l'holocauste céleste

Les a-t-il rachetés de l'éternelle mort?


Et chaque monde a-t-il son destin? Et la vie

Diffère-t-elle partout dans cette immensité?

Chaque globe qui roule en la plaine infinie,

Comme un roi de sa cour, est-il donc escorté

D'astres pareils entre eux mais différents des autres?

O séjours inconnus, avez-vous tour à tour,

Guerre et paix, joie et pleure? Avez-vous des apôtres

Qui vont proclamant Dieu, la science et l'amour!





LA PREMIÈRE NEIGE


La neige, ce jour-là, s'échappant de la nue,

Couvrait le sol durci d'un voile sans couleurs.

Dans son coquet boudoir, seule avec ses douleurs,

Ainsi parla Nanette, une fille déchue:


Tombez, ô blancs flocons,

Prêtez aux champs flétris votre mystique lange!

O blancs flocons, volez comme des ailes d'ange

Au-dessus de nos fronts!


Mon Dieu! le ciel est sombre au-dessus de ma tête,

Mais la terre à son tour éclate de blancheur.

Sans fleurs étaient les prés. La dernière tempête

Avait emporté loin le canot du pêcheur,

La feuille du bosquet et le rire des lèvres.

Du sol où tout gisait mourant naissaient les fièvres,

Ces sinistres poisons que respirait l'enfant.

Et plus d'une jeune mère, inquiète et livide,

Pressait contre son coeur un petit front brûlant,

Ou s'asseyait rêveuse auprès d'un berceau vide!


Tombez, ô blancs flocons.

Prêtez aux champs flétris votre mystique lange!

O blancs flocons, volez comme des ailes d'ange

Au-dessus de nos fronts!


Bien des rameaux sont nus, et, dans les sombres landes

Les oiseaux ont laissé leurs pauvres nids muets:

L'on cherche vainement, pour faire des guirlandes,

Les feuilles de l'érable ou les fleurs des bleuets.

La terre dépouillée a l'air d'un cimetière;

Les sapins, dirait-on, ont des dômes de pierre,

Et l'on croirait errer au milieu des tombeaux.

Le ciel n'a plus pour nous sa caressante flamme,

Et la neige remplit les doux nids des oiseaux

Ainsi que le remords, hélas! remplît mon âme!


Tombez, ô blancs flocons,

Prêtez aux champs flétris votre mystique lange!

O blancs flocons, volez comme des ailes d'ange

Au-dessus de nos fronts!


L'arbre se drape, ici, dans un manteau d'hermine,

Et là, sous les cristaux s'endorment les sillons.

Ah! je n'ai plus, mon Dieu! la chasteté divine

Qui revêtait mon corps d'un manteau de rayons!

Je dors depuis longtemps sous un voile de glace.

Mon nom est un objet de honte. Et ma place

Est avec cette fleur qui n'a plus de parfum

Et que la main rejette après l'avoir cueillie!

Où sont ceux qui m'aimaient? L'amour est importun

Quand il naît ou survit dans une âme avilie!


Tombez, ô blancs flocons,

Prêtez aux champs flétris votre mystique lange!

O blancs flocons, volez comme des ailes d'ange

Au-dessus de nos fronts!


Comme vous autrefois ma jeune âme était blanche,

Et ses pensers naïfs voltigeaient comme vous.

Elle ignorait le mal, croyait toute âme franche,

Son espoir était noble et son chant était doux.

Elle pouvait voler à sa céleste source;

Elle pouvait aussi, dans sa joyeuse course,

Toucher sans les flétrir les objets les plus purs.

Maintenant les regrets la tourmentent. Pour elle

Les cieux ensoleillés sont devenus obscurs,

Le jour est disparu, la nuit est éternelle!


Tombez, ô blancs flocons,

Prêtez aux champs flétris votre mystique lange!

O blancs flocons, volez comme des ailes d'ange

Au-dessus de nos fronts!


Qui me rendra, mon Dieu, la blancheur de la neige,

Et qui rendra la paix à mes sens tourmentés?

Quel voile tombera sur mon corps sacrilège,

Comme sur le sol froid les flocons argentés,

Pour dérober aux yeux mes nombreuses souillures?

J'ai bu les voluptés à des sources impures:

Mon coeur a toujours soif. Dans mes tristes ennuis,

Remontant le passé, j'évoque les mensonges

Que le monde disait pour me perdre. Mes nuits,

Mes nuits sont sans sommeil ou pleines d'affreux songes!


Tombez, ô blancs flocons,

Prêtez aux champs flétris votre mystique lange!

O blancs flocons, volez comme des ailes d'ange

Au-dessus de nos fronts!


Elle jetait dehors un regard triste et vague.

Or il neigeait toujours. Puis, en parlant ainsi,

Elle ôtait de son doigt une brillante bague,

Elle ôtait son collier, ses anneaux d'or aussi,

Et tombait à genoux. Les reflets de la grâce,--

Comme les blancs flocons descendaient de l'espace,--

Descendirent des cieux sur elle. Et puis son coeur

Devint pareil alors à la neige éclatante.

Ce soir-là, je le sais, on vit au Bon Pasteur

Entrer en sanglotant une humble pénitente.


Tombez, ô blancs flocons!

Prêtez aux champs flétris votre mystique lange t

O blancs flocons, volez comme des ailes d'ange

Au-dessus de nos fronts.





A CRÉMAZIE


Faites place au poète au sein de votre gloire,

Mânes de nos aïeux! Dans ses fastes l'histoire

Se plaît à raconter

Et les noms et la vie

Du soldat valeureux qui meurt pour la Patrie

Et du barde inspiré qui vit pour la chanter!


La noble empreinte du génie

Brillait sur ton front soucieux.

Le luth que te donna les cieux

Avait une mâle harmonie,

Et sous tes doigts, de toutes parts,

Il jeta des notes étranges.

On eut dit les clairons des anges

Sonnant sur nos vastes remparts.

Pourquoi, dans un moment funeste,

Pourquoi, barde, le vil métal

Vint-il à ton hymne céleste

Unir, hélas! son chant fatal?


Voulais-tu, dans ce temps néfaste,

Vider la coupe des plaisirs?

Voulais-tu voir de chauds désirs

S'éveiller en ton âme chaste?

Voulais-tu chercher le bonheur

Où seul l'insensé va l'attendre,

Toi dont les pensers devaient tendre

Vers l'infini d'un bond vainqueur?

Qui le dira? Tu fus coupable,

Et nous pleurâmes sur ton sort,

Car une vengeance implacable

Te poursuivit jusqu'à la mort!


Le repentir rend sa couronne

A ton front chargé de douleurs;

L'ange de Dieu sèche les pleurs;

Le calme, aujourd'hui, t'environne.

Tout meurt dans le passé qui fuit...

Seul l'éclat de ta renommée

Comme une planète enflammée

Traversera la sombre nuit.

Si la vengeance mal éteinte

Voulait évoquer ton forfait,

Alors l'expiation sainte

Devant elle se dresserait!


Barde, as-tu revu dans tes rêves

Les champs où dorment nos héros?

Comme les flots après les flots

Viennent déferler sur les grèves,

Les doux souvenirs d'autrefois

Sont-ils venus à ta mémoire?

As-tu revu nos jours de gloire,

Quand nous combattions pour nos droits?

As-tu revu, dans ton délire,

Flotter le sublime haillon

Que chanta tant de fois ta lyre,

Le vieux drapeau de Carillon?


Faites place au poète au sein de votre gloire,

Mânes de nos aïeux! Dans ses fastes l'histoire

Se plaît à raconter

Et les noms et la vie

Du soldat valeureux qui meurt pour la Patrie

Et du barde inspiré qui vit pour la chanter!


Nos Muses ont gémi lorsqu'un jour, la tempête,

Noyant ton ciel d'azur, courut de l'horizon.

Ah! tu franchis alors, triste et courbant la tête,

Pour ne plus le revoir, le seuil de ta maison!

Ton âme s'abîma tout-à-coup dans le doute.

De l'exile, en pleurant, tu pris la sombre route,

Cherchant en vain, hélas! de quelque vieil ami,

Pour l'appuyer parfois, le bras encor fidèle!

Lorsque tu déposas ta lyre solennelle

Nos Muses ont gémi.


Ah! que vois-je en tout lieu? Des murmures étranges,

Des soupirs inouïs qui passent dans les airs!

Les rameaux vers le sol courbent leurs longues franges,

Les ruisseaux, tristement promènent leurs flots clairs!

Les morts que tu chantais gémissent dans leur bière:

Tes chants étaient pour eux une douce prière

Qui partait d'un autel et montait jusqu'à Dieu.

Les oiseaux sont muets dans nos fraîches vallées...

Rien ne consolera nos rives désolées!...

Ah! que vois-je en tout lieu!


Nous redirons tes chants, et la Patrie on larmes

Viendra s'agenouiller auprès de ton tombeau.

Qui jamais, comme toi, put célébrer nos armes

Et redire l'éclat de notre vieux drapeau?

Ta grande voix semblait le canon des batailles.

A tes accents émus frémissaient nos murailles;

Et les soldats tombés sur nos illustres champs

Voulaient de leur cercueil se lever pour combattre!..

Pour consoler nos coeurs que l'ennui vient abattre,

Nous redirons tes chants!


Dans ton anxiété, chaque jour, ô poète,

N'était-il pas pour toi, là-bas, un jour de deuil?

O poète, as-tu vu d'une âme satisfaite,

Après quinze ans de pleurs, le repos du cercueil?

As-tu vu ton pays, dans sa beauté première,

T'apparaître soudain à la vive lumière

Qu'en s'ouvrant projeta sur toi l'éternité?

As-tu vu notre ville et son rocher austère?

As-tu vu tes amis, ton ciel, ta vieille mère,

Dans ton anxiété?


Malheureux exilé, reviens prendre ta place!

Ne l'as-tu pas au ciel demandée à genoux?

Que de fois ton regard a suivi, dans l'espace,

Le soleil radieux qui descendait vers nous?

A l'horizon lointain, dans un rayon d'opale,

Espérais-tu toujours voir la rive natale,

A ton ardent appel, lever son front voilé?

Que de fois ton regard interrogea l'étoile?

Que de fois il suivit la vagabonde voile,

Malheureux exilé!


Faites place au poète au sein de votre gloire,

Mânes de nos aïeux! Dans ses fastes l'histoire

Se plaît à raconter

Et les noms et la vie

Du soldat valeureux qui meurt pour la Patrie

Et du barde inspiré qui vit pour la chanter!





LA CHAÎNE D'OR


[Publié séparément, ce poème fait déjà partie de la collection Gutenberg Canada.]






JOIE ET PEINE


Le doux printemps commence...

Une allégresse immense

Règne de tout côté.

A la terre ravie,

Il rend amour et vie,

Il rend grâce et beauté.


Mais, hélas! la tombe muette

Ne me rend pas, en ces beaux jours,

Les deux anges que je regrette,

Les fruits de mes chastes amours!


La fertile prairie

Nous rend la fleur jolie,

Les arômes nouveaux;

La forêt, son ombrage

Et le charmant ramage

Des matineux oiseaux.


Mais, hélas! la tombe muette

Ne me rend pas, en ces beaux jours,

Les deux anges que je regrette,

Les fruits de mes chastes amours!


Les bosquets solitaires

Nous rendent leurs mystères

Et leurs joyeux échos;

Les ruisseaux et les fleuves,

Mille parurent neuves

Qui luisent dans leurs flots.


Mais, hélas! la tombe muette

Ne me rend pas, en ces beaux jours,

Les deux anges que je regrette,

Les fruits de mes chastes amours!


L'aube nous rend encore

Son gai reflet qui dore

Nos rayonnants châssis,

Et la perle brillante,

Qui s'attache, tremblante,

A la coupe des lis.


Mais, hélas! la tombe muette

Ne me rend pas, en ces beaux jours,

Les deux anges que je regrette,

Les fruits de mes chastes amours!


Le ciel rend la rosée

A la glèbe épuisée;

Il nous rend le soleil,

La vive luciole,

La brise fraîche et molle,

Le papillon vermeil.


Mais, hélas! la tombe muette?

Ne me rend pas, en ces beaux jours,

Les deux anges que je regrette,

Les, fruits de mes chastes amours!


La mer nous rend ses lames

Que déchirent les rames

Des pêcheurs indolents,

Et les blanches nacelles

Qui balancent leurs ailes

Comme des goélands.


Mais, hélas! la tombe muette

Ne me rend pas, en ces beaux jours,

Les deux anges que je regrette,

Les fruits de mes chastes amours!





ADORATION


Je t'adore, ô mon Dieu t Du fond de ma misère

J'ose élever vers toi, vers toi qu'on dit sévère,

Mes mains pleines d'iniquités.

Mon front est prosterné devant ta face sainte.

Je reprendrai, Seigneur, dans l'amour et la crainte,

Les sentiers droits que j'ai quittés.


Je t'adore, ô mon Dieu, quand les brises tiédies

Font chanter des forêts les cimes reverdies

Et que les nids font leurs concerts;

Quand l'hiver se revêt de son linceul de givre,

Que l'aquilon mugit comme un cornet de cuivre

Sur les chemins partout déserts!


Quand le soleil levant, d'une brillante gerbe

Inonde ma fenêtre, et que le lis superbe

S'ouvre pour l'autel du saint-lieu;

Quand l'airain, vers la nuit, de vallée en vallée,

Pour louer ton saint nom, sonne à toute volée,

Je t'adore encore, ô mon Dieu!


Car c'est par toi, Seigneur, que le soleil se lève,

Que les veines des bois sentent courir la sève,

Que les fleurs étoilent les champs!

Tu sais creuser un lit à la sombre rivière,

Tu jettes dans l'espace ainsi qu'une poussière,

Des flots d'astres étincelants!


Tu fais briller l'éclair, tu fais gronder la foudre,

Tu commandes aux vents et lu réduits en poudre

Tout ce qu'élève un sot orgueil!

Ta clémence est sans borne et ta gloire, infinie!

Ton pouvoir est loué, ta sagesse est bénie

Dans le berceau, dans le cercueil!


Qui suis-je devant toi pour l'offrir ma prière?

Un atome perdu dans les flots de lumière

Que tu verses sur l'univers!

Je ne suis qu'une feuille au hasard emportée,

Et qu'une goutte d'eau par l'orage jetée

Dans le gouffre profond des mers!


Qui suis-je moi, Seigneur, pour t'appeler mon père?

Pour entendre ta voix me dire: Enfant, espère;

Mon ange veillera sur toi?

Qui suis-je pour paraître en ta sainte présence?

J'ai fait souvent le mal sans craindre la puissance,

Quand j'aurais de sécher d'effroi,


Que de jours j'ai passés oublieux de ta gloire!

De tes bienfaits, Seigneur, j'ai perdu la mémoire:

J'ai senti chanceler ma foi!

J'ai douté de ta grâce et ri de ta promesse!

Je te voyais si grand que, dans ma petitesse,

J'ai dit: Dieu pense-t-il à moi?


Et pourtant, sur mon front, je ne sais pas quel signe

Me dit que de ton ciel je puis devenir digne,

Et que mes yeux devront te voir.

Un rayon merveilleux, une éternelle flamme,

Pour s'élancer vers toi, s'échappent de mon âme

Comme le fou de l'encensoir.


Non, l'homme tout entier n'est pas pétri de boue!

Une étincelle ardente en son âme se joue

Comme une étoile en un ciel noir.

C'est le foyer brûlant qui fait luire le phare,

C'est l'éclat, le parfum dont l'humble fleur se pare,

C'est la foi, l'amour ou l'espoir!


Quand le chêne orgueilleux tombe dans la tempête,

L'humble roseau, souvent, relève encor la tête:

Je me relèverai, Seigneur.

Le remords a déjà brisé mon coeur de marbre,

Comme le ver caché qui fait périr un arbre

Dont il vient de mordre le coeur.


Je t'adore, ô mon Dieu! Que le fier incrédule,

Sur son luth profané, chaque jour ne module

Que des refrains blasphémateurs,

Je ne rougirai point de mes saintes livrées;

Ta grâce émoussera les flèches acérées

De quelques sots persécuteurs.


Je t'adore, ô mon Dieu! je te sers, ô mon maître!

Je bénis ta bonté de m'avoir donné l'être,

Ne serait-ce que pour souffrir.

Je chanterai ton nom dans mon humble harmonie!

Que m'importe le monde et sa froide ironie?

Un jour le monde doit périr!


Mes jours sont peu nombreux: laisse-moi, je t'en prie,

O maître de la mort, ô maître de la vie,

Laisse-moi vivre encore un peu!

Seule l'éternité peut mesurer ton âge.

Pendant que, dans le ciel, l'ange te rend hommage,

Moi je t'adore ici, mon Dieu!


TABLE DES MATIÈRES


Ave, Maria.
La débâcle.
Histoire d'un Ange.
La vie.
Tableau d'hiver.
Réponse.
Filii hominum, usquequo gravi corde?
Ternaires.
Réminiscences.
Noël.
Le retour aux champs.
Dulcia linquimus arva.
La fenaison.
Napoléon III.
Où sont mes rêves.
Le printemps.
A mon ami J. A. Genand.
Le poète pauvre.
Pour te chanter.
Libéra!
Je n'y crois plus.
Le passé.
Aux expatriés.
Loin de la foule.
La maison paternelle.
La voix des bois.
Le chant du Canadien.
1837.
La vision de Montgomery.
Les brayeurs.
Si tu pouvais parler.
Tentation.
Dis-moi ton nom.
Les mondes.
La première neige.
A Crémazie.
La chaîne d'or. [Publié séparément].
Joie et peine.
Adoration.



[Fin du livre Une gerbe -- Poésies par Pamphile Le May]