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Titre: FablesCe livre électronique a été créé par: Rénald Lévesque
Suivant la tradition des grands fabulistes Ésope et Lafontaine, Pamphile Lemay publia chez TYPOGRAPHIE de C. DARVEAU (Québec), en 1882, un premier recueil de fables sous le titre de Fables canadiennes. Cet ouvrage contenait 105 fables réparties en 5 sections de 21 fables chacune. En 1891 il publia chez le même éditeur, un recueil de 100 fables qui reprenait en grande partie les fables du la première édition, mais où un certain nombre des fables avaient été retranchées et quelques nouvelles fables ajoutées. Pour la plus grande satisfaction de nos lecteurs, nous avons voulu réunir en une seule édition, toutes les fables de ce grand poète canadien.
Deux bassets descendant de la même lignée,
Et remontant jusqu'aux anciens,
Deux frères, je dirais, s'ils n'avaient été chiens,
Trottinaient le nez bas, la mine rechignée,
A travers bois et champs, pour chasser le blaireau
Et, tous ces beaux rongeurs qui font basse-cour nette.
Ils venaient d'en laisser plus d'un sur le carreau,
A plus d'un ils venaient de donner la venette
Quand ils virent un loup
Accourir tout à coup.
--Vils bassets, hurlait-il de loin, je me fais gloire
De vous croquer tous deux
En deux coups de mâchoire!
--Montrez donc, maître loup, votre museau hideux,
Répondirent les chiens de chasse,
En s'élançant avec audace
Vers l'habitant des bois.
Quand le loup vit les chiens s'élancer à la fois
Il s'arrêta.
--Songeons, se dit-il, à la force
Qu'ils trouvent dans leur union,
Et changeons notre plan. Sous une rude écorce
Il vaut mieux sembler doux, c'est notre opinion.
--Je connais ta valeur, elle est incontestable,
Et j'ai regret de mon emportement--
Affirme-t-il bientôt, avec serment,
A celui des deux chiens qui paraît plus traitable--
Mais laisse-moi donner une leçon
De ma façon
Au malappris qui m'a jeté l'injure;
Ce sera court, je te le jure.
Le chien vanté s'éloigne aussitôt quelque peu,
Et l'autre est dévoré malgré tout son courage.
--Maintenant, dit le loup, finissons notre ouvrage;
Ce que j'ai fait n'était qu'un jeu,
Mon ami, ne vous en déplaise.
Et, tombant sur le traître, il l'égorge à son aise.
O mes concitoyens qui luttez pour le droit,
Je voudrais vous faire comprendre
Qu'en restant divisés vous vous ferez surprendre
Par notre ennemi plus adroit!
Deux ruisseaux, sortis d'une même source,
S'en allaient gaîment à travers les prés.
Nul obstacle, d'abord, ne dérangea leur course:
Ils arrosèrent loin et les trèfles pourprés
Et les blés et le pâturage,
Tout en causant dans ce charmant langage
Qu'on appelle murmure et qu'on ne comprend pas.
Tout à coup devant eux un fier rocher se dresse
Et leur dit rudement:
--Par quelle maladresse
S'égarent donc ici vos pas?
Prenez une autre route
Si vous voulez encor marcher
Et ne pas voir goutte après goutte
Votre onde ici se dessécher.
L'un des ruisseaux partit, décrivant mille courbes
Pour éviter le colosse ombrageux;
Il se perdit bientôt sous les joncs et les tourbes
D'un marais fangeux;
L'autre resta; puis lentement ses ondes
Couvrirent le flanc du rocher.
Il devint un beau lac où les étoiles blondes,
Où la barque du nocher
Se berçaient mollement. Puis, un jour, de la cime
Il bondit de l'autre côté,
Jetant un voile sublime
Sur l'obstacle dompté.
Or, voici la morale, elle n'est pas bien neuve:
Celui-là devient grand qui surmonte l'épreuve.
Au bord d'une oasis, parmi d'épaisses herbes
Qui faisaient oublier les sables du désert,
Un chameau, décoré de deux bosses superbes,
Et qui passait pour fort disert
Parmi ses frères de la Chine,
Avait rejoint, un jour qu'il se mourait d'ennui,
Des êtres comme lui
Affligés d'une ronde échine.
Rien ne fait naître l'amitié.
Comme la solitude:
On lui montra de la pitié
Puis, avec promptitude,
Sans attendre le lendemain,
On entra tour à tour au désert sans chemin.
Or, le deuxième
Riait jusqu'à se sentir mal
En regardant le dos du premier animal.
Le troisième riait de même
Des deux premiers qu'il trouvait peu mignons.
Et les autres, ma foi! qui venaient à la suite
Tenaient bien la même conduite
A l'égard de leurs compagnons.
Mais le plus insolent c'était l'être aux deux bosses.
--J'aime mieux être seul et me perdre en héros
Que de marcher plus loin avec ces grands colosses
Qui menacent le ciel de leurs énormes dos,
S'écria-t-il, branlant sa tête altière.
Puis il s'éloigna, le hautain,
Laissant la troupe entière
Disparaître dans le lointain.
Les défauts des autres nous troublent
Et souvent nous nous en moquons;
Or, les nôtres, peut-être, en nombre les redoublent;
Jamais nous ne les remarquons.
Un laurier-rose,
Se croyant quelque chose,
Etalait au soleil ses rameaux et ses fleurs;
Auprès, une pensée,
La tête baissée,
Semblait ne pas savoir l'éclat de ses couleurs.
--Que je te plains, que je plains tes pareilles,
Petite fleur des bois!--
Dit le laurier couvert de mille fleurs vermeilles--
On t'a foulée aux pieds cent fois
En venant cueillir mes guirlandes.
Ma tige est forte, à moi, mes fleurs sont toutes grandes;
Elles brillent de loin.
Puis, pour demeurer sans reproche,
J'ai la vertu dont j'ai besoin.
Approche;
--Mets-toi près de ma tige et peut-être on croira
Que tu me dois la vie,
Et quelque main ravie
Alors te cueillera.
Merci, dit l'humble fleur, je suis bien disposée
A rester où je suis:
Où Dieu nous a fait naître on n'a jamais d'ennuis.
Le rayon du soleil et la fraîche rosée
Avaient entendu les discours
De la plante tous les jours
Réchauffée avec soin, avec soin arrosée;
Ils la punirent aussitôt
En ne descendant plus sur elle.
Le laurier se flétrit bientôt;
L'humble fleur à ses pieds demeura longtemps belle.
Vous qui vous croyez grands dans votre sot orgueil,
N'humiliez jamais par une pitié vaine
Les humbles qui sont là vivant à votre seuil,
Car leur vie est souvent plus longue et plus sereine
Que la vôtre à vous tous. Puis, veuillez le noter,
Celui qui donne tout peut aussi tout ôter.
Au bord d'une fontaine
Un roseau, droit et fier,
D'une façon hautaine
Parlait de sa tige de fer.
Or, la brise passa, la brise des prairies
Qui porte à chacun
Le chaste parfum
Des aubépines fleuries.
Elle lui dit:
--Fier roseau, courbe-toi
Devant moi;
Je suis des airs la souveraine,
Je suis ta reine.
--Je ne m'incline point, répliqua le roseau,
J'ai pour cela trop de noblesse:
Si mon refus te blesse
Va raconter ta peine à ton ami l'oiseau.
La brise méprisa ce discours malhonnête,
Et puis continua son vol
En forçant l'orgueilleux à courber jusqu'au sol
Sa noble tête.
--C'est un caprice puéril,
Se dit-il,
Auquel, à l'avenir, je saurai me soustraire.
Une alouette, alors, comme pour se distraire,
Vint se jucher sur lui
Et le fit de nouveau plier jusques à terre,
Il en eut de l'ennui
Mais il voulut se taire,
Tout en se promettant de ne se courber plus.
Espoirs superflus!
Le flot montant de la rivière
Le courba de toute manière;
Le vent glacé du nord
Et du midi la chaude haleine
Parurent se mettre d'accord
Avec les autres vents qui passent sur la plaine
Pour l'humilier aussi
Sans merci.
Celui qui ne veut reconnaître
Son vrai maître
Finit par se mettre aux genoux
De tous.
Une lampe brûlait chaque jour de l'année
Sur la place où la foule, à l'approche du soir,
Venait se reposer des soins de la journée
Et chercher un nouvel espoir.
Derrière cette lampe un large réverbère
D'un métal précieux,
Réunissant ensemble, en faisceaux radieux,
Les doux rayons de la flamme légère,
Inondait jusqu'au loin les dalles du pavé.
Après avoir longtemps rêvé
A la noblesse de son rôle,
Le drôle
Se laissa troubler par l'orgueil,
Puis en ces mots apostropha la lampe:
--Décampe!
La place, pour cela, n'en sera point en deuil:
C'est moi qui fais glisser ces gerbes
Superbes
Sous les pieds du promeneur,
Et l'honneur,
Par un injuste sort, en revient à toi seule.
--Je n'aime pas à me vanter,
Mais ne suis pas, non plus, bégueule,
Et contre tes discours il me faut protester,
Ou l'on me croirait lâche,
Lui dit la lampe. Or, c'est pour m'aider à ma tâche
Que tu fus mis ici, ne le sais-tu pas bien?
Sans moi, va, tu ne serais rien.
--Tu n'es qu'un simple verre,
Reprit d'un ton sévère
Le réverbère de métal...
Et puis, comme il cherchait quelqu'autre mot brutal,
Une légère brise, afin de le confondre,
Vint lui répondre
En éteignant la lampe de cristal.
Dieu, voilà la lumière
Que le génie humain réfléchit ici bas:
Combien dans le palais, combien dans la chaumière,
En leur orgueil, n'y pensent pas!
La nuit sur la nature
Avait jeté son voile noir;
Les étoiles, au ciel, se laissaient un peu voir
A travers la sombre tenture,
Mais c'était tout, et tout semblait
Bien endormi dans les ténèbres.
--Je vais les dissiper, moi, ces ombres funèbres!
Dit une lampe qui tremblait.
Au bout de sa chaîne de cuivre,
A son compère le flambeau;--
Et puis, se hâtant de poursuivre:
--On se croirait dans un tombeau,
Dit-elle, à quatre pieds sous terre...
Dispensons nos bienfaits
Aux mortels stupéfaits,
Et de la nuit débrouillons le mystère!
A ces mots, elle perce un peu l'obscurité;
--Vois donc comme je brille avec sécurité,
Et comme à chaque objet je redonne sa forme!
Reprend-elle aussitôt.
Et le flambeau lui dit:
--Ton éclat est superbe et ma force est énorme:
Tous deux, sans contredit,
Nous suffisons pour éclairer le monde.
Vois comme de mes feux, à cette heure, j'inonde
La nuit
Qui fuit!
--Oui, nous faisons pâlir, en effet, les étoiles.
--Nous enlevons aux cieux, vois donc, leurs sombres voiles.
--Les rochers, les forêts, la verdure, les fleurs
Sous nos rayons ardents reprennent leurs couleurs.
--Et l'oiseau nous salue et l'orient se dore!
--Et le monde s'éveille et le ciel se colore!
................................................
C'était le soleil levant!...
Poursuivant sa carrière,
Il noyait l'univers dans ses flots de lumière;
Et le flambeau mouvant
Et la lampe, sa compagne,
Croyaient que c'était eux qui répandaient ainsi,
Dans le ciel et sur la campagne,
Cette douce clarté qui les noyait aussi.
Vos systèmes menteurs pensent de la nature,
O philosophes vains, éclairer les secrets,
Voyez-les pâlir quand la Foi, l'Ecriture
Proclament leurs décrets!
Dans un lac entouré de charmantes collines,
Un lac au loin connu pour ses limpides eaux,
Et tout près duquel les oiseaux
Eparpillaient leurs notes argentines,
Des poissons prenaient leurs ébats.
Ils descendaient au fond, montaient à la surface,
Se disputant avec audace
Les moindres appâts.
Un pêcheur dans ce lac ayant jeté sa ligne,
Un gros brochet,
Qui s'approchait,
Vit son intention maligne
Et se dit aussitôt qu'il devait protéger
Ses amis, ses semblables:
«Si j'étais, pensa-t-il, en un pareil danger
Leurs avertissements me seraient agréables.»
Là-dessus le voilà
Qui va de ci de là,
Avec une ardeur insensée,
Accostant, sans façons,
Gros et petits poissons
Pour leur dire à tous sa pensée:
--Prudence! gare à vous! prudence, mes amis!
N'allez pas en ce lieu, fuyez bien cette rive:
Un vieux pêcheur arrive!
L'insolent, il a mis
Dans nos tranquilles ondes
Ses traîtres hameçons et ses appâts immondes.
Voilà comme en ces temps mauvais
On respecte nos chers asiles!
Vous êtes avertis, alors soyez dociles,
J'ai fait mon devoir, je m'en vais.
Content d'avoir prouvé qu'il avait des entrailles,
Il partit. Mais, hélas! ô destin imprévu!
Lui-même il s'en alla se prendre dans les mailles
D'un filet qu'il n'avait pas vu.
C'est faire une sottise extrême
Que de donner à ses pareils,
Tous les jours, de sages conseils
Et ne pas veiller sur soi-même.
Une servante vint, ainsi que de coutume,
A l'approche du soir,
Pour allumer les lampes du boudoir.
Or, la première qu'elle allume
Brille d'une vive clarté
Au fond de son tuyau de verre;
La seconde, prenant une allure sévère,
Refuse obstinément, même avec dureté,
De se laisser couvrir, comme sa soeur aînée,
D'une fragile cheminée:
--Pourquoi mettre à mon front cet absurde bandeau?
Voulez-vous cacher ma lumière?
Je me suffis, je pense; ôtez-moi ce fardeau,
Ou je le brûle au point de le mettre en poussière.
La servante obéit; et la lampe, aussitôt,
Se mit à dégager, comme dans un tripot,
Au lieu d'une clarté pure et toute animée,
Une pâle lueur et beaucoup de fumée.
Si tu ne revêts point la douce humilité
Tu seras sans éclat comme sans pureté.
Un hibou de nos bois, aux jours de sa jeunesse,--
D'aucuns disent, pourtant, que c'est dans l'âge mûr,--
Avait vendu son droit d'aînesse,--
Le fait est sûr,--
Pour un plat de lentilles
Sous forme de chapons
Et d'autres pièces bien gentilles,
Or, comme les fripons
Ne sont pas fort souvent punis en ce bas monde,
Et qu'ils arrivent même à tenir le haut rang,
Notre hibou, servi par sa morgue profonde,
Chez les siens, pas ailleurs, arriva sur le banc
Des juges.
Pour quelqu'un qui craignait le banc des accusés
C'était bien, n'est-ce pas, le plus sûr des refuges.
Jamais ses jugements ne furent révisés,
Il faut au moins le reconnaître.
Pourquoi? Je ne saurais le dire. C'est peut-être
Qu'ils étaient sans appel, comme le beau fatras
De quelques uns de nos feux magistrats.
Cependant bien souvent il excusa des crimes
Comme on excuse un tout petit péché;
Mais plus souvent encore--il fallait des victimes
De pauvres innocents eurent le cou tranché.
Un juge corrompu--ce n'est pas introuvable--
Discerne mal la vérité,
C'est la morale de ma fable
Dans toute sa sincérité.
Un renard qui, je pense, avait eu bonne école,
Trouvant une perdrix prise dans un collet,
Se dit:
--C'est bien à moi; le chasseur me la vole
Comme je vole aussi quand je croque un poulet;
Je l'emporte.
Il la prit. Alors un ours morose,
Jaloux du bon morceau, lui barra le chemin.
Le renard salua son terrible voisin
Et voulut s'échapper.
--Il me faut autre chose,
Lui dit le vieux grognard.
--Vous faut-il deux saluts? demande le renard
Avec une peur mal cachée.
--Il me faut la perdrix.
--Ce n'est qu'une bouchée,
Mais, bah! partageons-la. Je voudrais faire plus...
--Je veux tout; ne fais pas de discours superflus;
Et quand j'aurai croqué cette bête emplumée,
Foi d'ours canadien!
Si ma faim n'est pas calmée
Je te croquerai bien.
--Tu n'auras rien, brigand, c'est moi qui te l'assure,
Réplique le renard à son vieux souverain.
Et, d'un bond, il recule au bord d'une fissure
Qu'il vient d'apercevoir au milieu du terrain.
--Comment, maraud, tu me jettes l'insulte
A moi le roi des bois? dit l'ours tout irrité;
Tu connaîtras bientôt la peine qui résulte
D'une telle témérité.
--Viens donc, ô roi des bois, je t'attends, et sans crainte
Je suis solide comme un roc.
L'ours s'élança. Pour éviter le choc,
Le renard, dont la bravoure était feinte,
Fit un saut de côté. L'ours tomba lourdement
Dans l'ouverture béante
En poussant un gémissement,
Et le renard reprit d'une voix obligeante:
--Quand vous serez sorti n'oubliez pas, seigneur,
De venir me voir tout de suite;
Vous me ferez beaucoup d'honneur
Et la perdrix sera bien cuite.
On ne saurait avoir tort
De demander à la ruse
Ce que la force nous refuse
Quand le méchant est le plus fort.
Un daim trop curieux sortit de son domaine
Pour s'approcher de l'homme et voir les champs féconds.
Pendant qu'il courait dans la plaine,
Franchissant, dans ses bonds,
Les grands fossés de ligne et les hautes clôtures
Quelques chiens vagabonds l'aperçurent soudain.
La chasse commença. La peur et ses tortures
Etreignirent d'abord le coeur du pauvre daim,
Puis il se mit à fuir.
Les chiens, de bonne race,
Flairant sa trace,
Le poursuivent toujours et le serrent de près.
C'est à qui lui fera la première morsure.
Mais il voit un fermier qui creuse ses guérets,
Et cela le rassure.
Il s'élance vers lui; c'était son seul recours.
L'homme arrête les chiens, même il les met en fuite.
--Merci bien de votre secours;
Je m'en vais tout de suite,
Dit le daim aux abois,
Les miens m'attendent dans les bois.
--Pas du tout, mon mignon; vous me devez la vie,
J'entends bien vous garder et prendre soin de vous.
Vous allez faire des jaloux;
Venez.
La pauvre bête humblement asservie,
Suivit son maître, et, pendant le trajet,
Se demanda souvent quel était son projet.
Elle fut mise en bergerie.
Fut caressée et bien nourrie,
Mais, un bon matin,
On la tira de là pour en faire un festin.
L'imprudent qui dépense et follement s'endette,
Harcelé tout à coup par plus d'un créancier,
Croit trouver un sauveur quand, hélas! il se jette
Dans les serres de l'usurier.
Un vieil avare, un de ces ladres
Qui portent barbe sale et n'ont point de rasoir,
Qui n'osent pas se mettre en face d'un miroir,
Qui collent à leurs murs des images sans cadres.
Et pour dépenser moins, n'osent pas se nourrir;
Un vieil avare, dis-je, allait enfin mourir
Et sentait des regrets difficiles à peindre.
Il fit venir à lui son unique neveu;
--Mon neveu, lui dit-il, inutile de feindre,
C'est fini, je m'en vais; eh bien! écoute un peu:
Je vois avec terreur mon étrange folie.
Que me sert, dis-le moi, d'avoir dompté mes sens,
En me privant de tout, depuis mes premiers ans?
Ah! vraiment cela m'humilie.
Que me sert-il d'avoir, pour ménager mon bois,
Près du foyer éteint grelotté tant de fois?
Que me sert-il d'avoir, par pure économie,
Marché tête et pieds nus durant les jours d'été?
Ah! c'est une infamie,
Je le confesse en vérité,
Que de se priver tant pendant si courte vie!
Et, pour me bien punir, si je tenais encor
L'existence qui m'est ravie,
Je voudrais renoncer à voir mes pièces d'or.
Plus que cela! Je crois que pour des pièces fausses
Je les échangerais..... J'y serais bien perdant,
Va, car l'or en est pur et puis elles sont grosses....
--Cher oncle, voyez donc comme je suis prudent,
Repartit le neveu; dans ma sollicitude
J'ai remplacé l'or pur par un autre métal
Qui ne vaut rien du tout, j'en ai la certitude.
--Comment! tu m'as volé mon petit capital?
Mon or si précieux tu me l'as, en cachette,
Changé pour des jetons que personne n'achète?
Sur des pièces de cuivre, hélas! infortuné,
Comme devant l'or pur je me suis prosterné!
J'en mourrai de honte et de peine!...
Oh! laisse-moi....
Ma fin aurait été sereine,
Ingrat neveu, sans toi.
Lorsque l'on se fait vieux l'on croit quitter le vice
Et c'est le vice qui nous fuit:
La passion qui dort n'est que de l'artifice;
Elle porte au réveil toujours le même fruit.
Deux arbres à l'épais feuillage,
Où l'oiseau chaque soir faisait son babillage,
Deux grands arbres étaient voisins:
Mais l'un avait passé, dans un vallon sauvage,
A l'abri de l'orage
Des jours sereins,
L'autre, tout au-dessus, au sommet de la côte,
Avait été souvent
Fouetté du vent.
--Tu trembles, tu te plains, et c'est bien de ta faute.--
Dit, à son vieil ami, l'arbre vert du vallon,
Un jour que l'aquilon
Hurlait au front de la colline
Et que l'arbre d'en haut se tordait en tous sens--
Descends donc près de moi, pauvre insensé, descends
Ici pas de tempête; à peine l'on s'incline;
A peine un souffle frais caresse mes rameaux,
Et l'on est à l'abri de presque tous les maux.
L'autre ne répond pas. Tout entier à la lutte,
Il se courbe et se dresse, il s'agite et frémit;
Ses racines de fer au sol qui s'affermit
Se cramponnent plus fort pour empêcher la chute.
Enfin, malgré le vent qui brise tout,
Sur la cime il reste debout.
Alors, au fond de la vallée,
La tempête ailée
Pour la première fois s'élance avec fureur,
Et, semant partout la terreur,
Ainsi que la faulx rase
Les épis au temps des moissons,
Elle brise, elle écrase,
Les grands arbres et les buissons.
L'on ne vaincra jamais l'homme qui sut combattre,
Dès le commencement, contre l'adversité;
Mais un souffle, en passant, suffira pour abattre
Celui qui n'a jamais lutté.
Deux arbres s'élevaient au milieu d'une plaine,
Tristes et dénudés, car de leur froide haleine
Les bises de l'hiver
Avaient déjà flétri le chaume et le bocage.
L'un des deux, toutefois, pour perdre son feuillage,
N'avait pas attendu l'automne. Un petit ver
En le mordant au coeur, avait gâté sa sève.
Quand le coeur est atteint, la vie, hélas! achève.
Ses rameaux sans vigueur séchèrent tour à tour
Sans retour,
Les plus haut les premiers; car il faut de la force:
Sous l'écorce
Pour faire reverdir les branches du sommet,
Comme il faut de la flamme
Dans notre âme
Pour nourrir les vertus que le Seigneur y met.
Cet arbre malheureux voyait avec envie
Son ancien compagnon auprès de lui fleurir,
Mais il gardait le ver qui le faisait périr.
--Quand l'automne viendra, sur sa cime flétrie
Pas plus, se disait-il que sur mes vieux rameaux
Ne se réuniront les gais petits oiseaux;
Oui, quand viendra l'automne,
Il perdra couronne
Et vers le sol jauni penchera son front nu;
Et ceux-là qui l'auront connu,
En le voyant, pourront sourire.
En effet, l'hiver arriva;
Puis l'arbre sec se prit encore à dire;
--Va.
Je le sais bien, moi, que tu serais superbe!...
Mais, non, tu n'es pas beau: ta couronne est dans l'herbe,
Il ne t'en reste rien.
C'est dommage,
Car tu la portais bien,
Je t'en rends témoignage..
--Garde tes durs propos, avait dit le voisin,
Je me repose;
Le sommeil et la mort ne sont pas même chose;
Attends la fin.
Quand revint le printemps avec les tièdes brises,
Que le soleil sourit,
L'un fleurit
Et l'autre s'affaissa sous ses écorces grises.
Dans la tombe, c'est vrai, l'homme à l'homme est pareil,
Et le méchant, trompé, réclame la victoire.
Il sera dans la honte et le bon, dans la gloire,
Au grand jour du réveil.
Une araignée, un jour, lasse d'être accroupie
Dans son filet léger,
Se mit à voyager.
C'était le seul moyen de jouir de la vie,
Le plus noble du moins,
Se disait-elle,
Et quelque bagatelle
Lui suffirait pour ses besoins,
Elle partit se glissant jusqu'à terre.
Au moyen de son fil qui s'allongeait toujours:
--Oh! que le monde est grand! l'immensité m'atterre!--
Reprit-elle en touchant le tapis de velours
D'une chambre fort bien meublée--
Je suis brave pourtant et je me sens troublée...
Mais n'importe, avançons! ajouta-t-elle encor.
Et la voilà partie. Elle trotte sans cesse;
Elle monte et descend, se trémousse et s'empresse,
Touche à tout: aux plaqués, aux faïences, à l'or,
Sans accident jamais ni rencontre fâcheuse.
Mais il n'est ici bas de bonheur si constant
Qu'il ne soit, à la fin, rompu pour un instant,
Et notre voyageuse
Glissa dans un vase profond.
Elle crut, tout d'abord, qu'elle pourrait sans peine
Sortir, d'un bond,
De ce vase de porcelaine.
Ses pattes ne mordirent pas
Sur la paroi polie.
Elle vit sa folie,
Mais cela ne pouvait la tirer d'embarras.
Le hasard fit descendre auprès d'elle une mouche.
--Sauve-moi, lui dit-elle, et que mon sort te touche,
Nous ferons amitié;
J'ai fameuse mémoire
Et je me ferai gloire.
De chanter ta pitié.
La mouche qui n'est pas, après tout, fort méchante,
Bien qu'elle chante
En nous piquant,
Prend la captive en croupe
Et, se moquant
Des hauteurs de la coupe,
L'emporte, d'un coup d'aile, assez loin du danger.
On se sépare alors, mais non sans échanger
Une bonne parole.
La voyageuse trotte et la mouche s'envole.
A quelque temps de là, tout en l'air, dans un coin,
Une araignée, au milieu de sa toile,
Epiait avec soin,
Comme à travers un voile,
Les mouches de l'appartement,
Et tout à coup, bonne fortune!
Elle en vit une
Qui s'engageait imprudemment
Et s'empêtrait dans son fil traître.
--Tu vas servir à me repaître,
Dit-elle avec aigreur.
La mouche eut peur
Mais elle retrouva bientôt son assurance:
--Mon amie, à ton tour,
Dit-elle, rends-moi l'espérance!
C'est moi qui, l'autre jour,
T'ai sauvé l'existence,
Lorsque ton imprudence
T'avait précipitée au fond d'un vase creux.
Mon coeur fut généreux,
Le tien ne l'est pas moins, oh! non, j'en suis bien sûre.
L'araignée écoutait. Soudain
Elle lui fit une morsure
Et dit:
«J'ai faim!»
La faim est la complice
De beaucoup de forfaits;
Elle fait taire la justice
Et fait oublier les bienfaits.
Un jour les animaux sauvages,
Voulant imiter les humains
Dans leurs politiques desseins,
S'assemblèrent sur les rivages
D'un fleuve profond,
Au pied d'un rocher solitaire
Où l'aigle avait bâti son aire,
Afin de discuter à fond
S'il était opportun d'élire pour la vie,
Ou pour un terme seulement,
Non pas un roi,--cela vraiment
Sent trop la tyrannie,--
Mais un bon Président
Qu'on traite comme un hôte,
Que l'on met, que l'on ôte
Avec un zèle ardent. On s'entendit tout de suite:
Le président élu
Resterait président durant bonne conduite.
Le décret fut lu,
Et chacun l'approuva sur l'heure à sa manière.
--Qui sera chef? dit l'ours sorti de sa tanière
Avec l'espoir au coeur.
--Ce sera le vainqueur
Dans une joute,
Et sans doute,
Sire, ce sera vous, dit le renard malin.
--Mais qu'allons-nous tenter? quel combat? quelle lutte,'
Sera-ce le plus fort, sera-ce le plus fin
Qui régnera sur nous après cette dispute?
Reprit le loup-cervier.
--Que se soit le premier
Qui touchera la rive,
Dit d'une voix craintive
Le timide castor.
--Tu ne penses qu'à toi, malheureux amphibie!
Renonce à ta lubie;
Pour cette course-là tu peux attendre encor,
Réplique durement une méchante hyène.
--Pas de gêne;
Que chacun, mes amis, s'exprime à sa façon:
Il faut donner à l'homme une bonne leçon,
Dit un grand orignal en branlant sa ramure.
Un long murmure
Accueillît ce discours en trois ou quatre mots.
Les prétendants allaient se montrer aussi sots
Que les hommes eux-mêmes
En ne s'entendant point sur l'objet du combat,
Et le débat
Commençait à traîner en des longueurs extrêmes,
Quand un aigle orgueilleux,
Ouvrant ses larges ailes,
Du haut du rocher sourcilleux
Les plaisanta sur leurs querelles.
--Nous sommes bafoués par cet impertinent,
Dit un jeune lion, secouant sa crinière,
Vengeons-nous donc incontinent
En allant le chasser de sa retraite altière,
Et le premier rendu,--
Que ce soit entendu,--
Sur son front anobli mettra le diadème.
Aussitôt dit aussitôt accepté.
Chacun voulant saisir l'autorité suprême,
S'élance avec impétuosité
A l'assaut de la côte
Abrupte et haute.
Mais que de vains efforts! que d'efforts malheureux!
Les pieds et les genoux des plus aventureux
Se déchirent sans cesse aux angles de la roche;
Au moment qu'il approche,
Hélas! plus d'un héros
Tombe et se rompt les os.
Cependant un serpent se glisse avec prudence
Parmi la mousse dense
Et dans les fentes du rocher;
Il passe à travers les fascines,
Il réussit à s'accrocher
Aux rameaux, aux racines,
Arrive le premier sur les âpres sommets,
Et, pour se mettre en règle,
Jette le nid de l'aigle
Sur ses nouveaux sujets.
Citoyens à la forte trempe
Qui voulez noblement atteindre le pouvoir,
Faites place à l'homme qui rampe
Et monte sans se faire voir!
Un serpent--je ne sais trop de quelle famille,
Mais un ambitieux;
On sait qu'il en fourmille,--
Un serpent, dis-je, déjà vieux,
Voulut sortir enfin de son marais immonde
Et grimper sur les rocs où nichent les aiglons.
--Nous allons, se dit-il étonner tout le monde
Et montrer ce que nous valons.
En roulant ces pensers dans son esprit de bête,
Il atteignit l'arrête
Du rocher.
L'aigle, qui le vit approcher,
Craignit pour sa progéniture
Et se mit l'âme à la torture
Pour trouver le moyen d'éviter un malheur.
Avec les vaniteux il est bon de se taire
Ou de vanter bien haut leur menteuse valeur;
L'aigle salua jusqu'à terre:
--Je ne puis revenir de mon étonnement,
Dit-il. Monter ici sans ailes, quel mystère!
Je voudrais voir le loup, le lion, la panthère
Gravir ainsi que vous cet âpre escarpement:
Ils on sont incapables;
Ils se vantent, pourtant, de régner tous sur vous.
--Sur moi? Vous voyez qu'ils sont fous
Autant qu'ils sont coupables.
--C'est vrai, répondit l'aigle avec un air soumis.
Tenez! les voyez-vous, ajouta-t-il encore,
Ces lâches ennemis
Qu'autant que vous j'abhorre?
Ils font, dans leur courroux,
Contre vous alliance,
Car de votre vaillance,
Ils sont jaloux.
Peut-être pourront-ils, après assez de peines,
Arriver jusqu'ici,
Mais pour monter plus haut leurs forces seraient vaines
Et leur courage, vain aussi.
--Et moi, fit le serpent avec inquiétude,
Que puis-je donc faire de plus?
Pour m'élever encor, j'en ai la certitude,
Mes efforts seraient superflus
Puisque je suis enfin arrivé sur la cime.
--Je vous prêterai bien mes ailes, mon ami;
Et le lion et la fourmi
Seront tout un pour vous, de la hauteur sublime
Où vous les verrez.
--Mais comment, moi serpent, me servir de vos ailes?
Vous me le direz,
Car ce sont là pour moi des choses fort nouvelles.
--Je volerai pour vous, mon cher concitoyen;
La chose est bien facile.
Tenez, soyez docile,
Je vais vous montrer le moyen.
L'aigle, à cette parole,
Prend le reptile et vole
Sur l'abîme profond.
--Vois donc, dit le serpent, toutes ces sottes bêtes
Qui, pour me regarder, lèvent au ciel leurs têtes:
Mon audace les confond.
--Pour être plus sincère
Et ne point te fourber,
Je crois, dit l'aigle ouvrant sa serre,
Qu'elles te regardent tomber.
L'ignare ambitieux, qui se croit un grand sire
Et qui veut tout soumettre à son absurde empire,
Finit assez souvent
Comme ce vieux serpent.
Un sculpteur de renom quelque peu philosophe,
Un homme d'une étoffe
Avariée un peu,
Croyait, il est bien vrai, l'existence de Dieu,
Mais disait, tout de même,
Que cet Être suprême.
Nous trouve trop petits pour s'occuper de nous,
Et que, par conséquent, il est fort inutile
Pour notre humanité futile
De se mettre à genoux.
Certaines gens croyaient à sa parole,
Car, voyez-vous, la thèse la plus folle
Trouve des partisans, il faut en convenir,
Pour la soutenir.
Notre sculpteur fouilla donc un bloc de Carrare
D'une blancheur fort rare
Avec son magique ciseau.
Il travailla longtemps. Sous les coups du marteau.
L'on vit se dessiner une belle madone.
Son air était si pur, ses traits, si gracieux,
Qu'elle semblait avoir ce feu que l'âme donne
Et qu'elle prend aux cieux.
Et l'artiste, ravi de son oeuvre sublime,
Ne sortait qu'à regret de son humble atelier;
Un sentiment d'amour étrange et légitime.
A ce fruit de ses mains paraissait le lier.
Il y rêvait avec ivresse;
Il en parlait toujours;
Il triomphait dans les concours,
Et puis sa renommée agrandissait sans cesse.
Cependant, un matin,
Auprès de sa statue il en voit, ô merveille!
Une autre tout à fait pareille,
Ses yeux ont un éclat divin,
Puis une larme,
Les voilant à demi, leur donne un plus doux
Un rayon tout mystérieux
Autour de son front glorieux
Décrit une auréole,
Et jette doucement
Dans l'humble appartement
Une lumière chaste et molle.
Le sculpteur s'arrête étonné:
--Quel rival fortuné
Est venu m'écraser du poids de son génie?
Dit-il. O cruelle avanie!
Je briserai mon oeuvre et ne tenterai plus
Des efforts superflus l
La madone nouvelle
Eut un souris bien doux:
--Ne soyez pas jaloux,
Mon enfant, lui dit-elle,
De l'oeuvre du Seigneur.
Aimez pour votre honneur,
Gardez pour votre gloire,
Vous pouvez bien m'en croire,
L'ouvrage de vos mains;
Mais croyez-le, je vous l'atteste,
L'artiste céleste
Qui m'a faite d'un souffle aime bien les humains.
Dieu ne peut faire aucune chose
Qui ne soit très-digne de lui;
Il est donc insensé celui-là qui suppose
Que Dieu dédaigne l'homme ou lui refuse appui.
L'hiver a quelquefois des jours de chaude pluie,
De même que l'été, des jours de froids brouillards;
La jeunesse a des pleurs qu'une espérance essuie,
Le vieillard, des plaisirs qui mouillent ses regards;
Et ce triste ou joyeux mélange
A pour nous comme un charme étrange
Qui nous attire et nous fait mal.
Cette réflexion, malgré l'invraisemblance,
Deux arbres la faisaient, au temps de leur enfance,
Dans leur langage original.
C'était pendant l'hiver et, la température
S'élevant tout à coup comme au mois de juillet,
Plus d'un ruisseau reprit avec désinvolture,
Son cours dans les champs de millet;
Et l'orage
Avec rage
Fouetta les rameaux gris
De nos arbres surpris.
Le plus petit des deux, s'emportant, fit un geste
Pour secouer les gouttes d'eau,
Et dit à son voisin:
--Pour moi, j'en ai de reste
De cet humide cadeau;
Quand je serai sous mon feuillage
Le firmament pourra pleuvoir.
Je voudrais bien savoir--
Ce n'est point de l'enfantillage--
Pourquoi cette pluie en hiver.
Et l'autre répondit:
--L'on ne vit que d'hier;
Il faut savoir attendre
Si l'on veut tout entendre.
--Attendre, c'est ton affaire, et comprends si tu peux;
Pour moi je n'aime pas--mes paroles sont franches,--
Toutes ces gouttes d'eau qui tombent sur mes branches,
Et pour m'en délivrer je fais ce que je veux.
En hiver le doux temps n'est que d'une journée.
L'orage passa vite et le ciel devint clair;
La course du ruisseau fut encore enchaînée
Et nul vol ne brava la froidure de l'air.
Alors l'un des arbustes,---
Celui qui n'avait pas, en parlant avec fiel,
Secoué l'eau du ciel,
Et dit des paroles injustes--
L'un des arbustes vit sur ses rameaux charmants,
Des flots de diamants,
Des guirlandes étranges,
Des perles et des franges;
Mais l'autre s'inclina de honte et de regret,
Car sur ses branches dénudées
Il n'avait pas voulu, prenant un ton aigret,
Supporter les ondées.
Les peines, les chagrins qui remplissent nos jours
Par la soumission se transforment en joies;
Ils épurent notre âme et sont les grande voies
Qui mènent de la haine aux célestes amours.
Deux livres reposaient sur la même tablette:
Un ancien, un nouveau.
L'un étalait aux yeux une riche toilette
Faite de maroquin et non de simple veau,
Etait doré sur tranche
Et portait marge blanche
Large comme deux doigts;
L'autre n'avait, je crois,
Que demi-reliure,
Et plus d'une éraillure,
En guise de rayons, marquetait le couvert.
Il avait fort souffert
Ou de l'indifférence ou bien de la malice.
Quand je dis «reposaient» je ne rends pas justice
Au plus brillant des deux, en vérité;
Car il était souvent, par quelque main mignonne,
Ouvert et feuilleté.
Le plus vieux reposait. Presque jamais personne
Ne venait le trouver pour causer avec lui;
On redoutait l'ennui.
Mais les rares lecteurs qui parcouraient ses pages
Comprenaient sur le champ son efficacité:
Ils devenaient prudents et sages
Et trouvaient le secret de la félicité.
Ceux qui feuilletaient l'autre acquéraient, au contraire,
Un esprit téméraire
Et confondaient souvent, dans leur fierté,
L'abus avec la liberté.
Sous son masque charmant, voyez-vous, le beau livre
Cachait certain poison
Qui doucement enivre
Et trouble la raison;
Mais, d'une expérience sûre,
Le vieux bouquin
Pouvait guérir toute blessure
Faite par son voisin.
Les personnes légères
Nous amusent parfois mais nous nuisent toujours,
Et les hommes sévères
Nous déplaisent souvent en nous portant secours.
Dans la nappe d'or d'un fleuve paisible,
A l'heure où s'en va le bac du pêcheur,
Un cygne mirait, fier de sa blancheur,
En se balançant, son galbe flexible;
Puis autour de lui des cercles nouveaux,
Toujours s'éloignant sur les claires eaux,
Traçaient tout à tour comme une auréole..
Un poisson jaloux, prenant la parole,
Aux autres poissons dit on le voyant:
--Souffrirons-nous donc dans notre domaine
Ce fier étranger au col ondoyant?
Son vol l'apporta que son vol l'emmène;
Il est un oiseau, non pas un poisson.
--Qu'il s'en aille loin! dit, à l'unisson,
Le choeur menaçant des poissons stupides,
Et tous contre lui s'élancent alors.
Le cygne ouvre, ému, ses ailes rapides
Et vole en chantant jusque sur les bords.
--De quel droit viens-tu? dit un quadrupède,
Sortant irrité de l'ombre des bois--
Je ne souffre pas qu'on me dépossède;
Va-t-en dans les airs.
Le cygne, aux abois,
Nagea dans l'air pur et dans la lumière,
Modulant encore un soupir divin.
Alors tout à coup, la tête première,
D'un nuage noir fondit l'aigle vain:
--Descends, lui dit-il, tu n'es pas des nôtres!
Sur le sol haï souvent tu te vautres
Connue l'animal qui ne vole pas;
Comme un vil poisson tu nages, toi cygne,
Et tu prends dans l'eau tes joyeux ébats.
Descends, ou, vois-tu, j'appelle, d'un signe,
Pour te foudroyer, mes sujets de l'air.
Le cygne s'enfuit au fond du ciel clair.
Depuis ce temps-là dans la solitude
Le suave oiseau se cache avec soin;
Il soupire seul, plein d'inquiétude,
Et le moindre bruit le fait fuir au loin.
Parmi nous, hélas! souvent le génie
A même destin que le cygne doux;
Il sème, en passant, des flots d'harmonie:
On le méconnaît, et de vils jaloux
Le poursuivent loin de leur sale bave,
Le génie errant, nulle part souffert,
Qui jette en son vol un hymne suave,
Le génie errant cherche le désert.
--Je te plains, mon ami, mais je ne puis rien faire
Pour adoucir ton sort.
Souffre avec patience. A chacun son affaire.
Puis te voici, du reste, au port.
Cette parole fière et bien peu charitable
Etait dite, un bon jour, dans le fond d'une étable
Et d'un air joyeux,
Par un jeune cheval au poil lisse et soyeux,
A son compagnon d'existence
Dont la misérable pitance
Ne pouvait, à coup sûr, faire des envieux.
Ce dernier était vieux;
Il avait le poil long et la croupe pointue,
L'oreille rabattue,
La robe d'un gris sale et de la cire aux yeux:
Il était chassieux.
On l'appelait souvent, et sans plaisanterie,
Le paria de l'écurie.
L'autre était bien traité,
Etrillé, puis frotté;
Il mangeait de l'avoine et portait couverture,
Revêtait harnais blanc, traînait belle voiture.
Le vieux se plaignait-il? Je ne dirai pas non.
Il se plaignait un peu quand, après la journée,
Il comparait sa vie infortunée
Au destin glorieux de son gai compagnon.
Mais celui-ci, prenant des allures malignes,
Lui répondait alors, en soufflant du naseau,
Ce que nous avons lu dans les premières lignes
De notre fabliau.
Or, il advint une disette.
Il fallut faire la diète,
Puis ensuite un repas par jour;
On mit à mort la basse-cour
Et l'étable et la bergerie.
Le fléau cependant redoublait de furie.
On parla de tuer le plus jeune cheval;
L'autre était trop vieux et trop maigre.
Notre jeune et bel animal
Se montrait, ce jour-là, tout pimpant, tout allègre.
--Pauvre ami, lui dit-on, caressant de la main
Son épaisse et longue crinière,
Oui, voilà notre heure dernière
Et nous allons mourir de faim
Si tu ne fais un sacrifice.
--Je vous comprends très-bien, dit le présomptueux,
Vous prenez le vieux gris. Ce serait monstrueux
Que de refuser ce service,
Et je m'en séparerai bien;
Il n'est, au reste, propre à rien.
--Pas même à manger, dit le maître,
Et c'est toi qu'il nous faut.
--Moi? reprit l'animai faisant un soubresaut.
--Toi.
--Mais, voyez un peu, je suis, sans le paraître,
Joliment maigre aussi.
--Nous t'aimerons ainsi.
Il se plaignit en vain de cet arrêt atroce,
Il fallut marcher au trépas.
Quand il passa tremblant près de la vieille rosse.
La vieille rosse dit tout bas:
--Je te plains, mon ami, mais je ne puis rien faire
Pour adoucir ton sort.
Souffre avec patience. A chacun son affaire.
Puis te voici, du reste, au port.
Aimez votre mansarde,
Pauvres qui n'avez que l'honneur:
Bien souvent du bonheur
L'indigence est la sauvegarde.
Un loup de belle taille
Et de grand appétit,
Un bon matin, partit
Pour faire ripaille;
Mais, par un fâcheux accident
Et malgré sa longue tournée,
Il ne trouva de la journée
Rien à se mettre sous la dent.
Il s'en allait, baissant la tête,
Clopin-clopant et l'oeil hagard,
Quand il aperçut un renard
A l'air légèrement honnête.
L'accoster poliment
Fut l'affaire d'un moment:
--Si vous vouliez, brave confrère,
On irait de société
Pour manger à satiété
Et même faire bonne chère.
Je suis fort et vous êtes fin;
L'on aurait vraiment peu de chance
Si, ne pouvant faire bombance,
L'on n'apaisait du moins la faim.
--Mon frère, votre idée est bonne:
Je signe avec vous un traité,
Et vive la fraternité!
Mais, pour que le succès couronne
Sans plus tarder notre projet,
Partons; vous n'aurez pas sujet
De regretter votre démarche.
--Depuis le matin que je marche
J'ai déjà fait plus d'un bon coup,
Reprit le loup.
--On a, là-bas, cueilli des pommes,
Il doit en rester sur le sol:
C'est le temps où rentrent les hommes...
Des pommes, c'est toujours un vol;
Allons, ne manquons pas d'en prendre,
Dit le renard.
--O mon mignon,
Nous sommes faits pour nous comprendre!
Dit le loup à son compagnon.
Ils se mirent tous deux en route,
N'ayant sur leur succès nul doute.
Ils ne trouvèrent pourtant rien,
Rien qu'une pomme au fond de l'herbe,
Mais elle était vraiment superbe
Et valait bien
Deux ou trois pommes ordinaires.
C'est le renard qui la trouva.
--Donne! lui dit le loup, on va
La manger sans préliminaires.
Le renard aurait bien voulu
Garder pour lui la faible aubaine,
Mais de son compère goulu
Il redoutait la haine.
--La voici, fit-il humblement,
Partage bien également.
--Tu doutes de moi ce me semble?
Reprit le loup avec hauteur.
Je ne suis point un ergoteur
Et nous partagerons ensemble
D'après une équitable loi.
Cette pomme sera pour moi,
Et toi tu prendras la deuxième.
Le marché n'est point hasardeux,
Et je suis la justice même.
--Mais si l'on n'en trouve pas deux?
--Alors tu mangeras les restes
De celle-ci.
--Bah! les pommes d'ici,
Dit le renard sont indigestes,
Et je m'en vais ailleurs
Chercher des fruits meilleurs.
Dans toute affaire où l'on n'apporte
La plus sincère honnêteté,
Le plus fort fait toujours en sorte
D'amener tout de son côté.
Un renard, rancunier en diable,
Suivait depuis longtemps un loup,
Se montrait serviable
Et le vantait beaucoup:
Or n'était là qu'une mesure
Pour se venger avec usure
S'il en avait l'occasion.
La cause de cette rancune,--
Pour ne pas faire de lacune
Je dois y faire allusion--
Venait d'une pomme superbe
Que le renard, dans un verger,
Avait trouvée au fond de l'herbe
Mais qu'il n'avait pas pu manger,
Vu que le loup son cher compère
L'avait croquée à belles dents.
Il faut que nous soyons prudents.
Surtout près d'un faux caractère;
C'est ce que le renard comprit.
Il attendit plus d'une année.
Le loup devint boiteux, maigrit
Et n'eut plus qu'une peau tannée.
--Viens, lui proposa le renard,
Ou pourrait trouver, par hasard,
Quelque douceur pour ta vieillesse
Dans une ferme de là-bas.
--Merci bien de ta gentillesse;
Oui je veux y traîner mes pas,
Car les pommes y sont fort bonnes,
Dit le loup, je m'en souviens bien.
--Mais si comme alors tu raisonnes,
Compère loup, je n'aurai rien.
--Ne crains pas de friponnerie:
J'ai faim, mais je mourrais plutôt
Que pécher par gloutonnerie.
Ils furent arrivés bientôt
En face d'une laiterie.
--Entrons avec effronterie,
Dit le renard rusé,
Puisque la porte en est ouverte
Ce n'est pas malaisé.
Le loup, s'efforçant d'être alerte
Et ne craignant que le fermier,
Voulut bien entrer le premier.
Il fit une heureuse trouvaille:
Un fromage fort savoureux.
Il voulut être généreux:
--Tiens, partage cette mangeaille,
Dit-il au renard vagabond.
Celui-ci, s'éloignant d'un bond,
Sortit et referma la porte:
--Merci, fit-il, esprit fécond,
Ce morceau-là moi je l'emporte,
Toi tu garderas le second;
On ne peut tarder à le faire.
Voici les gens de la maison,
Bon soir! Pour te tirer d'affaire
Cherche quelque bonne raison.
Retiens toujours cette maxime,
O toi qui veux être roué:
Souvent on devient la victime
De celui que l'on a joué.
Un jeune chat, naguère,
Faisait souvent la guerre
Aux rats:
C'était pour cette gent rongeuse
Un embarras
Qui la rendait songeuse;
Elle en était réduite à rester dans son trou,
Sous verrou.
Un tel état de siège,
Était plus irritant
Que n'importe quel piège..
Il était important
D'y mettre fin tout de suite;
Mais le moyen?
Il fallait le trouver, on agirait ensuite.
Le doyen,
Un vieux qui bien des fois avait vu la bataille
D'assez loin,
Prit sur lui d'assembler noblesse et valetaille
Dans un coin.
On vint de toute part; du grenier, de la cave
Et même du dehors.
Certains rats étaient frais, d'autres avaient l'oeil cave
Celui-ci passait pour retors,
Celui-là, disait-on, mettait les chats en fuite,
Et tous avaient tenu la plus belle conduite
En mainte occasion.
Le vieux prit la parole
Et dit avec concision:
--Notre jeune ennemi sans pitié nous immole;
Il nous guette partout,
Ma douceur est à bout.
Il faut lui faire entendre
Ce que l'on doit attendre
D'un rat digne de ce nom!
--Non!
Reprit un autre énergumène,
Ne nous laissons plus effrayer
Par ce bambin qui nous malmène,
Qui sait à peine bégayer
Et se vante de son mérite!
--Sa lâcheté m'irrite,
Dit sur le même ton
Un raton;
Il se cache pour nous surprendre
Et n'agit que sournoisement.
--Lorsqu'il nous tient séparément
Il est plus fort que nous, cela doit se comprendre;
Il ne le sera pas si nous nous unissons,
Dit un autre opinant à la mine superbe.
On fit longtemps encore de l'éloquence acerbe,
Et l'on voyait courir d'énergiques frissons
Dans l'illustre assemblée.
On décida d'emblée
D'aller en plein soleil provoquer maître chat,
Et, par un coup brillant de faire le rachat
De l'antique indépendance
Des rats et des souris.
Devant tant de héros le pauvre chat, surpris,
Perdrait bien son outrecuidance
Et fuirait tout confus...
On comptait là-dessus.
On partit plein d'ardeur pour tenter l'aventure,
Mais! le chat qui guettait au bord de l'ouverture
Par où les valeureux s'attendaient de sortir,
Miaula tout à coup d'une voix ironique.
Les rats furent saisis d'une affreuse panique,
Et chacun dans son trou s'en alla se blottir.
Vous n'aurez jamais de problèmes
En multipliant des zéros,
Multipliez les poltrons mêmes
Vous n'aurez jamais de héros.
Un bon cheval d'un certain âge,
Traînait depuis longtemps un pesant charriot:
Il était tout en nage,
Mais il ne disait mot,
A quoi sert de se plaindre
Quand personne n'est là pour nous prendre en pitié
Ou, tout au moins, pour feindre
Une douce amitié,
Il vaut mieux avec patience
Endurer son mal.
C'est ce que l'animal
Faisait en conscience;
Mais il n'en pensait pas moins.
Cependant la voiture
Conduite par ses soins
Parvint, sans fâcheuse aventure,
Au sommet d'un vaste coteau.
La descente en était rapide:
Un roc abrupt, un trou perfide
Resserraient le chemin comme eut fait un étau.
Alors le véhicule
Commença de parler.
Cela, vous semble étrange, et même ridicule;
N'importe; pour si peu n'allez pas quereller.
--Laisse flotter tes rênes,
Dit-il au cheval fort surpris;
Depuis bien longtemps tu me traînes;
Ton coeur est bon, je l'ai compris.
A mon tour, sans qu'on le devine,
Sur la pente de la ravine
Je vais te pousser doucement,
Et tu n'as qu'à te laisser faire
Pour descendre en bas promptement;
Je connais mon affaire.
Le cheval, écoutant ce propos singulier,
Changea de rôle.
Après tout, ce devait être joliment drôle
Que ne plus se morfondre à tirer du collier.
Il partit, trottinant sur la pente assez raide.
Le charriot, content de lui donner de l'aide,
Poussait de mieux en mieux,
Augmentant toujours sa vitesse.
Le cheval, malgré sa prestesse,
Devenait soucieux.
--Arrête! cria-t-il au charriot, arrête,
Je n'en peux plus!...
Je suis perclus!...
Je perds la tête!...
Sur le chemin poudreux
La course est furibonde:
Après une seconde
Le malheureux,
Ne pouvant plus combattre
Son pénible destin,
Vint lourdement s'abattre
Dans le fond du ravin.
Vous qui nous conduisez à travers les abîmes,
N'allez pas imiter ce cheval idiot,
Ne changez pas de rôle avec certains intimes,
Car ils feraient, bien sûr, comme le charriot.
Une plume légère,--
Non pas la plume mensongère
Du journaliste besacier
Ou du poète romancier,
Mais la plume d'une hirondelle,
D'un étourneau
Ou d'un moineau,
Je ne sais trop laquelle,--
Une plume, toujours, par le souffle du vent
S'envolait emportée,
Comme cela se voit souvent.
Passant à la portée
D'un pin majestueux,
Elle lui fit, d'un air présomptueux,
Cette ridicule menace:
--Pin, courbe-toi, sinon je t'écrase sur place!
Ne me demande pas pourquoi,
Mais regarde derrière moi.
--Je vois en effet sur la plaine,
Dit le pin dédaigneux, des arbres entassés,
Mais, va! ce n'est point toi, c'est le vent qui t'entraîne
Qui les a terrassés.
Plus d'un homme léger qu'un sot orgueil consume
Croit tout régenter de son fouet,
Et, comme cette plume,
N'est lui-même qu'un jouet.
Un loup vieillot et maigre,
Ayant une voix aigre
Mais un souple mollet,
Sortit du bois, un jour, dans le dessein coupable,
La chose était palpable,
De croquer quelque bon poulet.
Il s'approcha donc d'une ferme
D'un pas ferme,
Tout comme aurait pu faire un vieil habitué;
Mais au seuil de la porte il vit le chien Fidèle,
Un serviteur modèle
Qui ne craignit jamais d'être destitué:
Il fallait donc agir de ruse.
--Je ne sais pas si je m'abuse
Dit-il au chien,
Mais je crois bien
Avoir fait votre connaissance
Dans un temps déjà loin,
Et votre père eut soin
De nous faire faire bombance.
--Je ne me souviens pas d'avoir eu cet honneur,
Monseigneur,
Dit le chien tout surpris de l'étrange aventure.
--C'est vrai pourtant, reprit le loup,
Je vous l'affirme encore, et je hais l'imposture.
Nous mangeâmes beaucoup,
Et surtout des poulets de la chair la plus tendre.
Je suis en dette à votre égard;
Et si je viens ici braver votre regard,
C'est pour vous annoncer que l'on doit vous attendre
Dans notre bois demain matin;
L'on y prépare un grand festin
Dont vous serez le premier hôte.
--J'irai, compère loup, j'irai certainement,
Car c'est une faveur bien haute
Que mes frères des bois me font en ce moment.
--La table sera bien servie;
J'ai cependant envie,
Reprit le loup dans l'embarras,
De faire une surprise aux loups que tu verras.
Tu vas donc me prêter une grasse poulette,--
Cela manque à notre repas--
Je dirai que c'est toi--mais ne me démens pas--
Qui relevais pour eux sous ta noble houlette.
--Par ma foi!
Je n'en ai pas, moi,
Répliqua le chien honnête.
--Tu n'en as pas, dis-tu? Mais dans la basse-cour
J'en entends caqueter; allons-y faire un tour.
Fidèle avec orgueil leva sa belle tête:
--J'en suis le gardien, dit-il,
Et non le maître;
Voudrais-tu donc me rendre traître
Par ton discours subtil?
--Ta vertu, dit le loup, suffit pour m'interdire
Un langage léger qu'on ne tient qu'au roquet.
Je m'en retourne au bois; je reviendrai te dire
L'heure juste du grand banquet.
On en voit bien des loups; ils sont vêtus en hommes;
La plupart ont connu votre père défunt;
Ils ont pour leurs amis fondu de belles sommes;
Ils vous offrent de tout et vous font un emprunt.
Deux voisines causaient. C'est bien dans la coutume.
Ce qui le serait peu--du moins je le présume
Et je le dis tout bas--
Serait d'en trouver deux qui ne causeraient pas.
Deux voisines causaient de mille et mille choses,
Se plaignaient surtout de leur sort,
Croyaient les autres sur des roses
Et, sans vouloir leur faire tort,
Auraient bien désiré d'échanger avec elles
Leur insupportable destin.
L'une trouvait pourtant des heures assez belles
Pour compenser certain chagrin;
L'autre tout au contraire,
Ne voyait pas comment
On pouvait décemment
Un instant se complaire
Dans un monde pareil.
--Oui, depuis que je vous la face du soleil,
Disait-elle d'une voix sourde,
Je traîne, hélas! tu le sais bien,
Une chaîne affreusement lourde.
L'autre ajoutait:--C'est vrai; mais moi n'ai-je donc rien?
Les veilles, le travail, et puis la maladie?
Cependant, malgré tout, j'aime encore la vie.
--Je la déleste, moi! j'en ai bien trop goûté!
La belle chose, en vérité,
Qu'une longue, existence
A faire pénitence
Pour ceux qui près de vous nagent dans les plaisirs!
L'objet de mes désirs,
C'est la mort; qu'elle vienne!
Je suis bonne chrétienne,
Mais je suis lasse de souffrir.
La mort entra soudain.
--Je viens pour vous offrir
Mes humbles services,
Dit-elle, et finir vos supplices.
--Madame la mort,
S'écria la femme chagrine,
Prenez donc ma voisine
Tout d'abord!...
Quelque triste que soit de nos jours le poème,
Quelque soit le bonheur que l'on espère aux cieux,
On aime toujours mieux
Voir mourir ses voisins que de mourir soi-même.
Un lièvre ambitieux, ou, pour parler plus juste,
Un lièvre plein de vanité;--
La chose est rare un peu, mais une foi robuste
N'y verra point d'énormité--
Un lièvre vaniteux, vous dis-je,
Voulant se donner du prestige,
Résolut un bon jour, de rompre avec les siens.
Il rougissait vraiment de leur pauvre fourrure
Et de leurs pâles entretiens.
Il se flattait d'avoir une belle tournure,
Un langage correct,
Et puis de l'intellect
A revendre,
Avec cela l'on peut se rendre
Quelquefois assez loin.
Mais je n'ai pas besoin
De vous dire;--c'est manifeste--
Qu'il s'aveuglait profondément,
Comme tous les vrais sots, du reste.
Il voulait fréquenter le plus intimement,
Parmi les animaux du globe,
Ceux qui sont habillés d'une superbe robe:
Les martes, les castors, les loutres, les visons.
Il ne savait pas trop s'il verrait les belettes;
Les renards, pas du tout, excepté les grisons.
Il sortit pour chercher de nouvelles toilettes,
Car il ne pouvait pas, sans être fort bien mis,
Se présenter chez ses nouveaux amis.
Il eut une fortune étrange, inattendue:
Il trouva, cet heureux chercheur,
Une peau de loutre perdue
Tout récemment par un chasseur.
Elle lui faisait à merveille,
Sauf à la place de l'oreille,
Mais il n'en eut aucun souci
Et crut pouvoir rester ainsi.
Il avait raison, j'imagine,
Car on ne peut assurément
Se transformer absolument;
Quelque chose toujours trahit notre origine.
Donc notre lièvre fat,
Prenant son exeat,
Sortit de sa famille en son nouveau costume,
De la loutre suivit assez bien la coutume,
Et se donna beaucoup de mal
Pour se faire passer pour un noble animal.
Ses oreilles souvent excitèrent le rire
De son adoptive tribu,
Mais on ne voulut pas, toutefois, le proscrire,
Vu qu'il était fort bien vêtu.
C'est ainsi parmi nous que l'amitié s'exerce
A l'égard du sot parvenu;
On voit bien l'oreille qui perce,
Mais l'on préfère, c'est connu,
La sottise bien équipée
A l'esprit en veste râpée.
Tous les ambitieux qui trahissent leur caste
Et pour leurs vieux amis n'ont plus aucuns égards,
Tous les sots vaniteux qui recherchent le faste
Et veulent sur leur tête attirer les regards,
Ne sont pas fortunés, vous pouvez bien m'en croire,
Comme le lièvre fat dont j'ai redit l'histoire
Dans le fabliau précédent.
Et, pour prouver ce que j'avance,
Comme fait un homme prudent,
Je vais vous raconter, ce n'est pas médisance,
Un fait que vous pourrez redire à votre tour.
Un corbeau des plus noirs, déjà sur le retour--
C'est dire qu'il passait la moitié de la vie--
N'avait pu dominer un sentiment d'envie
A l'égard des oiseaux au plumage éclatant.
Il croyait que le sort l'avait, hélas! fait naître
Le plus laid d'entre tous et le moins important,
Il se trompait beaucoup; car il faut reconnaître
Qu'il n'est pas du tout laid et qu'il est le plus fin:
Mais quand l'envie aveugle elle vous rend injuste.
Continuons enfin.
Notre corbeau rêvait, perché sur un arbuste,
A son humble condition,
Ne faisant pas attention
Aux chasseurs qui rodaient avides de carnage
Dans le voisinage.
Non, les chasseurs des champs
N'étaient pas si méchants
Et je les calomnie.
Ils virent en effet le vaniteux corbeau,
Mais poussèrent la vilenie
Jusqu'à ne pas le trouver beau,
Et s'en allèrent en silence
Sans troubler son obscure paix.
Le corbeau, cependant, en rêvant d'opulence,
S'envola vers un bois épais,
Et là, par un hasard qui me semble assez drôle,
Il trouva, suspendue à la branche d'un saule,
La dépouille d'un perroquet..
Il en fut enchanté, retrouva son caquet
Et se mit à jaser en tâtant chaque plume..
--Celle-ci, disait-il, va faire, je présume.
Un collier de pourpre à mon cou;
Cette grande donne à mon aile
Une envergure solennelle:
Et cette autre, où la mettrai-je? où?
Sur ma tête même,
Comme un diadème!
C'est bien cela.
Et celle-là?
Oh! cette longue bleue,
C'est toute une queue!...
Tout en monologuant,
Le pauvre extravagant
Se hâtait d'ajuster cet éclatant mélange
Et de plumes et de couleurs.
Il pensait que les oiseleurs
Seraient bien étonnés de son aspect étrange.
Il ne se trompait point: les chasseurs, l'ayant vu,
Se dirent tout remplis de joie
Que c'était, une rare proie;
Et l'un d'eux, épaulant pour ce coup imprévu
Son arme meurtrière,
Tira d'aplomb,
Et le pauvre corbeau finit là sa carrière:
Il tomba tout criblé de plomb...
Plus d'un, en se parant d'un éclatant plumage
Qui ne devait pas être sien,
Souffre, hélas! un mortel dommage
Et dans son âme et dans son bien!
Un soir que l'océan roulait vers son rivage,
Avec un bruit sauvage,
Ses flots tumultueux,
Des aigrettes de flamme, au milieu des ténèbres,
Dansaient de toute part, sur les vagues funèbres
Et dans les vents impétueux.
C'étaient les feux Saint-Elme et les feux Sainte-Claire
Joyeux et vifs,
Ils s'approchèrent des récifs
Où brillait chaque nuit un phare solitaire.
--Pourquoi ne viens-tu pas avec nous voltiger?
Dirent-ils d'un ton léger
A l'immobile lumière;
Toi qui pourrais gaîment comme nous flamboyer
Comment peux-tu dans ce foyer
Demeurer ainsi prisonnière?
Le phare répondit:
--Pendant qu'en gais faisceaux
Vous jouez dans les mâts des malheureux vaisseaux
Qui courent au naufrage,
Moi je reste sur le rocher
Pour leur défendre d'approcher.
Je rends l'espoir et le courage
Au matelot qui craint la mort;
J'éloigne le danger et je montre le port.
Les vains sectaires de ce monde,
Avec leurs doux enseignements
Qui changent à tous les moments,
Sont pareils à ces feux qui voltigent sur l'onde.
Seul il était hier, seul il sera demain,
Sur son roc éternel, le dogme catholique
Ce phare symbolique
Qui guide dans la nuit le pauvre genre humain.
Une rose,
Nouvellement éclose
Au souffle de matin,
Mollement se berçait dans un pré de satin,
Parmi cent autres fleurs aux teintes les plus douces,
Parmi le vert gazon et les légères mousses
Un papillon la vit et en devint amoureux.
Ces charmants êtres-là--non pas que je les blâme--
Dans une petite âme
Renferment de grands feux;
Mais ils sont inconstants presqu'autant que les hommes,
Et nous sommes
Bien plus coupables qu'eux,
Je l'avoue à ma honte.
Cessons de commenter. Allons, ma muse conte,
En peu de mots si tu le veux,
L'histoire tant redite
De la rose et du papillon.
Que chacun la médite
Et craigne de l'amour le cuisant aiguillon.
Mon papillon aima. C'est bien dans sa nature,
La douce créature!...
Allons! encore une réflexion!
Vite, à la question.
Il aima follement comme toute jeunesse,
Et la rose, sensible à sa brûlante ardeur,
Prit un éclat nouveau, comme fait la pudeur
Qui devient larronesse,
Ce que se dirent ces amants
Dans leurs chastes embrassements
Je l'ignore.
Le papillon partit, plus il revint encore,
Et la fleur
Lui donnait chaque jour le parfum de son coeur
Et la fraîche rosée
Que l'aurore avait déposée
Dans son calice vermeil;
Et lui, plein d'un amour pareil,
De son aile dorée à la fière corolle
Faisait une vive auréole.
Un jour il ne vint pas,
Et la rose, alarmée,
Ne pouvant voler sur ses pas,
Pencha sa tête parfumée...
Longtemps elle attendit son amoureux divin,
Longtemps ce fut en vain,
Elle perdit son doux arôme
Et jusques au loin, sur le chaume,
Ses pétales de feu s'en allèrent mourir.
A l'heure où les derniers allaient aussi périr,
Elle vit se traîner tout près, dans l'herbe tendre,
Un insecte chétif.
Son aile dévastée essayait de se tendre
Et ne le pouvait plus. Il arriva plaintif
Au pied de sa tige penchée
Et demi-desséchée...
C'était le papillon ses dernières amours!
D'une lampe, le soir, il avait vu la flamme,
Il avait d'une lampe écouté les discours:
C'était peut-être infâme,
Mais j'ose l'excuser.
La lampe le brûla dans son premier baiser.
La rose mourante l'accueille
Avec bonté pourtant,
Et lui fait un abri de sa dernière feuille,
Parce qu'il était repentant.
La rose qui reste à sa tige,
C'est l'amour qui remplit sa noble mission,
La lampe, c'est la passion
Qui donne le vertige;
Le papillon, c'est nous,
Nous pauvres fous.
Qui nous moquons de la constance
Pour voltiger à l'abandon!
Heureux lorsque la repentance,
Nous ramène blessés et nous vaut le pardon!
Un jeune chat venait de prendre
Une souris;
Il en sautait de joie, et ça peut se comprendre,
Vu qu'il n'avait jamais rien pris.
Il était demeuré jusqu'alors à l'étude
De son métier,
Avait été nourri par la sollicitude
D'un vieux chat du quartier;
Car l'histoire rapporte
Que sa mère était morte
En allant à la chasse au milieu des fourrés.
Les détails de sa mort n'ont pas été narrés.
Donc notre petit chat, tout fier de son adresse,
Voulut prolonger son plaisir
En tachant pour la ressaisir,
Avec plus d'art que de tendresse,
La souris qui tremblait de peur.
Il avait, je suppose,
Vu pratiquer la chose
Au vieux chat son tuteur.
Il la faisait sauter au dessus de sa tête
Ou bien rouler à quelques pas,
Et la pauvre petite bête
Tentait de s'échapper mais ne le pouvait pas,
Car la griffe aiguisée
La reprenait toujours.
Elle était épuisée
Et n'espérait plus de secours,
Quand son jeune ennemi, trop grisé par la joie,
Avant du lui croquer le cou,
Pour lui rendre l'espoir, cruellement l'envoie
Rouler au bord d'un trou.
--Je suis assez habile,
Se disait-il d'un ton badin,
Pour la prendre avant qu'elle file
Par ce nouveau chemin.
Pour moi c'est double fête,
En vérité,
Que de la prendre encor pendant qu'elle s'apprête
A jouir de la liberté,
Et c'est pour elle
Peine deux fois mortelle.
Il se trompa;
La souris s'échappa.
Il faut bien quelquefois infliger des supplices;
C'est un devoir des plus touchants;
Mais il faut se garder de mettre ses délices
Dans les angoisses des méchants.
Un laboureur, honnête homme et chrétien fidèle,
Qui s'agenouillait chaque jour
Et croyait bonnement que l'âme est immortelle
Et doit quitter ces lieux pour un autre séjour;
Un brave laboureur, vous dis-je,
Qui ne demandait au Seigneur,
Pour croire au céleste bonheur,
Aucun autre prodige
Que le spectacle radieux
Que le ciel fuit éclore
Au couchant, à l'aurore,
Chaque jour sous nos yeux;
Un laboureur achevait ses semailles,
Quand il vit arriver au milieu de ses champs
Un soi-disant athée, un de ces sots tranchants
Qui veulent enlacer les autres dans leurs mailles.
L'angelus du midi, dans le même moment,
Sonnait à l'église voisine;
Le semeur se signa, puis, fort dévotement,
Se mit à réciter la prière divine.
--Pourquoi ce signe de la croix?
Fit le libre penseur en éclatant de rire:
Est-ce que vraiment tu crois
A ce que tu viens de dire?
--Et pourquoi, mon ami, n'y croirais-je donc pas?
Répondit aussitôt le laboureur modeste.
--Parce que Dieu, comme le reste,
Nous embarrasse à chaque pas.
--Cet embarras, pourtant, malheureux incrédule.
N'en existe pas moins quand, pour ne pas le voir,
Votre esprit fier recule
Ou se couvre d'un bandeau noir.
--Tout ça ce sont des mots; à la mort tout s'efface:
Pour la terre on est fait; c'est ici notre place
Et pas ailleurs.
Le tombeau ne rend pas, tu le sais, sa poussière,
Et la vie en la mort s'engloutit tout entière.
--Revenez dans deux mois; à vos accents railleurs
Je crois que je pourrai répondre.
L'incrédule partit: il était généreux.
--Vraiment, se disait-il, ces pauvres malheureux
class="i4" Sont bien faciles à confondre.
Il revint au temps dit; c'était à la moisson.
--Eh bien! commença-t-il, eh bien! pieux garçon,
Je viens chercher votre réponse.
--Interrogez mon champ, c'est lui qui la prononce.
--Mais je l'écoute en vain.
--Vous avez vu ce grain.
Je l'ai mis au printemps dans une chaude terre;
Il a semblé pourrir; tel ne fut pas son sort:
Un germe plein de vie est sorti de la mort...
Voyez ce champ superbe, expliquez ce mystère.
L'homme est plus qu'un vil grain, vous savez bien cela
Comment pouvez-vous donc jamais nommer chimère
Son espoir de sortir d'une tombe éphémère?...
C'est ma seule réponse; allez, méditez-la.
--Je veux aller plus loin, dit la mer orgueilleuse
Au rocher debout sur ses bords;
Abaisse-toi, sinon... Je ne suis point railleuse,
Et j'éprouve comme un remords
De m'être tant de fois à tes pieds endormie.
Tu pourras me compter comme ton ennemie
Si tu ne me laisses courir
Où le doux caprice m'entraîne.
Abaisse-toi, te dis-je, ou tu vas encourir,
Pauvre roc, ma profonde haine.
--A ma place je suis, j'y reste par devoir.
Répondit le rocher sans du tout s'émouvoir
Si j'allais obéir, ajouta-t-il, tes ondes
Couvriraient les plaines fécondes
D'un immense voile de deuil,
Et je deviendrais ton complice:
Renonce à ton caprice,
Car je suis le seuil
Que tu ne peux franchir, ô mer impérieuse.
Jusqu'en ses profondeurs la mer frémit alors:
Elle fit tout à coup de suprêmes efforts
Et s'en vint furieuse,
Dans un terrible choc,
Se briser en hurlant sur l'immobile roc.
Quelque place qu'on vous confie,
Faites votre devoir et demeurez sans peur.
La menace ne terrifie
Que l'infidèle serviteur.
Un singe de courte stature,
Mais de grandes prétentions,
Gardait rancune à la nature
De son manque d'attentions
Et cherchait toujours dans sa tête
Le bon moyen de s'élever.
--Je l'ai! dit-il un jour, je l'ai! que je suis bête
De si longtemps rêver!...
C'est bien simple: je vais monter sur des échasses.
Mais il est un danger, je crois:
Sous mes petites jambes grasses
Ou verra mes jambes de bois.
Bah! j'ai de bons amis qui, moyennant salaire,
Pour cacher ce beau truc se tiendront près de moi.
Ils vanteront ma taille et mon bras musculaire,
Et moi je me tiendrai bien coi.
L'idée était originale
Et le singe orgueilleux en sut tirer profit.
Il trouva l'amitié vénale!
Qui le bouffit.
Lorsque l'on vous dira qu'un homme vous surpasse
Et que devant son nom tout nom s'anéantit,
Regardez avec soin au tour de passe-passe,
Car tel qui paraît grand est parfois bien petit.
La grive est d'une humeur sauvage et d'un coeur tendre;
Elle aime la retraite et res'e au fond des bois:
C'est là qu'elle nous fait entendre
Des sons aussi moelleux que les sons du hautbois.
La corneille, au contraire,
Dont la voix est si laide et l'esprit si rusé,
Semble surtout se plaire
Près de l'homme civilisé.
Peut-être qu'après tout elle se croit de force
A lutter quelquefois de finesse avec lui;
L'orgueil est une amorce,
Même pour l'oiseau d'aujourd'hui.
Quoiqu'il en soit, une corneille
Qui n'avait pas mauvaise oreille
Et ne manquait pas de bon sens,
Honteuse de ses laids accents,
Eut une idée originale.
Or, la voilà qui prend son vol,
Et, rasant le sol
D'une aile matinale,
Elle se rend à la forêt,
S'enfonce loin et puis arrive
Sur un érable vert où nichait une grive.
--Il y va de ton intérêt,
Dit-elle à l'oiseau solitaire,
Quitte ce désert sombre. Il vaut autant se taire
Que de chanter ainsi quand personne n'entend.
Viens, je connais des lieux où l'on sera content
D'applaudir, mon amie, à ta voix merveilleuse,
La pauvrette écouta la corneille orgueilleuse
Et se laissa persuader.
Au milieu d'un jardin, en lissant leur plumage,
On les vit, peu d'instants après, se hasarder.
--Fais maintenant ton doux ramage,
Dit la corneille, et cache-toi
Pour qu'on ne puisse pas te prendre,
Seule je vais m'exposer, moi,
Et je t'avertirai si l'on vent nous surprendre.
La grive obéit sur le champ,
Et son doux chant
Attira sur les lieux une foule nombreuse.
La peureuse
S'était fort bien cachée; on ne la voyait pas.
On voyait seulement la corneille méchante
Qui simulait, sans embarras,
Les gestes d'un oiseau qui chante
Et se gaudit.
Ce fut elle qu'on applaudit.
Beaucoup chantent ainsi par la bouche des autres,
Qui ne sont pas des oiseaux. Ils ont un air heureux.
A défauts de talents ils empruntent les vôtres:
Ils expriment pour nous ce qu'on pense pour eux.
La chose pourtant, je l'avoue,
N'a pas de probabilité,
Et l'on va croire que je joue
Avec votre crédulité;
Il n'en est rien, je vous l'assure,
Et l'histoire improbable est sûre.
Pour la comprendre tout d'abord
Et lui trouver de la justesse,
Il faut savoir qu'un loup ne mord
Que si la faim le presse.
Partant de cette vérité
On verra, je l'espère,
Que le loup qui fait bonne chère
Doit avoir de l'humanité.
Donc ce brigand de quadrupède
Qu'on nomme mangeur de moutons
Courait, hurlant sur tous les tons
Et cherchant un remède
Qui put à son mal mettre fin.
Ce mal, passager d'ordinaire,
N'était pas, certes imaginaire,
C'était la faim.
Pour calmer un peu ses supplices,
Ce loup efflanqué
N'aurait pas manqué
De déchirer avec délices
Le plus chétif agneau,
N'eut-il eu que la peau.
Mais le chien faisait bonne garde
Aux étables et dans les clos.
Il peut devenir un héros
Celui-là que la faim poignarde...
Las de guetter l'occasion,
Notre loup finit par comprendre
Qu'il devait autrement s'y prendre
Et risquer une invasion.
Que l'on soit loup, que l'on soit homme,
Il faut manger;
La vie à cela se consomme;
Tanner n'y pourra rien changer.
Il aborda, la gueule ouverte
Et d'un air bien détermine,
Un troupeau qui dans l'herbe verte
Faisait sieste après dîné.
Le chien accourut tout de suite,
Mais, le loup ne prit point la fuite;
Il fallut donc parlementer.
--J'ai faim, je mange, dit le fauve,
Rien qu'un mouton et je me sauve:
Je suis facile à contenter.
--Qu'à pas un ta griffe ne touche,
Répliqua le cerbère, ou bien...
Cet «ou bien» avait l'air farouche,
Mais le loup ne fit cas de rien
Et continua sa menace.
Le chien qui n'était pas bonasse
Se creusa le cerveau
Pour trouver un moyen nouveau
De protéger la bergerie.
--Vous avez faim? dit-il au loup;
Si ce n'est point plaisanterie
Je vous ferai manger beaucoup
Et j'adoucirai votre peine:
Enrôlez-vous dans mon troupeau,
Allez paître au son du pipeau
Et vêtez la robe de laine;
Cela vaudra mieux, bien des fois,
Que de courir, avide
Et le ventre vide,
A travers champs et bois.
--Je crois que votre offre est honnête
Et je l'accepte franchement,
Répondit la prudente bête,
Tout en souriant méchamment;
Je vous demeurerai fidèle
Puisque je serai bien nourri;
Je vais être un agneau modèle,
J'en ferais le pari.
Combien ainsi font du tapage
Jettent au vent page sur page,
Menacent de tout fracasser,
Mais qui perdent leur violence
Et gardent un prudent silence
Dès qu'on offre de les placer!
Souvent, presque toujours les loups naissent et meurent
Avec leur goût sauvage et leurs grands appétits:
Les hommes font-ils mieux? Fort souvent ils demeurent,
Au déclin de leurs jours, ce qu'ils étaient petits.
Je connus un vieux loup cependant,--par ouï-dire,--
Qui vécut longtemps mal, comme font tous les siens,
Dévora maint agneau, croqua même des chiens,
Et qui finit par s'interdire
Le moindre petit coup de dent,
Ainsi son repentir était bien évident
Dès qu'il changea de vie
Il fut bien obligé de fuir la compagnie
De ses camarades des bois,
Car il aurait hurlé, pour le sûr, quelquefois
S'il n'eut pas fait ce sacrifice:
L'occasion, l'exemple, et puis l'heure propice...
Il trancha dans le vif et voulut être agneau;
C'était assurément le parti le plus beau.
C'est ainsi qu'il faut faire:
Ou tout ou rien.
Demi-conversion n'est jamais salutaire
Et ne fait aucun bien.
On le vit à regret, malgré son air austère,
Dans le pacifique troupeau;
Car on ignorait si, tout en changeant de peau,
Il avait, en effet, changé de caractère.
Mais un jour il prouva sa droiture de coeur
Par une admirable conduite:
Attaqué par des loups, il les mit tous en fuite
Et demeura vainqueur.
En voyant un mouton d'une force pareille,
Les vieux loups, en effet, s'étaient dit à l'oreille
Tout à coup:
Sauvons-nous, c'est l'agneau qui mange ici le loup!
Le persécuteur que la grâce éclaire
Et met à genoux dans l'humilité,
Devient fort souvent l'appui tutélaire
De la vérité.
Un castor bon enfant, un jour, prêta l'oreille
Aux paroles d'un loup cervier.
Il s'agissait d'éteindre une haine bien vieille
Et d'échanger enfin la branche d'olivier.
La pensée était bonne et la chose, facile;
Mais notre loup cervier qui faisait le docile
Avait un but inavoué
Qu'il cachait avec artifice;
Il voulait s'assurer, je crois, le bon office
D'un esclave tout dévoué,
Plutôt que l'amitié constante
D'un compagnon,
Fut-il et fidèle et mignon.
C'était une affaire importante
Que l'oubli du passé,
Et le lynx empressé
En convenait de bonne grâce.
Il n'avait pourtant pas qu'un tour de passe-passe
A se faire pardonner.
Il vit toutefois sans surprise
Le succès couronner
Sa nouvelle entreprise.
--Or,
Pour sceller l'amitié l'on pourrait, ce me semble,
Chasser ensemble,
Proposa-t-il au castor.
--Que votre intelligence, ô mon cher, est féconde!
Fit le castor ému--commençons nos travaux:
Nous irons par monts et par vaux:
Moi je nage fort bien, je chasserai dans l'onde
Et vous procurerai les poissons les plus frais.
--Les fruits des bois ont-ils pour vous quelques attraits?
Reprit le loup-cervier, vous en aurez de reste,
C'est moi qui vous l'atteste,
Car je grimpe aisément, vous ne l'ignorez pas,
Sur les plus hautes branches.
Je vous offrirais bien, chaque jour, aux repas,
De la chair en épaisses tranches,
Mais vous n'en mangez pas du tout.
Ils partirent enfin, rôdant un peu partout,
Mais plus souvent sur le bord des rivières.
Le loup-cervier mangeait, du meilleur appétit
Et sans faire trop de manières,
Le gros poisson et le petit.
--De la société je porte seul les peines,
Lui dit bien poliment le castor aux abois;
Soyez plus généreux; rentrons dans les grands bois,
Montez sur quelque hêtre et donnez-moi des faines.
--Des faines? j'y pensais; ça fera changement.
Ils marchaient lentement,
Car les pieds du castor n'ont pas grande vitesse.
Après de longs circuits,
Ils trouvèrent un hêtre assez chargé de fruits.
Le loup cervier, avec prestesse,
Grimpa sur les rameaux et se mit à manger
Sans songer
A son camarade.
--Vous ne m'en donnez pas? demanda celui-ci.
--Ta santé délicate est mon plus grand souci,
Et je crains que ce fruit ne te rende malade...
Il ne faudrait qu'un accident,
Répondit le lynx impudent.
--C'est vrai, fit le castor, j'en souffrirais peut-être;--
Il cachait son dépit sous des dehors sereins.
--Je vais gruger l'écorce.
Or, il coupa le hêtre.
Le loup-cervier tomba puis se brisa les reins.
La haute opinion que l'on a de soi-même
Nous empêche souvent de voir les qualités
Des amis que l'on a lâchement exploités;
Mais quelque circonstance extrême
Nous fait toujours voir, à la fin,
Que pour être plus fourbe on n'est pas le plus fin.
(A MES ENFANTS)
Bien des fabulistes,
Profonds moralistes,
Ont avant moi conté, dans leurs vers séduisants,
Ces histoires naïves
Prises dans les archives
Des esprits sérieux et des coeurs bienfaisants.
Auprès de leurs travaux bien humble est mon ouvrage
Et je sens quelquefois s'affaisser mon courage.
Laisserai-je pourtant mon livre inachevé?
Comme le grain de sénevé
Il deviendra peut-être un arbre au rameau sombre
Qui prêtera son ombre
Au voyageur fatigué.
Ecrivons donc encor: que m'importe le blâme
Si mes récits, enfants, charment votre jeune âme?
Parmi les ennuyeux si je suis relégué,
J'aurai pour m'excuser le désir de vous plaire
En vous donnant de bons conseils.
Vous m'offrirez vos fronts vermeils,
Je les embrasserai, ce sera mon salaire.
Je vais dire aujourd'hui l'histoire d'un coquin;
Une assez longue histoire
Que vous conserverez bien dans votre mémoire,
Car on ne la trouve plus, même dans le bouquin.
Le coquin dont je parle était un jeune lièvre.
C'est drôle, n'est-ce pas? et l'on n'aurait pas cru
Que ce triste animal put avoir un mot cru
Sur la lèvre
Et de l'audace dans le coeur,
Drôle si vous voulez, c'était un escroqueur.
Il est vrai qu'il était sauvage,
Qu'il habitait un trou pratiqué dans le sol;
Mais cela n'explique point son grand penchant au vol;
Car nul ne fait plus grand ravage?
Dans le domaine du prochain
Que l'homme,--
L'homme civilisé, s'entend,--soit qu'il se nomme
Sujet ou souverain.
Fatigué de ronger des bourgeons d'épinette,
De gruger du sapin,
Notre héros, un bon matin,
Quitta sa maisonnette--
Si l'on peut d'un tel nom appeler un vil trou.--
Il ne savait ni peu ni prou
Vers quels lieux diriger sa course;
Mais le hasard est la ressource
De ceux qui n'en ont pas.
Tout en réfléchissant, il dirigea ses pas
A travers champs, vers une étable.
Il fut bien inspiré,
Car, à peine est-il entré,
Qu'un rat qui se mettait à table
L'invite à s'approcher et lui présente un oeuf.
Le lièvre trouve exquis ce mets tout à fuit neuf,
Le dévore,
Puis en demande encore.
Le rat hospitalier,
Entrouvrant son cellier,
Lui fit voir que chez lui se trouvait l'abondance.
--Je voudrais
Des oeufs frais,
Dit le petit intrus avec outrecuidance.
--Comme on est en été,
Lui répondit le rat, vous en aurez sur l'heure,
Même à satiété;
Restez dans ma demeure,
Je vais vous en chercher.
Puis il sortit pour dénicher
Les poules sur leurs nids de paille.
Trouvant amusant d'être ingrat,
Le lièvre fit ripaille
En l'absence du rat,
Et vers les bois, ensuite,
Prit la faite.
Il ne se montra plus qu'aux jours froids de l'hiver,
Car, l'hiver arrivé, sa robe devint blanche.
Et puis il aimait moins le bourgeon de la branche
Et le trouvait parfois amer.
Les oeufs étaient si bons! L'eau venait à la bouche
Rien que d'y penser.
Et le rat, loin d'être farouche,
Semblait aimer un peu qu'on l'aide à dépenser.
--Pourquoi ne tenter pas cette bonne aventure,
Se dit-il, encore une fois?
Monsieur le rat est trop courtois
Pour oser soupçonner dans ma blanche fourrure
Le lièvre gris qui l'a triché.
Mettons sa finesse à l'épreuve;
Quand on a fait peau neuve
On peut impunément refaire vieux péché.
Il part donc, sautant sur la neige,
Et chez le rat s'en vient frapper.
Celui-ci lui présente un siège
Mais ne parle point de souper.
La faim inspire de l'audace
A l'animal le plus prudent.
--Donnez-moi donc de quoi me mettre sous la dent,
Demande, sans préface,
Le visiteur ahuri.
--Je n'ai qu'un oeuf pourri
Que m'a laissé naguère un hôte malhonnête,
Un lièvre gris.
--C'était un malappris,
Fit aussitôt le lièvre en secouant la tête,
Et si je le rencontre un jour
Il paiera cher ce vilain tour.
--Vraiment, votre bonté l'emporte,
Et je vous dirai franchement
Que j'ai des mets d'une autre sorte,
Reprit le rat tout bonnement.
--Je crois votre cave garnie,
Et je vous jure que j'ai faim,
Continua l'hôte canaille et fin.
--Mangez donc sans cérémonie,
Quelques uns de ces frais biscuits.
--En passant j'en ai goûté d'autres;
Je ne sais s'ils valent les vôtres,
Mais ils me parurent bien cuits.
--Où cela, mon ami, dans la maison voisine?
--Eh oui! précisément, votre flair le devine.
--Je cours en chercher deux, ce sera le dessert.
--Vraiment vous me comblez, mais faites diligence,
Sinon je penserais qu'on vous a découvert;
Et j'aimerais bien mieux mourir dans l'indigence
Que de vous perdre ainsi.
--Mon cher, soyez tranquille,
Je suis assez habile
Pour revenir ici:
Je ne crains ni piège, ni dogue.
Après ce petit dialogue
Le rat obligeant s'éloigna.
Quand il revint le cellier était vide.
Il s'indigna.
Mais le lièvre perfide,
Objet de son doux soin,
Etait déjà bien loin.
Tromper une âme droite
N'est ni malaisé, ni nouveau;
Celui qui vous exploite
Sait quand il doit changer de peau.
Il vaut mieux, au jeu, quoiqu'on dise,
Etre floué qu'être floueur,
Si le premier y perd sa mise
Le second y perd son honneur.
Dans l'humble fable qui précède
Je vous ai montré, mes enfants,
Que le bon quelquefois le cède
Aux mauvais qui sont triomphants,
N'allez pas en conclure
Qu'il en doit toujours être ainsi,
Et que le coquin endurci
N'est pas gêné parfois dans sa coupable allure.
Le contraire arrive partout;
On se prend dans son propre piège;
On veut laisser d'autres debout
Et l'on perd soi-même son siège.
D'une chauve-souris
Ecoutez l'aventure;
Votre douce nature
Lui prêtera le coloris.
--Je ne suis point, mes soeurs, vile, ni flagorneuse;
Je ne viens point faire ma cour--
Dit la chauve-souris, un jour,
En pliant avec soin son aile membraneuse,--
Or, les moineaux, nos ennemis,
M'ont, tout à l'heure encor, promis
De me faire heureusement vivre,
Si je voulais ici les suivre
Pour vous déposséder;
Mais je ne veux pas les aider.
C'était aux souris véritables
Que la chauve-souris parlait comme cela;
Elle ne contait là
Que des mensonges détestables,
Et désirait pour ce brandon
Un prix quelconque, un léger don.
Elle l'obtint à l'instant même.
Ensuite elle vola vers les petits moineaux,
Et, se servant toujours du même stratagème:
--Mes frères les oiseaux,
Vous connaissez, dit-elle,
Mon amitié fidèle;
Défiez-vous sans cesse ou vous êtes finis:
Les souris ont juré de surprendre vos nids.
Elles ont osé tout promettre
Si je voulais enfin dans leurs mains vous remettre;
Je leur ai montré du courroux,
Car je suis oiseau comme vous.
Cette nouvelle fourberie
Eut aussi beaucoup de succès.
On la paya sans ladrerie;
Et puis on tint un grand congrès
Comme moineau n'en voit plus guère.
Il y fut décidé d'aller porter la guerre
Chez les souris sans foi.
Comme on allait prendre les armes,
On entendit de grands vacarmes
Et le camp fut rempli d'émoi.
Or, les souris guerrières
Avaient pris les devants:
Leurs bataillons mouvants
Couvraient des toises entières.
Cependant les moineaux dépêchent des courriers,
De la cime de leurs arbustes,
Pour dire à l'ennemi que les nobles lauriers
Ne se cueillent jamais dans les guerres injustes.
Les souris font de même avant que d'attaquer;
De sorte que bientôt tout vient à s'expliquer.
Redoutant la potence, alors, la souris-chauve
Vers des murs en ruine avec hâte se sauve.
Et depuis ce jour-là, cachée en son réduit,
L'infortunée
Passe à trembler de peur chaque longue journée,
Et n'ose sortir que la nuit.
Un moment de folie, hélas! fait souvent naître
De longs jours de regrets.
La honte, pour le traître,
Suit la gloire de près.
Sous les chaudes haleines
Et sous le soleil du printemps,
Le froment dans les plaines
Avait germé depuis longtemps;
Les tiges gracieuses
Déjà se couronnaient d'épis
Et s'étendaient soyeuses
Comme de grands tapis.
Mais l'ivraie,
Jalouse de voir le bon grain
S'emparer du meilleur terrain,
Quand au bord de la haie
On la reléguait sans merci;
L'ivraie alors voulut aussi
Dans le sillon fertile
Avoir place comme le blé.
Sa parole est subtile:
Elle prit un air accablé,
Un regard fort modeste,
Et dit aux épis ses voisins,
Avec un noble geste:
--Vous me traitez bien mal, cousins,
Et vous m'en voyez désolée:
Je ne veux plus vivre isolée.
A partir d'aujourd'hui,
Pour chasser mon ennui,
Nous filerons la vie ensemble,
Qu'en dites-vous?
--Vraiment, ma petite, il nous semble
Que pour nous tous
L'existence serait plus gaie
Si nous nous voyions un peu plus,
Dirent quelques épis émus.
--Votre remarque est juste et vraie;
Je l'attendais en vérité
De votre grande aménité,
Reprit l'ivraie avec audace;
Laissez-moi prendre à vos côtés
Une toute petite place,
Vous serez fiers de mes bontés.
Séduits par ses belles paroles,
Les épis jeunes et frivoles,
Ne voyant rien de hasardeux,
La gardèrent au milieu d'eux.
Ils connurent leur imprudence
Quand l'ivraie, avec impudence,
Pendant qu'ils souffraient, reverdit
Et jusqu'au loin se répandit,
Fouillant le sol de sa racine,
Mais il était trop tard, hélas!
Il leur fallut, l'âme chagrine,
Attendre le van et le sas.
N'acceptez pas toujours l'amitié qu'on vous donne;
On vous flatte souvent pour mieux vous pénétrer.
On vous demande un coin dans votre âme trop bonne
Et l'on règne en tyran dès qu'on y peut entrer.
La gourmandise, d'ordinaire,
Est la passion, de l'enfant,
Qui prête un charme imaginaire
Au fruit qu'on lui défend,
A ce mal donnons le remède
En la convenable saison,
Mais il ne faut pas qu'on excède
Ce que demande la raison.
Un enfant renommé pour sa gloutonnerie
Et ses mauvais desseins,
Découvrit des essaims
Cachés dans les buissons, au bord de la prairie:
--Du miel! s'écria-t-il, et pour un bon repas!...
L'eau m'en vient à la bouche!...
C'est à peine chez nous si l'on veut que j'en touche;
J'en goûte un peu parfois, mais je n'en mange pas.
Sur un tronc, aussitôt, lestement il se juche
Et porte sur la ruche
Une indiscrète main.
Une abeille, soudain,
Lui dit, tout en colère:
--Va-t'en, petit gourmand;
Peux-tu croire, vraiment,
Que ma bonté tolère
Une telle action?
Tu mérites punition.
Et, sans attendre de réplique,
Dans son transport
Elle le pique
En se condamnant à la mort.
Au pauvre donnez une obole:
Il est beau de s'apitoyer;
Mais contre l'effronté qui vole
Défendez bien votre foyer.
Sur le bord d'une route
Un épi de froment,
Né du hasard sans doute,
Se penchait tristement.
Il croissait dans la solitude
Et jamais la sollicitude
Ne l'avait protégé.
Il en était bien affligé,
Car il songeait qu'à la moisson prochaine
Le moissonneur ne prendrait pas la peine
De le recueillir,
Et que sur sa tige,
Sans aucun prestige,
Il faudrait vieillir.
Une implacable sécheresse
Vint ajouter à sa détresse;
Il crut bien qu'il allait périr
Avant de mûrir.
Heureusement qu'une fauvette
Quand le jour avait lui,
Venait chanter sa chansonnette
Auprès de lui.
--Toi dont le coeur est bon, entends ma voix plaintive,
Doux chantre ailé,
Lui dit-il désolé,
Va me chercher là-bas quelques gouttes d'eau vive,
Je voudrais vivre encor.
L'oiseau prit son essor
Et, d'une aile rapide,
A la source limpide
Vola, compatissant;
Il puisa quelques gouttes
Et vint les verser toutes
Sur l'épi languissant.
C'en fut assez. L'épi, sous la molle rosée,
Retrouva sa force épuisée
Et sa vigueur;
Il trouva l'existence un peu moins monotone
Et, lorsque vint l'automne
Avec sa rigueur,
Il était mûr, et sa tête superbe
Se balançait avec orgueil.
Alors il entendit, dans une touffe d'herbe,
Un chant de deuil.
Il écouta. C'était la fauvette obligeante.
--Qu'as-tu donc, lui dit-il d'une voix engageante,
Qu'as-tu donc à gémir ainsi?
--J'ai faim, répondit-elle, et cherche quelques graines...
Je voudrais voler loin d'ici
Et mes ailes sont vaines!
--Mes grains sont mûrs; viens près de moi,
Je te les donne
Et m'abandonne
A toi.
L'épi, vers la terre endormie,
A ces mots, s'inclina soudain,
Et la fauvette son amie
Ne mourut pas de faim.
Faites la charité, faites sans bruit l'aumône,
Pour Dieu d'abord et puis pour vous;
Car vous ne savez pas, fussiez-vous sur un trône,
Ce que vous garde un sort jaloux.
On croirait quelquefois que le songe est un leurre;
Il ne fuit pas toujours quand on est réveillé.
Je vais vous raconter sur l'heure
Comment un chat, jadis, sortit émerveillé
D'un songe assez plaisant qu'il paya de sa vie.
Vous demandez comment
Faute si faible fut suivie
D'un pareil châtiment.
C'est un sujet inépuisable
Où je ne suis guère entendu.
Comme dans bien des cas, l'innocent fut perdu
Et le tribunal, excusable.
Voici le fait:
Un chat d'une vertu fort bien enracinée,
Mais pas sans défauts tout à fait;
Ce qui n'est dans la destinée
Ni du chat,
Ni de l'homme;
Un chat qui ne portait ni cordon, ni crachat,
Mais qui valait, en somme,
Bien des chats décorés,
Vit un trou, dans une salle,
Où quelques rats s'étaient fourrés.
Aussitôt il s'installe,
Il se blottit, silencieux,
Guettant de la griffe et des yeux.
Mais la même pensée et la même posture
Endorment l'esprit et le corps;
Il s'endormit alors,
Et c'était le moment où les rats, d'aventure,
Sortaient du trou;
Ils s'échappèrent tous:
Or, lui, voilà qu'en songe
Il allonge
Et la patte et le cou,
Et chaque coup de griffe
Prend un rat impudent,
Et chaque coup de dent
Le biffe
Du nombre des vivants.
Dans ses rêves émouvants,
Il finit par tous les détruire.
«Emouvants» c'est le mot qu'il me faut pour traduire
De pareils songes, en effet,
Et ce n'est pas une cheville.
Notre chat, satisfait,
Se réveille, s'étire et se recroqueville;
Il se dit que jamais on ne vit coup pareil,
Et s'en va faire la sieste
Sur la porte, au soleil.
Les rats grugent partout: on les voit, on l'atteste;
Mais il n'en croit plus rien, il en a tant mangé.
C'est en ce moment-là qu'il fut pris et jugé.
Rêver, c'est fort plaisant, c'est une trêve
A la banalité;
Mais gardez-vous toujours de prendre votre rêve
Pour la réalité.
La cigale est railleuse
Et se plaît à chanter,
La fourmi, travailleuse,
N'aime pas plaisanter;
Elle est peu charitable
Et d'humeur intraitable,
Lafontaine l'a dit.
Et puis, s'il a médit,
L'illustre fabuliste,
C'est qu'il connaissait bien
La petite égoïste.
Travailler ne vaut rien
Si vous n'avez point d'ordre
Ou de noble dessein,
Si vous vous laissez mordre
Par l'amour d'un vil gain.
Chanter vaut quelque chose
Si l'on chante à propos:
Un chant gai nous repose
Et nous rend plus dispos.
C'est pourquoi la cigale,
Dans la belle saison,
Eut mille fois raison
De chanter, au scandale
De dame la fourmi.
C'est vrai qu'elle a gémi
Quand a soufflé la bise,
Mais il faut qu'on le dise,
C'est grâce, assurément,
Au mauvais sentiment
De la fourmi gorgée.
Ce que l'on ne sait pas, c'est qu'elle s'est vengée
En cigale de coeur;
Lisez, me voici chroniqueur.
Les cigales, prudentes,
Font entendre leurs voix stridentes
Dans les beaux jours d'été, quand les vives chaleurs
Rayonnent dans les airs et sur les champs en fleurs.
C'est toujours le beau temps que leurs chants nous annoncent;
L'homme et l'insecte, alors, se hâtent au labeur.
Mais quand se tait leur voix tous les sourcils se froncent
Et tout nuage nous fait peur.
Quand la chaude saison fut enfin revenue,
La cigale méconnue
Se cacha, sur un arbre épais,
Tout près de la fourmi qui travaillait en paix,
Puis, au lieu de chanter quand un soleil superbe
De ses rayons
Dans les sillons
Plongeait l'étincelante gerbe,
Elle chanta sous le ciel noir
A l'approche de l'orage.
Toujours trompée en son espoir,
La fourmi ne fit point d'ouvrage;
Et lorsque l'hiver arriva,
Bien rapide,
Son grenier se trouva
Presque vide,
Et ce fut à son tour, alors, de mendier.
Elle frappa chez sa voisine.
Où l'on faisait bonne cuisine.
Et se mit à psalmodier
Avec beaucoup de modestie,
Pour attirer la sympathie,
L'histoire de sa pauvreté.
--Votre sort ne fut point, sans doute, mérité?
Dit, d'une voix bénigne,
La cigale maligne
Que la fourmi ne reconnaissait pas.
--Si j'avais moins donné, reprit la mendiante,
Vous ne me verriez point, honteuse et suppliante,
De porte en porte ainsi traîner mes pas.
--Je vous crois bien, et je badine:
Mais venez; c'est l'heure où je dîne,
Et le dîner est servi.
La table était magnifique.
Le dîner fut suivi
De chant et de musique.
La fourmi cependant voulut prendre congé.
--Pas du tout, dit l'hôtesse;
J'en mirais bien de la tristesse;
Je vous garde avec moi, c'est un plan arrangé,
Jusqu'à ce que l'hiver avec son froid cortège
Soit loin de nous, jusqu'à ce que vienne l'été.
--Qu'ai-je fait pour qu'ainsi ta pitié me protège,
Et comment reconnaître tant de bonté?
--Sur la prairie
Toute fleurie
Si la cigale chante encor
Pour vous prédire un ciel longtemps d'azur et d'or,
Et que, venu l'hiver, elle quête une graine
Qu'elle aura, la pauvrette, oublié d'amasser,
Ah! ne vous montrez plus vilaine
Et ne l'envoyez pas danser!
Le premier imbécile
Fait le mal pour le mal et s'en vante, on le sait;
Mais une autre vengeance autrement difficile,
C'est de faire du bien à celui qui nous hait.
Tout au pied d'une côte altière
Une pierre
Reposait sur un sable fin.
D'un filet d'eau cherchant une nouvelle route
La première goutte
Arrive jusqu'au bord enfin,
Un instant se balance,
Puis s'élance
En bas.
Elle tombe au milieu de la pierre poreuse.
--Dis-moi donc d'où tu viens, dis-moi donc où tu vas,
Petite aventureuse,
Fit avec humeur celle-ci.
--Moi, je viens du nuage et je vais dans la terre
Que je désaltère.
--Tu ne pourras jamais t'y rendre par ici,
Te voilà presque desséchée.
--Si j'en suis empêchée
Une autre va venir,
Et si je m'évapore
C'est pour descendre encore;
Tu ne saurais tenir.
La pierre se moqua bien de cette menace;
Mais la goutte d'eau fut tenace;
Elle tomba, tomba toujours,
Jusqu'à ce que, pleine de joie,
Dans le coeur de la pierre elle eut trouvé sa voie
Et poursuivi son cours.
Priez avec constance,
Pauvres infortunés,
Et vous vaincrez la résistance
Des esprits les plus obstinés.
Dans une prairie
Flétrie
Souvent
Par l'haleine du vent
Et les ardeurs croissantes
Du soleil,
Quelques fleurs languissantes
Virent, à leur réveil,
Deux nouvelles fontaines
D'une eau limpide pleines
Jusques au bord.
Ce fut d'abord
Grande allégresse,
Et l'on rit de la sécheresse
Qui menaçait encor
De ralentir dans leur essor
Les jeunes tiges;
L'on crut que les derniers vestiges
Des jours mauvais
Allaient s'effacer à jamais.
L'une des fontaines profondes,
Gazouillant comme les oiseaux,
Promena parmi les fleurs blondes
Un joli filet de ses eaux;
Mais l'autre, qui craignait sans doute
De voir son lit se dessécher,
En refusa même une goutte
Aux fleurs qui venaient en chercher.
Cependant la fontaine pure
Qui s'épanchait dans la verdure
Ne tarissait aucunement;
Et par le ciel et par la terre
Lui revenait avec mystère
L'eau qu'elle donnait librement.
L'autre, qui n'aimait qu'elle-même
Et qui pouvait donner beaucoup,
Fut frappée, un jour, d'anathème
Et se dessécha tout à coup.
Donnez au malheureux et donnez avec joie,
Cela n'appauvrit pas: donnez à pleines mains;
Ce qu'on donne revient; c'est Dieu qui le renvoie
Par de mystérieux chemins.
Trois frères, une nuit, firent un même songe--
Le fait est certain;
Je me garderais bien de vous dire un mensonge,--
Or, dès le matin,
Chacun d'eux s'empressa de le conter aux autres.
Ces bons apôtres,
Qui pouvaient se damner pour une pièce d'or,
Avaient rêvé, que sur la cime nue
D'une montagne assez connue
Se trouvait un trésor.
Un seul d'entre eux, pourtant, en deviendrait le maître:
Celui-là qui, bien entendu,
Y serait le premier rendu.
Trois rêves si pareils, il faut le reconnaître,
Devaient venir d'en haut,
Et cela leur parut d'une grande évidence.
Chacun regretta bien alors sa confidence
Et se promit de partir au plus tôt.
Il arriva qu'ainsi tous les trois dans la plaine
S'élancèrent à la fois.
Ils coururent longtemps. Ils étaient hors d'haleine
Quand ils arrivèrent tous trois
Devant une large fissure.
Le premier fait un bond, sans calculer d'abord,
Et sa jambe, peu sûre,
Ne peut atteindre l'autre bord:
Il tombe dans le vide;
Le deuxième de peur s'arrête tout livide,
S'assied sur une pierre et longtemps reste là;
Le troisième, plus sage,
Cherche un passage
Qui le mène au delà,
Le trouve et gagne,
Par un sentier fort imprévu,
Le sommet de cette montagne
Où gît l'or précieux en son rêve entrevu.
N'agissez pas en téméraire,
Sans examiner le danger;
N'allez pas, non plus, vous ranger
Parmi ceux qui, tout au contraire,
Devant quelqu'obstacle puissant
Demeurent là tout gémissant.
Réfléchissez, je le répète,
Et quand vous aurez réfléchi
Cet obstacle qui vous arrête
Sera facilement franchi.
Un glouton affamé,--comme sont, d'ordinaire,
Ces malotrus
Qui s'occupent fort peu de notre art culinaire
Et nous mangent tout crus,--
Un glouton qui passait sous un noyer superbe,
Le nez bas, en sournois,
Aperçut une noix
Dans l'herbe.
La broyer sous ses crocs aussi durs que le fer
Fut l'affaire d'une seconde:
--Pouah! fit-il aussitôt, rouvrant sa gueule immonde,
Que ce fruit est amer!
Un petit écureuil à la mine friponne
Qui d'une branche à l'autre allait d'un bond léger
Lui dit alors:
--La noix est bonne,
Mais il faut savoir la manger.
Que d'appétits grossiers, par leur ardeur brutale,
Gâtent tout leur bonheur!
Combien ne cherchent pas sous sa rugueuse écale
L'amande pleine de saveur!
L'histoire de deux vases
Redite en quelques phrases
Que vous retiendrez bien.
Va vous faire comprendre
Ce qu'il vous faut apprendre
Dans ce court entretien.
Dans un boudoir, sur une table,
Parmi différents objets d'art,
Un vase d'argent véritable
Avait pour voisin, par hasard,
Un humble vase de faïence.
Le premier, joli, précieux,
Attirait sur lui tous les yeux;
Mais lorsque, plein de confiance,
Vous vouliez vous en approcher.
Et le toucher
De votre lèvre avide,
Vous le trouviez tout à fait vide;
Et l'autre, méprisé d'abord,
Etait malgré son apparence,
D'une suave essence
Rempli jusques au bord.
La beauté nous attire,
La vertu nous retient:
Devant l'âge qui vient
L'une, hélas! se retire,
L'autre reçoit du temps
Une vive auréole,
Et jamais ne s'envole,
Pour elle, le printemps!
Traînant avec lenteur sa glutineuse masse,
Une limace
Vient se coller sur un rosier,
Et, dans sa turpitude,
Prenant une fière attitude,
Lui crie à plein gosier:
--Un beau rosier, vraiment, qui n'a que des épines
Et quelques feuilles sans couleurs!
Dis donc, l'ami, quand on est sans fruits et sans fleurs
On ne craint guère les rapines;
On fait l'important néanmoins...
Tu ne veux point parler? Ne vois-tu pas, au moins,
Que je te souille?
Allons! grouille;
N'as-tu pas de souci?
Chasse-moi, si tu l'oses,
Ou demande merci.
Le rosier, entrouvrant ses roses,
Lui dit:
--Tes insolents discours
Ne nous empêchent pas, moi de fleurir toujours
Et toi, pauvre grossière,
De te traîner dans la poussière.
Derrière le nuage épais
Souvent un beau soleil se joue...
L'envie à la vertu jette parfois la boue,
La vertu cependant plane sur elle en paix.
Dans un petit bourg agricole
Deux gars s'en allaient à l'école
Leurs livres à la main.
Ils longeaient le chemin
Et, tenant un grave langage
Qu'ils ne comprenaient qu'à moitié,
Ils voulaient échanger le gage
D'une indissoluble amitié.
Tout à coup, dans le fond de l'herbe,
Tous deux virent un fruit superbe,
Une pêche pourpre et velours,
Jetant là des livres trop lourds,
Chacun d'eux se dépêche
De courir vers la pêche;
Mais, dans ce grand empressement,
L'un tombe avant d'être assez proche,
Et l'autre écrase dans sa poche
Le fruit qu'il serre étourdi ment.
Alors la querelle commence,
Et l'un dit avec véhémence
À l'autre, décontenancé:
--Oui, te voilà bien avancé!
Or, si tu m'avais laissé faire,
Je l'aurais partagée en frère.
Et l'autre, sur le même ton:
--Moi je ne suis pas si glouton;
Ecoute,
Je voulais te la donner toute.
Comme ils mentaient tous deux alors
En parlant ainsi de partage,
Ils se fâchèrent davantage.
L'un saisit l'autre à bras-le-corps
Et le pousse avec force
Contre un arbre à la frêle écorce.
L'arbre tremble et, sur le gazon,
Les pêches tombent à foison.
Devant une pareille aubaine
Les gars sentent mourir leur haine:
--Que nous sommes fous, dirent-ils,
Et peu subtils!
D'une façon grossière
Nous nous emportons;
Nous nous disputons
Un fruit tombé dans la poussière,
Pendant qu'un arbre auprès de nous
En porte tant et de si doux!
Si les hommes de tous les âges
Voyaient avec attention
L'objet de leur contention,
Il ne se diraient pas plus sages
À tous égards
Que ces deux gars.
Chacun agit à sa manière
Et marche au but tant bien que mal:
N'étant pas d'humeur chicanière,
Je dirai que ça m'est égal.
Cependant un conseil ne saurait jamais nuire,
Et l'un seul d'entre vous dit-il en profiter,
Que je ne saurais hésiter,
Pour l'instruire,
A vous l'offrir à tous avec mes compliments;
Tenez-moi compte, au moins, de mes bons sentiments.
Deux amis, qui restaient dans le même village,
N'avaient pas du tout
Le même goût;
Tous deux ils faisaient étalage
De leurs principes faux
Qu'ils croyaient sans défauts.
L'un disait:
Que la vie est brève!
On travaille, on espère en vain:
Ce n'est rien qu'un beau rêve
Qui peut finir demain,
Et, se croisant les bras, il restait sans courage,
Et son ouvrage
Ne se faisait pas,
Il était indigent et, plusieurs fois l'année,
Dans la journée,
Il ne faisait qu'un seul repas,
L'autre, tout au contraire,
un esprit fort
Et croyait à la mort
Toujours se soustraire,
Il travaillait beaucoup,
Et traitait le bon Dieu comme chose importune...
Il fit une fortune
Et mourut tout à coup.
Voici la leçon qui doit suivre:
Travaillez comme ni vous deviez toujours vivre,
Puisqu'ici le travail est un divin impôt,
Mais vivez en pensant que vous mourrez bientôt.
Au retour du printemps, sous un feuillage dense,
Un oiseau construisait son petit nid de foin;
Le feuillage lui dit:
--Tu n'as pas de prudence
Et tu ne vois pas de bien loin:
Cela m'étonne,
Je te cache aujourd'hui, mais, aux jours de l'automne
Le vent m'emportera
Et sans abri te quittera
Contre le froid, contre le givre.
L'oiseau lui répondit:
--Merci de ton conseil!
Je n'ai que faire de le suivre,
Car j'aurai pris mon vol pour un plus doux soleil
Lorsque tu tomberas au souffle de la bise.
Quelqu'humble que paraisse ici-bas notre abri
Tâchons qu'il nous suffise:
Disons comme l'oiseau: Quand il sera flétri
Par le temps qui dispose
De toute chose,
Vers un séjour plus doux
Nous nous serons envolés tous.
Une harpe éolienne
Par quelque main magicienne--
Se disait on dans le hameau--
Avait été pendue aux branches d'un ormeau,
Et, près de cette harpe, au faite d'une grange,
Une girouette étrange
Luisait sur sa tige de fer.
Or, un vent accourut, l'Aquilon ou l'Auster,
Qui toucha brusquement, de son aile rapide,
La fière girouette et la harpe timide.
La première tourna jetant un cri méchant,
Comme un défi de la colère,
Mais l'autre fit entendre un accord si touchant
Qu'on aurait dit une prière.
Le même vent du ciel--la peine où nous tombons--
Irrite les méchants et fait chanter les bons.
Chacun veut faire douce vie,
Chacun demande les honneurs;
On est avide de bonheurs
Et l'on regarde avec envie
Les succès et les biens d'autrui;
On se rend l'existence amère
Et, vains jouets d'une chimère,
On croit que le soleil n'a lui
Que pour les grands, que pour les riches.
C'est aussi ce qu'un frais ruisseau,
A peine sorti du berceau,
Pensait en arrosant les friches.
Il traînait doucement,
Sans bruit et sans murmure,
Son flot presque dormant
Dans un champ de verdure.
De jolis arbrisseaux
S'inclinaient en arceaux
Sur ses fleurs et ses sables;
Et les petits oiseaux
Venaient boire à ses eaux
Pour eux intarissables.
Mais ce cours guère aventureux,
Cette existence douce
Parmi l'herbe et la mousse
Ne rendait pas heureux
Le petit téméraire:
Il rêvait, l'orgueilleux,
Un sort plus merveilleux,
Un destin moins vulgaire.
Or, l'hiver s'écoula, puis le printemps parut.
Dans les bois les neiges fondirent
Et des cieux les eaux descendirent,
Et te petit ruisseau s'accrut.
Il grossit, il grossit, et tout à coup son onde
S'élança, furibonde,
Au-dessus de ses bords,
Et, depuis lors,
Dans son cours plein de hardiesse,
Il inonde le pré détruit
Qu'il arrosait avec sagesse
Au temps qu'il serpentait sans bruit.
Plus d'un pauvre demeure honnête
Tant qu'il n'a rien,
Mais perd les vertus et la tête
Dès qu'il accumule du bien.
De blancs flocons de neige, échappés du nuage,
Tombaient, tombaient toujours, sans bruit et mollement,
Au milieu d'un grand marécage:
--Vous agissez bien follement,
Leur dit avec quelque rudesse
Le pré voisin.
--Expliquez-vous, cousin,
Et montrez-nous votre finesse,
Lui fut-il répondu.
--Je ne serai pas confondu:
Vous voudriez en nappe blanche
Changer ce sol au triste aspect,
Et c'est lui qui vous change en son limon infect.
Il vous faudrait une avalanche
Pour le couvrir partout ce marais odieux;
Puis il n'en reviendrait aucun bien que je sache,
Car on ne saurait pas qu'un grand danger se cache
Sous votre voile radieux.
Vous dont le coeur est pur comme le coeur de l'ange,
Blanc comme nos hivers et leurs flocons épais,
Ne touchez jamais à la fange
Vous vous y souilleriez sans la blanchir jamais.
Dans un champ, tout auprès de mon humble village,
Un chêne déjà grand étalait son feuillage
Avec un orgueil mal caché.
Il était beau, c'est vrai; l'on recherchait son ombre;
Mais jamais ne s'était penché
Sur les petits son grand front sombre;
Et rien ne gâte la beauté
Comme la vanité.
Un jour un pommier eut l'audace
De pousser près de lui:
Peut-être comptait-il un peu sur son appui.
Il fut bien mal venu:
--Bois d'une vile race,
Lui cria le chêne offensé,
Comment as-tu jamais pensé
A venir dans mon voisinage?
Ne vois-tu pas, mon pauvre ami,
Que ta place est parmi
Les vilains arbres de ton âge?
--Vous êtes grand, dit le pommier,
Je le reconnais le premier,
Et sous votre rugueuse écorce
Vous avez plus de sève et plus de force
Que tous les frêles arbrisseaux;
Vous ne produisez, tout de même,
Qu'un fruit d'une amertume extrême
Que l'on jette aux pourceaux
Comme le chêne acerbe
Sur ses rameaux fiers
Toute âme superbe
N'a que des fruits amers.
Un chat, qui n'avait point une allure très-franche
Et qui rôdait à l'heure où le jour rembrunit,
Finit par découvrir, perché sur une branche,
Mais tout près de son nid,
Un jeune oiseau qui voltigeait à peine.
--Sais-tu bien, lui dit-il, que tu n'es pas prudent.
--Comment? répond l'oiseau, d'une âme fort sereine,
Je ne m'éloigne pas de mon nid cependant.
--C'est là précisément que se trouve te faute.
Un chat comme parfois l'on en a remarqué,
Un chat peu scrupuleux arrive, grimpe ou saute,
Et te voilà croqué.
--Que me conseille alors votre touchante estime?
--Eh! de monter, parbleu! de monter à la cime.
Vole de branche en branche; il te faut essayer
Tes ailes déjà grandes.
Ne vas pas t'effrayer:
Il me tarde que tu te rendes
En sûreté.
L'oiseau naïf ouvre ses ailes,
Mais il a trop compté
Sur ses plumes nouvelles:
Il s'élève un instant, dégringole et s'abat
Dans les griffes du chat.
Jeunesse sans expérience,
N'écoute pas ces inconnus
Qui par des discouru ingénus
Vantent tes biens et ta science,
Reste, près du nid maternel:
Le foyer, l'école ou l'église,
Jusqu'à ce que le nid te dise:
Vole maintenant dans le ciel.
Dès le matin de la journée,
Un paysan, la peau tannée
Par le soleil
Et le coeur on éveil,
En invoquant la Providence,
Semait, en abondance
Et d'une adroite main,
Dans les sillons tiédis, le plus pur de son grain.
Des moineaux qui faisaient leur gentil babillage
Ensemble ou tour à tour
Dans le feuillage,
D'alentour,
Le virent tout à coup et, d'une aile rapide,
En bande intrépide
Volèrent vers lui.
--Veux-tu, lui dirent-ils nous donner aujourd'hui
La nourriture?
La vie est dure
Et rien ne pousse encor dans les champs déflorés.
--Mangez, mes pauvres éplorés,
Répondit le semeur; saccagez mon domaine;
Je ne voudrais faire de peine,
Ni gros ni peu,
Aux oiseaux du bon Dieu.
Et les moineaux mangèrent,
Puis gaîment voltigèrent
De buissons en buissons
En disant leurs chansons.
Plus tard le grain, sorti du germe,
Comme une nappe d'or s'étendit sur la ferme,
Et nul n'aurait pu deviner
Que les oiseaux là-même étaient venus glaner.
Mais, un jour de l'été, les insectes nuisibles
Mordirent les tiges sensibles,
Et les riches épis, sur le point de mûrir,
Allaient mourir,
Quand les moineaux de la vallée,
Prenant ensemble leur volée,
Vinrent s'abattre sur les champs
Et dévorer les insectes méchants.
Non, le bien que vous faites
Ne sera point perdu;
Mais ne laissez jamais vos âmes inquiètes
Chercher comment il vous sera rendu.
Un cultivateur pauvre ayant, sur son domaine,
Bien des cailloux petits et gros,
Ne prenait guère de repos
Et se donnait beaucoup de peine
Pour les tirer du sol, les amasser en tas,
Ou bien les enfouir afin que la charrue
Ne les atteignit pas.
Mais la sérénité n'était point disparue,
Malgré son pénible labeur,
De son regard ou de son coeur,
Car il savait que Dieu compte chaque souffrance
Acceptée humblement
Et nous console abondamment
A l'heure de la délivrance.
Un voisin plus heureux n'avait pas dans son clos
Le plus petit caillou, la plus petite ornière:
Il était toutefois d'une humeur chicanière
Et se fâchait à tout propos.
--Stupide travailleur, dit-il au prolétaire,
Tu gagnes mille fois ton pain;
Plutôt que d'épierrer une pareille terre,
J'aimerais mieux mourir de faim.
Et comme il terminait cette rude apostrophe
Digne d'un philosophe
A la mode d'aujourd'hui,
Un serpent venimeux se dirigea vers lui.
Il voulut se sauver, ne sachant pas quoi prendre
Pour se défendre
Dans ce danger inattendu,
Mais il fut atteint et mordu.
Le reptile vers l'autre ferme
S'élance ensuite avec fureur.
Pour attaquer aussi l'indigent laboureur;
Mais celui-ci d'une main ferme
Prend un caillou pesant
Et tue, en un seul coup, le serpent malfaisant.
Tâchons que l'humeur ne varie
A tout propos, à tout sujet;
Ce qui sur l'heure contrarie
Peut tantôt servir un projet.
--Moi, si j'étais le maître,
Disait, à Mathurin, Gros-Jean le beau censeur,
Je n'aurais que douceur
Pour tout ce que je ferais naître.
Et d'abord dans l'ordre moral,
Pour être explicite,
Tout serait licite,
On ne connaîtrait pas le mal;
Dans le monde physique
Si mystérieux,
Bien de problématique,
Tout sauterait aux yeux.
Tiens! si j'étais le maître, on connaîtrait la lune:
Et puis l'on causerait avec ses habitants:
Et ceux qui, malgré tout, ne seraient pas contente,
Pourraient s'en aller là courtiser la fortune.
Si j'étais maître, Mathurin,
Je ferais lever le matin
Un peu plus tard dans la journée
Et je rallongerais l'année;
Je ferais taire le grand vent
Qui soulève au loin la poussière:
Je ferais pleuvoir moins souvent:
Mainte fleur serait moins grossière
Et verserait parfum plus doux.
Tu vois bondir là-bas les vagues en courroux?
Je les apaiserais: elles resteraient calmes.
Les arbres de nos bois
Que dépouillent les froids
Auraient de belles palmes
Et fleuriraient toujours.
Pareil à du velours
Serait le gazon des prairies.
Je tendrais au ciel nuageux
Mille éclatantes draperies;
Et, pendant les jours orageux,
Au lieu de cette étrange foudre
Qui cherche à tout réduire en poudre,
Je ferais, dans les cieux couverts,
Entendre mille chants divers.
Si j'étais maître, enfin, pour traverser le monde
On ne construirait plus ces bateaux à vapeur,
Ni ces chemins de fer, qui vont à faire peur
Sur la terre ou sur l'onde;
Mais l'homme, infatigable et rapide à la fois,
S'élancerait partout sans rencontrer d'obstacle:
Tout serait soumis à ses lois.
Que ce serait un beau spectacle!
Ah! oui, si j'étais maître...
Il ne put achever,
Car il tomba soudain dans une fosse creuse
Sans pouvoir se relever.
--Si j'étais maître, moi, dit d'une voix moqueuse
Mathurin son gai compagnon,
Je vous tirerais bien de cette affreuse fosse;
Mais la difficulté me parait assez grosse;
J'attendrai du secours. Méditez, mon mignon,
Vous me direz, après, ce que vous pourriez faire
Pour vous tirer d'affaire
Si vous étiez vraiment le maître tout à coup..
--Ah! je ne le sais pas beaucoup;
Mais je sais que si je remonte,
Mathurin, je n'oublierai pas,
Pour être de bon compte,
Que j'étais maître enfin de mieux guider mes pas.
Ne cultivons pas l'utopie;
La terre où nous vivons vaut bien notre amitié;
Pratiquons la philanthropie,
Mais regardons toujours où nous mettons le pié.
Deux chiens aux pieds du même maître
Coulaient paisiblement leurs jours:
Tous deux ne paraissaient connaître
Que les plaisirs et les amours.
On les voyait courir au milieu de la plaine
A perdre haleine;
Fatigués d'aboyer,
Ils s'en venaient dormir tous les deux au foyer
Sous le même rayon de flamme,
Laissant en rêve aller leur âme
Dans cette étrange région
Où volent les âmes des bêtes.
Chaque jour ils dînaient comme on dîne aux grand'fêtes,
Chose, hélas! qu'une légion
De leurs pareils ne pouvait faire.
On parlait d'eux partout. En effet comment taire
Tant de si belles qualités?
Ils se voyaient cités,
Ces caniches fidèles,
Comme de beaux modèles.
Grande fut donc un jour l'horreur
Parmi toute la gent canine,
Quand on apprit que, saisis de fureur
Et la haine dans la poitrine,
Les deux amis ardents,
Se déchiraient à belles dents.
Cependant la raison de cette âpre querelle
Parut à la plupart tout à fait naturelle:
Le cuisinier, mal à propos,
Aux deux chiens, ce soir-là, n'avait jeté qu'un os.
Que d'hommes tu déniches
A chaque pas
Qui ressemblent à ces caniches!
Ils ont de la vertu, mais ne les tente pas.
Sur les airées
De gerbes dorées
Les fléaux, tour à tour,
Tombaient depuis le point du jour,
Et, sous les épis vides,
Les blés de toutes parts
Etaient épars;
Mais les graines perfides
Bien trop abondamment
Se mêlaient au froment.
Selon son ordinaire,
Pour vanner le grain,
Le vanneur s'avance dans l'aire
Le front serein;
Il met dans le van et le crible
Ivraie et luzerne et blé mûr,
Agite tout de son bras sûr,
Rejette la graine nuisible,
Verse le blé dans le boisseau,
Et puis commence de nouveau.
Alors il est témoin d'une drôle de chose:
Le blé qu'il veut nettoyer ose
Contre lui s'emporter
Et dans ces termes l'insulter:
--Fais cesser mon supplice,
Misérable tyran!
N'agite plus ce van
Qui devient ton complice.
--Grand Dieu! dit le vanneur, ai-je bien entendu?
Mais vois donc quelle est ta démence:
Avec la mauvaise semence,
Si tu n'es pas vanné, tu seras confondu.
--Et que m'importe?
--Puisque tu parles de la sorte
Va de l'ordure augmenter les monceaux:
Tu serviras d'aliment aux pourceaux;
Mais le blé que j'épure
Et qui souffre humblement
L'épreuve du moment
Sera ma nourriture.
Qui ne sait pas vanner son coeur
Se marque d'un sceau de malheur.
Un singe des plus beaux;--ce qui ne veut pas dire
Qu'il n'était point fort contrefait;
Personne, j'en suis sûr, n'osera contredire
La vérité du fait--
Un singe qui passait pour sage
Parmi ses cousins,
S'étant mis, un jour, en voyage
Pour les cantons voisins,
Se vit dans une glace,
Je ne sais plus par quel hasard.
Il fut si fort surpris qu'il resta là, sur place,
Dévorant du regard
Sa ridicule image
Qu'il ne connaissait pas.
--Que les singes d'ici sont laids et sans appas!
Dit-il en soupirant; c'est grandement dommage,
En vérité,
Car j'y serais resté.
On rit du singe, je suppose;
On le trouve aussi sot que vain;
Mais chacun fait la même chose,
Prête ses défauts au prochain.
Un vieux célibataire--
Cela se voit encor--
N'essayait plus de taire
Qu'il possédait de l'or,
Car, sa longue existence
Allant se consommer,
Il fallait bien nommer,
Sans plus de résistance,
Un légal héritier.
Or, la sollicitude
Bien plus que d'habitude
L'entoura tout entier.
Cela se comprend vite:
L'or, hélas! nous invite
Mieux que la charité!
Une fatalité,
Ou bien l'inadvertance,
Fit qu'en la circonstance
Notre homme recherché
Tomba, tête première
Au fond d'une rivière;
Mais il fut repêché
Avant de rendre l'âme.
Il eut juste un moment
Pour faire testament;
C'était dans le programme.
On crut que sa faveur,
On crut que sa fortune.
Puisqu'il en avait une,
Seraient pour son sauveur:
Il n'en fut pas de même,
Il ne lui légua rien.
Il donna tout son bien,
Par volonté suprême,
A quelqu'un, fin matois,
Qu'il avait autrefois
D'un péril fort minime
Délivré par orgueil,
Et qu'il nommait une victime
Finement volée au cercueil.
La vanité, voilà le fond de ta nature,
Pauvre être humain!
Tu vantes aujourd'hui ta bonté, ta droiture,
La vanité te rend ingrat demain.
Un agneau sans expérience,
Qui n'étalait point de science
Et ne faisait point de discours
Comme les jeunes de nos jours,
Un matin, je ne sais par quelle fantaisie,
S'éloigna du berger
Qui seul pouvait le protéger.
Peut-être les grands bois tout remplis d'ambroisie,
De soupirs émouvants
Et d'ombrages mouvants,
De quelque manière invincible
L'attiraient-ils vers eux.
C'est après tout, possible;
Et les esprits rêveurs et les coeurs amoureux
Comprendront bien cela, je crois, sans que j'insiste.
Que le malheureux qui résiste
Aux appels enivrants de la nature en fleura,
Et qui ne sut jamais répandre de doux pleurs
Devant la prière touchante
De la forêt qui chante,
Ne trouve ni le motif suffisant,
Ni le conte amusant,
C'est son affaire,
Laissons le faire.
Et revenons à notre agneau.
Un matin, je viens de le dire,
Pris de je ne sais quel délire,
Il quitta berger et troupeau
Pour s'enfoncer, broutant l'herbage,
Dans la forêt sauvage.
Il rencontra bientôt un énorme glouton,
Et la peur le cloua sur place;
--Pourquoi marches-tu sur ma trace,
Vil mouton?
Cria le fauve sanguinaire.
--Je ne suis pas menteur, sieur glouton, d'ordinaire,
Répondit tout tremblant,
L'animal bêlant,
Je venais à votre rencontre,
Cela clairement vous démontre
Que je ne puis avoir passé
Dans le noble chemin que vous avez tracé.
--Par ma griffe! est-ce qu'on ose
Prolonger l'entretien?
Je vais mettre mon pied où tu mettais le tien,
C'est bien la même chose,
Dit le glouton en se moquant.
Puis attaquant
L'agneau qui l'implore,
Il le dévore.
Celui qui veut votre toison
Trouve toujours quelque raison.
Le soir d'une chaude journée,
Au milieu d'un jardin fleuri,
Pour célébrer son hyménée--
Car elle avait pris un mari--
Une brillante libellule
Donna, paraît-il, un grand bal.
Or, l'avis n'en fut point verbal;
Mais écrit, selon la formule,
Par une gracieuse main,
En lettres d'or sur parchemin.
On vit arriver à la fête,
Portés sur la brise du soir,
Les guêpes à la fine tête
Et les bourdons au corset noir;
On vit les actives abeilles
Avec des rayons de miel doux
Qu'elles mirent dans les corbeilles
Des jeunes et charmants époux;
Et l'on vit, en files égales,
Les phalènes et les cigales,
Les midas et les papillons.
Cela formait des tourbillons
D'une splendeur incomparable;
Et jamais bal plus mémorable
Ne fut donné dans un jardin.
La pourpre, l'or, l'azur, la soie
De toute part mêlaient soudain,
Parmi les doux éclats de joie,
Dans les airs leurs brillants reflets.
On chanta de joyeux couplets:
Les danses furent animées,
Le dîner, fort dispendieux.
On y but la boisson des dieux
Dans des corolles parfumées.
Et chose assez rare, partant,
Chacun s'en retourna content.
Non pas! Voilà que je m'abuse.
Une cigale eut du regret
Et s'en revint toute confuse
Se cacher dans son nid discret.
C'est qu'elle avait été saisie
D'une profonde jalousie
En voyant que tous les regards
Se fixaient sur la taille fine
D'une frigane sa voisine.
--On eut eu pour moi des égards,
Tout tristement se disait-elle,
Si ma tournure était plus belle.
N'importe; on dira, quelque jour,
Reprit-elle avec arrogance,
Que je suis comme faite au tour
Et que j'ai beaucoup d'élégance.
Et, là-dessus volant au loin,
Elle cueillit un brin de foin
Pour se faire un léger corsage.
Elle se serra fortement,
Ne mangea plus que rarement
Et montra toujours gai visage,
Pour dissimuler tout à fait
Le mal cruel qui l'étouffait.
Car une pareille ceinture
Pour un insecte délicat--
J'en donne le certificat--
Etait une affreuse torture.
Elle perdait son embonpoint,
Elle était déjà gracieuse
Et se montrait malicieuse
Envers celles qui n'avaient point,
Comme elle, une taille élancée.
Elle disait dans sa pensée,
En se serrant de plus en plus:
Ne suis-je pas plus élégante
Que cette frigane intrigante?
Vain supplice! espoirs superflus!
Au premier bal de la prairie,
En dansant un vif cotillon,
Elle tomba soudain sans vie
Dans les bras d'un vieux papillon.
Cigale que l'orgueil domine,
Mieux vaut santé que bonne mine.
Un putois qui touchait aux limites de l'âge
Et qui n'avait plus une dent,
Mais bon appétit cependant,
Ouït un jeune coq chanter dans un village
Aux premiers rayons du matin.
--Si j'avais, pensa-t-il, ma vigueur de jeunesse
Que je ferais un bon festin!
Puis il se demanda quelle bonne finesse
Pourrait, dans le moment,
Assez facilement
Remplacer la force perdue.
--Ce cher coq je le tiens!
Cria-t-il tout à coup aux siens,
Et l'affaire n'est pas ardue:
Vous allez venir, mes petits,
Je vais vous dire convertis.
Laissez-moi prendre un peu d'avance,
Le coq ne croira point qu'on est de connivence.
Je vais lui faire un beau discours,
Un discours insigne,
Et, sur un signe,
Vous me prêterez du secours.
Tous les jeunes putois jurèrent sur leur tête
Que les poules et les poulets,
Grassets et maigrelets,
Seraient l'objet de leur conquête,
Et l'on se mit en route.
Au village arriva,
Le vieux putois, d'un air fort tendre,
Dit au coq qui chantait sur un toit élevé
De vouloir bien daigner l'entendre
Ne fut-ce qu'un petit instant,
Et de descendre alors, même tout en chantant.
Le coq savait fort bien que le vieux quadrupède
Ne pouvait lui faire aucun mal,
Il descendit.
--Mon cher, dit le fourbe animal,
A nos longs désaccords j'ai trouvé le remède:
Ou ne vous mange plus, on mange du fretin.
Si la repentance est tardive
Le ferme propos est certain;
Et, pour vous rassurer contre la récidive,
En putois prudents,
Nous nous sommes ôtés les dents,
Regarde!...
Il ne m'en reste plus, et j'en avais pourtant!
Tous les miens eu ont fait autant,
Et ce sera ta sauvegarde.
Tu vas les voir bientôt; ils vont venir ici...
--Ils vont venir? Merci!
Ce sera belle fête:
Je monte sur ce faîte
Pour les voir arriver.
Il vola d'un coup d'aile au sommet de la grange
Et le putois, confus du dénouement étrange,
Se dépêcha de s'esquiver.
Lorsqu'un homme vous fait des promesses trop belles
Pour vous mettre à l'abri rouvrez vite vos ailes.
Dans la forêt, un jour, un poète flûtiste
S'enfonça pour herboriser.
Il était donc de plus, un peu naturaliste,
Me direz-vous? C'est vrai. L'on voit s'harmoniser
Les beaux-arts avec la science;
L'esprit qui voit un peu veut davantage voir;
Et plus l'homme est puissant plus il a conscience
D'un suprême pouvoir.
Donc un flûtiste, un jour, un flûtiste poète,
Un peu naturaliste aussi, je le répète,
Cherchait, dans les grands bois,
Des mousses, des fougères,
De ces fleurs qui parfois
Vêtent des robes étrangères.
Il tomba soudain dans un trou
Plein de feuilles, de branches mortes
Et d'ossements de toutes sortes.
C'était le lit d'un carcajou.
Le fauve s'élance et s'accroche,
Suivant sa façon,
Au rameau le plus proche
Pour se jeter de là sur le pauvre garçon.
Mais celui-ci prend aussitôt sa flûte
Et fait redire aux bois des chants mélodieux.
La bête dans son coeur sent une étrange lutte,
Puis le voile de sang qui recouvrait ses yeux
Petit à petit se déchire;
Elle soupire,
Descend de l'arbre et vient comme pour implorer
Celui que tout à l'heure elle allait dévorer.
Les paroles de paix et la douceur de l'âme
Ont désarmé plus d'ennemis
Que la force brutale ou les discours de flamme
N'en ont jamais soumis.
Une autre fable encor sur un semblable thème.
Il s'agit, cette fois,
D'un joueur de hautbois
Et d'un serpent. C'est le même système,
Mais ce n'est ni la même fin,
Ni la même morale;
Vous allez voir enfin.
Un serpent venimeux, déroulant sa spirale,
S'approche doucement d'un pauvre jardinier
Qui bêchait ses carrés en rêvant de musique.
Le jardinier le voit et devient héroïque,
Tout comme le poète au fabliau dernier.
Il prend son instrument et le porte à sa bouche.
En entendant tomber des cascades d'accords
Le reptile farouche
S'arrête et ferme l'oeil. Le joueur dit alors:
--Rien ne m'empêche,
Dieu merci!
De reprendre ma bêche
Et de travailler sans souci.
Et de fait il reprit l'ouvrage,
Mais avec bien plus de courage
Que de prudence, assurément,
Car il fut aussitôt mordu sévèrement.
Fuyez le-méchant: sa présence
Est toujours un danger.
Lorsque votre vertu le condamne au silence
Il ne sommeille pas, il songe à se venger.
Deux honnêtes voisins du produit de leurs fermes
Vivaient dans un de nos cantons;
L'un était endetté, payait fort mal ses termes,
Mangeait, comme on dit, des croûtons,
Et l'autre vivait dans l'aisance.
--N'aurais-tu pas la complaisance
De m'apprendre comment arrivent tes succès?
Dit le maître du pauvre friche
À son voisin l'habitant riche;
Puis il continua: Je ne fais point d'excès;
Je sème le printemps, qu'est-ce que je récolte?
Un peu de grain, et du mauvais;
Oui vraiment cela me révolte.
--Je pensais que tu le savais
Ce secret merveilleux qui féconde ma terre,
Car je n'en fais pas un mystère,
Reprit l'autre cultivateur;
Je le tiens d'un économiste
Qui l'avait appris d'un chimiste
Qui l'acheta d'un enchanteur:
Il s'agit de changer, par un truc bien facile,
En grains d'or pur les grains de blé.
--Tu me prends, je le vois, pour un fier imbécile.
--Mais pas du tout.
--Alors il faut être endiablé.
--Mais non! rien de plus simple; écoute
Et tâche de bien retenir:
Si tu faits comme moi, je n'en ai pas de doute,
La fortune va te venir.
Il faut premièrement engraisser ta prairie,
Car c'est dans le fumier
Que je trouve cet or qu'on nomme or du fermier.
Fais un labour égal. C'est la sorcellerie
Qui le veut de cette façon.
Or, cela s'apprend sans leçon.
Tu sèmes du grain net, avec soin tu le herses,
Et c'est tout, mon ami. Sois sans anxiété;
S'il ne t'arrive pas de chances trop adverses
Pendant l'été,
La moisson sera bonne
A l'automne;
Et, lorsque tu battras ton grain,
Tu trouveras, j'en suis certain,
De l'or en abondance:
Si tu n'en trouvais pas n'accuse point les cieux,
Ce serait imprudence,
Mais recommence encore et fais de mieux en mieux.
Le simple paysan se promit bien de suivre
De son voisin le bon conseil.
Quand il battit ses blés, à l'époque du givre,
Il ne trouva rien de pareil
Aux grains d'or qui devaient se détacher des gerbes,
Mais des moissons superbes
Couvrirent ses clos tous les ans;
Il devint riche un jour parmi les paysans.
Faites votre travail avec intelligence,
Vous en avez tous les moyens,
Et vous verrez bientôt s'enfuir votre indigence,
O mes braves concitoyens.
Deux pigeons sauvages
Unis par l'amour,
Un jour,
Vers d'autres rivages
Prirent leur essor.
Ah! pourquoi fuyaient-ils le lieu qui les vit naître?
Voulaient-ils donc connaître
S'il est plus doux trésor
Pour les oiseaux et pour les hommes,
Dans ce monde où nous sommes,
Qu'un amour tendre partagé
Près d'un berceau qui chante ou d'un nid ombragé?
Ils virent des forêts superbes,
Ils virent des cieux éclatants,
Des lieux qu'un éternel printemps
Voile de vives fleurs et d'odorantes herbes;
Ils entendirent de doux chants;
Ils entendirent, dans les champs,
Passer, comme un soupir, la brise parfumée;
Ils entendirent, dans les bois,
De l'aurore et du soir les ineffables voix
Moduler doucement--prière accoutumée--
Des hymnes saints pour le Seigneur;
Puis ils volaient toujours. Et dans leurs folles courses
Toujours ils s'éloignaient des sources
Du vrai bonheur.
Mais un jour cependant ils plièrent leur aile
Et se construisirent un nid.
Le même soir qu'on le finit
Un oiseau carnassier qui cherchait la querelle
Vint en prendre possession.
Pour fuir la persécution
Nos jeunes voyageurs s'envolèrent encore:
Et leur vol rapide et sonore
Alla s'abattre loin, dans un bosquet d'ormeaux
Dont le feuillage vert séparait deux hameaux.
Quand nos coeurs sont blessés nous allons, loin du monde,
Des oiseaux et des fleurs demander l'amitié;
Mais les petits oiseaux, dans leur peine profonde,
Se rapprochent de l'homme et cherchent sa pitié.
Notre couple fidèle et tendre
Sentit se calmer ses tourments,
Et sous les feuilles fit entendre
De suaves roucoulements.
L'allégresse ici-bas est de courte durée
Et la paix la mieux assurée
S'évanouit en un moment.
Le couple, charmant
Que l'amour embrase,
Le couple joyeux,
Comme des perles dans un vase,
A mis des oeufs mignons au fond d'un nid soyeux,
Mais une vieille pie
Vient, d'une griffe impie,
Cruellement broyer
Cet espoir du foyer.
La joie est revenue
Dans le nid de l'amour
Qui devient le séjour,
D'une ivresse inconnue.
Dites, beaux compagnons,
Est-ce rêve ou chimère?
Quels petits tout mignons
Sous l'aile de leur mère
Cherchent un sûr abri?
Vous volez, à leur cri,
Dans le bois ou la plaine
Recueillir une graine
Pour apaiser leur faim.
Ils vont, et gentils et précoces,
Essayer leurs ailes enfin.
Et vous toujours si doux, vous devenez féroces
S'il faut les protéger
Contre quelque danger.
Ce fut un temps heureux, le plus beau de la vie
Pour nos pigeons,
Mais abrégeons:
Cette allégresse fut suivie
De tristesse et d'anxiété.
Après les beaux jours de l'été
Survint l'hiver avec ses mortelles haleines:
Le frimas sur le nid tomba comme un linceul.
Notre couple était seul:
Nul ne le visitait pour adoucir ses peines.
Au village voisin était un colombier
Où les pigeons faisaient fort bonne chère.
On ne recevait là que le rare gibier.
Les place s'y vendaient quelquefois à l'enchère
Ou s'y donnaient par sentiment,
Comme en certain gouvernement.
Notre pigeon, chef de famille,
Pour sauver ses petits, sa compagne gentille,
Alla frapper tout droit
En cet endroit.
On l'éconduit, riant de sa folle entreprise,
Et ce fut pour son coeur une amère surprise.
Il s'en revint désespéré:
--Pas de place pour nous? fit la douce femelle,
En voyant son air éploré.
--Pas de place pour nous!
--Eh bien! j'irai, dit-elle,
Et l'on verra.
--Elle ira!
Dit avec ironie
Le père malheureux,
Ce sera pour nous deux,
Va, nouvelle avanie!
Elle partit pleine d'espoir,
Elle revint toute rieuse.
--Es-tu donc sérieuse?
Parle, dit son ami.
--Nous irons dès ce soir.
Le soir, au colombier on leur fit une place
Qui parut fort leur convenir.
Des mauvais jours passés ils perdirent la trace,
Ils purent sans frayeur regarder l'avenir.
Or, au bout de quelques années,
A l'époque des fleurs fanées,
Le pigeon, fort bien mis,
Vint voir les vieux amis,
On lui trouva mine excellente.
Grâces exquises et bon ton;
On s'informa de sa galante.
Il raconta dans le canton
Comme elle avait, en sa jeunesse,
Par son zèle et par sa finesse,
Trouvé pour leur misère un heureux dénouement.
Un vieux qui l'entendait dit en branlant la tête--
C'est pour mon fabliau morale toute prête--
--Dieu garde les maris d'un pareil dévouement!
Dormez, c'est nécessaire,
Mais ne dormez pus trop,
Le temps fuit au galop.
A chaque anniversaire
Le dormeur a perdu,
Tout compte bien rendu,
La moitié d'une année.
C'est beaucoup abréger,
Pour un plaisir léger,
Notre courte tournée
En ce bas lieu.
Un dormeur le comprit, un peu trop tard sans doute:
Il se trouva soudain au terme de sa route
Croyant n'être encor qu'au milieu.
Il avait de l'aisance,
Grâce à ses bons aïeux
Qui ne dormirent guère et travaillèrent vieux.
Il ne lisait jamais, même par complaisance
Pour sa curiosité.
Il prit de l'obésité
Et c'est tout ce qu'il voulait prendre.
Il se mettait au lit, le soir,
A l'heure où les poulets montent sur le juchoir,
Mais il ne pouvait pas comprendre
Qu'on doit se lever le matin.
Peur de se voir confondre il fuyait les disputes.
Il ne voyageait pas. Le tour de son jardin
En quatre-vingts minutes,
C'était un bel exploit et le plus prompt des tours,
Sur la terre ou sur l'onde,
Après le tour du monde
En quatre-vingts jours.
Il vieillit de la sorte, ignorant bien des choses
Que les hommes doivent savoir.
Sa taille s'affaissa, son teint perdit ses roses;
Il accusa sa glace et, pour ne plus s'y voir,
Il la mit tout en pièces.
Ce furent là, je crois, ses seules hardiesses.
Un jour il entendit un superbe vieillard,
Un véritable personnage,
Parler de son jeune âge
Perdu dans le passé comme dans un brouillard,
Parler de ses travaux, de ses limpides gloires
Et des victoires
De son drapeau.
Il trouva cela beau;
Puis, prenant la parole:
--Mais qui donc êtes-vous? Vous devez être âgé
Vous qui tant avez fait? dit-il d'une voix molle.
Le vieillard se nomma.
--Que te voilà changé!
Dit l'autre en retrouvant un compagnon d'enfance.
--Je suis changé, c'est vrai, mais toi tu l'es aussi.
--Moi? mais comment cela, je n'ai point de souci.
--Il serait superflu de se mettre en défense
Contre le temps qui las! nous emporte avec lui:
Nous avons tous les deux le même âge aujourd'hui.
--Et tout ce que tu viens de dire
Tu l'as fait depuis qu'on s'est vu?
--Oui tout, et je ferai davantage, pourvu
Que la mort veuille bien ne pas me l'interdire.
Mais toi, qu'as-tu fait, mon ami?
--Hélas! moi j'ai dormi!
La fortune souvent vient pendant qu'on sommeille:
C'est un de ces dictons
Qui tiennent un peu trop la paressa vermeille.
C'est possible après tout: elle marche à tâtons;
Mais il me semble plus sage
De courir après
Que de l'attendre au passage:
Elle ne passe pas, on le sait, toujours près.
Il est de fait aussi que souvent elle échappe
A celui qui l'attrape:
Elle est coquette, voyez-vous,
Nous donne le vertige
Et se moque de nous.
Sur ce point en litige
Deux frères différaient d'avis,
Et les chemins par eux suivis
Ne furent pas les mêmes.
Négligeant tous les stratagèmes,
L'un demeura dans sa maison,
Voyant avec indifférence
Naître et mourir chaque saison,
L'autre, toujours plein d'espérance,
Parcourut des bords étrangers.
Il vit des régions sauvages,
Il vit aussi les chauds rivages
Où fleurissent les orangers;
Puis après ces lointaines courses
Il revint au pays natal.
--Quelles sont tes ressources?
Nous reviens-tu chargé du précieux métal,
Lui demanda son frère.
--Je ne possède guère,
Reprit-il, soupirant;
Plusieurs fois, en courant
Sur la route commune,
J'ai saisi la fortune,
Mais n'ai pu la tenir.
--Moi je ne l'ai pas eue,
Mais je l'ai vue
Tout près d'ici venir.
Amis, si la fortune est difficile, à prendre,
Quand vous l'aurez gardez-la bien;
Gardez-la, mais il faut cependant se comprendre,
Faites toujours la part de celui qui n'a rien.
Il fut un temps où les insectes,
Unis par un bon sentiment,
Vivaient sous un gouvernement
Respecté de toutes les sectes.
Alors régnaient les papillons;
Et jusqu'au loin dans les sillons
On entendait des chants de joie.
Où s'en est allé tout cela?
Qui sait? Pour le moment, voilà:
Celui qui relève ou foudroie
Les grands empires des humains
S'occupe aussi des petits êtres
Que les hommes, ces puissants maîtres,
Foulent aux pieds dans les chemins.
Pour aujourd'hui je vous rapporte
Une histoire de ce temps-là;
Un papillon, devant ma porte,
L'autre soir me la révéla;
--Une sauterelle excentrique,
De par la haute autorité
Veillant avec austérité
A la moralité publique,
Vit un jour s'étendre au soleil,
Sur une feuille de vanille,
Une gracieuse chenille
Prise du besoin de sommeil,
Et se montra scandalisée:
--Vous êtes bien mal avisée,
Dit-elle en grossissant sa voix,
De vous exposer de la sorte,
Au mépris de nos sages lois;
A vous enfuir je vous exhorte,
Sinon... la prison!
--Ecoutez ma raison,
Sauterelle ma mie;
Je me suis endormie,
Car je suis lasse de marcher;
J'ai fait une bien longue route;
Et je crois, somme toute,
Que vous ne pouvez m'empêcher
De reposer une minute.
--Quand on est ver
On ne prend pas ce ton amer
Et tout de suite on s'exécute;
Va donc sans souffler mot
Pour six mois au cachot.
Six mois, c'est long dans l'existence
Des petits insectes dorés
De nos prés,
Et, malgré son omnipotence,
La sauterelle avait vieilli.
Son allure était fort pénible,
Et sa place était disponible,
Car souvent elle avait failli,
Depuis quelques journées,
A son devoir dans ses tournées.
N'ayant nulle appréhension
Au sujet de sa pension,
Car jamais l'Etat ne maltraite
Celui qui fut un bon limier,
Avant de prendre sa retraite
Elle vint trouver le premier
Et lui présenta sa requête
Ecrite comme une oraison.
Le Premier, en cette saison,
Occupait par droit de conquête
Son siège dans le Parlement,
C'était un papillon charmant
Qui portait, bien que jeune encore,
Sur l'aile un reflet de l'aurore.
Il lut avec attention
La touchante pétition
De la suppliante,
Puis, d'une voix conciliante,
Il loua longuement
Un si beau dévouement:
--Je comprends dit-il, à merveille,
Ma bonne vieille,
Qu'il vous faut du repos.
Je sais un petit gîte
Admirablement clos;
On va vous y conduire vite
Et pour longtemps.
J'y suis resté, ma bonne,
Depuis l'automne
Jusqu'au printemps
Par votre sollicitude.
--Moi j'ai commis pareille horreur?
Ah! vous faites erreur,
J'étais toute mansuétude
Pour les insectes haut placés.
--Madame, c'est assez!
Je n'aime pas que l'on querelle
Quand on est sauterelle:
Au cachot donc à votre tour!
Je suis sous sa forme nouvelle
L'humble ver qu'avec tant de zèle
Vous maltraitiez un jour.
Traitez avec égard tout homme respectable,
Vous qui tenez, quelque pouvoir en main;
Ici-bas rien n'est stable:
Le sujet d'aujourd'hui c'est le roi de demain.
Un grand fermier, un fermier riche
Et pas trop chiche
Avait à son service un pauvre journalier
Qui portait gaîment le collier.
L'un travaillait toujours, l'autre, pas de l'année;
Le travailleur chantait tout comme son seigneur,
Et souvent après sa journée
Semblait goûter plus de bonheur.
Mais le maître trouvait une gaîté si belle
Peu naturelle.
--Ce rustre, pensait-il, a quelque doux secret,
Quelque bonne ruse
Dont il use
En homme discret.
Il faut l'interroger. J'ai le droit de connaître,
C'est un fait patent,
S'il est toujours aussi content
Qu'il s'efforce de le paraître.
Or, le soir arrivé
Et l'ouvrage achevé,
Le serviteur, près de la flamme
Du foyer,
Au lieu de larmoyer,
Dans un couplet joyeux laissa rire son âme.
--Tu chantes bien, dit le fermier,
En vérité cela m'intrigue:
Tu ne sens donc pas la fatigue?
--La fatigue, je l'aime; elle rend mon sommier
D'une mollesse souveraine.
--Tu trouves du plaisir à travailler toujours?
--C'est le sort de la race humaine.
--Mais ce n'est pas le mien: j'ai de tendres amours,
Je dors sur le duvet, je m'assieds sur la soie,
Et chaque jour j'invente une nouvelle joie;
Je voyage et j'apprends,
Et je goûte aujourd'hui bien plus de jouissances
Que j'en goûtais jadis, cela tu le comprends,
Puisque j'ai plus de connaissances.
--En êtes-vous bien plus heureux,
Mon maître?
--Eh oui! tu dois le reconnaître.
--Je ne suis pas si généreux.
--Comment donc, pauvre ignare,
Comprends-tu du bonheur la mesure ici-bas?
--Je ne prends jamais part à vos savants débats,
Et je vous déclare
Que je ne sais pas bien comment dire cela,
Mais voilà:
Notre joie est parfaite
Lorsque nous possédons
Ce que nous demandons.
--Achève ton discours, tu vas à la défaite.
--Maître, veuillez attendre un peu.
Je ne suis pas fort à ce jeu,
Mais voici tout ce que je pense:
Chacun de nous prend ou dépense
De la félicité
Selon sa capacité.
Vous êtes une cruche,
Moi je suis un cruchon--
Je vous demande bien pardon
Si mon raisonnement trébuche,--
Nous sommes pleins jusqu'au goulot,
Pouvons-nous prendre davantage?
C'est ainsi que je vois l'équité du partage:
Cruche et cruchon remplis sont contents de leur lot!
Ceux qui parlent beaucoup ne réfléchissent guères,
Mais il ne s'en suit pas--j'en fais ici l'aveu--
Qu'on réfléchit beaucoup lorsque l'on parle peu.
S'il en était ainsi que de têtes légères
Passeraient pour avoir du plomb!
J'ai connu quelque part un rustre
Que sa langue avait fait illustre
Et qui vous assommait son monde avec aplomb.
Toute gazette
Dans la disette
Pouvait compter sur son secours.
Il savait les secrets de tout le voisinage,
Et si la paix régnait dans un nouveau ménage,
Ce n'était que par son concours.
Si l'on faisait une assemblée
Il était le premier rendu,
Et, sans avoir rien entendu,
Il approuvait ou condamnait d'emblée.
Entendait-il parler d'un meurtre ou d'un larcin,
Commis avec un mystère suprême,
Il aurait mis sa main dans le feu, tout de même,
Qu'il devinait déjà le voleur, l'assassin.
Il savait le comment de toutes les chicanes,
De quel côté le droit, de quel côté le tort;
Il vous expliquait sans effort
Des procès embrouillés les perfides arcanes.
On l'appelait en cour et souvent et de loin
Comme témoin,
Dans l'espoir de voir la lumière
Se faire tout entière
Sur quelque sujet contesté:
Mais il n'en était rien, et son long témoignage,
Fièrement attesté,
N'était que le glanage
Des stupides «dit-on»
De chaque canton.
Il devint à la fin un objet de risée.
--Comment se fait-il donc disait, parlant fort dru,
Une autre vieille langue assez bien aiguisée,
Qu'il affirme toujours et ne soit jamais cru?
--C'est que--reprit quelqu'un d'une voix doctorale,
Ce sera la morale
Et donnez m'en crédit--
Qui dit tout ce qu'il sait ne sait tout ce qu'il dit.
Un jour les animaux sauvages,
Pour s'illustrer,
Résolurent de se titrer
Tout en supprimant les servages;
C'était fort beau déjà,
Mais pas assez, et l'on songea,
Dans une agape présidée
Par un jeune lion,--
Car c'est là, paraît-il, que surgit toute idée.--
On songea qu'il fallait, mais sans rébellion,
Faire un gouvernement d'une nouvelle forme,
On choisit aussitôt le représentatif
Comme le plus récréatif
Et l'on publia la réforme.
Les fauves de partout parurent satisfaits
De cette source de bienfaits.
Dans les divisions rurales
Les élections générales
Se tirent partout à la fois.
Personne ne vendit sa voix.
Mais une élection fut cependant perdue
À cause, parait-il, de l'influence indue.
Des lièvres, des lapins, des singes, des renards,
Des loups et des élans, et même des canards
Vinrent siéger dans ces Communes.
On nomma sénateurs des carillons rassis,
Des ours graves, des cerfs, des tigres radoucis,
Tous fauves au-dessus des mesquines rancunes.
De par le droit, coutumier
Dont tout peuple s'honore,
Un lion à la voix sonore
Voulut être premier.
Secouant sa crinière, ouvrant son oeil de flamme,
Il commenta son grand programme,
Et la droite battit des mains.
La gauche s'irrita; plus vive que polie,
Elle dit que jamais, même chez les humains,
On avait vu telle folie.
Chacun resta de son côté;
Cela s'appela loyauté.
Après tout les affaires
N'en allaient pas plus mal;
Si l'état du budget se montrait anormal,
C'était la faute aux adversaires.
Chez les bêtes encore on verrait sûrement
Ce bon gouvernement,
Si, du fond de son antre, un vieux loup philosophe
N'avait, d'un ton fort solennel,
Lancé cette apostrophe:
--Votre gouvernement constitutionnel,
C'est la tyrannie,
Sottement bénie,
D'un seul par le moyen de tous.
Vainement un renard lui dit:
--Qu'en savez-vous,
Pour parler de cette manière,
O loup qui dans votre tanière
Restez comme sous un linceul?...
Cest le règne de tous par le moyen d'un seul.
Un petit oiseau-mouche aux deux ailes d'ébène,
A la gorge de pourpre et d'or,
Prenant dans les airs son essor,
Vint s'abattre, joyeux, sur la cime d'un chêne.
Dans le même moment un grand souffle passa,
Précurseur de l'orage,
Qui saisit avec rage
L'arbre superbe et le cassa.
L'oiseau, tout étonné, rouvrit son aile vive
Avec un gai bourdonnement,
Et s'écria naïvement:
--Je regrette, crois-moi, le malheur qui t'arrive
Un peu par ma témérité...
Je sais qu'il n'est pas mérité.
Avant que de venir me percher sur ta cime
Qui s'abîme,
J'aurais dû me douter
Que tu ne pouvais me porter.
Plus d'un, comme cet oiseau-mouche,
Pense écraser tout ce qu'il touche
Qui n'a de grand, en vérité,
Que son extrême vanité.
La science, en ces temps, fait des progrès magiques:
On devine le cours des astres radieux
Et les secrets géologiques;
Les hommes deviennent des dieux
Et les dieux d'autrefois deviennent des fétiches
Bons à mettre sur les corniches
Comme des objets curieux.
Le mystère, pour nous, n'est plus mystérieux.
Le son est pris au vol; il est mis en réserve
Sur l'étain,
Pour le siècle le plus lointain.
La table parle et danse, et le savant observe
Aujourd'hui
Un monde tout nouveau qui grouille autour de lui.
L'homme enfin devine
Son humble origine,
Si l'on en croit Darwin,
Et n'a plus raison d'être vain.
Que dis-je? le progrès est acclamé des bêtes
Et fait lever toutes les têtes.
On s'est mis à l'étude avec avidité,
Et bientôt, on l'espère,
Le fauve en son repaire.
Rougissant de sa nudité,
Se couvrira d'habits modestes.
Mais toujours nos modistes lestes,
Afin de ménager une étoffe le prix
Aux maris,
Des femmes avec art montreront les épaules.
Le monde est mesuré jusques à ses deux pôles,
Et ses vastes dimensions.
Pour certaines ambitions,
Sont trop étroites.
Mais qu'est donc tout cela devant les beaux discours
Et les prétentions adroites
De quelques singes de nos jours?
Ce fut la terre d'Afrique,
Sous de superbes cocotiers,
Que ces singes de tous métiers
Tinrent leur congrès historique.
Voulaient-ils nous parodier
Et se vêtir aussi de linge?
Non; ils voulaient étudier
L'origine du Singe.
Les philosophes, les penseurs
Les savants, les naturalistes.
Les antiquaires, les censeurs,
Les poètes, les cabalistes
Y débitèrent gravement
Les pages les plus étonnantes.
Mais un scandale énorme eut lieu soudainement
Quand plusieurs de leurs voix tonnantes,
Affirmèrent enfin
En toute conscience,
Au nom du la science,
Que le singe si fin
Descend, en somme,
D'un animal qu'on appelle homme.
Les singes sont jaloux. Des propos hasardeux
Blessent leur amour propre et les rendent féroces;
Et nous, nous goberions les bêtises atroces
D'un savant qui nous dit que nous descendons d'eux!
Un rat qui voyageait du grenier à la cave,
Pour sa santé,
Fut enchanté
De sentir tout à coup l'odeur la plus suave.
Il passait en effet
Vis-à-vis un buffet
Où, depuis un instant, la vieille cuisinière
Avait apporté
Un large pâté.
--Chacun son goût, dit-il, et chacun sa manière:
Moi j'accepte le bien
Qu'on me donne pour rien,
Et ce pâté, je crois, vaut que je m'arrête en route.
Mais je serai bon rat
Et pas du tout ingrat,
Je mangerai la mie et laisserai la croûte.
Fuis tout en devisant
De ce ton suffisant,
Il cherchait dans les coins un facile passage;
Mais il eut beau chercher
Tout autour du plancher
Il n'aperçut nul trou dont il put faire usage.
--Bah! je vais en faire un:
Si je travaille à jeun
Je mangerai, dit-il, joliment davantage;
Le pâté, tendre ou dur,
Y passera bien sûr,
Et personne avec moi ne fera de partage.
Il se mit à ronger
Sans nullement songer
Qu'un chat couché là-haut pouvait fort bien l'entendre,
Le matou bon sujet
Devina son projet,
Se blottit dans un coin et résolut d'attendre.
Or, le rat imprudent
D'un dernier coup de dent
Achève l'ouverture; il se montre la tête;
Le chat l'attrape alors
Et l'amène au dehors:
--Nous serons deux, dit-il, pour terminer la fête;
J'ai comme toi, petit,
Assez bon appétit.
Quand l'espoir d'un plaisir ou d'un gain vous appelle,
N'allez pas au danger
D'un coeur vain ou léger,
N'exposez pas vos jours pour une bagatelle.
Un taureau qu'irritait la moindre agacerie,
Seul dans une prairie,
Paissait tranquillement.
--Ce serait, pensait-il, oui, ce serait vraiment
Chose bien singulière
Que l'on put me troubler ici.
Tout en pensant ainsi
Il se mit à brouter sur une fourmilière.
Les fourmis, comme de raison,
Sortirent fort épouvantées
De leurs cachettes éventées
Et s'enfuirent sous le gazon.
Cependant l'une d'elles,
Qui se moquait bien des querelles
Mordit sur le naseau
L'irascible taureau.
L'animal fit un bond, ouvrit grand son oeil morne,
Beugla d'une voix sourde et, du bout de sa corne
Cherchant à déchirer la petite fourmi
Qui le traitait en ennemi,
Il déchira l'argile.
Pendant qu'il s'épuisait ainsi dans son courroux,
L'insecte agile
Se promenait gaiement sur son large front roux.
Quoi de plus insensé que ces accès de rage
A propos de rien ou contre un être chétif
Gardez votre vigueur, gardez votre courage
Pour adversaire digne ou pour digne motif.
Le soleil rayonnait sur les bois et les plaines
Depuis longtemps,
Et les promesses du printemps
Devenaient vaines;
Lus cieux étaient sereins, rien n'en tachait l'azur;
La terre était dans la souffrance;
La fleur inclinait son front pur,
Et l'espérance
Ne germait plus dans le sillon.
Un nuage parut comme un noir tourbillon:
--Il est temps que j'arrive,
Cria-t-il au soleil,
Si je veux que la terre vive
Et secoue un peu son sommeil;
Tu crois la réchauffer et ton rayon la brûle;
Recule!
Laisse-moi réparer les maux
Que tu causes en mon absence.
Le nuage, à ces mots,
Pour montrer sa puissance,
Ouvre son aile sombré et voile le ciel d'or.
Il fit longtemps pleuvoir, et la terre, inondée
Par cette interminable ondée,
Souffrit encor.
Alors l'inquiétude
Entra dans l'âme des humains,
Et puis la multitude,
Vers le ciel élevant les mains,
Supplia le Dieu sage
De mettre enfin d'accord et soleil et nuage.
Le Seigneur entendit ses voeux.
--Ecoutez, dit-il, je le veux,
Brillant soleil, nuage sombre;
La terre a besoin de vous deux;
Il lui faut l'eau du ciel mais il lui faut ses feux:
Allez souvent, mais non pendant des jours sans nombre,
Pour mieux la féconder,
De pluie et de rayons tout à tour l'inonder.
Notre coeur a besoin, comme la terre avide,
D'orage et de soleil souvent et tour à tour;
Un bonheur trop constant le rend parfois aride,
Un long malheur, parfois, l'écrase sans retour.
Un renard, moins rusé que ceux de son espèce,
Etait sorti des bois
Aux abois,
Ne trouvant pas une pièce
De bon gibier.
Il avait souvenance
D'un fameux colombier
Où les pigeons faisaient bombance:
Jadis il l'avait vu de loin.
C'était toujours une ressource
Dans le besoin.
Ce fut donc vers ce lieu qu'il dirigea sa course.
Il avait faim: il courait fort.
Quand on a le confort
Jamais on ne se presse,
Mais quand on se sent mal
La lenteur nous oppresse.
Notre souple animal
Par une route raccourcie,
Sur la neige durcie--
Car on était en plein hiver--
Arrivait et joyeux et fier,
Quand, à la porte d'une étable,
Il vit un vieux coq qui chantait.
--C'est un mets, se dit-il, qui me semble acceptable,
Et naguère on s'en contentait:
Croquons-le tout d'abord et les pigeons ensuite.
Dire et faire c'est deux, même pour un renard.
Le vieux coq suspendit, sans attendre plus tard,
Son gai couplet et prit la fuite,
Le renard le suivit,
Et je crois qu'il allait l'atteindre,
Quand, tout à coup il vit
Sur la neige se peindre
Le vol rapide des pigeons.
Aveuglé par la joie,
Il quitte alors sa proie.
--Quel dîner nous nous ménageons!
Se dit-il en lui-même en courant après l'ombre:
Ce vieux coq n'avait rien que la plume et la voix!
Parlez-moi des pigeons! ça pèse et ça fait nombre.
Je n'en aurai jamais autant pris à la fois!...
Tout en monologuant il courait gueule ouverte,
Tout alerte;
Or, il courut si follement
Qu'il en mourut d'épuisement.
Nous faisons du renard la sottise suprême
Lorsque, les yeux fixés sur le monde trompeur,
Nous prenons l'ombre du bonheur
Pour le bonheur lui-même.
Un hibou vaniteux, reployant sa grande aile,
Vint s'arrêter près d'un ruisseau:
--Si le miroir de l'onde est aujourd'hui fidèle,
Je suis, pensa-t-il, vraiment beau.
Et, comme il s'admirait, rajustant sa toilette,
Une belette
Se glissa parmi les roseaux
Et vint boire aux limpides eaux.
--Belette, mon amie,
Lui cria le hibou,
Combien triste pour toi doit paraître la vie!
Tu rampes sur la terre et n'habites qu'un trou.
Je maudirais le sort si j'étais à ta place,
Et, loin de m'admirer dans ce calme miroir,
Je me noierais de désespoir!
--Je vous répondrai sans fallace,
Dit, en levant son fin museau,
La belette au vilain oiseau;
Je n'ai point d'ailes, point de plume;
N'en ayant jamais eu je n'en ai pas besoin:
Au reste je n'ai pas coutume
De chercher le bonheur bien loin.
Puis dans le danger je me sauve
Mieux que l'oiseau, mieux que le fauve,
Voyez: un chasseur vient, adieu!
Se fourrant au milieu
De l'épaisse fougère,
La belette légère
A ces mots disparut.
Aussitôt le hibou, hâtant son vol austère,
S'éleva de terre,
Mais par malheur pour lui le chasseur accourut.
Gardez-vous d'offenser par des paroles vaines
Ceux qui sont moins doués que vous;
Ce qui fait notre orgueil devient souvent pour nous
Une source de peines.
Un cheval bien connu dans plus d'une paroisse
Etant tombé malade, un jour,
Une profonde angoisse
Accabla, paraît-il, les chevaux d'alentour.
Ils quittèrent leurs écuries
Pour venir visiter leur ancien compagnon,
L'appelèrent mignon;
Lui jurèrent que los prairies,
Depuis qu'il était alité,
Avaient perdu toute gaîté.
Tant de bonnes paroles
Consolaient le pauvre animal
Mais ne guérissaient point son mal.
Pendant ce temps l'avoine, à pleines casseroles,
Les bottes de foin,
Les litières de paille
Etaient servis avec grand soin
Aux amis qui faisaient ripaille.
Le médecin était venu.
C'était, un sage méconnu
Qui de son grand savoir ne faisait point parade.
--Je vois bien, lui dit le malade
Avec émoi,
Que c'est fini de moi:
Cependant Je mourrais sans peine
S'il ne me fallait pas laisser autant d'amis.
--Consolez-vous, dit l'autre, et mourez bien soumis;
Votre espérance est vaine
Si vous comptez sur leur appui.
Ils ont tout dévoré votre humble patrimoine,
Et si la mort, mon cher, ne vous prend aujourd'hui,
N'ayant plus de foin ni d'avoine,
Vous mourrez de faim
Demain.
Ne mettez pas votre joie
A compter des amis nombreux,
Que votre coeur plutôt s'emploie
A les choisir généreux.
Un renard glapissait d'une façon bien triste:
Il s'était pris au piège. Un loup-cervier touriste,
Curieux de savoir la cause, de ses cris,
Pour le venir trouver s'écarta de sa route.
--Voyez, dit le renard, comme me voilà pris;
Ah! je méritais mieux sans doute!
Je suis victime du devoir;
On vous disait malade et je courais vous voir.
--Ma griffe est forte,
Répond le loup-cervier que le plaisir transporte,
Ma griffe est forte et je suis bien adroit;
Je ne saurais laisser renard au coeur si droit
Dans un danger si redoutable;
Il faut être plus charitable.
Je vais ouvrir le piège; allons, pauvre captif,
Otez-vous, soyez vif.
Le loup-cervier, alors, par un effort suprême,
Ouvre le piège un peu;
Il sauve le renard, mais il se prend lui-même.
--Adieu!
Lui dit avec artifice
Le renard en partant;
J'admire fort ton sacrifice
Mais n'ose pas en faire autant.
Ne faites pas le bien pour de vils honoraires;
Ecoutez votre coeur, mais aussi la raison,
Si de flatteurs discours vous rendent téméraires
Vous ne serez payés que par la trahison.
Un orme avec orgueil agitait son feuillage
Où les oiseaux venaient chanter;
--Quand on est comme moi l'on peut bien se vanter
De ne pas craindre le pillage,
Disait-il, et l'on est toujours beau, toujours vert.
Une brise passa qui lui prit une feuille,
Mais il s'en moqua bien; il n'avait pas souffert.
Une en plus une en moins que l'on perd ou recueille.
Quand on est bien feuillu, que peut faire cela?
Une autre brise s'envola
Avec une autre feuille encore.
L'arbre riait toujours, disant:
--Pourquoi sévir?
Non, ce n'est pas ainsi qu'on pourra me ravir
Le beau voile qui me décore.
Chaque souffle pourtant le dépouillant un peu,
Il dut de son erreur faire un bon jour l'aveu.
Quelque vertus que l'on possède
On les perdra bientôt si l'on n'en prend grand soin.
La richesse fait place assez tôt au besoin
Quand en aveugle l'on procède.
Une faible dépense épuise un gros budget
Quand elle est faite à tout sujet.
Un cerf, ayant un jour fait une longue courte,
Etait fort altéré
Et cherchait une source,
Quand il vit tout à coup, au milieu d'un fourré,
Une mare, profonde
Que ceignait un rocher.
Il fut prompt à s'en approcher.
--Que le diable confonde
Le chasseur et ses chiens!
Cria-t-il, en jurant comme bien des chrétiens,
Cette eau-là n'est pas illusoire,
Et je vais boire
A la santé de ces gredins
Qui font là-bas du tintamarre.
Puis, en disant ces mots, il sauta dans la mare.
Comme il n'était pas de gradins
Et que la côte
Etait abrupte et haute,
L'imprudent ne put revenir.
Quand une passion nous presse, nous obsède,
Hélas! bien trop souvent l'on cède
Sans demander comment cela devra finir.
Deux amis discutaient une chose fort grave:
La liberté;
L'un disait: On est libre, et l'autre: On est esclave
De la fatalité.
Le discours s'anima; l'on en vint aux injures
En guise de raisons.
On se traita de tout: d'ignares, de parjures
Et d'oisons.
Le partisan du libre arbitre,
Pour finir le chapitre,
En appelant l'autre un mulet,
Braqua sur lui son pistolet.
--Comment! tu voudrais donc tuer un camarade!
Au mépris du devoir, au mépris de l'honneur?
S'écria, stupéfait, le second raisonneur.
--Pourquoi, dit le premier, cette belle tirade
Si je ne suis pas libre et ne puis décider?
C'est tout en ma faveur que tu viens de plaider;
Je ne voulais pas autre chose.
Tu me crois libre: alors, ne crains donc pas que j'ose,
Dans un emportement brutal,
Te porter quelque coup fatal.
La liberté, ce bien sublime,
Où notre science s'abîme,
Ne se laisse guère expliquer
Mais ne cesse jamais de se voir invoquer.
Après une assez longue absence
Un voyageur revint au village natal:
--Oui, je reviens mourir au lieu de ma naissance,
Dit-il en soupirant, et le destin fatal
Va, je l'espère,
Me laisser expirer en paix.
Il semblait ployé sous le faix
De la misère;
Il était mal vêtu,
Avait le dos courbé, le regard abattu.
On le fuyait. Il eut peine à trouver un gîte.
Les frères, les amis ne le connaissaient plus.
--Je comprends, leur dit-il, la peur qui vous agite,
Mais gardez-moi ce soir; vraiment, je suis perclus.
Il me faut du repos, il me faut un refuge;
Je partirai bien sûr demain.
Pour ne pas paraître inhumain
Aux yeux du monde qui nous juge
Ou contre nous se fait témoin,
Un frère lui permit d'occuper aux mansardes
Un petit coin.
Le lendemain matin, ayant changé de hardes,
Riant, frais et dispos
Après un bon repos,
Notre humble voyageur se hâta de descendre.
On fut un peu surpris de voir ce changement.
Le charbon qui sort de la cendre
Ne se transforme pas, non, plus étrangement.
--Mon frère, aidez-moi donc, de votre main adroite,
A charger sur mon dos cette pesante boîte,
Dit le voyageur
A son frère tout songeur.
--Qu'avez-vous là dedans? grand Dieu! que cela pèse!
--C'est de quoi, mon ami, vivre cent ans à l'aise,
C'est de l'or.
--Frère, ne partez pas, restez, restez encor.
Le voyageur sortit disant avec des larmes:
--L'or plus que les vertus a pour l'homme des charmes.
Au bord d'une prairie
Croissait péniblement un petit cenellier;
On ne lui voyait pas une branche fleurie;
Il était inhospitalier;
Il était hérissé d'épines,
Et, sur ses rameaux presque nus,
Les oiseaux n'étaient pas venus,
Comme sur d'autres aubépines,
Entonner leurs vives chansons.
Or, à l'époque des moissons,
Un paysan le vit et détourna la tête
D'un air tout à l'ait dédaigneux.
L'arbrisseau fut choqué, de cet air malhonnête.
--Si j'avais un maître soigneux,
Dit-il en agitant sa tête à moitié sèche,
Je grandirais et serais beau;
Transplante-moi, pour voir, dans un riche terreau.
Le bon paysan prit sa bêche
Et du sol appauvri tira l'arbre plaintif;
Ne doutant pas qu'il fut d'un fort bon caractère,
Il alla le planter au milieu de sa terre,
Et fut bien attentif
À lui donner des soins de toutes sortes.
Le cenellier grandit;
Son feuillage verdit,
Couvrant d'un voile épais les branches demi-mortes;
Mais sous ce beau feuillage avaient aussi poussé
Les épines cruelles.
Elles se cachaient mieux et déchiraient les ailes
De l'oiseau confiant qui s'envolait blessé.
Ne cultivez jamais une mauvaise plante,
Jamais, non plus, les coeurs méchants;
Votre tendresse vigilante
Perdrait ses soins touchants,
Car la culture
Ne corrige pas fréquemment
Notre nature
Et lui donne toujours un grand raffinement.
Un jour, en labourant sa terre,
Un paysan trouva quelques pépites d'or.
Il crut qu'un immense trésor
Se cachait là dans le mystère.
Il se mit à chercher, fouillant de toute part
Au hasard.
Du pic et de la bêche;
Mais la chance revêche,
Ne lui souriait pas souvent.
Il n'en gardait pas moins son aveugle courage
Et creusait plus avant.
Il négligea son labourage
Et ne faucha plus de moissons
Aux gais refrains de nos chansons.
La dépense augmentant bien plus que les recettes,
Il fit des dettes;
Mais il s'en moquait bien.
Combien
Voudraient être à sa place, avoir la perspective.
De la fortuite et des honneurs,
Et puis voir, en définitive,
A leurs pieds tous les sermonneurs!
--Je serai, pensait-il, commissaire d'école;
On commence par là.
Je serai président d'un grand cercle agricole,
Et pour cela,
J'apprendrai peut-être
De quelque bon maître
A signer mon nom au lieu d'une croix.
Je serai marguillier. Plus que cela, je crois,
Je serai maire en ma paroisse.
Et préfet du comté.
Je vois les envieux, je comprends leur angoisse...
Mais je veux user de bonté
Et ne traiter personne avec outrecuidance..
Or, une fois en évidence,
Il me sera facile assurément
De devenir membre du Parlement...
On me recherchera... Tiens! déjà?... Sur ma porte
Je vois bien, n'est-ce pas, la députation?...
Je gage qu'on m'apporte
Une humble réquisition.
Allons au-devant tout de suite;
Soyons digne, c'est bien, mais pas trop obstiné...
Hélas! c'était une poursuite;
Il était ruiné!
Braves cultivateurs qui cherchez la fortune,
Quand vient la saison opportune
Fouillez bien votre sol, bêchez votre terrain,
Mais pour y semer du bon grain;
Tout le reste, pour vous, serait de la démence.
Enterrez bien cette semence,
Votre trésor,
La pluie et te soleil la changeront en or.
Un ruisseau descendait, de chutes en rapides,
Du pied des Laurentides
Au fleuve Saint-Laurent;
Il murmurait fort en courant,
Non parce que ses flots roulaient en abondance,--
Il n'en avait que peu--mais bien par impudence
Et pour faire du bruit,
Afin qu'on fut instruit
De son passage.
Lorsque l'on est petit, ma foi!
On attire les yeux sur soi
En faisant beaucoup de tapage.
Il arriva, sans le savoir,
Avec toute sa véhémence
Sur les rives du fleuve immense.
Le fleuve passait sans le voir.
--Où portes-tu, fleuve, ton onde?
Demanda-t-il d'un ton amer.
--Moi? je vais au sein de la mer,
Répondit de sa voix profonde
Le fleuve qui marchait toujours.
--Arrête ici ton cours;
La mer n'a pas besoin de ton onde limpide;
Epanche dans mon lit aride
Tes flots qui vont là-bas mourir;
C'est moi petit ruisseau que tu dois secourir.
--Tais-toi pauvre insensé; si je changeais ma course'
Pour obéir à tes propos,
Je remonterais à ta source
Et t'engloutirais sous mes flots.
Cette fable peut nous apprendre
Que nous aurions parfois de bien profonds regrets
Si ceux que nous prions consentaient à se rendre
A nos voeux indiscrets.
Quand les cristaux de la gelée
Eurent fleuri les eaux au fond de la vallée,
Le rival de Tanner, le maître de nos bois,
L'ours qui vit sans manger pendant au moins six mois,
Usant de son grand privilège,
Dormit en attendant le départ de la neige.
Mais un vieux carcajou s'empara du pouvoir
Et le fit aussitôt savoir
A tous les animaux de la forêt profonde.
--C'est sur le droit, dit-il, que mon pouvoir se fonde:
L'ours me l'a confié pour jusques au printemps;
Et l'on m'obéira par amour ou par crainte.
Après un certain temps,
Comme il entendit quelque plainte
Contre sa haute autorité,
Il voulut sur le champ savoir la vérité,
Mais de quelque façon plus confidentielle.
Il fit annoncer pour cela,
Dans la Gazette officielle,
L'important avis que voilà:
Tout animal, petit ou gros, mâle ou femelle,
Qui veut de ses conseils aider le carcajou
Sera le bien venu; la promesse est formelle.
L'avis passa pour un bijou
Et tous les animaux en prirent connaissance.
Plusieurs partirent aussitôt;
C'étaient les plus petits, les bêtes sans naissance
Et qui payaient l'impôt.
Le renard, soupçonnant quelques pièges ignobles,
Ne se pressa pas trop; il attendit les nobles.
--Qu'avez-vous à me reprocher?
Demanda le régent à ces dernières bêtes.
--Nous venons pour l'honneur seul de vous approcher,
Dirent-elles courbant leurs têtes.
--Et toi, maître renard, viens-tu pour me berner?
--Moi, je viens pour apprendre à mieux me gouverner.
--Voilà ce que j'entends par conseiller son maître,
Reprit le carcajou. Venez tous vous repaître:
Je viens d'égorger bravement
Maint stupide animal qui m'a dit autrement.
Bon député du peuple, à parler on t'invite:
On suivra tes conseils, dit-on, de point en point:
Tu le crois et tu viens... Sois heureux, l'on t'évite
Mais l'on ne te dévore point.
La pie est voleuse
Autant que parleuse;
Deux défauts fort vilains
Que parmi les humais
De place en place encore
On trouve quelquefois,
Mais que bientôt je crois,
Du couchant à l'aurore
L'on ne trouvera plus
Si nos livres sont lus.
Donc une pie,
Une impie,
Ne trouvant pas assez moelleux,
Pour ses petits encor frileux,
Son nid de mousse et de brins d'herbe,
Profita de l'éloignement
D'un canard logé richement
Pour entrer dans son nid superbe
Et lui voler son chaud duvet.
Le canard qui savait
Ce que vaut une plume,
Dans son coeur rempli d'amertume
Assez longuement réfléchit;
Puis il se dit:
--La pie a la griffe légère:
Donc elle n'est pas étrangère
A ce larcin qui l'enrichit.
Faisons arrêter la pillarde.
Et, comme elle est fort babillarde,
Et que les siens jasent aussi
Beaucoup trop d'ordinaire,
Je saurai bien ainsi
Le fond de cette affaire.
Il fit comme il disait, rien de plus, rien de moins
Il appela comme témoins
Devant une court haut prisée
Tous les petits de l'accusée
Et les interrogea tour à tour longuement.
Mais, à sa grande surprise,
Ils surent éviter alors toute méprise
En se taisant obstinément,
Et lui, fort bon de sa nature,
Et lui se consola de sa déconfiture
En répétant ces mots que nous vous confirmons:
Il est dur de parler--même s'il faut instruire--
Quand nos paroles doivent nuire
A ceux que nous aimons.
Les gloutons partirent en guerre
Contre les visons,
Et l'on ne sut guère
Pour quelles raisons.
Comme nous quelquefois les bêtes
Aiment à faire des conquêtes,
Et tout prétexte est bon alors.
Peu rompus à la discipline,
Les visons dont l'esprit incline
A la paix au dedans à la paix au dehors,
Eprouvèrent quelques défaites,
Et, sur les entrefaites,
Requirent l'aide du renard.
Celui-ci répondit d'un ton fort goguenard:
--Je crois que le glouton, en effet, anticipe
S'il a l'intention
De réunir la faune en une nation;
Mais je n'interviens pas à cause du principe
De la non-intervention.
Les visons malheureux n'eurent pas plus de chance
Auprès de maître loup.
Ils furent dispersés; ce fut leur déchéance,
Ce fut le dernier coup.
Le glouton orgueilleux se plut à donner suite
A ses brillants projets:
Il lui fallait d'autres sujets.
Il traqua le renard, le prit ou mit en fuite
Sans même, lui dire pourquoi.
Et puis qu'aurait pu faire
Un long discours en cette affaire?
Chacun, d'après la grande loi,
Ne doit-il pas demeurer coi
Pendant qu'on immole son frère?
Les loups eurent leur tour aussi,
Mais leur perte fut bien légère,
Car les méchants entre eux ne sont pas sans merci.
Ne pas intervenir quand le puissant accable
Le faible qui s'épuise en un pénible effort,
C'est au lieu de l'amour admettre l'implacable,
Au lieu du plus loyal acclamer le plus fort.
On dit qu'une couleuvre--
Le fait s'est passé loin--
On dit qu'une couleuvre
Ruminait dans son coin
Quelque bonne manoeuvre
Pour se venger d'un tour
Qu'un aigle
Espiègle
Avait osé lui faire un jour.
Ni la légende, ni l'histoire
Ne nous apprennent tout à fait
Ce qu'était ce petit forfait,
Mais on peut tout de même y croire
Et le fait n'est point controuvé.
Après avoir longtemps couvé
Sa vengeance,
La couleuvre avec diligence
Rampe dans un vallon
Où descendait l'aiglon
Qui l'avait, disait-elle--
Et ce n'était pas bagatelle--
Traitée avec peu de respect.
Elle sourit à son aspect
Et se montre toute gentille.
L'aiglon s'approche doucement.
Elle lui dit coquettement:
--Oublions, va, cette vétille!
Soyons amis, embrasse-moi,
Je te pardonne, sur ma foi!
--Soyons amis, ma toute belle,
Et ne faisons plus la rebelle,
Lui réplique l'aiglon de feu.
--Je veux te suivre, ouvre ton aile
Et porte-moi dans le ciel bleu.
L'aigle la prend, puis avec elle
Il monte, il monte on ne sait où...
Et pendant qu'il plane et qu'il flotte,
Pour se venger la pauvre sotte
Le mord au cou.
Il tombe,
Mais moins blessé que stupéfait;
Elle tombe aussi, puis succombe
Aux blessures qu'elle se fait.
Voici ce que ma fable exprime:
Celui-là qui pour se venger
S'expose à quelque grand danger
Ajoute la folie au crime.
--Sauve-toi! sauve-toi! cours donc, stupide lièvre!
Oh! quelle bonne peur!...
Je te donne la fièvre
Et te fais rudement secouer ta torpeur!
On me le disait bien que tu n'étais pas brave
Et que la fuite était ton jeu
Quand le danger devenait grave,
Mais je croyais, vraiment, que l'on mentait un peu.
Ainsi maître renard, tout fier de sa vaillance,
Injuriait un lièvre en le suivant de près.
Le lièvre répondit:
--Je sais ta malveillance,
Mais je ne te fuis point exprès;
La peur qui me tourmente
Vient du loup affamé qui court derrière toi.
--Un loup? fait le renard dont la vitesse augmente,
O lièvre, mon ami, va moins vite, attends-moi.
Il est bien ridicule
De se croire plus fort que celui qui recule
Devant une menace ou la vigueur d'un bras;
Il est assez stupide
De se croire une égide
Quand on crie au secours pour le moindre embarras.
Un carcajou jadis, ayant fort bonne dose
De vanité,
Cherchait une opportunité
De se faire un renom par quelque grande chose.
Il voulait se rendre immortel,--
C'était son but suprême--
Ne fut-ce même
Que par un fait accidentel.
Plein de cette pensée
Qu'on peut dire insensée
Quand elle vient d'un carcajou,
Et croyant qu'un haut fait ne sera qu'un joujou
Pour sa riche nature,
Il part à l'aventure.
Il n'était pas très loin encor
Quand, dans une rivière assez bien encaissée,
Il voit un habile castor
Qui bâtissait une chaussée.
--Voilà, se dit-il en émoi,
Un travail qui serait assez digne de moi;
Mais je puis faire mieux: j'ai plus grande stature
Et j'ai meilleures dents, pour couper un sapin,
Que ce petit rapin
De l'architecture.
Commençons donc notre oeuvre; immortalisons-nous,
Et rendons jaloux
Les hommes orgueilleux dont les longues annales
Ne racontent toujours que des choses banales!
À peine finit-il ce vaniteux propos
Qu'il se mit à ronger un arbre des plus gros,
Mais ils n'en avait pas coupé toute l'écorce,
Malgré ses coups ardents,
Qu'il avait épuisé sa force
Et qu'il s'était cassé les dents.
Il rentra dans les bois fou de honte et de rage,
Comprenant, mais trop tard, que le plus beau courage
Ne suffit pas toujours pour créer un exploit,
Mais qu'il faut être propre à l'oeuvre qu'on conçoit.
Poursuivi par un chien, un lièvre
Courait, courait. Il tenait le devant,
Mais la peur lui donnait la fièvre.
Il allait toutefois s'échapper bien vivant
Quand il aperçut la tanière
D'un ours à l'âme rancunière.
Il s'y fourra,
Et l'ours le dévora.
Toi qui veux fuir l'ennui, regarde bien et juge
Où tu vas chercher un refuge.
Sorti du bois par un matin superbe,
Un orignal des mieux empanaché
Voit un ruisseau qui promène dans l'herbe,
Sous maint tilleul coquettement penché,
Son eau calme où la fleur se mire.
Il s'en approche en quelques sauts,
Se regarde longtemps, s'admire.
--Que mon panache est beau! dit-il, mais quels dieux sots
M'ont hélas! affligé d'une jambe aussi grêle?
Un chasseur arrivait. Aussitôt le plomb grêle.
L'orignal fuit. Aux champs il court sans se lasser
Grâce à sa jambe alerte, il es sauve, il échappe;
Mais rendu dans le bois, le chasseur le rattrape....
Son panache aux rameaux vient de s'embarrasser.
La morale de cette fable,
C'est qu'il faut préférer l'utile à l'agréable.
Une brillante luciole,
Ouvrant ses ailes dans la nuit,
Comme une étincelle qui vole
Glissait mollement et sans bruit.
Quand on jette sur son passage
La rayonnement des splendeurs,
Quand on a l'éclat des grandeurs
Il est malaisé d'être sage,
Et d'éviter longtemps l'écueil.
La luciole eut de l'orgueil,
Elle vit une fraîche rose
Qui cachait dans l'obscurité
Et son parfum et sa beauté.
--Voilà bien une triste chose,
Pensa l'insecte au vol de feu.
Pauvre fleur, dis-moi donc un peu
De quoi te servent ton dictame,
Et ta grâce, et ton coloris?
Nul ne te voit; et, sur mon âme!
J'en suis chagrin, mais pas surpris.
--Reste avec moi jusqu'à l'aurore,
Répondit la reine des fleurs.
L'insecte babillait encore
Quand le jour rendit ses couleurs
A sa jeune et gentille amie.
--La terre n'est plus endormie;
Voltige donc dans le ciel clair
Et l'on croira voir un éclair,
Souffla la rose avec malice.
--Je ne saurais entrer en lice,
Je ne brille pas dans le jour,
Répliqua tristement l'insecte.
C'est un malheur que je respecte,
Dit la fleur; mais chacun son tour.
Je luis lorsque tu dois t'éteindre;
Tu me plaignais, je vais te plaindre.
Tel se tient aujourd'hui sous des voiles épais,
Qui pour briller attend l'heureuse circonstance;
Tel vous semble passer une triste existence
Qui jouit en son coeur d'une suave paix.
--Tu trembles, tu te plains, et c'est bien par ta faute,
Dit au pin, son ami, le saule du vallon,
Un jour que l'aquilon
Hurlait au sommet de la côte,
Et que l'arbre d'en haut se tordait en tous sens.
--Descends donc près de moi, pauvre insensé, descends,
Fit-il encore. Viens au pied de la colline.
Ici, pas de tempête; à peine l'on s'incline;
A peine un souffle frais caresse nos rameaux,
Et l'on est à l'abri de presque tous les maux,
L'autre ne répond pas. Tout entier à la lutte,
Il se courbe et se dresse, il s'agite et frémit.
Ses racines de fer au sol qui s'affermit
Se cramponnent plus fort pour empêcher la chute.
Enfin, malgré le vent qui brise tout,
Sur la cime il reste debout.
Alors, au fond de la vallée,
Se jette la tempête ailée,
Et, pareille à la faulx qui rase les moissons,
Elle abat sur le sol le saule et les buissons.
L'on ne vaincra jamais l'homme qui sut combattre,
Dès le commencement, contre l'adversité;
Mais un souffle, en passant, suffira pour abattre
Celui qui n'a jamais lutté.
Deux chênes s'élevaient au milieu de la plaine,
Tristes et dénudés, car l'implacable haleine
De l'hiver
Avait mis sans pitié bois et champs au pillage.
L'un des deux, toutefois, pour perdre son feuillage
N'avait pas attendu l'automne. Un petit ver
Lui rongeait, dès longtemps le coeur. Et la blessure
Avait causé la mort après la flétrissure.
Ses rameaux sans vigueur séchèrent tour à tour:
L'oiseau n'y bâtit plus de nids à son amour.
Cet arbre malheureux avait, d'un oeil d'envie,
Pendant qu'il se sentait périr,
Vu son vieux compagnon de feuilles se couvrir.
--Quand l'automne viendra, sur sa cime asservie
Pas plus que sur mes vieux rameaux
Ne s'arrêteront les oiseaux,
S'était-il dit. Oui, quand viendra l'automne.
Ce feuillage qui le festonne
Tombera sur le sol; et son front sera nu;
Et ceux-là qui l'auront connu
Pourront à leur tour le maudire.
En effet, l'automne arriva,
Et l'arbre sec se prit encore à dire:
--Résigne-toi, va,
Ton front, comme le mien n'est plus guère superbe
Et ta riche couronne à nos pieds gît dans l'herbe.
--Garde tes durs propos, répondit le voisin;
Je me repose,
Le sommeil et la mort ne sont pas même chose;
Attends la fin.
Quand revint le printemps avec les tièdes brises,
Que le soleil sourit,
L'un refleurit
Et l'autre s'affaissa sous ses écorces grises.
Dans la tombe, c'est vrai, l'homme à l'homme est pareil,
Et le méchant, trompé, réclame la victoire.
Il sera dans la honte et le bon, dans la gloire,
Au grand jour du réveil.
Un lion cherchant l'ombre,
Car le jour était chaud, les champs, pleins de soleil,
Entra tout haletant dans une grotte sombre
Pour attendre la nuit et goûter le sommeil.
Mais toute joie est décevante.
Voilà bien qu'un lézard lui monte sur la dos.
Il sort alors de son repos,
Il regarde, il frémit, comme pris d'épouvante.
Un renard l'aperçoit et se moque de lui.
--Je n'ai pas peur de cette bête,
Dit le lion, dressant la tête,
Mais son peu de respect me cause de l'ennui.
Avec les forts, les grands, pauvres gens sans mérite,
N'allez pas mêler vos esprits.
Votre vanité les irrite
Ou votre air familier provoque leur mépris.
Nombre d'hommes, partout, se pensent nécessaires,
Utiles, tout du moins,
Qui ne sont qu'ennuyeux. Ils ont été témoins
De maints gestes et faits. Ils se disent sincères;
Vous donnent dès avis que vous suivrez, sinon....
Ils ne répondent pas de vous. Sachez comprendre;
Ils sauront s'éloigner, ils en jurent leur nom.
Leur zèle me déplaît bien plus qu'il ne me touche.
Ils me rappellent cette mouche
Qui prit pour piédestal la corne d'un taureau.
Je viens pour te servir, dit-elle au quadrupède
Je suis pour la victime et non pour le bourreau.
Main si mon poids trop lourd te fatigue, je cède,
Je m'envole,... tu peux parler.
--Merci, fit l'animal, de tant de complaisance!
Mais tu peux, sur ma foi! rester ou t'en aller,
Je ne m'aperçois pas du tout de ta présence.
Compère l'ours, un jour, écrivit une lettre
A son voisin le renard.
C'était pour un dîner.... Il n'y voulait admettre
Que le convive libre, aimable, goguenard.
On allait faire ripaille....
Pas d'eau, du vin.... à flots! Puis un boeuf d'une taille....
Tout était prêt déjà: chaudière, boeuf et feu.
Allait-on s'amuser un peu!
Le renard accourut. Il faut bien qu'on le dise,
Pour lui c'est un péché mignon
Que le péché de gourmandise.
Mais quand il vit de loin son rusé compagnon
Prendre pour le fricot une étroite chaudière,
Il se dit:
--Ce n'est pas assez grand pour un veau;
Ça sent la trahison. Retournons de nouveau
A notre renardière.
Pour n'être point dupés voyez toujours, d'abord,
Si paroles et faits se trouvent bien d'accord.
Deux épis de froment, sortis du même germe,
Et que le champ fauché gardait sur son tapis,
Causaient un jour, entre eux, comme font les épis.
L'un était haut et droit. Il disait que la ferme
Devait être fière de lui;
L'autre se montrait plus candide;
Il s'inclinait toujours et cherchait un appui.
L'un était plein, l'autre était vide.
Qui s'affiche est souvent de moyens dépourvu;
Savant ou vertueux n'aime pas être vu.
Une colombe au blanc plumage
Volait depuis longtemps
Au-dessus d'un désert sauvage,
Sous des cieux éclatants.
Une soif ardente, cruelle,
Faisait enfin faiblir son aile
Quand elle vit, près d'un rocher,
Couler une source limpide.
Dans sa hâte d'en approcher,
Son élan fut si rapide
Qu'elle vint se heurter au roc.
Sous la violence du choc
Elle se brisa la cervelle.
L'histoire, hélas! n'est pas nouvelle.
Beaucoup tombent ainsi, soit tard, soit au début,
Pour n'avoir pas appris à mesurer le but.
Un jour, traversant la boulaie
Avec tous ses petits,
Nombreux, grognards, pleins d'appétits,
Une orgueilleuse laie
Sous les rameaux feuillus, repliés en arceau,
Rencontre une lionne avec un lionceau,
Un seul!
--Que je vous plains! ma bonne,
Dit-elle avec compassion....
Rien qu'un petit!!!
--C'est vrai, répondit la lionne,
Mais ce petit est un lion.
Ainsi que l'homme, l'ours propose
Mais ne dispose pas toujours.
Un ours affamé,--je suppose,--
Portait dans les champs ses pas lourds,
Ruminant de nouveaux manèges
Pour tromper l'animal broutant.
C'était à l'approche des neiges,
Mais les brebis paissaient pourtant.
--Un agneau, quelle bonne aubaine!...
Je laisserai la peau, la laine,
Pour ne savourer que la chair.
Ainsi l'agneau ne vaut pas cher,
Et tout petit sera mon crime:
Je pourrais même en manger deux.
Trois serait un peu hasardeux...
Faut être honnête.
Ainsi s'exprime
L'ours qui marche le nez en l'air,
Bien sûr d'avoir assez de flair
Pour éviter toute aventure
De nature
A retarder trop son retour.
Il avait déjà fait un tour
Naguère dans ces pâturages,
Et le maître, se disait-il,
Dans un raisonnement subtil,
Lui redevait des arrérages.
Tout en cherchant de-ci de-là,
Voilà
Qu'il entend, à quelque distance,
Le bêlement d'un vieux mouton.
--Je vais te prêter assistance
Et te faire changer de Ton,
Grogna-t-il, en courant fort vite
Vers l'endroit d'où partaient les cris.
Ton bêlement plaintif m'invite
A traverser des champs proscrits,
Ajouta-t-il, et je me hâte.
Je suis d'une si bonne pâte!
Aussitôt rendu qu'appelé....
Donc, si tu te vois bien pelé;
Tant pis! je m'en lave les griffes....
Comment, maraud! tu te rebiffes?
Et tu refuserais l'honneur
D'être croqué par ton Seigneur?...
Mais voilà que l'ours tout en verve
Tombe dans un piège tendu.
--Eh! fait le mouton qui l'observe,
Je ne suis pas encor tondu.
Foi d'ours! aide-moi, dit le fauve,
Et dans la forêt je me sauve
Pour n'en plus sortir qu'au printemps.
Six mois pour vous tous de bon temps!
--Ta générosité m'enchante,
Dit le mouton en se moquant.
Je n'ai pas peur, vieux délinquant,
L'hiver, de ta griffe méchante,
Car l'hi ver tu ne peux venir.
Je vois plus loin dans l'avenir.
C'est le coeur aimant que saccage
L'homme sans vertu ni pitié;
Laissez le fauve dans sa cage
Et le méchant, sans amitié.
LIVRE PREMIER
Fable I--Le loup et les deux bassets.
Fable II--Les deux ruisseaux et le rocher.
Fable III--Le chameau et les dromadaires.
Fable IV--Le laurier-rose et la pensée.
Fable V--Le roseau.
Fable VI--La lampe et le réverbère.
Fable VII--La lampe et le flambeau.
Fable VIII--Le brochet empressé.
Fable IX--Les deux lampes.
Fable X--Le hibou devenu juge.
Fable XI--Le renard et l'ours.
Fable XII--Le daim imprudent.
Fable XIII--L'avare sur le point de mourir.
Fable XIV--Les deux arbres.
Fable XV--L'arbre sec et l'arbre dépouillé par l'automne.
Fable XVI--La mouche et l'araignée.
Fable XVII--La lutte pour le sceptre chez les animaux.
Fable XVIII--L'aigle et le serpent.
Fable XIX--Le sculpteur et la madone.
Fable XX--Les deux arbustes et l'ondée.
Fable XXI--Les deux livres.
LIVRE DEUXIÈME
Fable I--Le cygne.
Fable II--Les deux chevaux.
Fable III--Le jeune renard et le loup.
Fable IV--Le renard et le vieux loup.
Fable V--La ligue des rats.
Fable VI--Le cheval et le charriot.
Fable VII--La plume et le pin.
Fable VIII--Le loup et le chien.
Fable IX--Les deux voisines et la mort.
Fable X--Le lièvre parvenu.
Fable XI--Le corbeau vaniteux.
Fable XII--Les feux Saint-Elme et le phare.
Fable XIII--La rose et le papillon.
Fable XIV--Le jeune chat et la souris.
Fable XV--Le laboureur et l'athée.
Fable XVI--La mer et le rocher.
Fable XVII--Le singe monté sur des échasses.
Fable XVIII--La corneille et la grive.
Fable XIX--Le loup devenu mouton.
Fable XX--Le loup converti.
Fable XXI--Le castor et le loup-cervier.
LIVRE TROISIÈME
Fable I--Le lièvre, et le rat.
Fable II--La chauve-souris.
Fable III--Le froment et l'ivraie.
Fable IV--L'abeille et, l'enfant gourmand.
Fable V--La fauvette et l'épi de blé.
Fable VI--Le chat qui rêve.
Fable VII--La cigale et la fourmi.
Fable VIII--La goutte d'eau et la pierre.
Fable IX--Les deux fontaines.
Fable X--Le songe, des trois frères.
Fable XI--Le glouton et l'écureuil.
Fable XII--Les deux vases.
Fable XIII--La limace et le rosier.
Fable XIV--Les deux écoliers.
Fable XV--Les deux contraires.
Fable XVI--L'oiseau et le feuillage.
Fable XVII--La harpe éolienne et la girouette.
Fable XVIII--Le ruisseau ambitieux.
Fable XIX--La neige et le marécage.
Fable XX--Le chêne et le pommier.
Fable XXI--Le chat et le jeune oiseau.
LIVRE QUATRIÈME
Fable I--Le paysan et les moineaux.
Fable II--Les deux cultivateurs et le serpent.
Fable III--Si j'étais le maître.
Fable IV--Les deux chiens.
Fable V--Le vanneur de blé.
Fable VI--Le singe qui se voit dans une glace.
Fable VII--Le testament du vieux célibataire.
Fable VIII--L'agneau et le glouton.
Fable IX--La cigale orgueilleuse.
Fable X--Le coq et le vieux putois.
Fable XI--Le flûtiste et le carcajou.
Fable XII--Le jardinier et le serpent.
Fable XIII--Les deux cultivateurs.
Fable XIV--Les deux pigeons sauvages.
Fable XV--Le dormeur.
Fable XVI--Les deux frères et la fortune.
Fable XVII--La sauterelle et la chenille.
Fable XVIII--Le secret du bonheur.
Fable XIX--Le bavard.
Fable XX--Le nouveau régime.
Fable XXI--L'oiseau-mouche et le chêne.
LIVRE CINQUIÈME
Fable I--L'origine des singes.
Fable II--Le rat et le pâté.
Fable III--Le taureau et la fourmi.
Fable IV--Le nuage et le soleil.
Fable V--Le renard et l'ombre des pigeons.
Fable VI--La belette et le hibou.
Fable VII--Le cheval malade.
Fable VIII--Le renard et le loup-cervier.
Fable IX--L'ormeau prodigue.
Fable X--Le cerf altéré.
Fable XI--Liberté et fatalité.
Fable XII--Le voyageur.
Fable XIII--Le cenellier.
Fable XIV--Le paysan et la mine d'or.
Fable XV--Le fleuve et le ruisseau.
Fable XVI--Le carcajou.
Fable XVII--La pie et le canard.
Fable XVIII--La non-intervention.
Fable XIX--La couleuvre et l'aigle.
Fable XX--Le renard et le lièvre.
Fable XXI--Le carcajou qui veut s'illustrer.
LIVRE SIXIÈME
Fable I--Le lièvre.
Fable II--L'orignal.
Fable III--La luciole et la rose.
Fable IV--Le saule et le pin.
Fable V--Les deux chênes.
Fable VI--Le lion et le lézard.
Fable VII--La mouche et la taureau.
Fable VIII--Le renard prudent.
Fable IX--Les deux épis.
Fable X--La colombe.
Fable XI--La laie et la lionne.
Fable XII--L'ours et le mouton.
[Fin de Fables par Pamphile Le May]