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Auteur: Garneau, François-Xavier (1809-1866) Date de la première publication: 1852 Lieu et date de l'édition utilisée comme modèle pour ce livre électronique: Québec: John Lovell, 1852 (première édition) Date de la première publication sur Project Gutenberg Canada: 1 novembre 2008 Date de la dernière mise à jour: 1 novembre 2008 Livre électronique de Project Gutenberg Canada no 191 Ce livre électronique a été créé par: Rénald Lévesque, à partir d'images généreusement fournies par la Bibliothèque nationale du Québec HISTOIRE DU CANADA DEPUIS SA DÉCOUVERTE JUSQU'À NOS JOURS. PAR F. X. GARNEAU. TOME QUATRIÈME. QUÉBEC IMPRIMÉ PAR JOHN LOVELL, RUE LA MONTAGNE. 1852. HISTOIRE DU CANADA. LIVRE TREIZIÈME. CHAPITRE I. CONSTITUTION DE 91. 1792-1800. Etablissement d'un gouvernement représentatif.--Réunion de la législature.--Le parti anglais veut abolir l'usage de la langue française; vives discussions il ce sujet.--Les Canadiens l'emportent.--La discussion est renouvelée lors de la considération des règles pour la régie intérieure de la chambre.--Violens débats; discours de M. Bédard et autres.--Les anglificateurs sont encore défaits.--Travaux de la session; projets de loi pour les pauvres, les chemins et les écoles.--Biens des Jésuites.--Subsides.--Justice.--Prorogation des chambres; discours de sir Alured Clarck--Lord Dorchester.--Il convoque les chambres.--Organisation de la milice.--Comptes publics.--Judicature.--Suspension de la loi de l'habeas corpus.--Association générale pour le soutien du gouvernement.--Troisième session.--Revenus et dépenses.--Fixation des charges; rentes seigneuriales.--Voies publiques.--Monnaies.--Lord Dorchester remplacé par le général Prescott.--Session de 97.--Défection de MM. De Bonne et de Lotbinière.--Traité de commerce avec les Etats-Unis.--Emissaires français.--Les pouvoirs de l'exécutif sont rendus presque absolus; ses terreurs.--Exécution de M. Law.--Sessions de 98 et 99.--Amélioration du régime des prisons.--Impôts, revenus publics.--Querelles entre le gouverneur et son conseil au sujet de la régie des terres.--Il est rappelé avec le juge Osgoode.--Sir Robert Shore Milnes convoque les chambres en 1800.--Nouvelle allusion aux principes de la révolution française; motif de cette politique.--Proposition d'exclure le nommé Bouc de l'assemblée.--Le gouvernement s'empare des biens des Jésuites. L'introduction du gouvernement représentatif forme l'une des époques les plus remarquables de notre histoire. La constitution de 91, telle qu'elle allait être mise en pratique, était loin d'être équitable, parfaite; mais la portion de liberté qu'elle introduisait suffisait pour donner l'essor à l'expression fidèle et énergique des besoins et des sentimens populaires. L'opinion longtemps comprimée se sentit soulagée en voyant enfin une voie toute restreinte qu'elle fut ouverte devant elle pour se faire connaître et se faire apprécier au-delà des mers. Cette constitution cependant promettait beaucoup plus qu'elle ne devait tenir. L'un de ses vices essentiels, c'était de laisser deux des trois branches de la législature à la disposition du bureau colonial, qui allait par ce moyen se trouver armé de deux instrumens qu'il ferait mouvoir à sa volonté tout en paraissant n'en faire mouvoir qu'un seul. Ce défaut capital qui n'était encore aperçu que du petit nombre d'hommes expérimentés dans les affaires publiques, leur fit présager la chute du nouveau système dans un avenir plus ou moins éloigné. La masse du peuple toujours plus lente à soupçonner les motifs, les arrière-pensées, les injustices, crut d'après les paroles de Pitt, que le Bas-Canada serait à eux, que la législation, en tant qu'elle ne serait pas incompatible avec l'intérêt et la suprématie de l'Angleterre, serait fondée sur ses sentimens et sur ses intérêts, qu'elle serait en un mot l'expression de la majorité des habitans. Vaine illusion! Outre l'intérêt canadien, outre l'intérêt métropolitain, il y avait déjà ce que lord Stanley a depuis qualifié «l'intérêt britannique» ou l'intérêt de la portion anglaise de la population, qui ne comptait alors que quelques centaines d'âmes dispersées dans les villes et dans les arrondissemens situés sur les limites orientales du Canada, le long des Etats de New Hampshire, du Massachusetts et du Maine. La plupart étaient d'origine allemande ou hollandaise.[1] Ils étaient venus s'établir en Canada pendant la révolution américaine qu'ils fuyaient. La métropole en se réservant la nomination du conseil législatif, s'était conservé le moyen de donner à cette petite population un pouvoir égal à celui du reste des habitans et ainsi de nullifier la majorité ou en d'autres termes de gouverner les uns par les autres. [Note 1: A short view of the present state of the Eastern townships etc., by the Honble. and Revd. Chs. Stewart A. M. minister of St. Armand Lower Canada and Champlain to the Lord Bishop of Québec, 1815.] Dans la nouvelle constitution, le roi ou plutôt le bureau colonial, car le bureau colonial seul en Angleterre connaissait ce qui se passait en Canada, formait une branche; le conseil législatif la seconde, mais comme il était à la nomination de la couronne, il devait être nécessairement la créature de l'exécutif, composé d'hommes dévoués à toutes ses volontés, en possession de toutes ses sympathies et toujours prêts à lui servir de bouclier contre les représentans du peuple. Telle fut dès le début la mise en pratique de l'acte de 91. La division du Canada en deux parties pour assurer à ses anciens habitans leurs usages et leur nationalité, suivant l'intention de Pitt, manqua son but et ne donna réellement la prépondérance à personne. Quant au conseil exécutif lui-même, qui devait être l'image du ministère en Angleterre, il ne fut qu'un instrument servile entre les mains des gouverneurs, et ce fut là ce qui amena plus tard la ruine de la nouvelle constitution. En effet, qui allait conserver l'harmonie entre les deux chambres, si le bureau colonial ne le voulait pas? Tout dépendait de cette volonté, puis qu'elle était maîtresse du conseil exécutif et du conseil législatif dont elle avait la nomination. Les membres du conseil exécutif choisis parmi les anciens habitans y furent toujours en petit nombre, excepté à son origine, où les Canadiens se trouvèrent quelque temps, comme dans le conseil législatif, dans la proportion de 4 sur 8. Mais plus tard l'on garda les plus obéissans et l'on repoussa les autres, car dès 99 ce conseil ne contenait plus que six Canadiens sur quinze membres. Sir Alured Clarke fixa les élections pour le mois de juin et la réunion des chambres pour le mois de décembre. Après toutes les tentatives du parti anglais depuis 64 pour les faire proscrire, l'on aurait pu croire que les Canadiens, le coeur encore ulcéré de l'exclusion dont on avait voulu les frapper, eussent refusé leurs suffrages à tous les candidats connus pour lui appartenir. Il n'en fut rien cependant à l'étonnement de beaucoup de monde. Deux choses contribuèrent à cette conduite; d'abord le peuple en général ignorait une partie des intrigues des Anglais qui avaient soin de se tenir dans l'ombre de ce côté-ci de l'Océan, ou de dissimuler leur conduite par des explications trompeuses, chose facile à faire à une époque où les journaux ne contenaient aucune discussion politique sur les événemens du jour; en second lieu, ils jugèrent, non sans raison, que ceux qui avaient été élevés au milieu d'un pays en possession depuis longtemps d'institutions dont ils allaient faire l'essai, devaient posséder une expérience utile au bon fonctionnement de la nouvelle constitution, et ils les choisirent partout où ils se présentaient sans exiger d'autre garantie que leurs déclarations verbales. Les Anglais qui connaissaient tout le prix de l'instrument qu'on mettait ainsi à leur disposition, montrèrent la plus grande activité et une audace qui doit nous étonner aujourd'hui. C'était un spectacle nouveau que de voir le peuple assemblé pour se choisir des représentans; mais c'en était un qui l'était encore plus que de voir tous les Anglais tant soit peu respectables de Montréal et de Québec courir partout solliciter les suffrages de cette race dont ils avaient demandé l'anéantissement politique avec tant d'ardeur et tant de persévérance, et les obtenir pour la plupart en opposition à ses propres enfans. Seize Anglais sur cinquante membres furent élus, lorsque pas un seul ne l'eut été si les électeurs eussent montré le même esprit d'exclusion que les pétitionnaires de 73 et les électeurs anglais d'aujourd'hui. C'était une grande hardiesse de la part du peuple que de hasarder ainsi les intérêts de sa nationalité en mettant sa cause entre les mains de ses ennemis les plus acharnés; mais les anciens gouverneurs ne l'avaient rendu ni défiant ni vindicatif; le vote sur l'usage de la langue française qui eut lieu à l'ouverture de la session, put seul réveiller des soupçons dans son coeur naturellement honnête et confiant, et lui montrer le danger de sa facile générosité. Les chambres se réunirent le 17 décembre dans le palais épiscopal occupé par le gouvernement depuis la conquête. Lorsqu'elles eurent prêté serment, le gouverneur assis sur un trône et entouré d'une suite nombreuse, requit les communes de se choisir un président et de le présenter le jeudi suivant à son approbation. Ce choix fit connaître leur caractère. Le parti anglais proposa de suite l'abolition de la langue française dans les procédés législatifs et la nomination d'un président de son origine nationale. Cette nomination qui fournit le sujet de la première discussion, fut ajournée au lendemain après des débats et une division provoquée par le désir de chaque parti de connaître ses forces, qui se trouvèrent dans le rapport de un à deux. Le lendemain, M. Dunière proposa M. J. Antoine Panet. Les Anglais opposèrent successivement à ce candidat M. Grant, M. McGill et un M. Jordan, trois hommes que rien ne recommandait à ce poste élevé que leurs heureuses spéculations dans le commerce. Ils espéraient par cette persévérance intimider leurs adversaires nouveaux dans les luttes parlementaires, et qu'ils taxaient déjà de factieux dès qu'ils osaient manifester une opinion indépendante. Les débats qui furent très animés, se prolongèrent longtemps et annoncèrent une session orageuse. McGill qui avait proposé Grant et qui était lui-même proposé par un autre, déclara pour raison de son opposition à M. Panet, que le président devait connaître les deux langues et surtout la langue anglaise. On lui répondit que ce candidat entendait assez cette langue pour la conduite des affaires publiques. Un autre membre, M. Richardson, avança que les Canadiens étaient tenus par tous les motifs d'intérêt et de reconnaissance d'adopter la langue de la métropole, et soutint sa proposition avec tant d'apparence de conviction qu'il acquit M. P. L. Panet à son parti. «Le pays n'était-il pas une dépendance britannique demanda ce représentant? la langue anglaise n'était-elle pas celle du souverain et de la législature? Ne devait-on pas conclure de là que, puisque l'on parlait anglais à Londres, l'on devait le parler à Québec.» Ce raisonnement qui paraissait plus servile que logique ne convainquit personne. La discussion sur un pareil sujet était de nature à exciter les passions les plus haineuses. «Est-ce parce que le Canada fait partie de l'empire britannique, s'écria M. Papineau dont la parole avait d'autant plus de poids qu'il s'était distingué par son zèle et sa fidélité durant la révolution américaine, est-ce parce que les Canadiens ne savent pas la langue des habitans des bords de la Tamise qu'ils doivent être privés de leurs droits?» Cette apostrophe suivie d'un discours plein de force et de logique déconcerta l'opposition, dont les faits cités ensuite par MM. Bedard, de Bonne et J. A. Panet achevèrent la défaite. Ce dernier rappela que dans les îles de la Manche comme Jersey et Guernesey, l'on parlait le français; que ces îles étaient attachées à l'Angleterre depuis Guillaume le conquérant, et que jamais population n'avait montré plus de fidélité à l'Angleterre que celle qui les habitait.» Il aurait pu ajouter encore que pendant plus de trois siècles après la conquête normande, la cour, l'église la robe, les tribunaux, la noblesse, tout parlait français en Angleterre; que c'était la langue maternelle de Richard coeur-de-lion, du Prince noir et même de Henri V; que tous ces personnages illustres étaient de bons Anglais; qu'ils élevèrent avec leurs arbalétriers bretons et leurs chevaliers de Guyenne la gloire de l'Angleterre à un point où les rois de la langue saxonne n'avaient jamais pu la faire parvenir;[2] enfin que c'était la langue de la grande Charte, et que l'origine de la grandeur présente de l'empire était due à ces héros et aux barons normands qui l'avaient signée et dont les opinions avaient toujours conservé la plus grande influence sur le pays. [Note 2: On sait que les deux tiers de l'armée du Prince noir à la bataille de Poitiers étaient composés de Gascons, de Français.] La discussion se termina après une lutte vigoureuse par l'élection de M. Panet au fauteuil présidentiel, et la défaite de ses trois concurrens; mais pas un seul anglais ne vota pour lui, tandis que deux Canadiens votèrent contre. La division fut de 28 contre 18. L'élément anglais malgré sa faiblesse cherchait à dominer sous le prestige de l'influence métropolitaine. Le premier président élu, sans être un homme de talens supérieurs, avait l'expérience des affaires comme l'avocat le plus employé de son temps, une abondance d'élocution qui ne tarissait point, l'esprit orné et les manières faciles et polies de la bonne société. Le 20, le gouverneur approuva le choix de l'assemblée et adressa aux deux chambres réunies un discours dans lequel il recommanda l'harmonie et l'adoption des mesures que pouvaient demander l'avantage et la prospérité du pays. «Dans un jour comme celui-ci, dit-il, remarquable par le commencement d'une forme de gouvernement qui a porté la Grande-Bretagne au plus haut degré d'élévation, il est impossible de ne pas éprouver une émotion profonde, et que cette émotion ne soit pas partagée par tous ceux qui sont en état d'apprécier la grandeur du bienfait qui vient d'être conféré au Canada. Je me contenterai de suggérer qu'après avoir rendu des actions de grâces à l'arbitre de l'univers, nous rendions hommage à la magnanimité du roi et du parlement auxquels nous le devons en leur exprimant tous nos remercîmens et toute notre reconnaissance.» La réponse de la chambre fut simple et respectueuse; mais le conseil législatif crut devoir lancer un anathème contre la révolution française et remercier la providence d'avoir arraché le Canada des mains d'un pays où il se passait des scènes que l'on pouvait reprocher à des barbares. Ces réflexions, qui pouvaient être bonnes en elles-mêmes, étaient impolitiques et inopportunes; elles partaient de trop loin pour atteindre la France, et le moindre bon sens aurait du faire apercevoir qu'elles ne pouvaient être agréables aux Canadiens, qui devaient conserver des sentimens de respect pour la nation d'où sortaient leurs pères. Aussi cela fut-il regardé comme une petite malice du conseil, qui voulait se donner le plaisir de dire quelque chose de désagréable pour la population. Après ces préliminaires, les chambres votèrent une adresse au roi pour le remercier de la nouvelle constitution, et se mirent sérieusement à l'ouvrage. La discussion des règlemens pour leur régie inférieure les occupa une grande partie de la session. Elles adoptèrent les règles du parlement impérial avec les modifications nécessitées par la différence de circonstances. Ce travail ramena encore les débats sur l'idiome populaire. Sur la proposition de dresser les procès-verbaux de l'assemblée dans les deux langues, M. Grant fit une motion d'amendement tendant à les rédiger en anglais seulement avec liberté d'en faire faire des traductions françaises pour les membres qui le désireraient. Après de violens débats, l'amendement fut rejeté. Les discussions recommencèrent lorsque le rapport du comité fut présenté. Grant proposa de nouveau qu'afin de conserver l'unité de la langue légale qu'aucune législature subordonnée n'avait le droit de changer, l'anglais fut déclaré texte parlementaire. M. de Lotbinière prit la parole: «Le plus grand nombre de nos électeurs, dit-il, étant placés dans une situation particulière, nous sommes obligés de nous écarter des règles ordinaires et de réclamer l'usage d'une langue qui n'est pas celle de l'empire, mais aussi équitables envers les autres que nous espérons qu'on le sera envers nous, mêmes nous ne voudrions pas que notre langue vint à bannir celle des autres sujets de sa Majesté. Nous demandons que l'une et l'autre soient permises. Nous demandons que nos procès-verbaux soient écrits dans les deux langues, et que lorsqu'il sera nécessaire d'y avoir recours, le texte soit pris dans la langue des motions originairement présentées, et que les bills soient passés dans la langue de la loi qui leur aura donné naissance. Ayant eu l'honneur d'être du comité où cet objet a déjà été débattu, et ayant entendu ce qui vient d'être dit par, les honorables membres qui ont parlé avant moi, je crois qu'il est nécessaire de récapituler celles de leurs raisons qui m'ont le plus frappé, et auxquelles il est de mon devoir de répondre d'une manière détaillée. La première raison qui a été donnée, est, que la langue anglaise étant celle du souverain et de la législation de la mère-pairie, nous ne serons entendus ni des uns ni des autres si nous n'en faisons usage, et que tous les projets de loi que nous présenterons en langue française seront refusés. La seconde, que l'introduction de la langue anglaise assimilera et unira plus promptement les Canadiens à la mère-patrie. Ces raisons sont d'une si grande importance qu'il est indispensablement nécessaire de les examiner l'une après l'autre. Pour répondre à la première, je dirai avec cet enthousiasme qui est le fruit d'une vérité reconnue et journellement sentie, que notre très gracieux souverain est le centre de la bonté et de la justice; que l'imaginer autrement serait défigurer son image et percer nos coeurs. Je dirai, que notre amour pour lui est tel que je viens de l'exprimer; qu'il nous a assuré de son attachement et que nous sommes persuadés, que ses nouveaux sujets lui sont aussi chers que les autres. Enfans du même père, nous sommes tous égaux à ses yeux. D'après cet exposé, qui est l'opinion générale de la province, pourra-t-on nous persuader qu'il refusera de nous entendre, parce que nous ne savons parler que notre langue? De pareils discours ne seront jamais crus: ils profanent la majesté du trône, ils le dépouillent du plus beau de ses attributs, ils le privent d'un droit sacré, du droit de rendre justice! Non, M. le président, ce n'est point ainsi qu'il faut peindre notre roi; ce monarque équitable saura comprendre tous ses sujets, et en quelque langue que nos hommages et nos voeux lui soient portés, quand nos voix respectueuses frapperont le pied de son trône, il penchera vers nous une oreille favorable et il nous entendra quand nous lui parlerons français. D'ailleurs, monsieur, cette langue ne peut que lui être agréable dans la bouche de ses nouveaux sujets, puisqu'elle lui rappelle la gloire de son empire et qu'elle lui prouve d'une manière forte et puissante, que les peuples de ce vaste continent sont attachés à leur prince, qu'ils lui sont fidèles, et qu'ils sont anglais par le coeur avant même d'en savoir prononcer un seul mot. Ce que je viens de dire du meilleur des rois, rejaillit sur les autres branches de la législature britannique. Ce parlement auguste ne peut-être représenté sous des couleurs défavorables, puisqu'il nous a donné des marques de sa libéralité et de ses intentions bienfaisantes. Le statut de la 14e année de sa Majesté est une preuve de ce que j'avance; notre religion nous y est conservée, nos lois de propriété nous y sont assurées, et nous devons jouir de tous nos droits de citoyens d'une manière aussi ample, aussi étendue et aussi avantageuse, que si aucune proclamation, ordonnance, commission ni autre acte public n'avaient été faits. Après une loi aussi solennelle qui n'a pas été révoquée, peut-on croire que le parlement voulût retirer ce qu'il nous a si généreusement accordé; peut-on croire qu'en nous assurant tous nos droits de citoyens, qu'en nous conservant toutes nos lois de propriété, dont le texte est français, il refuserait de nous entendre quand nous lui parlerons dans cette langue, qu'il refuserait de prendre connaissance des actes que nous lui présenterons sur un texte qu'il nous a conservé; cela ne peut-être. Nous voyons une continuation de la bienveillance de ce parlement auguste dans l'acte de la 31e année de sa Majesté. Pourquoi la division de la province? pourquoi cette séparation du Haut et du Bas-Canada? Si nous lisons les débats de la chambre des communes lors de la passation de ce bill, nous en connaîtrons les raisons, c'est pour que les Canadiens aient le droit de faire leurs lois dans leur langue et suivant leurs usages, leurs préjugés et la situation actuelle de leur pays. Est-il dit par cet acte de la 31e année de sa Majesté que nos lois seront uniquement faites en anglais? Non, et aucune raison ne le donne même à l'entendre: pourquoi donc vouloir introduire un procédé qui ne peut-être admissible en ce moment? pourquoi regarder comme indispensable, une chose dont il n'est pas même fait mention dans l'acte constitutionnel? Croyons, M. le président, que si l'intention du parlement britannique avait été d'introduire la seule langue anglaise dans notre législature, il en aurait fait une mention expresse, et que dans sa sagesse il aurait trouvé des moyens pour y parvenir; croyons, monsieur, et soyons bien convaincus, qu'il n'en aurait employé que de doux, de justes et d'équitables. C'est donc à nous à imiter sa prudence et à attendre ce beau jour dont nous n'apercevons que l'aurore.... La seconde raison, qui est d'assimiler et d'attacher plus promptement les Canadiens à la mère-patrie, devrait faire passer par dessus toute espèce de considérations, si nous n'étions pas certains de la fidélité du peuple de cette province; mais rendons justice à sa conduite de tous les temps, et surtout rappelions-nous l'année 1775. Ces Canadiens qui ne parlaient que français, ont montré leur attachement à leur souverain de la manière la moins équivoque. Ils ont aidé à défendre toute cette province. Cette ville, ces murailles, cette chambre même où j'ai l'honneur de faire entendre ma voix, ont été en partie sauvées par leur zèle et par leur courage. On les a vus se joindre aux fidèles sujets de sa Majesté, et repousser les attaques que des gens qui parlaient bien bon anglais faisaient sur cette ville. Ce n'est donc pas, M. le président, l'uniformité du langage qui rend les peuples plus fidèles ni plus unis entre eux. Pour nous en convaincre, voyons la France en ce moment et jetons les yeux sur tous les royaumes de l'Europe.... Non, je le répète encore, ce n'est point l'uniformité du langage qui maintient et assure la fidélité d'un peuple; c'est la certitude de son bonheur actuel, et le nôtre en est parfaitement convaincu. Il sait qu'il a un bon roi et le meilleur des rois! il sait qu'il est sous un gouvernement juste et libéral; il sait enfin, qu'il ne pourrait que perdre beaucoup dans un changement ou une révolution, et il sera toujours prêt à s'y opposer avec vigueur et courage.» M. Taschereau parla dans le même sens que M. de Lotbinière et avec beaucoup d'à-propos. Il dit qu'il avait été opposé à une chambre d'assemblée en 88 parce qu'il craignait pour la sûreté des droits Canadiens; mais que les craintes qu'il avait alors avaient disparu depuis qu'il voyait que le pays avait su se choisir une représentation qui assurait la tranquillité de tout le monde. Je me suis levé, ajouta-t-il, armé non-seulement de l'acte de 74, mais aussi de celui de 91 dont les Canadiens qu'on a si souvent peints avec des couleurs désavantageuses, sauront faire usage au grand étonnement de quelques individus, mais à la satisfaction de la Grande-Bretagne. Passant ensuite rapidement sur l'objet de la discussion, il termina par ces paroles qui ne pouvaient être réfutées: «Mais l'on a dit et l'on dira encore, le conseil législatif, son excellence le lieutenant gouverneur, ces deux premières puissances qui doivent concourir avec nous, ne recevront pas nos bills en fiançais; oui, monsieur, ils les recevront, cet acte de la 31e année m'en assure, et pour l'interpréter dans son vrai sens et dans toute sa force, je demanderai si la représentation est libre? personne me dit que non; étant libre, il pouvait donc se faire que 50 membres qui comme moi, n'entendent point l'anglais, auraient composé cette chambre; auraient-ils pu faire des lois en langue anglaise? non, assurément. Eh bien! ç'aurait donc été une impossibilité et une impossibilité ne peut exister. Je demanderai actuellement si pour cela cet acte de la 31e année qui nous constitue libres, pourrait être annulé et anéanti; non certainement, rien ne peut empêcher son effet, et cet acte commande aux premières puissances de la législation de concourir avec nous; et notre confiance en leur justice est telle, que nous sommes persuadés qu'elles le feront de manière à répondre aux intentions bienfaisantes de sa Majesté et de son parlement, qui ne nous restreignent point à la dure nécessité de statuer, en ce moment, nos lois dans une langue que nous n'entendons point.» «D'ailleurs, observa un autre membre, M. de Rocheblave, quelles circonstances choisit-on pour nous faire adopter un changement également dangereux pour la métropole et pour la province? Ignore-t-on que nous avons besoin de toute la confiance du peuple pour l'engager à attendre avec patience que nous trouvions des remèdes aux maux et aux abus dont il a à se plaindre? Ne peut-on pas voir qu'il est dangereux pour la Grande-Bretagne même à la quelle nous sommes liés par reconnaissance et par intérêt, de détruire les autres barrières qui nous séparent de nos voisins; que tout espoir et toute confiance de la part du peuple dans ses représentans sont perdus si nous n'avons qu'un accroissement de privation à lui offrir pour résultat de nos travaux? Eh! de quoi pourraient se plaindra quelques-uns de nos frères anglais en nous voyant décidés à conserver avec nos lois, usages et coutumes, notre langue maternelle, seul moyen qui nous reste pour défendre nos propriétés? Le stérile honneur de voir dominer leur langue pourrait-il les porter à faire perdre leur force et leur énergie à ces mêmes lois, usages et coutumes qui font la sécurité de leur propre fortune? Maîtres sans concurrence du commerce qui leur livre nos productions, n'ont-ils pas infiniment à perdra dans le bouleversement générai qui en serait la suite infaillible, et n'est-ce pas leur rendre le plus grand service que de s'y opposer?[3] [Note 3: Gazette de Montréal, 14 février 1793.] Ces discussions agitaient profondément les Canadiens. En effet l'abandon de la langue maternelle n'est pas dans la nature de l'homme, dit un savant[4]; elle ne tombe qu'avec lui, si même elle ne lui survit pas. Comme cela devait être, tout l'avantage de la discussion resta à ceux qui repoussaient l'oppression, et comme la première fois la division sur l'amendement de Grant, montra tous les Anglais pour et tous les Canadiens contre, excepté toujours M. P. L. Panet. L'amendement fut repoussé par les deux tiers de la chambre. Plusieurs autres dans le même sens furent encore proposés par MM. Lees, Richardson et les orateurs les plus remarquables du parti anglais, et subirent le même sort après trois jours de discussions. La résolution définitive fut, que tous les procédés de la chambre seraient dans les deux langues; mais que le français ou l'anglais serait le texte des actes législatifs selon qu'ils auraient rapport aux lois françaises ou aux lois anglaises existantes en Canada. [Note 4: Lettres sur l'origine des sciences par Bailly.] Dans cette importante question, l'on voit que les membres anglais élus par les Canadiens, trahirent sans hésitation les intérêts et les sentimens les plus intimes de leurs commettans. Ils prouvèrent que leurs opinions de 64 n'avaient point changé, et qu'ils étaient toujours les organes du parti qui ne cessait point de porter contre tout ce qui était catholique et français cette haine aveugle qui a inspiré plus tard l'un de leurs partisans dans le passage suivant: «L'acte de 74 a été injudicieusement libéral envers le clergé et les hantes classes, et celui de 91 envers la masse des Canadiens. Ce dernier en sanctionnant l'existence des lois civiles françaises, en mesurant le libre exercice de la religion catholique et le payement des dîmes, en modifiant le serment fidélité, de manière que les catholiques pussent le prêter, en confirmant aux Canadiens catholiques la propriété de leurs biens avec leurs usages et leurs coutumes, en n'abolissant pas leur langue maternelle et la tenure de leurs terres, en prenant pour base de la répartition du droit électoral, le nombre et ne faisant rien pour les Anglais et la langue anglaise, en ne stipulant pas une liste civile pour le soutien du gouvernement et l'usage exclusif de l'anglais pour la rédaction des lois, enfin en oubliant de limiter la représentation franco-canadienne de manière à la laisser dans la minorité. L'acte de 91 fut la plus grande faute que pouvait faire le gouvernement britannique, puisqu'il s'agissait d'un peuple qui différait de manières, d'habitudes, de coutumes, de religion et de langue d'avec la nation anglaise.[5] La chambre d'assemblée ayant enfin disposé de ces questions brûlantes, put s'occuper avec, plus de calme d'un grand nombre, de projets de loi, dont plusieurs ne paraissaient pas bien pressans comme celui pour le soulagement des personnes en détresse dans les paroisses. Une loi des pauvres peut être bonne dans un pays surchargé de population comme l'Angleterre, mais elle est impolitique dans une contrée dont les trois quarts du territoire sont encore à défricher et à établir. L'acte des écoles de paroisse qui fut présenté était d'une nature bien autrement importante pour l'avenir du pays. Ceux pour la tolérance des quakers et l'abolition de l'esclavage avaient de l'importance plutôt comme déclaration de principe que comme besoin social réellement senti, car les quakers et les esclaves étaient très rares en Canada, l'esclavage dans le fait n'y ayant jamais été admis sous la domination française. [Note 5: Fleming.] La question d'éducation prima donc dans cette première session. L'on a vu comment le collège des jésuites avait été fermé par ordre du gouvernement dans les premières années de la conquête, sans droit, sans loi, sans aucun jugement public de l'autorité compétente; et que le peuple avait réclamé dès 87 les biens de cet ordre religieux pour les rendre à leur destination primitive, l'éducation. En 93, les habitans de Québec et des environs présentèrent une seconde pétition à la législature pour le même objet dans laquelle ils exposaient en réponse aux représentations de lord Amherst et des consultations des officiers de la couronne, que la nature des titres et de la fondation du collège de Québec avait été déguisée en Europe; que le Canada se trouvait privé d'écoles publiques depuis la conquête, et que la continuation de ce malheur pouvait-être attribuée aux efforts de quelques individus qui convoitaient les biens de cette institution. La majorité de la chambre d'assemblée approuvant les conclusions des pétitionnaires, M. de Rocheblave proposa, après quelque discussion, que leur requête fut renvoyée à un comité de 9 membres pour vérifier l'exactitude des allégués touchant les titres de ces biens. M. Grant s'opposa à la motion qui comportait, suivant lui, la reconnaissance tacite du droit que le pays avait à leur propriété, et proposa un amendement par lequel tout en déclarant que la couronne pouvait en disposer comme bon lui semblerait, l'on priait le roi de les affecter à l'instruction publique. L'adoption d'un pareil amendement aurait mis, par analogie, tous les biens des institutions religieuses à la merci d'un ordre de l'Angleterre, et les craintes que l'on avait à ce sujet n'étaient pas imaginaires, car le bruit courait déjà que le gouvernement allait s'emparer de l'église et du couvent des récollets pour les convertir à l'usage du culte protestant, ce qu'il exécuta après l'incendie du couvent en 96. L'on n'avait pas oublié non plus qu'il avait pris de la même manière un terrain précieux appartenant aux ursulines sans les indemniser. Après des débats prolongés jusqu'au lendemain, l'amendement fut écarté par toute la chambre de même que la motion principale lorsqu'elle fut soumise à son concours sous forme de rapport. Le projet de la loi d'éducation parvint à sa seconde lecture et tomba sur la proposition qui fut faite de le prendre en considération en comité général. L'on finit par résoudre après plusieurs ajournemens et des discussions très vives, de présenter une adresse au roi pour le prier simplement d'approprier les biens des jésuites à l'instruction de la jeunesse, sans faire allusion au titre que le pays avait pour les réclamer; et la question des écoles se trouva par là ajournée indéfiniment. La chambre passa ensuite aux finances. La résolution la plus importante de la session fut celle par laquelle elle déclara que le vote des subsides lui appartenait d'une manière exclusive et incontestable, et qu'aucune loi d'appropriation ne pourrait être amendée par le conseil législatif. Elle passa aussi un bill pour imposer des droits sur l'importation des boissons, dans le but de créer un revenu sur lequel elle put affecter le payement des dépenses de la législature, mesure nécessaire pour assurer son indépendance, car le trésor anglais payait encore une forte proportion du budget canadien. Les droits sur la portion des boissons consommées dans le Haut-Canada, devaient être remboursés à cette province. Enfin elle porta son attention sur l'état de l'administration de la justice, et le conseil législatif lui envoya un projet de loi sur la formation des tribunaux, dont la considération fut remise à la session suivante après une première lecture. Tels furent les principaux sujets qui occupèrent la session de 92. Le résultat ne répondit point à sa longueur; mais les discussions qui avaient eu lieu produisirent plusieurs avantages. Celles sur la régie intérieure mirent les membres au fait des règles parlementaires, et la politesse française introduite par les Canadiens dans la tenue de la chambre et dans les débats, donna à ce corps un air de respectueuse gravité que n'avait point, par exemple, la chambre des communes d'Angleterre avec ses membres enveloppés de leurs manteaux, la tête couverte et la canne ou la cravache à la main comme la foule dans une foire. Le principal événement de la session fut le triomphe de la langue des Canadiens; le résultat la conviction de leur aptitude pour la nouvelle forme de gouvernement. Le caractère subtil, litigieux et disputeur qu'ils tenaient des Normands leurs ancêtres, trouvait à se satisfaire dans les controverses parlementaires, et leur soumission caractéristique aux lois était une des conditions essentielles pour les rendre propres à la jouissance d'institutions libres. C'est le 9 mai que furent prorogées les chambres. Le gouverneur sanctionna les huit bills qu'elles avaient passés, et leur témoigna dans un discours toute la satisfaction qu'il éprouvait en voyant l'attachement que le Canada montrait pour le roi et pour la nouvelle constitution dans un temps où la révolution française forçait les nations de l'Europe à prendre part à une lutte qui enveloppait les premiers intérêts de la société. Il se flattait que dans la session suivante, elles régleraient les deux importans sujets sur lesquels il avait appelé leur attention, l'administration de la justice et la réorganisation de la milice pour la défense du pays en cas que la guerre ou les mauvaises dispositions des ennemis de toute espèce rendissent une défense nécessaire. Les progrès de la révolution française qui attirait dans ce moment les regards de toutes les nations, et qui, comme un immense météore menaçait d'embraser l'Europe entière, remuait toutes les masses et remplissait tous les gouvernemens d'une terreur profonde. Les progrès de cette révolution dont l'influence avait puissamment contribué à déterminer l'Angleterre à nous accorder une extension de liberté, fixaient aussi les regards du Canada. Le peuple et le gouvernement regardaient ce spectacle avec des sentiments de crainte et d'étonnement. L'un offrait, l'autre demandait des témoignages de fidélité au roi et à l'ordre établi, tant on avait de méfiance les uns contre les autres, et tant l'on avait conséquemment besoin de se rassurer. L'on était réservé dans son langage et dans ses actes, et en réclamant l'usage de leur langue maternelle, les Canadiens protestaient sans cesse dans les termes les plus forts de leur attachement à la couronne. Cette retenue dans leurs discours et cette fermeté dans leurs principes assurèrent pour le moment deux avantages au pays, la paix intérieure et la conservation de ses droits. Le parti anglais abandonna ses prétentions outrées, soit qu'il vît l'inutilité de ses efforts, soit qu'il reçût des avertissemens en haut lieu, soit enfin qu'il résolût de se reposer sur l'avenir; et tandis que l'ancien monde était en feu, le Canada jouissait de la liberté et de la paix, deux choses nouvelles pour lui. Tel était l'état des esprits lorsque lord Dorchester revint en Canada en 93 armé d'instructions nouvelles et fort amples, qui l'autorisaient à nommer un nouveau conseil exécutif, qu'il composa de 9 membres dont 4 Canadiens, et qui portaient que toutes les nominations aux charges publiques ne subsisteraient que durant le bon plaisir de la couronne; que les terres ne seraient concédées qu'à ceux qui seraient capables de les établir, après qu'elles auraient été divisées en arrondissemens (townships), enfin qui permettaient aux séminaires de Québec et de Montréal ainsi qu'aux communautés religieuses de femmes de se perpétuer suivant les règles de leur institution. Les troubles de l'Europe qui menaçaient d'embraser l'Amérique, et la popularité de cet ancien gouverneur parmi les Canadiens, furent probablement les motifs qui engagèrent la Grande-Bretagne à lui remettre pour la troisième fois les rênes du gouvernement. Il fut parfaitement accueilli par l'ancienne population, mais avec froideur par les Anglais, qui trouvèrent ensuite le discours qu'il prononça à l'ouverture des chambres beaucoup trop flatteur pour la représentation nationale. Il appela dans ce discours leur attention sur l'organisation de la milice, sur l'administration de la justice; et, en leur annonçant qu'il allait leur faire transmettre un état des comptes publics, il les informa que les revenus étaient encore insuffisans pour couvrir toutes les dépenses; mais qu'il espérait que la métropole continuerait de combler le déficit. Cette session fut plus longue encore que la première et dura depuis le mois de novembre 93 jusqu'au mois de juin suivant ou six mois et demi. Il ne fut passé cependant que six lois dont une pour réorganiser la milice, deux autres pour amender les lois de judicature, et autoriser le gouverneur à suspendre la loi de l'habeas-corpus à l'égard des étrangers soupçonnés de menées séditieuses, acte renouvelé d'année en année jusqu'en 1812. Les intrigues de l'ambassadeur de la république française auprès du gouvernement des Etats-Unis, M. Genet, et celles de ses émissaires en Canada, nécessitaient, disait-on, ces mesures de précautions qui blessaient la liberté du sujet et dont l'abus sous l'administration de sir James Craig devait tant agiter le pays. La plus grande harmonie ne cessa point de régner pendant toute la session. M. Panet, fait juge des plaidoyers communs, fut remplacé à la présidence de la chambre, par M. de Lotbinière qui fut élu à l'unanimité. L'influence pacifique de lord Dorchester se faisait déjà sentir sur l'opposition, qui se désabusait chaque jour sur ses prétentions. C'est dans cette session que, pour la première fois, les comptes du revenu public furent mis sous les yeux des contribuables. Dans le message qui les accompagnait, le gouverneur recommanda de donner des salaires fixes aux fonctionnaires et d'abolir le système des émolumens, afin de prévenir tout abus et que les charges imposées sur le peuple pour le soutien de l'état, fussent exactement connues. Le revenu annuel n'atteignait pas le tiers des dépenses de l'administration civile, qui s'élevaient à £25,000, laissant ainsi un découvert de plus de £17,000 qui était comblé par le budget impérial. Les recettes provenaient des droits sur les vins, les spiritueux, la mêlasse, de la taxe sur les aubergistes et des amendes et confiscations. Dans le vrai l'on pourrait presque dire que la taxation était inconnue eu Canada. Le gouverneur, sans demander expressément un vote de subsides pour couvrir lu totalité des dépenses, avait appelé l'attention de la chambre sur les moyens d'augmenter le revenu et de pourvoir par elle-même à tout le budget, ce qu'elle ne parut pas s'empresser de goûter pour le moment. Plus tard cependant lorsqu'elle voulut y revenir pour mieux contrôler l'administration, on lui fit un crime de son offre tant les intérêts et les passions peuvent mettre les hommes en contradiction avec eux-mêmes. Tandis que l'on s'occupait ainsi avec assez d'unanimité de la question des finances, les idées révolutionnaires faisaient toujours des progrès et le gouvernement canadien ne paraissait pas plus rassuré que les autres malgré la tranquillité qui régnait dans le pays. Lord Dorchester qui se surprenait quelquefois avec ces craintes, saisit l'occasion de la fermeture des chambres pour recommander la soumission à l'ordre établi. «Je n'ai aucun doute, dit-il, aux membres, qu'en retournant dans vos foyers vous ne répandiez avec zèle, parmi tes habitans, ces principes de justice, de patriotisme et de loyauté qui ont distingué vos travaux publics pendant le cours de cette longue session; que vous ne lassiez tous vos efforts pour découvrir et amener devant les tribunaux les personnes mal-disposées qui, par leurs discours et leurs conversations inflammatoires, ou la diffusion d'écrits séditieux, chercheraient à séduire ceux qui ne sont pas sur leurs gardes, et à troubler la paix et le bon ordre de la société, et que vous ne saisissiez toutes les occasions de persuader à vos compatriotes que les bienfaits dont ils jouissent sous une constitution vraiment libre et heureuse ne peuvent-être conservés que par une sincère obéissance aux lois.» Le clergé catholique faisait tout en lui de son côté pour rassurer le gouvernement et maintenir le peuple dans l'obéissance. Le curé de Québec, M. Plessis, prononçant l'oraison funèbre de M. Briand, évêque, dans la cathédrale, le 27 juin, disait: «Nos conquérans, regardés d'un oeil ombrageux et jaloux, n'inspiraient que de l'horreur et du saisissement. On ne pouvait se persuader que des hommes étrangers à notre sol, à notre langage, à nos lois, à nos usages et à notre culte, fussent jamais capables de rendre au Canada ce qu'il venait de perdre en changeant de maîtres. Nation généreuse, qui nous avez fait voir avec tant d'évidence combien ces préjugés étaient faux; nation industrieuse, qui avez fait germer les richesses que cette terre renfermait dans son sein; nation exemplaire, qui dans ce moment de crise enseignez à l'univers attentif, en quoi consiste cette liberté après laquelle tous les hommes soupirent et dont si peu connaissent les justes bornes; nation compatissante, qui venez de recueillir avec tant d'humanité les sujets les plus fidèles et les plus maltraités de ce royaume auquel nous appartîntes autrefois; nation bienfaisante, qui donnez chaque jour au Canada de nouvelles preuves de votre libéralité;--non, non, vous n'êtes pas nos ennemis, ni ceux de nos propriétés que vos lois protègent, ni ceux de notre sainte religion que vous respectez. Pardonnez donc ces premières défiances à un peuple qui n'avait pas encore le bonheur de vous connaître; et si après avoir appris le bouleversement de l'Etat et la destruction du vrai culte en France, et après avoir goûté pendant trente-cinq ans les douceurs de votre empire, il se trouve encore parmi nous quelques esprits assez aveugles ou assez mal intentionnés pour entretenir les mêmes ombrages et inspirer au peuple des désirs criminels de retourner à ses anciens maîtres; n'imputez pas à la totalité ce qui n'est que le vice d'un petit nombre. «M. Briand avait pour maxime, qu'il n'y a de vrais chrétiens, de catholiques sincères, que les sujets soumis à leur Souverain légitime. Il avait appris de Jésus-Christ, qu'il faut rendre à César ce qui appartient à César; de St.-Paul, que toute âme doit être soumise aux autorités établies; que celui qui résiste à la puissance résiste à Dieu même, et que par cette résistance il mérite la damnation; du chef des apôtres, que le roi ne porte pas le glaive sans raison, qu'il faut l'honorer par obéissance pour Dieu, _propter Deum_, tant en sa personne qu'en celle des officiers et magistrats qu'il députe _sive ducibus tanquam ab eo missis_. Tels sont, chrétiens, sur cette matière, les principes de notre sainte religion; principes que nous ne saurions trop vous inculquer, ni vous remettre trop souvent devant les yeux, puisqu'ils font partie de cette morale évangélique à l'observance de laquelle est attaché votre salut. Néanmoins, lorsque nous vous exposons quelquefois vos obligations sur cet article, vous murmurez contre nous, vous vous plaignez avec amertume, vous nous accusez de vues intéressées et politiques, et croyez que nous passons les bornes de notre ministère! Ah! mes frères, quelle injustice!» On ne pouvait rassurer l'Angleterre dans un langage plus soumis ni plus dévoué. Le prêtre oubliant tout le reste, remerciait presque la providence d'avoir arraché le Canada à la nation impie qui brisait ses autels. Il prêchait l'obéissance la plus absolue en disant que celui qui résiste à la puissance résiste à Dieu même, et que par cette résistance il mérite la damnation. Toutes ces maximes du reste étaient et sont encore celles de l'église catholique. Quoique les protestans les répudient ou du moins ne les poussent pas si loin que Rome, ils en profitèrent en Canada, et M. Plessis fut toute sa vie en grande considération parmi eux. Les recommandations du gouverneur et du clergé n'étaient pas toutefois sans prétexte. Quelques personnes de Montréal que les discours et les prétentions des Anglais choquaient; d'autres autant par esprit de contradiction probablement que pour exciter les frayeurs de l'autorité, tenaient des propos qui les firent accuser devant les tribunaux et condamner à de fortes amendes. A Québec la même chose eut lieu: trois habitans de Charlesbourg furent accusés de haute trahison; quelques uns de menées séditieuses; leur crime était si peu considérable que le gouverneur fit abandonner les poursuites en 95. Il avait voulu seulement frapper l'imagination populaire et mettre en garde contre les cris des agitateurs. Dans l'été, il se forma dans la capitale une grande association pour le soutien des lois et du gouvernement, en opposition aux propagandistes révolutionnaires; elle couvrit bientôt tout le pays et témoigna de sa fidélité à la royauté par de nombreuses adresses qui durent rassurer l'inquiétude métropolitaine. Cet état de choses dura plusieurs années. A chaque session, le gouvernement demandait et obtenait de nouveaux pouvoirs pour organiser une milice soumise, pour maintenir la tranquillité intérieure, pour repousser les ennemis extérieurs s'ils s'en présentaient, enfin pour continuer la suspension de l'acte d'habeas-corpus à l'égard des étrangers. Il est inutile de dire que pendant ce temps là la plus grande concorde régnait entre les différentes branches de la législature. Plusieurs des membres les plus marquans avaient reçu des emplois, comme M. Panet et M. de Bonne. Les autres satisfaits, se félicitaient du repos dont l'on jouissait en comparaison de l'Europe et ne songeaient qu'à en profiter. Dans la session de 95 qui dura plus de quatre mois, le gouverneur fit mettre devant la chambre un état des revenus de l'année écoulée et les comptes d'une partie des dépenses du gouvernement civil, en la priant d'y pourvoir. Pour répondre à cette demande et couvrir la différence qu'il y avait entre la dépense et le revenu, la chambre passa deux lois d'impôt, l'une augmentant les droits sur les eaux-de-vie étrangères, les mélasses, les sirops, les sucres, le café, le tabac, le sel; l'autre continuant la taxe annuelle sur les colporteurs et les aubergistes. Cette augmentation ne répondit pas immédiatement au besoin qui l'avait fait décréter; mais l'on avait reconnu le principe. La plupart des actes qu'on passa dans cette session continuaient d'anciennes lois avec de légères modifications, et ne les continuaient que pour un temps limité, car l'assemblée avait déjà pour règle de leur donner la plus courte durée possible, afin que le gouvernement fût moins indépendant d'elle. Une question incidente fort intéressante occupa un instant la législature. Le taux des rentes et les charges seigneuriales avaient été fixés d'une manière précise et permanente par la lot sous l'ancien régime. Après la conquête, plusieurs Anglais qui avaient acheté les seigneuries des Canadiens partant pour la France, haussèrent ces taux et furent imités par quelques uns des anciens seigneurs. Bientôt l'abus fut poussé à tel point qu'il arracha des plaintes aux habitans, qui ne trouvaient plus dans les juges nommés par le nouveau gouvernement, la protection qu'ils avaient coutume de recevoir des tribunaux anciens. Les nouveaux propriétaires qui attendaient depuis longtemps l'occasion de changer la tenure de leurs seigneuries pour en retirer de plus grands revenus, voulurent profiter du moment pour accomplir leur dessein. Ils feignirent d'être beaucoup alarmés de la propagation des idées révolutionnaires en Amérique, et de craindre l'abolition de la tenure féodale sans indemnité comme en France; ils firent sonner bien haut l'introduction de ces idées dans le pays; ils accusèrent les Canadiens de rébellion et transformèrent leur opposition à l'acte des chemins en insurrection politique, s'imaginant qu'au milieu du trouble et de la frayeur, ils réussiraient à engager la chambre d'assemblée à faire faire, par voie de reforme pour satisfaire les mécontens, des modifications à la tenure surannée et oppressive, disaient-ils, qui existait dans le pays en dépit des progrès du siècle. Ils se croyaient si sûrs du succès, qu'ils avaient pris même des arrangemens avec des émigrans américains pour leur concéder, après commutation de toutes les autres redevances, leurs terres à la charge de certaines rentes, préférant ces derniers aux Canadiens parce qu'ils les trouvaient disposés à payer des taux plus élevés. Mais leur plan fut déjoué aussitôt que mis au jour. La question dont les motifs paraissaient étrangers à toute idée de réforme réelle et salutaire, fut portée par M. de Rocheblave devant la chambre, qui la discuta pendant plusieurs séances, et finit par l'abandonner sans donner satisfaction ni aux uns ni aux autres, soit qu'elle n'osât pas attaquer les juges qui avaient perverti la loi, soit que des intérêts dissimulés la paralysassent sur un abus qui n'a fait qu'augmenter depuis dans plusieurs parties du pays. On était alors dans la chaleur des discussions suscitées par l'acte des chemins auquel nous venons de faire allusion. Cette question importante pour les campagnes, fut d'abord mal interprétée par l'imprudence de certaines gens, qui crièrent au fardeau des taxes et surtout des corvées détestées par le peuple depuis Haldimand. On croyait que cette mesure voilait un retour au système de ce gouverneur décrié; mais petit à petit les esprits mieux éclairés se calmèrent, et l'acte prit après des amendemens nombreux, la forme à peu près dans laquelle il est parvenu jusqu'à nos jours. Une autre question non moins importante fut encore agitée, celle du numéraire qui avait cours dans le pays. Il circulait des monnaies de toute les nations en rapport avec l'Amérique. Une partie de ces espèces dépréciée par l'usure, entraînait dans les échanges des pertes considérables. Un remède était devenu nécessaire. M. Richardson, comme négociant, prit l'initiative et une loi fut rendue par laquelle on donna une valeur légale fixe aux monnaies d'or et d'argent frappées aux coins et aux titres du Portugal, de l'Espagne, de la France et des Etats-Unis, et on convertit la valeur des monnaies anglaises du sterling en cours du pays. Dans tous les temps le système de la comptabilité a été imparfait et vicieux en Canada, et il a toujours été fort difficile de débrouiller le chaos des comptes publics; de là une partie des abus, des erreurs, des malversations des agens comptables. Toutes les lois d'impôts furent aussi réunies en une seule, pour simplifier les opérations de ces agens, et des mesures furent prises pour diminuer les frais de perception. L'acte passé pour deux ans, fut réservé à la sanction royale. Par une de ces anomalies dont l'on vit beaucoup d'exemples dans la suite, il resta si longtemps en Angleterre que lorsqu'il revint les deux ans étaient expirés. Le gouverneur repassa en Europe dans l'été. Il organisa ou donna l'ordre avant son départ d'organiser un régiment canadien à deux bataillons comme l'avait suggéré Du Calvet. Mais ce corps fut licencié plus tard, peut-être par motif politique, la métropole jugeant qu'il n'était pas prudent d'enseigner l'usage des armes aux colons, et se rappelant que les Etats-Unis avaient préludé à la guerre de l'indépendance par celle du Canada dans laquelle ils avaient fait leur apprentissage. Lord Dorchester avait convoqué aussi avant de déposer les rênes du pouvoir, les collèges électoraux pour procéder à une nouvelle élection générale. Le scrutin du peuple fut sévère, et plus de la moitié de la représentation fut changée. On remarquait parmi les nouveaux membres le procureur et le solliciteur-général, MM. Sewell et Foucher. Plusieurs anciens membres furent repoussés à cause de leurs tentatives pour faire proscrire la langue française. Le général Prescott, qui remplaça lord Dorchester d'abord comme lieutenant-gouverneur et ensuite comme gouverneur-général, réunit la législature dans le mois de janvier. Comme au début du premier parlement, l'élection du président de la branche populaire amena la séparation des deux partis, avec cette différence, cette fois, que les organes avoués du gouvernement firent connaître le drapeau avec lequel il prétendait s'identifier. Elle accusa aussi plusieurs défections soupçonnées depuis longtemps. Le juge de Bonne et M. de Lanaudière passèrent dans le camp opposé. Le premier qui était fils de ce capitaine de Bonne de Miselle attiré en Canada par le marquis de la Jonquière, descendait de l'illustre race des ducs de Lesdiguières, dont à ce titre il aurait dû glorifier l'origine. Il ne fut plus désormais qu'un partisan hostile à ses compatriotes. Il proposa pour président de la chambre, M. Young en opposition à M. Panet, qui fut réélu à une grande majorité. Comme la première fois, pas un Anglais ne vota pour ce dernier, tandis que quatre Canadiens votèrent contre, outre ceux qui remplissaient des charges publiques, comme le solliciteur-général qui ne vota plus que comme un homme vendu. On n'eut plus de doute dès lors sur les dispositions du gouvernement, auquel le traité d'amitié et de commerce qui venait d'être signé avec les Etats-Unis, permettait plus de hardiesse. A partir de cette époque, l'administration se montra de plus en plus ouvertement opposée à la chambre excepté pendant la guerre de 1812, où tout à coup elle devint affable et bienveillante et s'entoura de quelques hommes populaires dans lesquels elle trouva des qualités qu'elle n'avait pas aperçues auparavant et qu'elle a rarement vues depuis. Mais ce système avec des institutions électives, devait finir contre les prévisions de ses auteurs par augmenter le nombre des agitateurs et des mécontens. Le gouverneur en informant la chambre que le traité avec les Etats-Unis allait augmenter beaucoup les relations commerciales du Canada, recommanda toutefois de renouveler la loi contre les étrangers pour neutraliser les efforts que faisaient sans cesse les émissaires français répandus partout pour troubler la tranquillité des Etats. C'était rassurer les craintes d'un côté pour les exciter de l'autre sans motif sérieux, car le Canada était hors de la portée de la république française par la distance et encore plus par les idées. Aussi pour bien des gens, feindre des craintes sous ce rapport pour les Canadiens qui avaient pu joindre la république voisine et ne l'avaient pas fait, et demander des lois de proscription contre des émissaires français imaginaires, c'était annoncer que le motif avoué de ces recommandations en cachait un autre, que ceux qui les faisaient se donnaient bien de garde de dévoiler; c'était à leurs yeux un moyen détourné de faire soupçonner la fidélité des Canadiens et d'exciter les craintes de la métropole, et la suite des événemens montra que si ce motif ne fut pas le véritable dans l'origine, il le fut plus tard. Au reste cette session ne fut remarquable que par le pouvoir presqu'absolu que se fit donner le gouvernement. La résistance offerte à quelques unes des clauses de la loi des chemins par quelques villageois mal conseillés avait alarmé les autorités. Non contentes de la loi contre les étrangers, elles obtinrent de la complaisance des deux chambres le pouvoir de déférer au conseil exécutif ou à trois de ses membres le droit de faire arrêter qui que ce fut sur une simple accusation et même sur le simple soupçon de haute trahison ou de pratiques séditieuses. L'acte d'habeas-corpus en tant qu'opposé à cette loi fut suspendu. En prorogeant les chambres, le gouverneur les remercia d'avoir montré combien il était nécessaire dans un temps de danger public, d'augmenter les pouvoirs de l'exécutif. Il y a lieu de croire que l'esprit du général Prescott était en proie à de vives inquiétudes, ce que l'on aurait de la peine à concevoir aujourd'hui si l'on ne savait que ceux qui avaient été témoins de la révolution américaine et de la révolution française, devaient penser que rien n'était impossible après le grand démenti que ces événemens mémorables avaient donné à toutes leurs croyances et à toutes leurs prévisions. Pour peu que le gouverneur fût imbu de cette idée, il ne fallait pas de grands efforts de la part de la faction qui tous les jours dominait de plus en plus le pouvoir, pour lui faire croire que le peuple canadien était toujours au moment de se soulever et que des agens révolutionnaires l'excitaient sans cesse en circulant furtivement dans ses rangs. A force de répéter que si les représentans du peuple se rendaient aux voeux de l'exécutif, c'était pour parvenir plus sûrement à leurs vues ambitieuses; s'ils s'y opposaient, c'était par esprit de rébellion et de déloyauté, l'on devait parvenir à faire croire tout ce que l'on voulait au chef que l'Angleterre plaçait à la tête du gouvernement, et qui le plus souvent était complètement étranger au pays. Aussi dès que l'acte pour accroître les pouvoirs de l'exécutif fut passé, l'ordre fut-il envoyé à tous les juges de paix, à tous les capitaines de milice, d'arrêter ceux qui chercheraient, par leurs intrigues ou par leurs discours, à troubler la tranquillité publique. L'on semblait croire que les réfractaires à la loi des chemins dont plusieurs furent punis pour turbulence ou sédition, avaient des chefs dont les vues s'étendaient plus loin que celle loi, et que ces chefs correspondaient ou se concertaient avec des émissaires étrangers dont le pays aurait été rempli. Le procureur-général Sewell se transporta à Montréal à la fin de l'été de 96 pour voir ce qui s'y passait. Il fît rapport que l'île et le district étaient très désaffectionnés; que la loi des chemina avait augmenté le mécontentement jusqu'à soulever le peuple contre l'exécution des ordres des tribunaux; que le mécontentement était excité par des émissaires étrangers; que l'ambassadeur de France aux Etats-Unis, M. Adet, avait adressé un pamphlet aux Canadiens dans lequel il annonçait que la république française ayant battu l'Espagne, l'Autriche et l'Italie, allait attaquer l'Angleterre à son tour et commencer par ses colonies, et les invitait à se rallier autour de son drapeau, qu'enfin son gouvernement avait intention de lever des troupes en Canada.[6] [Note 6: Procès-verbal du Conseil exécutif.] Un américain, enthousiaste insensé, nommé McLane, ajoutant foi aux soupçons que l'on semait ainsi contre la population, qui ne songeait plus alors certainement à se soustraire à la domination britannique, se laissa attirer à Québec par un charpentier de navire, nommé Black, qui avait su acquérir assez de popularité pour se faire élire l'année précédente à la chambre d'assemblée. Lorsque McLane qui se faisait passer pour un général français agissant d'après les ordres de M. Adet fut en son pouvoir, Black feignit de sortir pour quelque affaire et alla avertir l'autorité qui avait été prévenue d'avance. McLane fut saisi et livré aux tribunaux sous prévention de haute-trahison. Le choix des jurés, les témoignages, le jugement et le châtiment, tout fut extraordinaire. Il fut condamné à mort et exécuté avec un grand appareil militaire sur les glacis des fortifications dans un endroit élevé et visible des campagnes environnantes. Le corps après quelque temps de suspension au gibet, fut descendu au pied de l'échafaud, et le bourreau en ayant tranché la tête, la prit par les cheveux et la montra au peuple en disant: «Voici la tête du traître.» Il ouvrit ensuite le cadavre, en arracha les entrailles, les brûla, et fit des incisions aux quatre membres, sans les séparer du tronc.[7] Jamais pareil spectacle ne a'était encore vu en Canada. L'objet de ces barbaries était de frapper de terreur l'imagination populaire. Mais ce qu'il y eut de plus hideux dans cette tragédie, ce furent les récompenses que l'on jeta aux accusateurs et aux témoins à charge, lesquels acceptèrent sans rougir des terres considérables pour prix de leur complaisance eu de leur délation.[8] Black lui-même reçut des gratifications, qui ne lui portèrent pas bonheur, car tout le monde ne voulut plua voir en lui qu'un traître; repoussé par ses concitoyens, couvert du mépris public, il finit par tomber dans une profonde misère, et on le vit quelques années après, rongé de vermine, mendier son pain dans la ville où il avait siégé autrefois comme législateur. Cette exécution, fruit des frayeurs des autorités coloniales, toujours plus impitoyables que celles des métropoles, ne fit que mettre davantage au jour l'esprit de l'administration et la dépendance honteuse des tribunaux, qui avaient fermé les yeux sur les violations les plus flagrantes des régies imposées par la sagesse des lois pour la protection de l'innocence. [Note 7: Procès de David McLane.] [Note 8: Gazette de Québec.] Plus le pouvoir devenait absolu moins la représentation nationale avait d'empire. Une grande retenue caractérisait depuis un an ou deux toutes les démarches de l'assemblée, qu'on s'était mis à accuser de révolte chaque fois qu'elle voulait montrer un peu d'indépendance. Quoique l'on fut loin du théâtre de la guerre, les gouverneurs représentaient constamment les ennemis comme à nos portes, comme au milieu de nous. C'était la politique que le gouvernement, entre les mains de l'aristocratie, suivait en Angleterre pour faire repousser les idées républicaines de la France. La mission des chambres semblait devoir se borner à passer des lois pour augmenter les subsides et les pouvoirs de l'exécutif rempli d'appréhensions vraies ou simulées. Parmi ces lois exceptionnelles, il s'échappa quelquefois des délibérations législatives, des décrets d'une utilité pratique. Tels furent l'établissement pour la première fois dans les prisons de ce pays, des salles de correction ou de travail forcé, institution favorable à la régénération du condamné, et le règlement des poids et mesures, objet qui devenait de plus en plus nécessaire par l'accroissement du commerce. Pendant ce temps-là, le revenu public augmentait toujours avec les anciens impôts. De 14,000 louis qu'il était en 97, il monta en 1801 à 27,000 louis. Mais les dépenses du gouvernement civil qui étaient encore de 25 ou 26 mille louis en 99, furent portées tout à coup l'année suivante à 36,000 louis sans que l'on eût même demandé la sanction de la colonie pour cet accroissement fait par ordre du ministre, le duc de Portland. Cette usurpation de pouvoir ne put troubler le calme du peuple; mais les esprits commençaient à s'agiter même là où la concorde n'avait jamais cesser de régner, entre le gouverneur et son conseil. Il paraît que le bureau chargé de la régie des terres, composé d'une section de ce conseil, se rendait coupable d'abus et de prévarications dont le public ne connaissait pas encore toute l'étendue. Le juge en chef Osgoode en était le président. Les membres sous divers prétextes et sous des noms empruntés, s'étaient fait accorder à eux-mêmes, ou avaient fait accorder à leurs amis de vastes étendues de terres en diverses parties du pays. Dans tous les temps les plus grands abus s'étaient commis dans ce département, et l'on avait vu des membres de l'ancien conseil législatif s'entendre avec des officiers publics à Londres, qui avaient l'entrée des bureaux du ministère, pour s'en faire accorder sur le lac S.-François, sur le chemin postal ouvert entre Québec et Halifax et dans tous les endroits où ils pouvaient en avoir.[9] Ces abus allaient toujours en augmentant. Ceux qui en profitaient, mettaient en même temps tous les obstacles possibles à ce qu'on en accordât aux Canadiens sous le prétexte qu'ils allaient y porter leur langue leurs usages et leur religion; ce qui était alors un motif suffisant d'exclusion, sinon ouvertement avoué du moins tacitement reconnu; mais dans la conviction secrète qu'en les conservant, ils obtiendraient plus tard des prix plus élevés. Ces terres avaient été divisées en townships, et on avait donné aux nouvelles divisions des noms anglais, chose indifférente en elle-même en apparence, et qui cependant contribuait à en éloigner les cultivateurs canadiens, qui n'en comprenaient pas bien la tenure avec le système de _quit-rents_ qui y était attaché. Ces entraves artificielles dépassèrent le but. Des Canadiens, surtout des Américains pénétrèrent dans les forêts de la rive droite du St.-Laurent, près de la frontière des Etats-Unis, et s'y choisirent des fermes sur lesquelles ils s'établirent sans titre. Le gouverneur auquel ces derniers s'étaient plaints de la conduite du bureau, transmit dès la première année de son administration, une dépêche à Londres dans laquelle il blâmait tout le système comme contraire à l'honneur et à l'intérêt de l'empire, et comme nul sous le rapport fiscal, puisqu'il ne produisait rien. Il embrassa avec chaleur surtout la cause de ces émigrés qu'on nommait loyalistes dès qu'ils mettaient le pied sur le territoire canadien. Ses représentations firent effet. Il revint d'Angleterre en 98 des instructions fort amples pour remédier au mal qu'il avait signalé, et qui déplurent extrêmement au bureau des terres. De là la brouille de ce bureau avec le gouverneur et du gouverneur avec le conseil exécutif, l'âme et le nerf de l'oligarchie qui commençait à peser de tout son poids sur le pays, et qui se crut obligé de soutenir en cette circonstance un département formé de ses principaux membres. Il s'était déjà établi une communauté d'opinions et d'intérêts entre les fonctionnaires publics et la majorité de ce conseil, communauté qui a fini ensuite par maîtriser complètement la marche de l'administration en s'emparant de l'esprit des gouverneurs et en influençant continuellement les ministres, dont cette oligarchie employait toute son habileté à nourrir les craintes et les antipathies nationales contre la masse de la population. Le conseil exécutif, qui avait ignoré jusque là la dépêche du gouverneur, se tint pour offensé par son silence; il fut froid d'abord à son égard et ensuite il lui fit une opposition ouverte et redoutable sous la direction de son président, M. Osgoode, fils naturel de George II, dit-on, qui avait des talens, et ce qui était mieux dans, la circonstance des amis puissans à la cour. Entraîné par ses inspirations, le conseil refusa de publier les nouvelles instructions et compléta ainsi la rupture entre ces deux hommes. L'Angleterre, pour éviter les conséquences de leur désunion dans la colonie où chacun avait son parti, jugea nécessaire de les rappeler tous deux, ce dernier conservant ses appointemens. [Note 9: Correspondance manuscrite du conseiller Finlay, etc.] Cette querelle fit peu de sensation dans le public parce que la presse étant muette et les débats s'étant passés dans les hauts lieux de l'administration enveloppés comme à l'ordinaire dans les nuages du mystère, le peuple n'en connaissait pas bien le sujet ni les motifs. En outre, quoique ce gouverneur fût en difficulté avec les principaux fonctionnaires, il n'avait point cherché d'appui dans la population. Au contraire, il se montrait fort hostile à son égard, et soit mauvaise interprétation donnée à ses instructions, soit toute autre raison, il accueillit très mal la demande des catholiques d'ériger de nouvelles paroisses pour répondre à l'augmentation de leurs établissemens qui se formaient de proche en proche tout autour de la partie habitée du pays. Ni les réclamations du peuple, ni celles du clergé, ni même celles de l'assemblée ne parurent le faire revenir du refus qu'il avait donné à ce sujet contrairement à l'ordonnance de 91. Il fallut que les catholiques recourussent au régime insuffisant des missions comme aux premiers jours de la colonie. Une pareille conduite n'était pas de nature à augmenter sa popularité. Aussi vit-on sa retraite avec plaisir, et sir Robert Shore Milnes prendre en 99 les rênes de l'administration en qualité de lieutenant-gouverneur. Celui-ci en ouvrant les chambres dans le mois de mars remercia dans son discours le Canada des témoignages de fidélité qu'il venait de donner au roi et aux intérêts des sociétés civilisées on souscrivant généreusement des sommes assez considérables pour le soutien de la guerre contre la révolution française. Cette Souscription avait été commencée par le parti anglais dans le but de capter exclusivement la bienveillance du gouvernement en montrant un zèle plus empressé que celui des Canadiens. La chose s'était faite rapidement, et les auteurs du projet s'étaient donnés peu de peine pour la rendre générale parmi la population. M. de Bonne voulut faire ajouter, lorsque la partie de l'adresse relative à ce sujet, fut soumise aux voix, que l'on regrettait que, par le peu de moyens de la majorité des habitans, les contributions eussent été si modiques, et par le mode adopté pour les recueillir, si peu générales; mais son amendement fut écarté, la majorité ne pensant pas qu'il fut de sa dignité de donner des explications à ce sujet. Les Canadiens du reste se rappelaient que le gouvernement n'avait pas pris tant de précaution contre les révolutionnaires américains à la suite des événemens de 75, quoique le danger fût bien plus imminent. Mais ils ne purent plus avoir de doute lorsqu'ils virent ceux qui n'avaient jamais cessé de chercher à les dominer, oubliant leurs écarts de 75, commencer à se donner le nom de «loyaux» par excellence et de donner aux Canadiens celui de «rebelles.» Ce machiavélisme sur lequel l'Angleterre ferma complaisamment les yeux, a duré jusqu'à nos jours qu'il a été flétri par lord Durham et par lord Sydenham. Il paraît que l'esprit de querelle qu'on venait de voir éclater entre le dernier gouverneur et son conseil, se répandit jusqu'aux chambres. L'assemblée montra dans cette session moins de calme et d'unanimité que de coutume. La question des biens des jésuites et une question de privilèges touchant un membre condamné pour escroquerie à une sentence emportant flétrissure, et qu'elle voulut exclure de son siège, excitèrent de vifs débats, dans lesquels les deux partis manifestèrent la même ardeur que dans les discussions de 92 sur l'usage de la langue française. La question des biens des jésuites étaient d'une bien plus haute importance. Le dernier membre de cette société religieuse, le P. Casot, venait de mourir. Sa mort fournit une nouvelle occasion de réclamer les biens de son ordre pour les conserver à leur destination primitive. Lorsqu'un membre, M. Planté, voulut en faire la proposition, M. Young, l'un des conseillers exécutifs, se leva et annonça qu'il était chargé de déclarer que le gouverneur avait donné les instructions nécessaires pour en faire prendre possession au nom de la couronne. On affectait alors ce ton de commandement absolu, et l'on aurait cru déroger en donnant les motifs de ses résolutions. Celle du gouverneur pourtant était fondée sur des instructions récentes et sur d'autres plus anciennes données à lord Dorchester et qui lui enjoignaient de supprimer cette société et de prendre possession de ce qu'elle avait pour en faire l'usage que la couronne jugerait à propos plus tard. De grands débats s'élevèrent sur la proposition de M. Planté, qui fut adoptée finalement par une majorité de 17. Un seul Canadien catholique vota contre, le solliciteur-général Foucher. La chambre passa ensuite à la majorité des deux tiers, une adresse au gouverneur pour demander copie des titres de la fondation de l'ordre, adresse à laquelle celui-ci répondit affirmativement tout en faisant observer que c'était sur les instructions du roi transmises dans le mois d'avril précédent, qu'il avait agi, et que c'était à la chambre à considérer s'il était compatible avec le respect qu'elle avait toujours montré pour le trône de persister dans sa demande. Pendant la discussion, M. Grant avait proposé de présenter une adresse pour exposer au roi l'état déplorable dans lequel était tombée l'éducation depuis la conquête, et pour le prier, tout en reconnaissant la légitimité de son droit, d'approprier les biens des jésuites à l'éducation de la jeunesse. Mais cette motion avait été écartée sur un amendement de M. Planté portant que l'on devait remettre à un autre temps l'examen des prétentions de la province sur ces biens. La répugnance de reconnaître la légitimité du droit de la couronne à leur propriété, et la crainte de les voir placer sous l'administration de l'Institution royale, commission protestante alors en projet et entre les mains de laquelle on songeait à placer l'instruction publique, motivèrent le vote des catholiques dans cette occasion. La question de l'éducation se trouva par là ajournée à un temps indéfini. CHAPITRE II. ADMINISTRATION DE SIR JAMES CRAIG. 1801-1811. Elections de 1800.--Institution royale.--Principe de la taxation.--La nationalité canadienne.--Etablissement du Canadien.--Affaire de la Chesapeake--Situation de nos relations avec les Etats-Unis.--Premières difficultés avec cette république.--Arrivée de sir James Craig en Canada.--Ordre militaire.--Proclamation politique.--Ouverture des chambres.--Projet de loi pour exclure les juges de l'assemblée.--M. Bedard et autres officiers de milice cassés.--Ministère responsable.--Dissolution du Parlement.--Discours insultant de Craig.--Les idées du Canadien sur la constitution et la responsabilité ministérielle.--Subsides.--Agent à Londres.--Exclusion des juges de la chambre.--Dissolution subite du parlement.--Saisie du Canadien et emprisonnement de M. Bedard, Taschereau et Blanchet.--Proclamation du gouverneur.--Election.--Ouverture des chambres.--Elargissement des prisonniers.--Affaires religieuses.--Entrevues de sir James Craig et de M. Plessis au sujet de l'église catholique.--Nomination des curés par le gouvernement.--Fin de l'administration de Craig. De 1800 à 1805 il y eut un instant de calme. L'élection de 1800 porta à la chambre quatre conseillers exécutifs, trois juges et trois autres officiers du gouvernement, ou le cinquième de la représentation. C'était une garantie de sa soumission. Aussi dès que la législature fut réunie, s'empressa-t-elle de renouveler l'acte pour la sûreté du gouvernement et de sanctionner par une loi l'établissement de «l'Institution royale» destinée à servir de base dans l'esprit de ses auteurs, à l'anglification du pays par un système général d'instruction publique en langue anglaise. Cette loi mettait l'enseignement entre les mains de l'exécutif. Le gouvernement nommait les syndics et le président qui devait diriger, sous son veto, cette importante administration; il désignait les paroisses où l'on devait ouvrir des écoles et nommait les instituteurs. L'évêque protestant en étant appelé à la présidence tua le projet dès son début, malgré l'argent que l'on vota pendant plusieurs années pour le maintenir. Les Canadiens qui ne voulaient abjurer ni leur langue, ni leurs autels, finirent par le repousser à l'unanimité; et il ne servit pendant un quart de siècle qu'à mettre obstacle à un système plus en harmonie avec leurs voeux. Malgré l'unanimité de la législature et l'activité que la reprise des hostilités en 1801 entre la France et l'Angleterre, donna au commerce et à la construction des vaisseaux qui commençait à devenir une branche importante de l'industrie canadienne, plusieurs sujets fournissaient matière à des discussions dans les avant-gardes des partis politiques. L'usurpation des biens des jésuites, les obstacles mis à l'octroi des terres, la composition du conseil législatif de plus en plus hostile à la majorité du peuple, l'opposition à l'établissement légal des nouvelles paroisses, l'exclusion systématique des Canadiens des charges publiques, les tentatives faites pour changer la tenure des terres et le désir d'asseoir la taxe sur la propriété foncière et conséquemment sur l'agriculture, toutes ces questions s'agitaient les unes après les autres ou simultanément, et suivant le degré de méfiance ou de jalousie, de crainte ou d'espoir, qui régnait, elles donnaient plus ou moins d'énergie à l'opinion publique qui commençait à se former et qui devait se manifester bientôt dans la législature et parmi le peuple. L'élection de 1804 changea peu la nature des partis. Mais il ne fallait qu'une occasion pour amener le commencement d'une lutte. Une question en apparence peu importante souleva des discussions sur le principe de la taxation. Il s'agissait de bâtir des prisons. La chambre imposa une taxe sur les marchandises pour subvenir à cette dépense, malgré les efforts de la minorité composée en partie de marchands et qui voulait une taxe foncière. Elle soutenait que c'était faire tort au commerce que de lui faire supporter les dépenses publiques, et que l'on devait adopter un principe différent si l'on voulait avancer le développement du pays. On lui répondit que quelque fut le système adopté, la taxe était payée par le consommateur, et qu'imposer l'agriculture serait funeste dans un pays nouveau, où l'on devait favoriser par tous les moyens ce premier des arts, base la plus solide de la prospérité publique et du commerce lui-même. Une fois le combat engagé, il ne manqua pas de sujets pour le nourrir malgré la réserve que l'on gardait encore. L'augmentation du salaire du traducteur français refusée par le gouverneur, blessa vivement la chambre qui l'avait demandée. Elle regarda ce refus comme une marque des mauvaises dispositions de l'exécutif contre la langue du peuple; car la question d'argent en elle-même ne méritait pas que l'on brisât la bonne entente qui existait. Elle venait de nommer un comité pour s'occuper de cette question lorsque le parlement fut prorogé. Sir Robert Shore Milnes déposa les rênes du gouvernement entre les mains de M. Dunn, qui convoqua les chambres pour la fin de février. L'humeur que les représentans avaient montrée vers la fin de la session ne s'était pas calmée dans l'intervalle. Ils voulurent sévir contre les journaux qui avaient critiqué leur vote au sujet de l'impôt, et décrétèrent de prise de corps, l'éditeur de la _Gazette de Montréal_. Celui du _Mercury_, journal établi à Québec l'année précédente, ayant voulu prendre sa défense, n'échappa à la prison qu'en reconnaissant sa faute. Aucune de ces infractions de privilèges ne méritait le châtiment qu'elles avaient provoqué et qui frappait au coeur la sauvegarde des droits populaires comme l'indépendance de la chambre elle-même en portant atteinte à la liberté de la presse. Mais à cette époque cette liberté était encore à naître, et ce n'était pas la faute du peuple s'il en était ainsi comme on aura bientôt occasion de le voir. Cependant le parti mercantile qui connaissait l'influence considérable qu'il avait exercé de tout temps sur la métropole, pria le roi de désavouer le bill des prisons; ce qu'apprenant, la chambre résolut aussitôt, sur la proposition de M. Bédard, de le prier de le maintenir, et transmit à Londres un mémoire explicatif de ses motifs. «Elle considérait, disait-elle, qu'il n'y avait aucun parallèle à faire entre les anciens pays de l'Europe et le Canada quant à la convenance de taxer les terres. Dans la mère-patrie et les pays où l'agriculture avait rendu les terres à peu-près d'égale valeur, une taxe territoriale pesait également sur toutes; mais en Canada où l'agriculture laissait tant d'inégalité, une taxe par arpent comme celle qui était proposée, serait inégale et sans proportion, car celui dont le fonds ne vallait que six deniers cent payerait autant que celui dont le fonds vallait soixante livres l'arpent. La taxe pèserait conséquemment plus sur ceux qui commençaient à défricher que sur les autres, et par là les nouveaux colons seraient chargés de la plus forte partie du fardeau, tandis qu'ils ne devaient recevoir que des encouragemens. «Une taxe sur la valeur estimée de chaque terre serait pareillement impraticable. Les frais d'estimation et de perception seraient plus à charge que la taxe elle-même. «Du reste une taxe foncière serait injuste, en ce que les habitans des villes, dont les richesses sont en effets mobiliers, en seraient exempts. «L'assemblée considérait qu'un impôt sur le commerce en général et surtout sur les articles taxés par la loi en particulier, serait moins senti, et plus également réparti; que le consommateur payait en dernier lieu; que bien qu'il eût été objecté que les marchands étaient ici dans des circonstances plus désavantageuses qu'ailleurs, parcequ'ils n'avaient pas la facilité de réexporter leurs marchandises, cette circonstance au lieu d'être désavantageuse était favorable, parcequ'elle leur permettait de régler le commerce et de faire payer l'impôt par le consommateur, vu qu'ils n'étaient en concurrence qu'avec les marchands qui payaient les mêmes droits qu'eux.» En vain l'opposition dirigée par M. Richardson, qui fit un discours de près d'une heure et demie, voulut faire tomber la proposition par un amendement, elle fut adoptée par une majorité de plus des deux tiers. Ainsi fut confirmée après de longs débats, la décision adoptée précédemment sur la grande question du principe de l'impôt, principe qui n'a pas cessé depuis de servir de base au système financier du pays. Elle le fut conformément à l'intérêt de ces nouvelles contrées dont le premier besoin est le changement des immenses forêts qui les couvrent en champs fertiles et bien cultivés. La loi ne fut point désavouée. Les discussions sur cette question augmentèrent encore l'aigreur des esprits, dont le chef du gouvernement lui-même ne fut pas exempt. Elles prirent comme de coutume une teinte de jalousie nationale. Le parti mercantile, ne pouvant se contenir après le nouvel échec qu'il venait d'éprouver, éleva de nouveau la voix contre l'origine de ses adversaires et essaya de ramener la discussion sur le terrain de la nationalité. «Cette province est déjà trop française, disait le _Mercury_, pour une colonie anglaise.... Que nous soyons en guerre ou en paix, il est absolument nécessaire que nous fassions tous nos efforts par tous les moyens avouables, pour opposer l'accroissement des Français et leur influence.... Après avoir possédé Québec quarante-sept ans, il est temps que la province soit anglaise.» Ce cri jeté par les hommes les plus violens du parti en opposition aux plus modérés qui s'élevèrent aussitôt contre, était excité par le bruit qui courait que les Canadiens allaient établir un journal dans leur langue pour défendre leurs intérêts nationaux et politiques. Jusqu'à ce moment la presse, comme on l'a déjà dit, avait gardé un silence profond, rarement interrompu par des débats, sur les affaires intérieures, politiques ou religieuses. Ce silence n'était pas tant peut-être encore le fruit du despotisme que de l'intérêt bien entendu des gouvernans. Maîtres du pouvoir, ils possédaient avec lui tous les avantages qui en découlent pour les individus. Mais l'apparition d'un journal indépendant, proclamant qu'il venait défendre les droits politiques des Canadiens et revendiquer en leur faveur tous les avantages de la constitution, effraya ceux qui jouissaient de son patronage. Ils accueillirent le nouveau journal avec une hostilité très prononcée. Ils s'efforcèrent de faire croire que c'était un agent français, M. Turreau, alors aux Etats-Unis, qui en était le principal auteur. «C'est un fait incontestable, disait le _Mercury_ qu'il a offert 900 dollars pour établir une gazette française à New-York. N'avons nous pas raison d'être jaloux de voir établir un journal français à Québec; lorsque nous apprenons que l'on parle déjà d'en publier un second, et que l'on va ouvrir une nouvelle imprimerie. Si dans le temps où nous sommes nous n'en éprouvons pas d'alarmes, c'est que nous sommes insensibles à tous les symptômes des malheurs qui nous menacent. Peu d'Anglais connaissent les intrigues et les cabales qui se passent au milieu de nous.» Malgré les soupçons qu'on tâchait ainsi de faire naître, le Canadien parut dans le mois de novembre 1806. «Il y a déjà longtemps disait son prospectus que des personnes qui aiment leur pays et leur gouvernement, regrettent que le rare trésor que nous possédons dans notre constitution, demeure si longtemps caché, la liberté de la presse.... Ce droit qu'à un peuple anglais, d'exprimer librement ses sentimens sur tous les actes publics de son gouvernement, est ce qui en fait le principal ressort..... C'est cette liberté qui rend la constitution anglaise si propre à faire le bonheur des peuples qui sont sous sa protection. Tous les gouvernemens doivent avoir ce but, et tous désireraient peut pour l'obtenir; mais tous n'en ont pas les moyens. Le despote ne connaît le peuple que par le portrait que lui en font les courtisans, et n'a d'autres conseillers qu'eux. Sous la constitution d'Angleterre, le peuple a le droit de ce faire connaître lui-même par le moyen de la presse; et par l'expression libre de ses sentimens, toute la nation devient pour ainsi dire le conseiller privé du gouvernement. «Le gouvernement despotique toujours mal informé, est sans cesse exposé à heurter les sentimens et les intérêts du peuple qu'il ne connaît pas, et à lui faire sans le vouloir des maux et des violences dont il ne s'aperçoit qu'après qu'il n'est plus temps d'y remédier; d'où vient que ces gouvernemens sont sujets à de si terribles révolutions. Sous la constitution anglaise où rien n'est caché, où aucune contrainte n'empêche le peuple de dire librement ce qu'il pense et où le peuple pense pour ainsi dire tout haut, il est impossible que de pareils inconvéniens puissent avoir lieu, et c'est là ce qui fait la force étonnante de cette constitution qui n'a reçu aucune atteinte, quand toutes celles de l'Europe ont été bouleversées les unes après les autres. «Les Canadiens comme les plus nouveaux sujets de l'Empire ont surtout intérêt de n'être pas mal représentés. «Il n'y a pas bien longtemps qu'on les a vus en butte à de noires insinuations dans un papier publié en anglais, sans avoir la liberté de répondre. Ils ont intérêt de dissiper les préjugés, ils ont intérêt surtout d'effacer les mauvaises impressions que les coups secrets de la malignité pourraient laisser dans l'esprit de l'Angleterre et du roi lui-même. On leur a fait un crime de se servir de leur langue maternelle pour exprimer leurs sentimens et se faire rendre justice; mais les accusations n'épouvantent que les coupables, l'expression sincère de la loyauté est loyale dans toutes les langues.» L'apparition de ce journal marqua l'ère de la liberté de la presse en Canada. Avant lui aucune feuille n'avait encore osé discuter les questions politiques comme on le faisait dans la métropole. La polémique que souleva le _Canadien_ fut conduite presqu'entièrement sous forme de correspondance anonyme. Il donna cependant un grand élan aux idées de liberté pratique, et à ce titre son nom mérite d'être placé à la tête de l'histoire de la presse du pays. Ces discussions malgré l'agitation momentanée qu'elles causèrent de temps à suit autre, n'interrompaient point encore les bons rapports qui existaient entre le gouvernement et la chambre; et d'ailleurs la situation de nos relations avec les Etats-Unis allait bientôt appeler pour quelque temps du moins, l'attention publique d'un autre côté. Les guerres terribles occasionnées en Europe par la révolution française, que les rois tremblant sur leurs trônes, s'étaient conjurés pour abattre, avaient excité de vives sympathie dans la république américaine en faveur de la France. On avait vu avec mécontentement la nation la plus libre de l'Europe après la Suisse, se liguer avec les despotes les plus absolus pour écraser la liberté qui avait tant de peine à naître et à se répandre; et le gouvernement des Etats-Unis avait la plus grande peine à arrêter chez une portion très nombreuse de ses habitans l'explosion de sentimens qui auraient amené une guerre avec l'Angleterre, et conséquemment une lutte sur mer, où sa marine n'était pas en état de lutter avec aucune espèce de chance de succès. Depuis quelque temps les rapports entre les deux nations avaient perdu de cette cordialité que l'on essayait en vain du conserver, et qui allait disparaître plus tard avec le parti whig de l'Union. La révolution française et les guerres qui en avaient été la suite avaient fini par la destruction de toutes les marines des nations continentales, incapables de lutter à la fois sur les deux élément. L'Angleterre était restèe seule maîtresse des mers et voulait en retirer tous les avantages. Les Etats-Unis au contraire prétendaient à la faveur de leur neutralité, trafiquer librement avec les différentes nations belligérantes. Sans tenir compte des prétentions de la nation nouvelle, la Grande-Bretagne déclara en 1806 les côtes d'une partie du continent européen depuis Brest jusqu'à l'Elbe en état de blocus, et captura une foule de navires américains qui s'y rendaient. Napoléon en fit autant de son côté par représailles, et déclara les côtes de l'Angleterre bloquées. Celle-ci pour surenchérir prohiba l'année suivante tout commerce avec la France. Ces mesures extraordinaires et qui violaient les lois des nations et les droits des neutres reconnus jusqu'à ce moment, causèrent un grand mécontentement dans la république américaine, où les marchands demandèrent à grands cris la protection de leur gouvernement. Dans le même temps l'Angleterre, en vertu du droit de visite, qu'elle venait aussi d'introduire dans son code maritime, c'est-à dire le droit de rechercher et de prendre tous les matelots de sa nation qu'elle trouverait sur les vaisseaux étrangers, et qui était dirigé contre les Etats-Unis, qui employaient beaucoup de matelots anglais, attaqua la frégate la Chesapeake, tua et blessa plusieurs hommes de son équipage et en emmena quatre qu'elle réclamaient comme déserteurs. Le gouvernement des Etats-Unis ferma aussitôt ses ports aux vaisseaux de guerre anglais jusqu'à ce que l'Angleterre eût donné satisfaction pour l'attaque de la Chesapeake et des garanties contre toute agression future. Cela fut suivi d'une part des fameux ordres en conseil du gouvernement britannique défendant tout commerce avec la France et ses alliés, et de l'autre du décret de Milan promulgué par Napoléon prohibant tout commerce avec l'Angleterre et ses colonies. Les Etats-Unis de leur côté dans le but de se protéger, mirent un embargo qu'ils révoquèrent cependant l'année suivante parce qu'il faisait plus de mal encore à leur commerce qu'à celui des autres nations; mais ils interdirent tout trafic avec la France et l'Angleterre jusqu'à ce que ces deux nations eussent donné satisfaction pour les griefs dont ils se plaignaient. En même temps, ils prenaient des mesures pour mettre le pays en état de défense et se préparer à la guerre. Tels sont les événemens qui se passèrent entre la république du Nouveau-Monde et l'Angleterre entre 1806 et 1809; et dans la prévision d'une guerre, la première portait déjà les yeux sur le Canada. En même temps, le bruit se répandait que les Canadiens n'attendaient que l'apparition du drapeau américain pour se lever en masse et livrer le pays à la confédération. Cette croyance assez généralement répandue prenait sa source dans le système de leurs ennemis de les représenter sans cesse comme des rebelles cachés sinon ouverts: Les Américains qui voulaient bannir toute domination européenne du nouveau monde s'empressaient de profiter de ces rumeurs et les répandaient dans le public par la voie de leurs journaux avec la plus grande activité. Le chef du gouvernement canadien, M. Dunn, jugea à propos pour les détromper, de faire une grande démonstration militaire. Dans l'été de 1807, il ordonna à un cinquième de la milice de se tenir prêt à marcher au premier ordre; l'évêque, M. Plessis, adressa un mandement à tous les catholiques pour exciter leur zèle. Le tirage au sort de ce contingent et son organisation se firent avec une émulation et une promptitude qui donnaient un démenti éclatant à toutes les insinuations répandues pour rendre les Canadiens suspects. Les fortifications de Québec furent aussi augmentées et mises en état de guerre par les soins du colonel Brock, qui commandait la garnison. Mais la guerre ne devait pas encore éclater de sitôt. Les Etats-Unis n'étaient pas en mesure d'entrer en lice avec une puissance maîtresse des mers et d'une armée de terre disponible supérieure par le nombre et par la discipline à celle de la république. La diplomatie s'empara des sujets de difficulté élevés entre les deux gouvernemens. C'est alors qu'arriva le nouveau gouverneur, sir James Graig, officier militaire de quelque réputation, mais administrateur fantastique et borné, qui déploya un grand étalage militaire et parla au peuple comme il aurait parlé à des recrues soumises au martinet. Dans son ordre général du 24 novembre, tout en exprimant sa satisfaction de l'état dans lequel il trouvait la milice, des sentimens d'attachement qu'elle montrait pour le trône, de son zèle pour la défense du pays, il observait qu'il avait vu avec beaucoup d'inquiétude les actes de grave insubordination de la paroisse de l'Assomption; qu'il espérait que les lois seraient obéies, que les habitans courraient aux armes avec ardeur pour la défense de leurs biens, de leurs familles, de leur patrie; qu'il exhortait tout le monde à être en garde contre les artifices de la trahison et les discours d'émissaires répandus partout pour les séduire; que quoiqu'ils eussent sans doute peu de poids parmi un peuple heureux, qui éprouvait à chaque instant la protection et les bienfaits du gouvernement, il recommandait, pour prévenir d'une manière plus efficace les mauvais effets qui pourraient accompagner leurs efforts, surtout parmi les jeunes gens et les ignorans; à tous les miliciens de surveiller attentivement la conduite et le langage des étrangers qui paraîtraient au milieu d'eux, et chaque fois que leur conduite et leur langage seraient de nature à donner raison de soupçonner leurs intentions, de les arrêter et de les conduire devant le magistrat ou l'officier de milice le plus voisin. Cet ordre appuyait d'une manière si spéciale sur les intrigues des émissaires américains et sur les défections qu'elles pouvaient causer dans les rangs de la milice, qu'il dut faire croire au loin, que le pays était sur un volcan. Rien n'autorisait un appel aussi solennel à la fidélité des habitans. Les troubles signalés par le gouverneur n'avaient aucune portée politique, et devaient leur origine à des causes personnelles ou à des querelles locales auxquelles les agens officieux de l'autorité donnèrent un autre caractère pour faire valoir leurs services; car les Canadiens ne furent en aucun temps plus attachés à leur gouvernement qu'à cette époque. Mais sir James Craig s'était jeté en arrivant, corps et âme, dans les bras de leurs ennemis et il ne voyait rien que par leurs yeux. Il crut que les Canadiens étaient mal affectionnés; qu'ils déguisaient leurs pensées comme leurs adversaires ne cessaient de le lui répéter, surtout leurs chefs qu'ils détestaient; de là ses préventions et la conduite impérieuse et violente qui ont signalé son administration. En ouvrant le parlement, il fit allusion comme ses prédécesseurs, aux guerres de l'Europe et à l'ambition de la France. «J'aurais été très flatté, dit-il, si dans cette occasion j'avais été porteur de quelque espoir bien fondé du retour de la paix qui, comme base la plus sûre du bien être et du bonheur du peuple, est l'objet continuel des efforts de sa Majesté; mais tant qu'un ennemi implacable emploiera toutes les ressources d'une puissance sans exemple dans le monde jusqu'à ce jour, dirigé sans aucun principe de justice ni d'humanité, acharné à notre ruine, tant que cet ennemi irrité du désappointement d'une ambition sans borne, ne tendant à rien moins qu'à la conquête du monde, regardera avec une malice invétérée qu'il ne cherche point à cacher, la seule nation de l'Europe qui par la sagesse de son gouvernement, les ressources de ses richesses, son énergie, ses vertus et son esprit public, a été capable de lui résister, ce n'est qu'avec une défiance prudente et en mettant sa confiance dans les bienfaits de la Divine Providence, que l'on peut espérer de voir arriver la fin si désirable des maux de la guerre.» Quant aux difficultés avec les Etats-Unis, il n'avait rien à communiquer qui put jeter du jour sur la question; mais il espérait que la sagesse des deux gouvernemens préviendrait les calamités de la guerre entre deux peuples dont les usages, la langue et l'origine étaient les mêmes. Il ne fallait pas pour cela cependant négliger les moyens de défense; il mettait sa confiance dans la coopération des habitans et la loyauté et le zèle de la milice qui méritait son approbation et fournissait la plus forte raison d'espérer que si le pays était attaqué, il serait défendu comme l'on devait l'attendre d'un peuple brave qui combat pour tout ce qui lui est cher. Ce langage sur l'attitude de la milice était plus prudent que l'ordre général et ne contenait que la vérité. La réponse de l'assemblée dut faire croire à l'Angleterre qu'elle pouvait compter sur la fidélité des Canadiens malgré les préjugés et les craintes que trahissaient ces appels eux-mêmes. La question d'exclure les juges et les Juifs de la chambre comme en Angleterre, occupa une grande partie de la session. Les Juifs furent exclus par résolution. Quant aux juges, M. Bourdages présenta un bill que la chambre adopta, mais que rejeta le conseil, qui vit avec une secrète joie le refroidissement ou plutôt la disposition hostile qui se manifestait déjà vers la fin de la session entre sir James Craig et l'assemblée. Depuis quelque temps ce sentiment prenait de la consistance à chaque fait nouveau qu'on abordait dans la discussion, et l'entourage du gouverneur, aidé des fonctionnaires qui connaissaient maintenant le caractère de leur chef, commença à exciter ses passions avec toute la liberté que semblait appeler son penchant. On s'entendit pour calomnier les Canadiens sur tous les tons et en toutes occurrences, et chaque fois on finissait par trouver moyen de tourner leurs paroles les plus innocentes en paroles séditieuses ou en pensées de trahison. Par ce système on réussit à s'emparer complètement de l'esprit irritable de Craig. Les fonctionnaires savaient qu'il n'y avait aucune chance de changer le caractère de la représentation; et pour détruire d'avance son influence ils employèrent leurs armes ordinaires, la calomnie. Ils dirigèrent surtout l'hostilité de l'exécutif contre le président de la chambre, et réussirent à lui faire perdre l'élection de Québec sans cependant lui faire perdre son siège, parce qu'il avait été élu dans un comté voisin, par prévision. Ils étaient d'autant plus déchaînés contre lui qu'il passait pour l'un des propriétaires du _Canadien_, dont les opinions n'étaient pas silencieuses comme celles des autres journaux. Peu temps après l'élection, il fut retranché de la liste des officiers de milice avec MM. Bédard, Taschereau, Borgia et Blanchet. Son excellence me charge de vous informer, disait le secrétaire du gouverneur à M. Panet, qu'elle a du prendre cette mesure «parce qu'elle ne peut mettre de confiance dans les services d'un homme qu'il a bonne raison de croire l'un des propriétaires d'une publication séditieuse et diffamatoire répandue dans la province avec beaucoup de zèle et qui a spécialement pour mission d'avilir le gouvernement et de créer un esprit de mécontentement parmi ses sujets, ainsi que de dissension et d'animosité entre tes deux partis qui les composent.» A peu près dans le même temps le juge en chef Allcock expirait et était remplacé par le procureur-général Sewell, et celui-ci par un jeune avocat, M. Bowen, au préjudice du solliciteur-général Stuart, qui s'était attiré les mauvaises grâces du gouverneur, qui lui ôta même sa charge pour la donner à un avocat qui venait d'arriver dans le pays, M. Uniacke. Ces promotions et ces destitutions extraordinaires faisaient prévoir des orages. A la surprise de bien du monde cependant le gouverneur ratifia la réélection de M. Panet à la présidence de l'assemblée lorsque le parlement se réunit. Il parla dans son discours de la situation des relations de l'Angleterre avec les Etats-Unis et des luttes politiques de l'intérieur. Il observa que ce que l'on connaissait de la conduite du gouvernement américain, n'offrait aucun signe de disposition conciliatrice; que comme l'embargo qu'il avait imposé pesait infiniment plus sur les Américains que sur ceux contre lesquels il était dirigé, il avait été levé pour être remplacé par un acte prohibant toute communication avec la Grande-Bretagne et la France. Comme marque d'hostilité, cet acte était encore plus fortement prononcé que l'embargo lui-même, et si on y joignait le langage tenu par les principaux personnages de la nation, les discussions auxquelles on s'était abandonné chaque fois qu'il avait été question de l'Angleterre, on devait persévérer dans les mesures de vigilance et de précaution qui avaient été jugées nécessaires. Il espérait que les chambres renouvelleraient les actes passés en vue de cet objet dans le dernier parlement et qui allaient expirer avec la session actuelle. Revenant à la politique intérieure, il dit que comme les membres venaient de toutes les parties du pays, ils devaient être convaincus de la prospérité et du bonheur d'un peuple qui n'était soumis qu'aux lois portées par ses propres représentans; que si en raison des différentes races qui composaient la population quelque chose pouvait détruire l'harmonie, ce seraient des soupçons et des jalousies mal fondées entre elles-mêmes ou des soupçons encore plus imaginaires contre le gouvernement. M. Bourdages voulut faire motiver la réponse à ce discours de manière qu'elle exprimât assez formellement pour être compris, les sentimens des représentans sur les influences pernicieuses qui circonvenaient le pouvoir exécutif. Les débats qui suivirent fournirent aux chefs canadiens l'occasion de laisser voir leur pensée sans insister pour la faire adopter. Il fut observé que l'amendement faisait allusion à des insinuations étrangères, et supposait que c'étaient elles qui induisaient le gouverneur en erreur; que ces suppositions pouvaient être faites en Angleterre où il y avait un ministère; mais qu'ici où il n'y en avait point de connu, on ne pouvait l'attaquer ouvertement; que tous les membres convenaient qu'il n'y avait aucun lieu d'appliquer à la chambre des réflexions de jalousie, entre ses membres ou contre le gouvernement; mais que le discours du trône ne contenait pas de réflexion directe et que l'on pouvait se contenter de le contredire indirectement. On répliqua que si la sensibilité des membres était seule intéressée, il serait facile d'en faire le sacrifice; mais que le discours pouvait donner lieu à des réflexions plus sérieuses: qu'il contenait des choses qui tendaient à exercer une influence indue sur les votes des deux branches; que les sentimens et les actes des deux chambres ne pouvaient être connus que par leurs votes, et que si la partie du discours en question était faite pour influer ailleurs que sur les suffrages des membres, elle ne signifierait rien; qu'elle pouvait faire craindre que les votes donnés pour un côté plutôt que pour un autre fussent interprétés comme hostile au gouvernement; que le mot gouvernement qui y était employé pouvait en imposer aux nouveaux membres, à ceux à qui notre constitution n'était pas encore familière. Quand le gouvernement exerce l'autorité exécutive, tout doit obéir; tout acte contraire à cette obéissance est l'acte d'un mauvais sujet. Mais quand le gouvernement exerce sa portion du pouvoir législatif, il n'est que l'une des trois branche de la législature, la première et les deux autres en sont indépendantes. Bien loin qu'en pût regarder l'opposition d'une de ces deux branches à la première, comme illégale, le devoir de ces deux branches était de s'y opposer librement toutes les fois qu'elles le croiraient nécessaire. Que les réflexions de jalousie contre le gouvernement ne pouvaient s'appliquer à aucun des trois pouvoirs, parce que dans le sens général du mot, lorsqu'il est appliqué à la législature ces trois pouvoirs forment eux-mêmes le gouvernement. À. Bédard observa de son côté, qu'avant de parler de l'influence pernicieuse que cette partie du discours du gouverneur était de nature à exercer, il devait déclarer qu'il n'en attribuait rien au représentant de sa Majesté, mais aux insinuations de personnes qui l'avaient induit en erreur; puis prenant la question de plus haut, il n'étendit sur le système de la responsabilité et fit voir combien l'idée d'un ministère était essentielle à la constitution. Le premier devoir de cette chambre, troisième branche de la législature, dit-il est de soutenir son indépendance, même contre les tentatives que ferait la première pour la restreindre; qu'en adoptant le sentiment de ceux qui disaient qu'il n'y avait point de ministère, il faudrait ou que cette chambre abandonnât son devoir et renonçât à soutenir son existence, ou qu'elle dirigeât ses observation contre la personne même du représentent du roi, ce qui serait une idée monstrueuse dans notre condtitution, parce qu'on devait regarder la personne de notre gouverneur comme tenant la plaise de la personne même de sa Majesté et lui appliquer les mêmes maximes. Il lui paraissait donc que cette idée de ministère n'était pas un vain nom comme quelques uns semblaient le regarder; mais une idée essentielle à la conservation de notre constitution, il fit observer qu'en fait et indépendamment de la maxime constitutionnelle, il était bien certain que le gouverneur qui n'était ici que depuis si peu de temps ne pouvait connaître les dispositions des habitans que sur les informations qu'on lut en donnait; que quoiqu'il ne fût pas un de ceux qui avaient eu le plus d'occasion de la connaître, il était intimement persuadé qu'il ne désirait rien que le bien public; que quoiqu'il n'y eût pas ici de ministère établi en titre d'office, il n'en était pas moins vrai qu'il n'y eût réellement des ministres, c'est-à-dire des personnes d'après les informations desquelles le gouverneur se déterminait; que lorsqu'il deviendrait nécessaire de connaître cet ministres, la chambre en trouverait bien le moyen; qu'il savait bien que les ministres aiment toujours mieux se tenir cachés; qu'ils n'avaient pas toujours été connus en Angleterre comme ils le sont aujourd'hui; mais que c'était l'affaire du bon exercice des pouvoirs constitutionnels de les obliger de paraître. L'orateur dans ce discours remarquable où il exposait un système octroyé formellement au Canada quarante ans après, fut regardé comme l'apôtre d'une idée révolutionnaire, et accusé par ceux qui formaient lea entourages du château, de propager une doctrines funeste, qu'il fallait se hâter de bannir si l'on voulait éviter les séditions. Les fonctionnaires et la classe d'où on les tirait poussèrent lea hauts cris en entendant proclamer le système responsable. Le juge de Bonne, l'organe du château, s'éleva contre la doctrine de M. Bedard, et chercha à persuader que l'admettre serait avilir l'autorité royale et celui qui en était chargé; qu'il ne fallait pas agiter de pareilles questions dans un montent où l'attitude des Etats-Unis était menaçante; que ce serait montrer des symptômes de division; qu'il fallait se garder aussi de manifester de la jalousie contre les autres pouvoirs parceque ce serait justifier les allusions faites aux signes de rébellion dans le discours du gouverneur; que l'agitation de ces questions paraîtrait telle en Angleterre et qu'elle affecterait les idées qu'en avait de la loyauté des Canadiens. L'orateur du reste ne faisait qu'exprimer ici des sentimens qu'il partageait en toute sincérité; car rejeton d'ancienne noblesse, il avait dû recueillir et conserver comme un héritage inaliénable les anciennes traditions de ses pères, et regarder l'autorité absolue des rois comme hors des atteintes des représentans du peuple, et l'autorité des chambres comme un pouvoir dont la légitimité était fort douteuse. La question traitée ainsi sous un point de vue nouveau par M. Bédard, fit sensation; mais sa proposition de responsabilité ministérielle parut d'une trop grande hardiesse à cette époque pour permettre de s'en occuper, et plus tard on oublia d'invoquer un principe si salutaire. La majorité voulait d'ailleurs éviter de commencer la session par une lutte sur une simple expression de sentimens comme le comportent en général les réponses aux discours du trône. Elle rejeta l'amendement de M. Bourdages ainsi que l'addition que M. Bedard voulut faire ajouter au paragraphe maintenu, et qui portait que l'on regrettait que le gouverneur eût cru devoir rappeler à l'attention de la chambre la question des races, et l'idée qu'il fut possible qu'il existât chez elle des soupçons et des jalousies contre le gouvernement; que l'on était trop assuré de la droiture et de la générosité de son coeur pour attribuer ces observations à d'autres qu'à des personnes qu'il ne connaissait pas et qui n'avaient à coeur ni le bien du gouvernement ni celui du peuple dont le bonheur lui était confié. L'allusion faite indirectement aux difficultés des dernières sessions, n'empêcha point la chambre de revenir sur la question des juges, relativement auxquels elle voulait absolument introduire l'usage anglais. Les membres les plus décidés voulaient les expulser de suite par une résolution comme cela parait avoir été fait dans l'origine par le parlement impérial; mais la grande majorité espérant toujours obtenir le consentement des deux autres branches de la législature, désirait prendre un terme moyen et faire admettre le principe dans le pays par les trois pouvoirs. Le gouverneur qui avait des idées sur une représentation coloniale bien différentes de celles de la chambre elle-même, avait pu juger dès le début de ses procédés qu'il n'y avait point d'accord possible entre elle et lui; qu'elle voulait persister dans son ancienne politique, et qu'il était évident qu'il fallait ou céder ou recourir à une seconde dissolution. D'après son caractère l'on devait prévoir que la dernière alternative devenait chaque jour la seule probable. En effet, du haut de son château, il trouvait la conduite de l'assemblée pleine d'audace, ayant toujours présent à l'idée, devant les yeux, la puissance et la situation relative de l'Angleterre et du Canada. Profitant de l'expulsion de M. Hart qu'elle venait de renouveler, il résolut de mettre fin à un parlement où l'on ne paraissait pas d'humeur à s'en laisser imposer, et qu'il croyait avoir tous les droits de mener à sa guise. Il se rendit au conseil législatif accompagné d'une suite nombreuse, et manda les représentans devant lui. Tout s'était passé de manière qu'ils n'eurent connaissance de son intention que lorsque les grenadiers de sa garde arrivèrent devant leur porte. «Messieurs, leur dit-il, lorsque je m'adressais à vous au commencement de la session, je n'avais aucune raison de douter de votre modération, ni de votre prudence, et je mettais une pleine confiance en toutes deux. J'attendais de vous que guidés par ces principes, vous feriez un généreux sacrifice de toute animosité personnelle, de tout mécontentement particulier; que vous porteriez une attention vigilante aux intérêts de votre pays; que vous rempliriez vos devoirs publics avec zèle et promptitude et une persévérance inébranlable. J'attendais de vous des efforts sincères pour le raffermissement de la concorde et une soigneuse retenue sur tout ce qui pourrait avoir une tendance à la troubler. J'ai cru que vous observeriez tous les égards qui sont dus, et par cela même indispensables aux autres branches de la législature, et que vous vous empresseriez de coopérer cordialement avec elles dans tout ce qui pourrait contribuer au bonheur et au bien-être de la colonie. J'avais le droit de m'attendre à cela de votre part, parce que c'était votre devoir, parce que c'aurait été fournir un témoignage certain au gouvernement de la loyauté et de l'attachement que vous professez avec tant d'ardeur et dont je crois que vous êtes pénétrés, parce qu'enfin la conjoncture critique surtout, la situation précaire dans laquelle nous nous trouvons à l'égard des Etats-Unis l'exigeaient d'une manière toute particulière. Je regrette d'avoir à ajouter que j'ai été trompé dans cette attente et dans toutes mes espérances. «Vous avez consumé dans les débats ingrats, excités par des animosités personnelles et des contestations frivoles sur des objets et des formalités futiles, ce temps et ces talens que vous deviez au public. Vous avez préféré abuser de vos fonctions et négliger les devoirs élevés et importans que vous étiez tenus envers votre souverain et vos constituans de remplir. S'il fallait des preuves de cet abus cinq bills seulement ont été soumis à ma sanction après une session de cinq semaines, et sur ces cinq bills trois sont de simples renouvellemens de lois annuelles qui n'exigeaient aucune discussion. «La violence et le peu de mesure que vous avez montrés dans tous vos procédés, le manque d'attention prolongé et peu respectueux que vous avez eu pour les autres branches de la législature, font que quelque puissent être leur modération et leur indulgence il n'y a guère lieu de s'attendre à une bonne entente à moins d'une nouvelle assemblée.» Après d'autres observations sur le même ton, il continua par déclarer qu'il avait une entière confiance dans les électeurs, qu'il était persuadé que par un choix de représentans convenables on préviendrait de nouveaux embarras à l'avenir et qu'on saurait mieux consulter les intérêts du pays; que la tâche qu'il venait de remplir lui avait été pénible au plus haut degré; mais qu'il se tournait avec une satisfaction particulière pour offrir à Messieurs du conseil législatif, la reconnaissance que leur méritaient l'unanimité, le zèle et l'attention soutenus qu'ils avaient montrés. Ce n'était pas à eux qu'il fallait l'attribuer, si on avait fait si peu pour le bien public. «Mes remercîmens sont également dus, ajouta-t-il, à une partie considérable de l'assemblée. J'espère qu'ils voudront croire que je leur rends justice, que je sais apprécier leurs efforts pour arrêter ceux dont j'ai tant de droit de me plaindre. Par là, Messieurs, vous avez vraiment manifesté votre attachement au gouvernement de sa Majesté et vous avez justement jugé les intérêts réels et permanens du pays.» Il n'y a que dans une petite colonie qu'un gouverneur peut se permettre une pareille comédie. Si le sujet n'était pas si sérieux l'on pourrait demander quelle indépendance avait un conseil législatif nommé par lui et formé de créatures choisies avec soin? quelle indépendance avaient les membres de l'assemblée auxquels il adressait des complimens? La liberté dans son enfance n'est qu'un jouet entre les mains de l'homme fort qui tient l'épée. Toute l'ineptie virulente de sir James Craig parut à nud dans cette occasion. A un langage insultant pour la représentation qui ne faisait qu'invoquer un principe parfaitement constitutionnel, il joignait la faute plus grave de se faire partisan politique en approuvant une partie de cette représentation, en la remerciant, en se tournant vers elle, de sa conduite, en lui disant qu'elle avait montré son affection pour le gouvernement et qu'elle lui ferait la justice de reconnaître qu'il avait su la distinguer du reste de la chambre. Les ennemis des Canadiens approuvèrent avec de hautes clameurs de joie la conduite du gouverneur. Ils lui présentèrent des adresses et lui promirent leur appui pour préserver la constitution intacte et maintenir le gouvernement dans la plénitude de ses droits. Ils l'élevèrent jusqu'aux cieux, le proclamèrent l'homme le plus habile de l'Angleterre; et aveuglés par leur haine ils oublièrent les droits du pays, pour battre des mains aux insultes prodiguées à la liberté. Les Canadiens accoutumés aux manières de cette foule passionnée et servile, ne furent point étonnés de ce bruit, qui n'était que la répétition de ce qui avait lieu chaque fois que le gouverneur devenait le chef de leurs ennemis politiques. Ils conservèrent tout leur sang froid et toutes leurs convictions. Aux attaques grossières de journalistes à gages, le _Canadien_ conduit par plusieurs membres de la chambre, répondit par des faits et de la froide raison politique et constitutionnelle. Le _Mercury_, journal senti-officiel, disait le 19 mars 1810: «Quiconque a lu les derniers numéros du _Canadien_, y trouvera le même esprit arbitraire qui animé la majorité de la dernière chambre d'assemblée. Le langage dont l'on se sert au sujet de l'expulsion du juge de Bonne, n'est plus celui du droit de la chambre, mais de son pouvoir. Si le pouvoir est la chose, ce qui veut dire en d'autres termes, la volonté de la majorité, quel membre venant à déplaire à cette majorité pourra être sûr de son siège?... «De la part de l'exécutif, nous prendrons la liberté d'observer que dans une dépendance comme cette colonie, lorsque l'on voit le gouvernement journellement bravé, insulté et traité avec le plus grand mépris dans le dessein de le rendre méprisable, nous ne devons attendre rien moins que sa patience ne s'épuise et que des mesures énergiques ne soient prises comme les seules efficaces. «Le traitement que le gouvernement reçoit continuellement d'un peuple conquis, porté de l'abime de la misère à la hauteur de la prospérité et livré à toutes sortes d'indulgences, n'est pas ce qu'il devait en attendre. «Après la dernière mesure de conciliation proposée par le représentant du roi à l'ouverture de la dernière session de notre parlement, nous ne pouvons voir le retour qu'on lui a fait que comme l'oeuvre de la plus _incorrigible ingratitude_. Mais il y a des gens dans le monde à qui les avantages que vous leur faites ne donnent que de l'insolence.» Sans répondre à ces insultes, le «Canadien» citait les faits analogues de l'histoire de l'Angleterre pour justifier l'opinion de la chambre sur l'indépendance des juges. Rapin, Blackstone, Locke et autres publicistes anglais lui fournissaient de nombreux extraits sur ce point et sur l'étendue des pouvoirs constitutionnels des trois branches de la législature. Le même journal s'étendit longuement sur les limites de leurs droits. Le représentant du roi, disait-il, a le pouvoir de dissoudre le parlement quand il le juge à propos, mais il n'a aucun pouvoir de faire des réflexions injurieuses, telles que celles contenues dans cette harangue, sur les procédés d'une branche de la législature qui est absolument indépendante de son autorité. Le respect dû à cette branche est aussi sacré et aussi inviolable que celui qui est dû à son excellence elle-même; et ces réflexions viendraient d'autant plus mal de sa part, que c'est elle qui est chargée de faire observer le respect qui est dû à cette branche de la législature, ainsi qu'aux autres parties du gouvernement. Pour mettre autant que possible le gouverneur à l'abri de ses coups, le _Canadien_ feignait aussi de croire, suivant l'opinion de M. Bedard, à l'existence d'une administration responsable, à laquelle on attribuait le dernier discours du trône. «Cette harangue, observait-il, est une vraie disgrâce dans un pays britannique, et quand on fait réflexion que ce sont les conseillers privés de sa majesté et surtout ses officiers en loi, qui sont chargés par leur devoir du soin de dresser les harangues de ses représentans, et qu'on aperçoit sur le texte de cette harangue un renvoi à une note qui contient le nom d'un de ces conseils en loi, et qui le propose comme un modèle à tous les électeurs du pays, quelle idée doit-on avoir de l'origine d'une pareille pièce?» Un correspondant écrivait plus tard: «Il paraît que la doctrine de nos ministres est changée. On doit se rappeler que les gens du ministère ont toujours soutenu dans la chambre comme ailleurs qu'il n'y avait point de ministère; que le gouverneur ou le représentant du roi était la personne responsable pour toutes les actions de l'administration. Ce système des ministres est actuellement changé. Ils prétendent qu'il y a un ministère responsable de tout, et que le gouverneur n'est comptable de rien pour toutes les actions de l'administration.» Toutes les questions constitutionnelles étaient traitées dans ce journal d'après les principes anglais les mieux établis, et c'est ce qui irritait les partisans du château, qui redoutaient plus que toute autre chose l'établissement d'un gouvernement vraiment constitutionnel, c'est à dire qui aurait été l'expression de la majorité des habitans représentés par leurs députés au parlement. Le _Canadien_ ne demandait que cela; mais c'était trop pour eux; et ils crièrent à la révolte et à la trahison. Aujourd'hui qu'il est permis de revoir froidement les événemens de ce temps là, l'on s'étonne de la crédulité avec laquelle les autorités accueillaient les accusations portées dans un but de parti si évident, et il est impossible à l'esprit le moins préjugé de croire que les sympathies des gouvernans n'étaient pas profondément hostiles aux Canadiens. Nous avons parcouru attentivement page par page le journal en question jusqu'à sa saisie par l'autorité, et nous avons trouvé à côté d'une réclamation de droits parfaitement constitutionnels, l'expression constante de la loyauté et de l'attachement le plus illimité à la monarchie anglaise. Connaissant la tactique constante des ennemis des Canadiens, qui avaient beaucoup plus de facilités qu'eux de se faire écouter de la métropole, il appuyait d'une manière toute particulière sur les sentimens d'attachement des habitans français pour elle, et sur les motifs spéciaux qu'ils avaient de persister dans ces sentimens, et qu'il rattachait à leur conservation nationale. Il vantait les avantages de la constitution britannique; «elle est peut-être, disait-il, le 4 novembre 1809, la seule où les intérêts et les droits des différentes branches dont la société est composée, sont tellement ménagés, si sagement opposés et tous ensemble liés les uns aux autres, qu'elles s'éclairent mutuellement et se soutiennent par la lutte même qui résulte de l'exercice simultané des pouvoirs qui leur sont confiés.» La veille de sa saisie, il disait encore: «Si on veut désapprouver une mesure du gouverneur, il faut le faire avec respect et de la manière que la constitution et la liberté britannique nous le permettent.» L'élection ne changea point le caractère de la chambre. Dans aucun pays du monde le suffrage populaire n'est plus indépendant ni plus pur qu'en Canada, où la presque totalité des électeurs est propriétaire et indépendante du pouvoir. Les membres qui avaient montré de l'indécision ou de la faiblesse furent remplacés par des hommes plus assurés et plus fermes. Les représentans retournèrent à la législature avec les mêmes idées et les mêmes convictions plutôt raffermies qu'ébranlées et avec la résolution de ne point les abandonner. Cependant l'Angleterre crut devoir réparer un peu le mauvais effet de la vivacité de son agent; elle lui envoya des instructions touchant l'éligibilité des juges, et lui ordonna de sanctionner toute loi passée par les deux chambres ayant pour but de les priver d'un droit disputé depuis si longtemps. L'ordre de la métropole et le résultat de l'élection ne durent pas être du goût de Craig; mais il fallut les subir en silence, se promettant bien de ne pas laisser échapper la première occasion pour déployer sa mauvaise humeur, occasion qui malheureusement dans l'état des esprits ne devait pas se faire attendre longtemps. Le parlement s'assembla à la fin, de janvier 1810. Les relations diplomatiques entre l'Angleterre et les Etats-Unis continuaient toujours d'être fort indécises. Le gouverneur y fit allusion dans son discours, et assura qu'en cas d'hostilités l'on recevrait assez de troupes pour opposer avec les milices une résistance heureuse. Quant au sujet des débats de l'intérieur, à la question des juges enfin, il était autorisé à sanctionner toute loi ayant pour but de les exclure de l'assemblée. Celle-ci accueillit avec une satisfaction secrète, cette dernière déclaration de l'Angleterre qui désapprouvait ainsi l'opposition pour ainsi dire personnelle du gouverneur; mais elle voulut en même temps repousser par une forte expression de blâme, la liberté qu'il avait prise en la prorogeant de censurer sa conduite. Elle s'empressa, et ce fut son premier acte, de déclarer à une grands majorité, que toute tentative de la part du gouvernement exécutif et des autres branches de la législature contre elle, soit en dictant ou censurant ses procédés, soit en approuvant la conduite d'une partie de ses membres et désapprouvant la conduite des autres, était une violation de ses privilèges et de la loi qui la constituait, contre laquelle elle ne pouvait se dispenser de réclamer, et une atteinte dangereuse portée aux droits et aux libertés du pays. Après avoir ainsi protesté contre le langage du gouverneur, elle songea à se rabattre sur ses inférieurs. Depuis longtemps la chambre voulait amener sous son contrôle les fonctionnaires publics, qui la narguaient par leur insolence et qui se croyaient fort au-dessus d'elle comme le marquaient leur conduite et leur langage. Ce mal qui a duré jusqu'à ces derniers temps, a puissamment contribué aux événemens politiques qui ont eu lieu plus tard. Les fonctionnaires se regardaient comme indépendans; et les gouverneurs sans expérience politique pour la plupart, laissaient courir des remarques offensantes qui devaient revenir par contre coup sur l'exécutif lui-même. L'assemblée pensa que le moyen le plus efficace de porter les officiers publics à mieux respecter l'une des sources dont ils tenaient leurs pouvoirs, était de les amener sous son contrôle pour leur salaire comme ils étaient en Angleterre. Elle déclara que le pays était maintenant capable de payer toutes les dépenses civiles, et elle vota une adresse au parlement anglais pour l'informer que le Canada était prêt à s'en charger et en même temps pour le remercier de ce qu'il avait fait jusque là. Les fonctionnaires tremblèrent de tomber sous le contrôle du corps qu'ils avaient insulté tant de fois dans leurs propos. Ils s'agitèrent pour faire repousser la mesure et communiquèrent leur zèle à leurs ami, qui s'efforcèrent de gagner le gouverneur à leur vue. Celui-ci surpris de la démarche de la chambre dans laquelle on voulait lui faire voir quelqu'embûche, ne put dissimuler son embarras. Il répondit que cette adresse lui paraissait d'une nature si nouvelle qu'il avait besoin d'y réfléchir; que l'usage du parlement anglais voulait que les octrois d'argent fussent recommandés par le gouvernement avant d'être votés par la chambre basse, où ils devaient il est vrai prendre leur origine, mais non sans le concours de l'autre chambre; qu'il était sans exemple, à sa connaissance, qu'une seule branche d'une législature coloniale eût présenté une adresse au parlement impérial; que pour ces raisons il trouvait que l'adresse était sans précédent, imparfaite dans sa forme et fondée sur une résolution qui devait rester sans effet tant qu'elle ne recevrait pas le concours du conseil législatif; qu'il ne pourrait conséquemment la transmettre aux ministres; mais qu'il la transmettrait au roi comme un témoignage de la gratitude et des dispositions généreuses du Bas-Canada, qui voulait faire connaître qu'il était capable de payer ses dépenses quand on le désirerait, et qu'au surplus l'expression si vive et si franche de son affection et de sa gratitude envers l'Angleterre ne laissait point de doute sur sa sincérité. Cette réponse fort longue et mélangée de reproches et de louanges, montrait la faiblesse de sa position et son inaptitude aux affaires. Il le sentait lui-même et c'est ce qui lui fit dire en terminant, qu'il regrettait excessivement d'avoir été obligé de s'exprimer de manière à faire croire bien malgré lui qu'il voulait empêcher l'expression des sentimens qui les animaient. Néanmoins il était intérieurement irrité de cette offre inattendue, qui ne pouvait manquer d'être bien accueillie de l'Angleterre, et qui déroutait en même temps toutes les prévisions de l'oligarchie coloniale. Sans perdre de temps la chambre le pria de lui faire transmettre le budget de toute la dépense civile, et elle nomma, sur la proposition de M. Bedard, un comité de sept membres pour s'enquérir des usages parlementaires mentionnés dans la réponse du gouverneur. Ces mesures dénotaient l'intention de faire voir que les suppositions et les doutes de l'exécutif n'avaient aucun fondement, et qu'il avait trahi son ignorance ou sa mauvaise intention. Cette démarche aurait été frivole en d'autres circonstances, mais les ennemis de la chambre avaient presque seuls l'oreille de l'Angleterre et par suite l'influence de son représentant, qui les craignait bien plus que nos députés inconnus ou regardés à peu près comme des étrangers au bureau colonial; il fallait montrer par une expression formelle que l'on connaissait ses droits et que l'on s'appuyait dans ce que l'on faisait sur des textes que l'on tenait à main, et qui étaient sans réplique. L'on résolut d'aller encore plus loin. Depuis longtemps l'on sentait le grand inconvénient qui résultait de l'ignorance réciproque des sentimens de l'Angleterre et du Canada l'un pour l'autre. L'Angleterre ne connaissait les Canadiens que par les rapports calomnieux que leurs adversaires lui en faisaient journellement; les Canadiens ne connaissaient l'Angleterre que par les aventuriers qui paraissaient au milieu d'eux pour chercher fortune, et qui s'emparant des emplois et des autres avantages du gouvernement, s'y conduisaient de manière à aliéner l'affection du peuple. Il fallait tâcher d'établir des rapports qui pussent détruire l'effet des préjugés et des calomnies chez l'un et chez l'autre. La nomination d'un agent résidant à Londres parut le moyen le plus propre pour parvenir à ce but, et l'on préparait un bill à ce sujet lorsqu'un autre incident amena une prorogation soudaine. Le conseil ayant voulu amender le bill pour exclure les juges de la chambre, celle-ci s'en offensa et déclara le siège du juge de Bonne vacant à la majorité de trois contre un. Le gouverneur qui s'était contenu à peine jusque là devant les actes de la chambre, ne fut plus maître de lui à cette dernière audace. Il se rend au conseil et la mande devant lui: «Je suis venu, dit-il, proroger le parlement. Après mure délibération sur les circonstances qui ont eu lieu, je dois vous informer que j'ai pris la résolution de dissoudre la chambre et d'en appeler au peuple. Elle a pris sur elle sans la participation des autres branches de la législature, de décider qu'un juge ne peut siéger ni voter dans son enceinte. «Il m'est impossible de regarder ce que vous avez fait autrement que comme une violation directe d'un statut du parlement impérial, du parlement qui vous a donné la constitution à laquelle vous devez, suivant votre propre aveu, votre prospérité actuelle. Je ne puis regarder l'acte de la chambre que comme une violation inconstitutionnelle de la franchise élective d'une grande partie des citoyens et du droit d'éligibilité d'une autre classe assez considérable de la société. «Je me sens obligé par tous les liens du devoir de m'opposer à une telle prétention... et je ne vois d'autre moyen pour sortir d'embarras que celui que je prends.» Ses lui présentèrent aussitôt pour l'appuyer de Québec, de Montréal et de partout où il s'en trouvait quelques-uns, de nouvelles adresse de félicitations et d'assurance de confiance dans son gouvernement. Il répondit qu'il espérait toujours être soutenu par ceux qui savaient apprécier les bienfaits de la constitution lorsqu'il résisterait à des efforts qui tendraient à la troubler. En même temps leurs émissaires commencèrent une grand agitation en se répandant dans toutes les campagnes et en y répandant à leur tour partout des adresses et des écrits pour prévenir le peuple contre les derniers actes du ses représentans. Mais le peuple qui ne voyait au plus qu'une colère de fonctionnaires ou qu'une joie d'antagonistes dans ces manifestations empressées, sortit à peine de son calme ordinaire devant tout ce bruit, et attendit tranquillement l'urne électorale pour se prononcer sur le débat du jour. Mais l'exécutif était résolu d'employer tous les moyens pour désarmer ses adversaires, neutraliser leur influence et frapper les électeurs de terreur afin de s'assurer aux prochaines élections d'une chambre qu'il put mener à sa guise. Le premier coup qu'il fallait porter pour parvenir à ce but était contre le journal lui-même qui avait défendu la chambre et ensuite contre les principaux représentans. Le conseil exécutif s'assembla et scruta le _Canadien_ pour trouver matière ou prétexte à quelque démonstration propre à faire un grand effet. Le gouverneur lui-même demanda l'emprisonnement de l'imprimeur. Deux aubergistes nommés Stilling et Stiles, après s'être procurés les numéros du 3, du 10 et du 14 mars du journal répudié, allèrent faire leur déposition le 17 devant le juge en chef Sewell, qui donna l'ordre d'en exécuter la saisie. Une horde de soldats conduits par un magistrat s'empara des presses et emprisonna l'imprimeur après qu'on lui eut fait subir mystérieusement un examen devant le conseil exécutif. Les gardes de de ville furent en même temps augmentées et des patrouilles parcoururent les rues comme si l'on avait été menacé d'une insurrection. La malle fut détenue pour saisir, disait-on, tous les fils de la conspiration avant que la nouvelle de ce qui venait d'avoir lieu fut répandue. On passa trois jours à examiner les papiers saisis à l'imprimerie du _Canadien_, au bout desquels le conseil s'assembla de nouveau. C'étaient le gouverneur, le juge Sewell, l'évêque protestant et MM. Dunn, Baby, Young, Williams et Irvine. On y lut les dépositions de M. Lefrançois, arrêté sous accusation de haute trahison, et de quatre autres personnes ayant des rapporta avec l'imprimerie. Le gouverneur communiqua un numéro de la feuille, tiré en présence du magistrat Mure, de la presse qu'on transporta au bureau des juges de paix. Trois articles de cette feuille servaient de prétexte à ce petit coup d'état; mais celui surtout qui portait ce titre singulier: «Prenez-vous par le bout du nez.» C'était une récapitulation abrégée de quelques faits passés dans le pays depuis la conquête, et qui se terminait par des observations qui n'avaient que le défaut de respirer un amour exagéré de la constitution anglaise. Dans ces articles, comme dans tous les autres, il n'y avait rien qu'on pût traduire on trahison et qui fût de nature à troubler l'assiette d'un gouvernement tel que celui d'Angleterre. L'on s'étonne aujourd'hui en les lisant des frayeurs et de l'irritation qu'ils aient pu causer, ou plutôt l'on voit trop que ce n'était qu'un prétexte. Après avoir ordonné l'entrée au long dans son procès-verbal de l'article dont nous venons de donner le titre, comme pour mieux montrer à l'histoire la passion ou la bassesse de ses membres, le conseil ordonna l'arrestation de MM. Bedard, Taschereau et Blanchot.[10] [Note 10: Procès-verbal du conseil exécutif du 19 mars 1810.] L'ordre fut en même temps transmis à Montréal d'arrêter MM. Laforce, Papineau (de Chambly,) Corbeil (de l'Ile Jésus,) et des mandats furent décernés ou projetés contre MM. D. B. Viger, Joseph Blanchot et plusieurs autres citoyens notables de Montréal, sans être mis cependant à exécution. On ne s'arrêta pas encore là. Pour frapper davantage l'imagination populaire et faire croire que la société dormait sur un abîme prêt à s'ouvrir sous ses pas, le gouverneur adressa une longue proclamation au peuple, écrite dans un style qui annonçait une intime conviction de la réalité du danger, ou une dissimulation non moins profonde. Mais le caractère de l'homme, la faiblesse croissante de son intelligence, due à l'état de sa santé qui dépérissait de jour en jour, portent à croire qu'il était de bonne foi, et que son imagination fiévreuse changeait en danger réel, un danger imaginaire, excité qu'il était par les gens qui l'entouraient, et qui profitaient de son état pour lui monter la tête et lui faire croire à l'organisation d'une vaste conspiration couvrant le pays et prête à prendre les armes. Ce singulier document dressé avec une exagération de langage propre à effrayer les gens paisibles et crédules, portait que vu qu'il avait été imprimé et répandu des écrits séditieux et pleins de trahison; que ces écrits étaient destinés à séduire les bons sujets de sa Majesté, à leur remplir l'esprit de défiance et de jalousie, à aliéner leur affection, en avançant avec audace les faussetés les plus grossières, il avait été impossible au gouverneur de passer plus longtemps sous silence des pratiques qui tendaient si directement au renversement du gouvernement, et qu'en conséquence il avait, de l'avis de son conseil, pris les mesures nécessaires pour y mettre fin. Il exposait ensuite quelle avait été sa bienveillance envers les Canadiens, les mettait en garde contre les traîtres, leur rappelait les progrès qu'avait fait le pays, et la liberté sans bornes dont il jouissait. Avaient-ils vu, observait-il, depuis cinquante ans un seul acte d'oppression? un emprisonnement arbitraire? une violation du droit de propriété? ou du libre exercice de leur religion? Comment pouvait-on espérer d'aliéner les affections d'un peuple brave et loyal? Il démentait le bruit qu'il avait dissous la chambre parcequ'elle lui avait refusé la faculté de lever un corps de 12,000 hommes et d'imposer une taxe sur les terres, enfin qu'il voulait opprimer les habitans. Viles et téméraires fabricateurs de mensonges, continuait-il, sur quelle partie ou sur quelle action de ma vie, fondez-vous une telle assertion? Que savez-vous de moi ou de mes intentions? Canadiens, demandez à ceux que vous consultiez autrefois avec attention et respect; demandez aux chefs de votre église qui ont occasion de me connaître. Voilà des hommes d'honneur et de lumières. Voilà les hommes chez lesquels vous devriez aller chercher des avis; les chefs de faction, les démagogues ne me voient point et ne peuvent me connaître. Pourquoi vous opprimerais-je? Serait-ce pour servir le roi? Serait-ce par ambition? Que pouvez-vous me donner? Serait-ce pour acquérir de la puissance? Hélas mes bons amis, avec une vie qui décline rapidement vers la tombe, accablé de maladies contractées au service de mon pays, je ne désire que de passer ce qu'il plaira à Dieu de m'en laisser, dans les douceurs de la retraite avec mes amis. Je ne reste parmi vous qu'en obéissance à des ordres supérieurs. Sir James Craig terminait sa proclamation par les exhorter à être en garde contre les artifices des traîtres qui cherchaient à aliéner leur fidélité et à les porter à des actes de trahison, par requérir les curés de se servir de leur influence pour prévenir leurs menées, et les magistrats et les officiers de milice d'user de toute la diligence nécessaire pour en découvrir les auteurs et les faire punir. Le gouverneur en parlant, comme il faisait, d'oppression, d'emprisonnement arbitraire, de violation des droits de propriété, s'il ne le faisait pas par ironie, oubliait l'histoire et ce qu'il venait de commettre lui-même. Cette longue proclamation, sur son désir, fut lue au prône de la cathédrale de Québec, et dans plusieurs autres églises du pays. L'évêque adressa en même temps de la chaire une allocution aux fidèles, dans laquelle tout en protestant de la loyauté des Canadiens, il rappelait l'obligation qui leur était imposée d'être soumis aux lois et à l'autorité constituée. A l'ouverture de la cour criminelle, le juge Sewell l'un des instigateurs de ce système d'intimidation, lut la proclamation et fit un discours politique sur l'agitation qui régnait et sur la tendance pernicieuse des principes mis au jour par ses auteurs. Le grand jury, choisi par le gouvernement et formé en majorité de ses partisans, blâma le journal abattu, qui avait mis la paix et la sûreté du pays en danger, disait-il, et déclara qu'il avait vu aussi avec regret certaines productions du _Mercury_, propres à faire naître de la jalousie et de la méfiance dans l'esprit des Canadiens, subterfuge adopté pour couvrir d'un semblant d'impartialité les affections de son coeur. Enfin toutes les mesures avaient été prises pour faire un grand effet. Des messagers avaient été envoyés partout pour répandre la proclamation parmi les habitans étonnés, qui apprirent pour la première fois qu'une conspiration profonde avait été ourdie pour renverser le gouvernement. Maintenant qu'allait-il résulter d'un si grand bruit. Il fallait prouver devant l'opinion publique que le gouvernement avait eu raison dans tout ce qu'il avait fait, et que les projets des rebelles et des conspirateurs allaient être dévoilés au grand jour pour appeler sur la tête des coupables le châtiment qu'ils méritaient. Mais le public attendit en vain. Le château n'avait rien contre les accusés. Si les lois avaient été violées, c'est l'exécutif lui-même qui s'était rendu coupable. Les prisonniers demandèrent leur procès, et l'on recula; ils demandèrent leur élargissement et les cours esclaves de la volonté de l'exécutif, refusèrent jusqu'à ce qu'il plut enfin à celui-ci de leur faire ouvrir les portes de leur prison. La maladie de quelques uns des accusés fournit un prétexte au bout de quelque temps pour les mettre dehors les uns après les autres, en leur faisant donner caution de comparution à première demande pour sauver les apparences. Corbeil ne fut élargi que pour aller mourir au sein de sa famille d'une maladie qu'il avait contractée dans son cachot. Bédard, le chef du parti, ne voulut point profiter de la liberté donnée aux autres; il refusa de quitter sa prison avant d'avoir subi son procès et mis sa réputation hors de toute atteinte par le jugement d'un jury. Il resta inflexible dans sa résolution, protestant sans cesse de l'intégrité de sa conduite et de ses opinions politiques, et répudiant avec hauteur toute imputation de déloyauté ou de désaffection envers le gouvernement ou la personne du souverain. Cette persistance devint bientôt un embarras grave pour l'exécutif qu'elle compromettait. Sir James Craig lui-même fut obligé de reconnaître l'estime que méritaient la fermeté et l'indépendance de sa victime. Le pays n'avait pas été longtemps sans reconnaître dans ce qui venait de se passer un complot formé par les fonctionnaires et les intrigans pour perdre la représentation aux yeux du peuple lui-même et de la métropole. Partout les électeurs soutinrent leurs mandataires, et presque tous les anciens membres furent réélus à de vastes majorités ou sans opposition. M. de Bonne la cause première de ces difficultés ne se présenta point aux suffrages des électeurs. On rapporte qu'on avait promis de le nommer au conseil législatif et qu'on ne le fit pas. Quelque temps après il se démit de sa charge de juge. Les chambres furent convoquées pour le 10 décembre. On avait hâte de voir de quelle manière le gouverneur allait exposer la situation et parler des événemens qui venaient d'avoir lieu. Son discours détrompa tout le monde, et semblait venir d'un homme qui sortait d'un long rêve. Il ne dit pas un mot de ce qui venait de se passer. Il déclara au contraire qu'il n'avait jamais douté de la loyauté et du zèle des différens parlemens qu'il avait convoqués; qu'il espérait trouver les mêmes principes dans celui-ci et les mêmes dispositions dans ses délibérations; qu'il le priait de croire qu'il verrait régner l'harmonie avec une grande satisfaction, parce qu'elle ferait le bonheur du pays et qu'il s'empresserait de concourir à toute mesure ayant cette fin pour objet; que la règle de sa conduite était de maintenir un juste équilibre entre les droits de chaque branche de la législature. Ce discours parut étrange dans la bouche d'un homme qui prétendait réunir en lui et le sceptre et le ministère, et qui après les actes de violence qu'il venait de commettre, violences nécessaires, disait-on, pour la sûreté du gouvernement contre les attentats d'une rébellion, ne disait pas un mot des dangers que ce gouvernement avait courus ni des mesures qu'il avait été obligé de prendre pour les faire échouer. Nous concourrons, répondit la chambre, avec le plus grand empressement dans toutes les mesures qui tendront vers la paix, but d'autant plus difficile à atteindre en cette province que ceux qui l'habitent ont des idées, des habitudes et des préjugés difficiles à concilier. Nous voyons avec peine les efforts qui se font pour représenter sous des couleurs fausses et très éloignées de la vérité, les opinions et les sentimens des habitans du pays. Il est difficile de dire si sir J. Craig s'attendait à une allusion aussi légère aux événemens qui venaient de se passer; mais il devait croire qu'il en serait fait une si la chambre n'était pas infectée des doctrines révolutionnaires, dont on l'accusait, parce qu'elle était tenue par respect pour elle-même et pour se dégager de tous les soupçons que l'on voulait faire peser sur elle, de repousser les accusations sans cesse renouvelées par ses ennemis. Elle ne devait pas montrer la moindre crainte d'entrer en discussion avec l'exécutif sur ce point; elle devait rechercher au contraire cette discussion parcequ'elle devait savoir que son silence aurait été aussitôt représenté en Angleterre comme un aveu de sa culpabilité. La situation du gouverneur était telle qu'il fallait même à cette lointaine allusion de la chambre, reconnaître sa faute ou maintenir la position qu'il avait prise. Il se crut obligé de justifier les violences commises pour ne pas passer pour s'être abandonné à une vengeance aveugle et sans but, et par conséquent indigne d'un homme d'état. Ainsi pressé par ses pensées, l'agent métropolitain ne trouva dans une intelligence qui d'un jour à l'autre ne pouvait voir la portée de ses paroles ni de ses actes, que des motifs offensans pour tout le monde. Il observa que les craintes manifestées par la réponse de l'assemblée touchant l'exécution de l'acte pour la conservation du gouvernement, n'étaient pas justifiées par les renseignemens qu'il avait reçus; qu'il n'y avait que ceux qu'il pouvait affecter qui le redoutaient, et que leurs clameurs pouvaient avoir trompé la chambre sur leur nombre; mais que l'acte avait apaisé les craintes du peuple depuis qu'il était en force; que tout simple et tout dépourvu de lumières qu'était le peuple il s'en rapportait à son bon sens, qui voyait le gouvernement armé du pouvoir nécessaire et prêt à l'exercer s'il le fallait pour écraser les artifices des factieux et combattre les intrigues de la trahison; qu'il voyait par l'adresse de la chambre qu'il avait été mal compris, que l'harmonie dont il parlait était celle qui devait exister entre lui et les deux autres branches de la législature et non celle qui devait exister dans la masse de la société. Cette réplique voulait dire qu'il persistait dans une ligne politique réprouvée par les faits et condamnée par le peuple à la dernière élection. Mais pour montrer de la bonne fois, il fallait non seulement faire juger les chefs du peuple, il fallait encore faire juger les principaux membres de la chambre emprisonnés depuis la dernière session. M. Bedard toujours en prison demandait qu'on lui fit son procès. Cette voix sortant des cachots était la condamnation la plus complète de la réplique du gouverneur. Lui-même reconnaissait qu'il ne pouvait punir le prisonnier. Il disait à son conseil que son incarcération était nécessaire pour arrêter le mal dont on était menacé, car le conseil ne devait pas oublier que la détention de M. Bedard était une mesure de précaution non de châtiment, et qu'il ne pouvait être puni que suivant les lois du pays; qu'il l'aurait fait mettre en liberté comme les autres s'il l'avait démandé. La chambre vota une adresse pour le faire élargir. Une copie des résolutions fut transmise d'avance au gouverneur, qui s'attendait à voir arriver la députation d'un moment à l'autre, lorsque M. Papineau se présenta au château et eut une longue conférence avec lui. Le gouverneur qui croyait peut-être que le prisonnier commençait à chanceler dans sa résolution, lui fit part de sa décision finale. Aucune considération, Monsieur, lui dit-il, ne pourra m'engager à consentir à la libération de M. Bedard, à la demande de la chambre, soit comme matière de droit soit comme matière de faveur; et je ne consentirai maintenant à aucune condition qu'il soit libéré pendant la session actuelle. Je n'ai aucune hésitation à vous faire connaître les motifs qui m'ont porté à cette résolution. Je sais que le langage général des membres a répandu l'idée qui existe partout que la chambre d'assemblée va ouvrir les portes de la prison de M. Bedard; et cette idée est si bien établie que l'on n'en a pas le moindre doute dans la province. Le temps est venu où je crois que la sécurité comme la dignité du gouvernement, commande impérieusement que le peuple apprenne quelles sont les vraies limites des droits des diverses parties du gouvernement; et que ce n'est pas celui de la chambre de gouverner le pays. Cette réponse était flétrissante pour l'administration de la justice: ce n'était pas la loi qui régnait puis qu'elle se taisait devant la voix qui disait: «Je ne consentirai pas qu'il soit mis en liberté.» Le gouverneur qui voulait forcer M. Bedard à reconnaître l'erreur dans laquelle il disait qu'il était tombé, et à justifier à la fois par là les autres arrestations qu'il avait fait faire, avait envoyé son secrétaire, M. Foy, pour avoir une entrevue avec lui, afin de le sonder. A la suite de ce tête à tête, le gouverneur apprenant que M. Bedard, curé de Charlesbourg et frère du prisonnier, était en ville, l'avait mandé au château pour le charger de faire part à son frère des motifs de son emprisonnement, et l'informer que le gouvernement n'avait en vue que sa sécurité et la tranquillité publique; que s'il voulait reconnaître sa faute, il prendrait sa parole comme une garantie suffisante, et qu'il proposerait aussitôt à son conseil de le faire mettre en liberté. Le représentant détenu répondit en termes respectueux mais positifs, qu'il ne pouvait admettre une faute dont il ne se croyait pas coupable, parole digne de toute la vie politique de ce noble citoyen. M. Papineau cependant, malgré le langage décidé du gouverneur, avait pu découvrir que M. Bedard serait rendu à la liberté après la session, et qu'il ne résulterait aucun bien de la persistance de la chambre dans les démarches qu'elle avait commencées. L'ajournement de cette affaire fut en conséquence proposé et agréé après quelques discussions. Le reste de la session se passa avec assez d'unanimité. La fameuse loi pour l'exclusion des juges de la chambre fut adoptée et reçut la sanction royale. L'Angleterre avait fait connaître ses intentions. Le conseil législatif avait aussitôt abandonné son opposition et s'était incliné devant ses ordres. En prorogeant les chambres le gouverneur leur dit: «Parmi les actes auxquels je viens de donner l'assentiment du roi, il y en a un que j'ai vu avec satisfaction, c'est l'acte pour disqualifier les juges de siéger à la chambre d'assemblée. Non seulement je crois la mesure bonne en elle-même, mais j'en considère la passation comme une renonciation complète d'un principe erroné, qui m'a mis pour le suivre dans la nécessité de dissoudre le dernier parlement. «Maintenant, messieurs, je n'ai plus qu'à vous recommander comme vous l'avez fait observer vous-mêmes au commencement de la session, d'employer tous vos efforts pour faire disparaître toute défiance et toute animosité parmi vous. Tant qu'il y en aura, elles paralyseront tout ce que l'on entreprendra pour le bien public. Il ne peut y avoir aucun obstacle à cette union. Il n'existe aucunes dissensions religieuses: l'intolérance n'est point la disposition des temps actuels; vivant sous un seul gouvernement, jouissant également de sa protection sous ses soins fructifians dans des rapports mutuels de bienveillance et de bonté, l'on trouverait tout le reste idéal. Je suis sérieux en vous donnant cet avis, messieurs. C'est probablement le dernier leg d'un homme qui vous veut du bien sincèrement, d'un homme qui, s'il vit assez pour atteindre la présence de son souverain, se présentera avec la certitude glorieuse d'obtenir son approbation...» De la colère et de la violence sir James Craig était passé presque sans transition à un état de calme et de bienveillance qui annonçait un changement dans la politique de la métropole, que la loi des juges avait déjà fait prévoir; et on espéra un meilleur avenir. Peu de temps après M. Bedard fut remis en liberté. En informant son conseil de ce qui avait eu lieu au sujet de ce chef du parti canadien, le gouverneur ajouta qu'il avait jugé nécessaire de s'abstenir de prendre des mesures pour son élargissement jusqu'à ce que tous les membres fussent rendus chez eux, afin qu'il fut impossible par aucune fausse interprétation de l'attribuer à l'intervention de la chambre; et maintenant qu'ils étaient de retour, il le priait de voir s'il ne serait pas temps de mettre fin à sa détention. Cette prière était un ordre. Le motif qu'il donna de ne pas l'avoir fait plutôt renferme l'esprit de son administration et la condamnation la plus complète de sa politique. L'exécutif qui persiste dans un acte injuste de peur de paraître céder aux représentans du peuple dans un gouvernement constitutionnel, montre une ignorance complète des principes de ce gouvernement, et s'il se met dans le cas de ne pouvoir éviter une pareille alternative, une incapacité qui en est la plus grande condamnation. M. Bedard élargi disait à ses électeurs du comté de Surrey: «Le passé ne doit pas nous décourager, ni diminuer notre admiration pour notre constitution. Toute autre forme de gouvernement serait sujette aux mêmes inconvéniens et à de bien plus grands encore; ce que celle-ci a de particulier, c'est qu'elle fournit les moyens d'y remédier. «Toutes les difficultés que nous avions déjà éprouvées n'avaient servi qu'à nous faire apercevoir les avantages de notre constitution. Ce chef-d'oeuvre ne peut être connu que par l'expérience. Il faut sentir une bonne fois les inconvéniens qui peuvent résulter du défaut d'emploi de chacun de ses ressorts, pour être bien en état d'en sentir l'utilité. Il faut d'ailleurs acheter de si grands avantages par quelques sacrifices...» Tel était le langage de ce patriote en sortant des cachots de l'agent de l'Angleterre.--Ce n'était ni un langage imposé ni un langage de vengeance, c'était un langage de conviction. Craig qui avait une manière à lui de gouverner, n'avait pas seulement cherché à dominer le parlement, il avait voulu aussi mettre à ses pieds le clergé. Il s'était persuadé qu'il pourrait conduire tout à sa guise par la violence et l'intimidation, et comme il avait imposé sa volonté dans les choses politiques, il croyait pouvoir aussi corrompre et intimider l'évêque catholique, mettre son clergé dans la dépendance de gouvernement, en lui faisant abandonner pour se l'arroger ensuite la nomination des curés. La soumission de M. Plessis qui avait été jusqu'à lire ses proclamations et faire des allocutions politiques en chaire, lui avait fait croire qu'il ferait de ce prélat ce qu'il voudrait; mais il fut trompé. L'évêque n'avait cédé en politique que pour acquérir et non pour perdre en religion. Il y eut trois entrevues au château St. Louis entre ces deux hommes, dans les mois de mai et de juin 1811, dont l'une dura près de deux heures, dans lesquelles le gouverneur put se convaincre que le clergé serait aussi ferme pour défendre ses droits que la chambre d'assemblée. Nous avons vu les efforts qui ont été faits en différens temps depuis la conquête pour abattre l'église catholique et implanter le protestantisme à sa place. Nous avons fait remarquer que la révolution américaine sauva le catholicisme en Canada, ou pour parler plus exactement, l'empêcha d'être persécuté, car on ne l'aurait pas plus éteint en Canada qu'en Irlande. On peut ajouter que la dispersion du clergé français par le régime de la terreur en 1793 contribua beaucoup à apaiser aussi à Londres les préjugés contre l'église romaine; et que le contrecoup fut assez sensible en Canada pour y laisser permettre, l'entrée des prêtres, sujets des Bourbons, qui en étaient spécialement exclus avant la révolution.[11] [Note 11: La révolution française si déplorable en elle-même, écrivait l'évêque de Québec, M. Hubert, à l'évêque de Léon à Londres, assure en ce moment trois grands avantages au Canada, relui de donner retraite à d'illustres exilés, celui de se procurer de nouveaux colons et celui d'avoir des zélés ministres.... Les émigrés français ont éprouvé d'une manière bien consolante les effets de la générosité anglaise. Ceux qui viendront en Canada ne doivent pas naturellement s'attendre à de puissants secours pécuniaires. Mais les deux provinces leur offrent de toutes parts des ressources. Par rapport aux ecclésiastiques dont il parait que le gouvernement veut bien favoriser la transmigration en ce pays, voici, Monsgr. ce que je puis avoir l'honneur de vous répondre pour le moment.... Il n'y a dans toute l'étendue du diocèse de Québec qu'environ 140 prêtres. Ce nombre est évidemment trop petit pour faire face à près de 150,000 catholiques que l'on y compte.... Le clergé de ce diocèse secondera ma manière de penser en tout ee qui dépendra de lui et, du côté du gouvernement, j'aperçois les intentions les plus favorables....] Mais au commencement de ce siècle, on chercha à revenir sur ses pas ou plutôt à soumettre l'église à la volonté du bureau colonial, pour en faire un instrument politique, en asservissant l'autel au trône. En 1803 le gouvernement fit connaître à l'évêque son intention de revendiquer auprès de la cour de Rome, le privilège accordé aux rois de France par les concordats de nommer aux cures et d'accorder à cette condition à l'évêque un établissement solide et une reconnaissance complète; mais M. Denaut jugea cette transaction trop dangereuse pour être acceptée dans des circonstances ordinaires. Il était même tellement opposé à cette mesure qui aurait asservi l'église du Canada à un gouvernement protestant, que dans l'événement où le roi aurait imposé ce régime, il était décidé à faire d'abord des représentations avec le clergé et le peuple, puis d'avoir recours au St. siège, si le premier moyen ne réussissait pas. En 1811, le gouvernement y revenait. «Vous êtes dans une situation désagréable dit le gouverneur à M. Plessis, je désirerais qu'elle put s'améliorer. Vous ne tenez pas le rang qui conviendrait à votre place, et je ne puis vous reconnaître en votre qualité d'évêque; mais il ne dépend que de vous d'être reconnu et autorisé dans vos fonctions extérieures par une commission du roi.» Il avait déjà été question de cela en 1805. Le changement arrivé dans le ministère avait empêché la poursuite de cette affaire. M. Plessis avait alors discuté plusieurs points avec sir Robert S. Milnes, le procureur-général Sewell et M. Grant, et s'était trouvé fort éloigné d'eux, entre autres sur la nomination aux cures qu'ils voulaient attribuer à la couronne. Sir James Craig voulait revenir sur cette affaire, et soutenir que cette nomination était une des prérogatives royales que le roi ne céderait jamais. M. Plessis maintint que la collation, la juridiction et l'institution canonique ou le pouvoir donné à un prêtre de gouverner spirituellement son troupeau, de lui annoncer la parole de Dieu, de lui administrer les sacremens, ne pouvaient venir que de l'église seule; que le roi pourrait bien investir du temporel, mais non du spirituel; que du reste l'introduction de l'ordre de chose qu'on proposait serait capable de mettra la province en feu. «Une personne, lui dit le gouverneur, qui connaît très bien et depuis longtemps le pays, m'assure que la religion s'y perd sensiblement.» «Je ne crains pas d'affirmer, répondit aussitôt le prélat, que je connais encore mieux le peuple canadien. Or d'après mes connaissances, je crois ce peuple très attaché à sa religion et très peu disposé à souffrir que l'on y donne atteinte. Il n'y a point d'article dont il soit aussi jaloux. Ce qu'il y a de très certain, observa alors Craig, c'est que jusqu'à présent ce pays a été gouverné d'une manière bien opposée à l'esprit de la constitution d'Angleterre. Nous laissons faire ici quantité de choses que l'on ne souffrirait dans aucune autre partie des domaines britanniques. Le gouvernement pourrait me faire mon procès sur plusieurs articles sur lesquels il est démontré que je ne remplis pas ses intentions. Tant que la province a été de peu de conséquence, on a laissé subsister tout cela. Mais enfin elle prend de l'importance, sa population, ses productions, son commerce lui donnent une considération qu'elle n'a jamais eue. Il est temps qu'elle soit mise sur le même pied que les autres parties de l'empire.. IL est de la gloire de l'empire que la prérogative royale soit exercée partout... Un curé mal choisi pourrait nuire beaucoup au gouvernement.» Le gouverneur voulut ensuite prendre l'évêque par l'intérêt et par l'ambition: Les curés n'ont pas droit de poursuivre pour leur dîme, et vous même quel maigre revenu avez-vous? Les revenus, dit M. Plessis, sont la dernière chose qu'un ecclésiastique doive rechercher; le clergé catholique a souvent prouvé qu'il savait faire des sacrifices en ce genre... Quelque pauvre et précaire que soit ma situation, j'aimerais mieux qu'elle le fut encore plus que de donner lieu à mes diocésains de dire que j'ai vendu mon épiscopat. Sir James Craig s'obstinait. La religion est l'oeuvre de Dieu, répliqua l'évêque. J'espère qu'il la soutiendra dans ce pays... Le gouvernement a laissé mes prédécesseurs depuis la conquête diriger leur église en toute liberté. Ils ont trouvé dans cette conduite un motif de plus de se montrer zélés pour les intérêts de l'Angleterre. J'ai suivi en cela leurs traces. Pour m'être prononcé hautement de vive voix et par écrit dans le même sens, je me suis mis à dos une partie de mes compatriotes. Le gouvernement est juste; s'il veut maltraiter les évêques de ce pays, j'espère qu'il ne commencera pas par moi... Les préjugés de l'Angleterre, observait-il encore, contre les catholiques se dissipaient, elle s'était adoucie contre les siens et ceux d'Irlande; que de choses défendues par les statuts d'Edouard VI, d'Elizabeth et de quelques règnes suivans, et qui se font maintenant en toute liberté. Que n'a-t-on pas dit dans les deux chambres du parlement en 1805, en faveur des catholiques d'Irlande lorsqu'on y agita leur émancipation?... aurait-on osé parler avec cette force et cette hardiesse il y a 100 ans? Quant à la suprématie spirituelle, je veux dire à la qualité de chef de l'église qu'il a plu au parlement d'Angleterre d'attribuer au roi, il est très certain qu'aucun membre de l'église catholique ne la peut admettre. Nous ne reconnaissons point, l'église catholique, dit en terminant l'entrevue le gouverneur, aux yeux duquel la nomination aux cures était un moyen puissant de saper la foi du peuple, et d'amener insensiblement son apostasie en choisissant ses pasteurs. Mais le siècle n'était pas propre au succès d'une pareille oeuvre. Loin de chercher à implanter une nouvelle foi, les gouvernemens ont assez à faire pour maintenir l'ancienne, outre qu'il y a plus qu'il ne faut d'autres germes de révolution pour les occuper. C'est peu de jours après que sir James Craig déposa les rênes du pouvoir et partit pour l'Europe. Le peuple désigne le temps de son administration du règne de la terreur. Cette appellation contient plus d'ironie que de vérité. Il ne fit point répandre de sang, et dans ses emportemens il ne fut que l'instrument de son conseil, qui sut l'aveugler et le mener suivant ses vues lorsqu'il croyait avoir dans les membres de ce corps des serviteurs obséquieux et obéissans. Dans le discours étrange qu'il prononça en prorogeant les chambres, après tout ce qui s'était passé, il approuva complètement l'assemblée sur la question des juges, et termina comme s'il avait laissé tous les partis dans i'union et la concorde, confondus dans un même sentiment d'estime et de bienveillance, illusion d'une imagination que ne réglait aucun jugement, et à laquelle il peut avoir ajouté foi avec sincérité car il n'avait pas au fond un mauvais coeur: sa faiblesse était de vouloir imiter un grand conquérant qui tenait alors un sceptre absolu dans une autre partie du monde. Il mourut quelques mois après son retour en Angleterre. Malgré les adresses de ses partisans à l'occasion de son départ, et le spectacle de la population anglaise qui ôta les chevaux de son carrosse et le tira jusqu'au rivage lorsqu'il alla s'embarquer, il fit des observations amères sur la déception et l'ingratitude des hommes, qu'il avait éprouvées en Canada plus que partout ailleurs, observations peu flatteuses de quelque manière qu'on les envisage pour ceux qui s'attelaient dans le moment même à son char au pied de son château et qui se faisaient esclaves pour être tyrans. Pourtant jusqu'au dernier moment de son départ ils l'avaient poursuivi de leurs approbations et de leurs adresses complimenteuses. «Nous conserverons, disaient ses partisans de Montréal, une reconnaissance éternelle pour la conduite habile, constitutionnelle et tempérée de votre excellence, qui a réussi à calmer une fermentation qu'avaient excité quelques esprits faux, vains et ambitieux.» «L'expérience, ajoutaient ceux de Warwick, a confirmé notre vénération et notre reconnaissance pour celui dont le gouvernement sage et désintéressé dans un temps orageux et difficile, a sauvé cette province des maux qui la menaçaient, a fait connaître à la mère-patrie les ressources de cette colonie, a fait disparaître les jalousies et succéder aux inquiétudes une parfaite tranquillité.» «Nous n'hésitons pas, répétaient à leur tour ceux de Québec, à exprimer le plus profond respect et la plus haute admiration pour les talens supérieurs, l'énergie, l'impartialité et l'intégrité de conduite qui distinguèrent d'une manière si éminente l'administration de votre excellence.» LIVRE QUATORZIÈME. CHAPITRE I. GUERRE DE 1812. Sir George Prévost; sa politique.--Situation des rapports entre l'Angleterre et les Etats-Unis.--Premières hostilités sur mer.--Le parti de la guerre l'emporte à Washington.--La guerre est déclarée.--L'Angleterre adopte un système défensif.--Forces des Etats-Unis.--Organisation de la défense du Canada.--Zèle du clergé catholique.--M. Plessis travaille à faire reconnaître officiellement le catholicisme par le gouvernement.--Mission secrète de John Henry aux Etats-Unis et son résultat.--Mouvement des forces américaines,--Le général Hull envahit le Canada et puis se retire.--Divers escarmouches et combats.--Le général Brock fait prisonnier le général Hull avec ses soldats.--Van Rensalaer envahit le Canada,--Combat de Queenston; mort du général Brock.--Défaite de l'ennemi.--Nouvelle et inutile invasion du Canada par le général Smith.--Le général Dearborn fait mine d'attaquer le Bas-Canada, puis se retire.--Evénemens sur mer.--Session du parlement.--Il élève les droits de douane pour faire face aux dépenses de la guerre. Les querelles qui avaient troublé l'administration de Craig et les manifestations populaires qui s'étaient fait jour par la voie de l'assemblée, avaient fait une double impression au dehors. Aux Etats-Unis elles avaient enhardi le parti de la guerre et augmenté ses espérances; en Angleterre elles avaient porté le gouvernement à regarder les Canadiens d'une manière plus favorable et à travailler, à adoucir l'âpreté qui régnait dans les relations entre le gouvernement et les représentans. L'incapacité et la violence de Craig avaient été la cause des troubles récens. Une conduite contraire pouvait ramener le calme dans les esprits. Le gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, Sir George Prévost, ancien militaire d'origine Suisse, offrait toutes les conditions désirables dans la circonstance. C'était un homme sage, modéré, qui possédait ce bon sens et cette impartialité si rares chez les agens métropolitains depuis quelque temps. Voyant d'un côté la puissance énorme de l'Angleterre, et de l'autre la faiblesse de la colonie, ces agens prenaient pour base de leur conduite la force relative des deux parties, et non l'esprit de la constitution. Ils voyaient la métropole personnifiée en eux, et se persuadaient que toutes les oppositions qu'éprouvaient leur volonté, étaient des oppositions malveillantes et factieuses dirigées contre la suprématie anglaise. Ce moyen de réfuter les erreurs que leur partialité ou leur ignorance leur faisait commettre, avait bien l'avantage de mettre leur responsabilité, leur discrétion, leurs talens à l'abri, mais il transportait la querelle sur un terrain dangereux pour l'avenir; sur le terrain de l'alliance entre la colonie et la métropole, de la rébellion et de l'indépendance. En prenant les rênes du pouvoir, sir George Prévost travailla à calmer les esprits et à faire oublier les animosités que les démêlés violens avec son prédécesseur avaient pu laisser dans les coeurs. Il montra la plus grande confiance dans la fidélité des Canadiens qu'on ne cessait point de traiter de rebelles; il s'étudia à prouver en toute occasion que ces accusations n'avaient laissé aucune impression dans l'esprit de l'Angleterre ni dans le sien. Il nomma le prisonnier de sir James Craig, M. Bedard, juge des Trois-Rivières; il fit M. Bourdages, adversaire non moins ardent de cette administration, colonel de milice, et l'expérience démontra deux choses; que cette conduite était prudente et sage, et que le mensonge, la calomnie, la persécution n'avaient point affaibli le sentiment de la fidélité dans l'âme de ces deux patriotes. Bientôt la plus grande sympathie s'établit entre lui et le peuple. Le choix du roi avait été dicté sans doute par la situation dans laquelle se trouvaient ses rapports avec les Etats-Unis; car on doit remarquer que la guerre réelle ou imminente avec la république voisine a toujours assuré aux Canadiens des gouverneurs populaires, et qu'au contraire la paix au dehors a été généralement le temps des troubles au dedans. En temps de danger extérieur, toute agression contre les droits des Canadiens cessait; le danger passé, la voix de l'Angleterre se taisait et aussitôt la consanguinité de race assurait sa sympathie à ceux qui voulaient leur anéantissement national, et en attendant leur asservissement politique. Mais un grand peuple, dit Thierry,[12] ne se subjugue pas aussi promptement que sembleraient le faire croire les actes officiels de ceux qui le gouvernent par le droit de la force. La résurrection de la nation grecque prouve que l'on s'abuse étrangement en prenant l'histoire des rois ou même des peuples conquérans pour celle de tout le pays sur lequel ils dominent.» Un peuple plus petit survit encore longtemps à sa chute. [Note 12: Histoire de la conquête d'Angleterre.] En effet pour certains peuples il y a des jours où la providence semble venir à eux pour ranimer leurs espérances. Les Etats-Unis ont déjà plus d'une fois arrêté, par leur attitude, l'oppression des Canadiens. Le drapeau de cette république possède cet avantage qu'en se déployant dans le ciel, il en impose à la violence et paralyse le bras qui cherche à effacer un peuple du livre des nations. La guerre était imminente avec cette puissance. Nous avons exposé dans le dernier chapitre les causes des difficultés qui s'étaient élevées entre les deux gouvernemens, et ce que l'on avait fait jusqu'en 1809. A cette époque, M. Madison remplaçait M. Jefferson, ancien ami et ancien disciple de Washington, comme président des Etats-Unis. On crut un moment à un arrangement amical avec l'Angleterre: le ministre de Londres à Washington annonça que les ordres en conseil qui défendaient tout commerce avec la France et ses alliés, et qui avaient motivé le décret de Milan promulgué par Napoléon, qui défendait à son tour tout commerce avec l'Angleterre et ses colonies, allaient être retirés en ce qui regardait la république; mais ce ministre ayant été désavoué par son gouvernement, les rapports entre les deux puissances s'étaient envenimés depuis lors de plus en plus, surtout après la révocation des décrets français de 1810, sans que l'Angleterre modifiât les siens. Les vaisseaux de guerre des deux nations en faisant la police sur les mers, entravaient de plus en plus le commerce et précipitaient le dénouement. La frégate, la Présidente, commandée par le commodore Rogers, prit un sloop de guerre anglais après lui avoir tué beaucoup de monde. Dans le même temps les Indiens de l'Ouest se montrèrent hostiles, et le général Harrison ne put les intimider qu'en leur faisant essuyer une sanglante défaite sur les bords de la Wabash dans l'Indiana. Les ennemis que l'Angleterre avait dans la république attribuèrent les hostilités des Indiens aux intrigues de ses agens, et demandèrent à grands cris la guerre. Ce parti travaillait depuis longtemps à augmenter ses forces et è parvenir au pouvoir. Le moment paraissait enfin arrivé où il allait voir ses espérances couronnées de succès et obtenir la majorité au congrès. L'Angleterre était dans le tort de la guerre en Espagne, et Napoléon, qui était maintenant en bonne intelligence avec la république, s'élançait dans cette campagne de Russie où il devait gagner ou perdre le sceptre du monde. Animés par les grands événemens, une ardeur toute militaire n'empara des Américains et le cri aux armes retentit dans une grande partie du pays. Le congrès s'émut; le capitole retentit des plaintes et des griefs que l'on reprochait à la dominatrice des mers. Des discours véhémens excitèrent la lenteur craintive des agriculteurs et des marchanda; des orateurs et des journaux annoncèrent que la guerre proclamée, le gouvernement américain n'aurait qu'à ouvrir les bras pour recevoir le Canada retenu malgré lui sous le joug d'une métropole européenne, et que les habitans attendaient avec impatience l'heure de leur délivrance. «Le moment, disait le message du président, M. Madison, en 1811 au congrès, exige des gardiens des droits nationaux un ensemble de dispositions plus amples pour les soutenir. Malgré la justice scrupuleuse, la grande modération et tous les efforts des Etats-Unis pour substituer aux dangers nombreux que court la paix des deux paya, nous avons vu que le cabinet anglais non seulement persiste à refuser toute satisfaction pour nos torts, mais veut encore faire exécuter jusqu'à nos portes des mesures qui dans les circonstances actuelles ont le caractère et l'effet de la guerre contre notre commerce légitime. En présence de cette volonté évidente et inflexible de fouler aux pieds les droits qu'aucune nation indépendante ne peut abandonner, le congrès sentira la nécessité d'armer les Etats-Unis pour les mettre dans cette situation que la crise commande, et pour répondre à l'esprit et aux espérances de la nation.» Après avoir mis un embargo sur tous les vaisseaux qui se trouvaient dans leurs ports, les deux chambres passèrent une loi pour déclarer la guerre à la Grande-Bretagne. Tous les préparatifs de guerre étaient pour ainsi dire à faire. Il n'y avait ni armée, ni généraux, ni matériel. Il fallait tout former et tout organiser avec hâte et précipitation. Malgré l'enthousiasme apparent, les républicains américains n'avaient point alors plus qu'aujourd'hui l'ambition des victoires et de la gloire militaire. Ce grand mobile des peuples européens manque presque totalement aux peuples du Nouveau-Monde. Ceux-ci n'ont point acquis les contrées qu'ils occupent par de brillantes victoires; ils ns sont point venus s'asseoir en conquérans aux foyers d'une civilisation vieillie et dégénérée. Leurs souvenirs historiques ne consistent ni en conquêtes, ni en croisades, ni en châteaux forts, ni en chevalerie. Tout ce mouvement, toute cette pompe guerrière et poétique qui caractérisent la naissance et la formation des nations modernes de l'Europe, sont des événemens inconnus à l'Amérique. Le Nouveau-Monde fut découvert et établi au moment où les formes de la société de l'ancien allaient changer, et où l'homme qui travaille et l'homme qui souffre, formant la masse des peuples, allait commencer à s'agiter pour obtenir un gouvernement fondé sur ses besoins, et qui fût capable de prendre la place d'un gouvernement militaire caractérisé par la noblesse et la chevalerie. Le mobile des hommes d'aujourd'hui est un intérêt froid et calculateur. C'est le seul de la république américaine. La guerre du Canada après la première ardeur passée, parut une spéculation chanceuse. Aussi craignant de trop s'aventurer, ce peuple marcha-t-il avec précaution; ce qui fit de la guerre de 1812 une guerre d'escarmouches où il se cueillit peu de lauriers des deux côtés. Engagée comme elle l'était en Europe, l'Angleterre résolut dès l'abord de se tenir sur la défensive, et de marcher en avant seulement lorsque cela serait nécessaire pour mieux assurer le système qu'elle avait adopté. C'était le seul du reste qu'elle pouvait suivre avec les forces qu'elle avait à sa disposition en Amérique. L'immensité de sa frontière coloniale rendait sa situation d'autant plus difficile que le St.-Laurent est fermé une partie de l'année par les glaces, et que la partie de son territoire que baigne l'océan à la Nouvelle-Ecosse, était séparée du Canada par des forêts et de vastes territoires inhabités. Le courage des colons eux-mêmes appuyés des secours qu'elle pourrait leur envoyer, devait former la principale barrière. Le gouvernement des Etats-Unis ordonna d'enrôler 25 mille hommes, de lever 50 mille volontaires, et d'appeler 100 mille miliciens sous les armes pour la garde des côtes et des frontières. Le général Dearborn, vieil officier de la révolution, fut nommé commandant en chef des armées de la république. Mais ces masses d'hommes étaient plus formidables sur le papier que sur le champ de bataille. Le gouvernement américain manquait d'expérience pour les faire mouvoir d'une manière dangereuse pour la sûreté des possessions anglaises, qui n'auraient pu résister à de pareilles forces si elles avaient été mises en mouvement avec la sienne et l'unité stratégique de l'Europe. Les 175 mille hommes armés des Etats-Unis excédaient toute la population male du Canada capable de porter les armes. Cependant le Canada de préparait à faire tête à l'orage avec un zèle et une confiance qui étaient de bon augure. Sir George Prévost en arrivant à Québec, alla visiter le district de Montréal et la frontière du lac Champlain; il examina les postes fortifiés et les positions militaires de la rive droite du St.-Laurent. Partout la population était animée du meilleur esprit. Il y avait bien eu un instant quelques tergiversations parmi quelques jeunes membres de la chambre outrée de la conduite de Craig. Il y avait même eu une réunion secrète à Québec chez M. Lee, où assistaient MM. Viger, L. J. Papineau, Borgia, et plusieurs autres, pour délibérer s'il ne conviendrait pas de rester neutres et de laisser au parti qui dominait le pouvoir oppresseur qui nous gouvernait, à le défendre comme il pourrait; mais M. Bédard et ses amis s'y étaient opposés et le projet avait été abandonné. Le parlement se réunit deux fois en 1812. Le gouverneur lui recommanda de renouveler les actes nécessaires à la sauve-garde du gouvernement. C'était demander le renouvellement de la loi miteuse des suspects dont la dernière administration avait tant abusé. La chambre répondit qu'elle s'en occuperait. Sir George Prévost s'empressa de répliquer qu'il ne pouvait s'empêcher de regretter qu'elle eût cru devoir arrêter son attention sur des procédés antérieurs; qu'il l'engageait à porter ses soins sur l'état actuel des affaires, que c'était le moyen le plus efficace de manifester son zèle pour le bien public et d'assurer la tranquillité de la province. La chambre était bien disposée à accepter sa parole, mais elle voulait s mettre en garde contre l'avenir; elle fit plusieurs amendements à la loi dans lesquels elle conféra au gouverneur seul le pouvoir confié jusque là au conseil exécutif, d'emprisonner les personnes soupçonnées de trahison, et statua qu'aucun membre des deux chambres ne pourrait être arrêté, amendemens qui font voir assez dans quel discrédit étaient tombés les conseillers puisqu'elle prêterait s'exposer à la tyrannie d'un seul homme étranger au pays. Le conseil législatif refusa d'admettre l'amendement, qui comportait trop directement le censure de la conduite de ses principaux membres, et malgré une conférence entre les deux chambres pour s'entendre, la loi tomba à la satisfaction de tout le monde. La preuve la plus convaincante qu'elle n'avait été qu'un moyen d'oppression, c'est qu'on l'effaçait du livre des statuts à l'entrée de la guerre, c'est-à-dire au moment du plus grand danger. La chambre vota ensuite l'argent nécessaire, et passa une loi pour organiser la défense de la province en levant des soldats et en organisant et armant la milice. Elle adopta en même temps une résolution pour repousser lea atteintes faites à sa loyauté par le dernier gouverneur. Elle déclara qu'il était du au bon caractère des Canadiens d'adopter quelque mesure pour informer le roi des événemens qui avaient eu lieu sous l'administration de sir James Craig, et des causes qui les avaient amenés, afin qu'il pût prendre les précautions nécessaires pour empêcher à l'avenir le retour de pareils abus. Elle résolut encore, sur la proposition de M. Lee, de faire une investigation sur l'état de la province et sur les événemens qui avaient signalé la dernière administration. Cette proposition fut secondée par M. L. J. Papineau, qui montrait déjà les talens oratoires de son père; elle passa presque à l'unanimité, deux membres seulement votant contre. MM. Lee, Papineau père et fils, Bedard et Viger furent nommés pour former la commission d'enquête, auxquels on ajouta trois autres membres avec ordre de tenir leurs procédés secrets; mais ils ne firent jamais rapport. Partout maintenant les villes et les campagnes retentiraient du bruit des armes; les milices s'exerçaient sous la direction de leurs officiers; la population française était déjà animée de cette ardeur belliqueuse qui forme un des traits caractéristiques de la race. Le grand vicaire de l'évêque catholique, M. Roux, adressa un mandement au peuple, dans lequel il semblait n'avoir pu trouver d'expressions assez fortes pour convaincre l'Angleterre de sa fidélité et de son dévouement. En arrivant en Canada le gouverneur avait travaillé à regagner les bonnes grâces du clergé, que l'on croyait avoir aliéné par les tentatives imprudentes de Craig. Il eut des entrevues avec l'évêque, M. Plessis, qui ne perdit point l'occasion, avec sa présence d'esprit ordinaire, de profiter de la situation des choses pour faire mettre le catholicisme sur un bon pied, et pour faire reconnaître pleinement son existence légale avec tous les droits et privilèges qu'il possède dans les pays catholiques. Ce fut là le but de toute la vie de ce prélat. Sir George Prévost en vue de la guerre, où les catholiques devaient combattre comme les protestans, manifesta à l'évêque le désir de savoir sur quel pied il serait convenable de mettre à l'avenir les évêques catholiques du Canada. M. Plessis lui présenta un mémoire,[13] où il lui exposait ce qu'étaient les évêques canadiens avant la conquête; ce qu'ils avaient été depuis, et l'état où il serait à désirer qu'ils fussent à l'avenir pour le plus grand avantage du gouvernement et de la religion. [Note 13: Dans le mois de mai 1812.] Avant la complète ils gouvernaient leur diocèse à l'instar de ceux de France selon les canons de l'église et les ordonnances du royaume. Ils avaient un chapitre composé de cinq dignités et de douze chanoines, qui était sous leur entière juridiction ainsi que tout le clergé séculier et les communautés religieuses de filles. Ils tenaient leur synode, érigeaient les paroisses, y proposaient des desservans, les révoquaient, visitaient les églises, monastères et lieux de piété, rendaient des ordonnances touchant la discipline et la correction des moeurs, auxquelles les ecclésiastiques et les laïcs étaient obligés de se soumettre, se faisaient rendre les comptes des fabriques, ordonnaient sur le recouvrement et l'emploi de leurs deniers; enfin ils avaient la direction absolue de toute l'administration ecclésiastique et religieuse, et rien ne se pouvait faire dans le clergé séculier, dans les fabriques et dans les monastères sans leur ordre ou leur approbation. Leur surveillance s'étendait jusque sur les écoles. Depuis la conquête le gouvernement britannique ayant refusé au Canada de recevoir un évêque de France, le chapitre chargé de l'administration du diocèse pendant la vacance du siège épiscopal, s'était considéré comme revenu aux temps qui avaient précédé les concordats, et où l'évêque était élu par le clergé de son église et confirmé par le métropolitain ou par le pape sous le bon plaisir du souverain. Par un acte capitulaire de 1764 M. Briand, membre du chapitre et l'un des vicaires généraux, avait été élu évêque de Québec. Malgré les recommandations du gouverneur Murray, le ministère anglais n'avait point voulu approuver sa nomination, mais l'avait informé qu'il ne serait point troublé. La cour de Rome lui avait accordé des bulles et il avait été consacré à Paris en 66. Revenu en Canada, il avait exercé ses fonctions sans trouble après avoir prêté serment d'allégeance. Le chapitre de la cathédrale réduit à un petit nombre de membres, n'ayant plus de revenus suffisans pour subsister, s'était éteint insensiblement. Sa dernière assemblée capitulaire était du 10 septembre 1773; le dernier chanoine était mort en 1796. Du consentement de la cour de Rome et de sir Guy Carleton, un coadjuteur avait été nommé en 72 à l'évêque, qui en avait toujours eu un depuis pour le remplacer après sa mort ou sa résignation. M. Plessis faisait ensuite observer à sir George Prévost que les évêques avaient fait et faisaient encore profession de la loyauté la plus scrupuleuse envers le gouvernement, et avaient cherché en toute occasion à la graver profondément dans l'esprit du clergé et du peuple confié à leurs soins. Comme l'on savait très bien, qu'ils ne prétendaient exercer d'autorité qu'au spirituel et seulement sur les sujets catholiques de leur diocèse, on ne leur avait contesté ni leur juridiction, ni leur titre d'évêque jusqu'à ces dernières années, où des esprits jaloux se couvrant du spécieux prétexte du zèle pour les intérêts et les prérogatives de la couronne, avaient commencé à élever des doutes sur l'exercice d'une autorité toute canonique et inoffensive de sa nature. Au mois d'avril 1806, un officier de la couronne avait filé dans une des cours, une requête tendante à troubler cette jouissance, à mettre en force certains statuts impériaux, fruits malheureux des animosités religieuses du 16e siècle, à anéantir l'autorité et le titre de l'évêque catholique, à faire déclarer nulle la seule ordonnance qui eut reconnu cette autorité, et à prétendre faussement que même avant la conquête, l'évêque de Québec n'avait pas droit d'ériger de paroisses dans son diocèse. Ces avancés répétés dans les cours avaient été artificieusement répandus dans les papiers publics. L'évêque concluait par demander que lui et ses successeurs fussent civilement reconnus pour évêques catholiques de Québec ayant sous leur juridiction épiscopale les catholiques des colonies de l'Amérique britannique du nord; en attendant que par un accord entre Rome et l'Angleterre il fût érigé d'autres évêchés catholiques dans ces contrées, avec tous les droits qu'ils avaient exercés jusqu'à ce jour; qu'aucune paroisse catholique ne pût être érigée sans l'intervention préalable de l'évêque; qu'il fût maintenu dans la possession où il était de proposer aux cures et aux missions catholiques; que la propriété du palais épiscopal lui fût confirmé et qu'il fût autorisé à acquérir à l'avenir. Enfin, sans demander une assignation de revenus, il annonçait que ce serait un avantage pour le gouvernement s'il recevait une gratification, et si le clergé catholique était représenté dans les conseils exécutif et législatif par son chef. Ces demandes appuyées par le zèle qu'il avait montré de tout temps et qu'il inspirait à tout son clergé pour exciter le peuple à soutenir avec vigueur la cause anglaise dans la guerre avec la république américaine, furent accordées plus tard. Et l'on verra que lorsqu'il passa en Europe pour les affaires de son diocèse, le gouvernement anglais le reçut avec de grands égards, et lui accorda presque tout ce qu'il demandait. La nécessité où l'Angleterre se trouvait alors, comme elle l'avait été en 75, de prêter une oreille favorable aux Canadiens et d'être juste à leur égard, ne devrait pas être perdue pour elle; car sa situation devient de jour en jour plus difficile à mesure que les Etats-Unis et ses colonies s'accroissent en population, en richesses et en puissance. L'Océan qui sépare les deux mondes est une barrière naturelle beaucoup plus forte que la limite qui sépare le Canada de la république voisine et, l'on s'en apercevra un jour. La nationalité des Canadiens donne encore de la force à cette limite et la guerre dont nous allons nous occuper le prouva. On en appela à leurs institutions et à leurs autels pour exciter leur zèle, et cet appel du représentant de l'Angleterre à la défense de son empire au cri si saint pour eux de leur religion et de leurs lois, était un engagement d'honneur d'autant plus sacré qu'il était pris au moment du danger. Les Canadiens ne demandèrent pas d'autre garantie, pour courir aux armes. Ce que sir George Prévost donna à entendre à leurs représentans et à leur clergé, fut interprété de la manière la plus généreuse; tout le monde songea à faire son devoir, et l'ennemi put se convaincre que la défection qu'il attendait ne se réaliserait point. Le gouverneur dirigea les troupes vers les frontières et confia la garde de Québec, la clef du pays, aux milices représentées peu de temps auparavant comme rebelles ou comme animées de dispositions fort suspectes. Les patriotes Bédard et autres furent rétablis dans leur grade militaire avec ostentation par un ordre du jour. Dans le mois de mars, le président des Etats-Unis avait envoyé un message à la chambre des représentans pour l'informer que, pendant que le gouvernement américain était en paix avec la Grande-Bretagne, cette puissance avait employé un agent secret pour parcourir les divers états de l'Union, surtout le Massachusetts, y fomenter la désobéissance aux autorités établies, intriguer avec les mécontens, exciter à la révolte, détruire éventuellement la confédération et en détacher avec l'aide de ses soldats les états de l'Ouest. Ce message extraordinaire fit la plus grande sensation. L'espion était un Irlandais, nommé John Henry, ancien capitaine dans l'armée américaine, et qui résidait à Montréal depuis 1806 en qualité d'étudiant en droit. Par une lettre de M. Ryland, secrétaire de sir James Craig, Henry qui avait déjà été employé dans quelque mission secrète à la satisfaction du secrétaire d'état à Londres, à qui on avait, transmis ses rapports, était prié de se charger d'une nouvelle mission confidentielle aux Etats-Unis, pour laquelle le gouverneur lui fournirait un chiffre de correspondance. Il devait lui faire parvenir les vues du parti dominant dans les divers états de la république, et mettre les mécontens qui désiraient s'en détacher en communication avec le gouvernement anglais. Sir James Craig donna ses instructions à Henry, en lui recommandant de tâcher d'obtenir les renseignemens les plus exacts sur la disposition des esprits dans le Massachusetts, l'état qui exerçait alors la plus grande influence dans l'est; de s'insinuer dans l'intimité de quelques chefs de parti et de leur donner à entendre, mais avec une grande réserve, que s'ils voulaient se mettre en rapport avec le gouvernement anglais, par le canal du gouverneur canadien, il était autorisé à être leur intermédiaire et à leur montrer s'ils l'exigeaient ses lettres de créance. Henry était chargé d'écrire souvent à Québec, mais pour ne pas exciter de soupçon, d'adresser ses lettres au juge Sewell, à un autre Monsieur qui lui était désigné, et quelquefois à M. Ryland lui-même, mais fort rarement. L'on pensait alors que les conséquences des lois d'embargo passées par le congrès, ruineuses pour les états de l'est, pourraient amener leur séparation du reste de la confédération. Henry rendu à son poste écrivit une foule de lettres jusqu'à son retour à Montréal dans le cours de la même année. Aucun effet ne parut résulter de sa mission. Lorsqu'il demanda le prix de son salaire, on ne se montra pas empressé d'y répondre comme il le désirait. On ne voulut lui donner ni une place de juge-avocat, ni un consulat. En 1811 il s'adressa à lord Liverpool, qui lui fit répondre par son secrétaire, que sir James Craig ne s'était pas engagé à lui faire avoir sa récompense en Angleterre. Se voyant rebuté dans la colonie et dans la métropole, il alla tout déclarer au pays qu'il avait voulu trahir. Cette affaire, dont le gouvernement américain fit grand bruit pour exciter le peuple à la guerre, est une nouvelle preuve ajoutée à toutes les autres, de l'inconsidération de conduite de sir James Craig, et du peu de jugement dans le choix de ses instrumens. Le plan d'opérations militaires adopté pour le Canada fut parfaitement défensif. L'Angleterre était trop engagée en Europe pour songer à porter de grands coups en Amérique; et d'ailleurs elle présumait avec raison que les entreprises des Etats-Unis dépendraient des vicissitudes de la guerre au-delà des mers. Napoléon s'était jeté sur la Russie; du succès de cette gigantesque entreprise à 800 lieues de sa capitale, allait dépendre le plus ou le moins d'énergie des républicains de l'Amérique. Le gouvernement de Washington après avoir formé de grands cadres d'armée, fut comme embarrassé lorsqu'il fallut faire mouvoir ces masses d'hommes. Il conduisit toute cette guerre avec l'inexpérience et la timidité d'un état major bourgeois. Les traditions des guerres de la révolution semblèrent être perdues, ou plutôt ces guerres n'avaient pas appris la tactique offensive, car on n'avait fait que repousser des envahisseurs européens qui voulaient imposer leur joug au colon devenu grand. Ses efforts se perdirent dans une multitude de petits chocs, éparpillés sur une frontière de 3 à 400 lieues, et il est bien difficile aujourd'hui de dire quel était le résultat final que l'on voulait atteindre. Au moment de la déclaration de guerre, le général Hull, gouverneur du territoire du Michigan, était parti de l'Ohio pour le Détroit avec deux mille hommes pour mettre fin aux hostilités des Sauvages sur la frontière du Nord-Ouest, et tâcher de le gagner à la cause américaine. Il était autorisé par ses instructions à envahir le Canada s'il pouvait le faire sans mettre en danger les postes qui lui étaient confiés. Vers la mi-juillet il traversa la rivière du Détroit et alla camper à Sandwich, dans le Haut-Canada, avec l'intention d'aller s'emparer du fort de Malden à quelques lieues de là. Etabli sur ce point, il adressa entre autres, ces paroles aux Canadiens: «Séparés de l'Angleterre par un océan immense et un vaste désert, vous n'avez aucune participation dans ses conseils, aucun intérêt dans sa conduite. Vous avez senti sa tyrannie, vous avez vu son injustice; mais je ne vous demande à venger ni l'une ni l'autre. Les Etats-Unis sont assez puissans pour vous procurer à tous la sûreté compatible avec leurs droits et vos espérances. Je vous offre les avantages inestimables de la liberté civile, politique et religieuse... C'est elle qui nous a conduits en sûreté et en triomphe à travers les orages de la révolution; c'est elle qui nous a portés à un rang élevé parmi les nations de l'univers, et qui nous a procurés plus de paix, plus de sécurité et plus de richesses que n'en a jamais eu aucun autre pays. «Ne levez pas la main contre vos frères. Plusieurs de vos ancêtres ont combattu pour notre liberté et notre indépendance. Enfans de la même famille, héritiers du même héritage, vous devez bien accueillir une armée d'amis.» Cette proclamation qui n'était pas rédigée sans quelque adresse, ne fut point soutenue par des opérations militaires qui répondissent au talent que pouvait promettre sa rédaction. Le général Hull fut écrasé sous le poids de son commandement. Après être resté près d'un mois sans rien entreprendre, il rentra dans son pays. Plusieurs de ses détachemens avaient été défaits par des partis de nos soldats et par les Indiens. Le lieutenant Rolette, commandant le brig armé le Hunter, avait abordé à la tête de six hommes seulement et pris un navire américain chargé de troupes et de bagages. Le capitaine Tallon, détaché par le Colonel Proctor, avait rencontré au-dessous du Détroit, le major Vanhorne, l'avait battu et lui avait enlevé des dépêches importantes. Dans les autres parties du pays les affaires n'allaient guère mieux pour les ennemis. Le capitaine Roberts, de St.-Joseph, dans une petite île du lac Huron, avait reçu du général Brock en son temps, la nouvelle de la déclaration de guerre et l'ordre de tâcher de surprendre Mackinac, poste dont il s'empara sans coup férir à l'aide d'une trentaine de soldats soutenus par M. Pothier et ses voyageurs canadiens; c'était l'un des plus forts des Etats-Unis. Cette conquête eut un grand retentissement parmi les tribus indiennes de ces contrées, qu'elle rallia presque totalement à la cause de l'Angleterre, et fut le prélude des revers de Hull. Cependant le gouverneur du Haut-Canada, le général Brock, avait pris ses mesures dès les premières hostilités pour repousser toute invasion. Ayant rassemblé ses forces, il traversa le fleuve et parut tout-à-coup avec 13 à 14 cents hommes dont 600 Sauvages, devant le fort du Détroit où s'était retiré le général Hull. Le commandant américain intimidé et hors de lui-même se rendit prisonnier sans coup-férir, avec son armée, à l'exception des milices et des volontaires de l'Ohio et du Michigan qui eurent la liberté de s'en retourner chez eux après s'être engagés à ne point servir pendant cette guerre. Le fort du Détroit et le vaste territoire du Michigan tombèrent ainsi au pouvoir des vainqueurs, qui firent un butin considérable. Les troupes américaines furent envoyées dans le Bas-Canada, où le général Hull rendu à Montréal, fut échangé contre 30 prisonniers anglais. Il ne fut pas plutôt rentré dans son pays, qu'il fut accusé devant un conseil de guerre. La cour refusa de se prononcer sur l'accusation de trahison; mais elle le trouva coupable de lâcheté et le condamna à mort. Le président lui accorda plus tard son pardon en mémoire des services qu'il avait rendus pendant les guerres de la révolution. Après l'anéantissement de l'armée américaine de l'ouest, la partie supérieure du Haut-Canada se trouva débarrassée de la crainte d'une invasion. Pendant que ces événemens se passaient à la tête du lac Erié, les forces ennemies qui devaient agir sur le lac Ontario et sur le lac Champlain se rassemblaient. Elles se donnaient la main par divers petits corps intermédiaires destinés à inquiéter le Canada sur différens points de ses frontières. Les premières troupes portaient le nom fastueux d'armée du centre; les dernières d'armée du nord. L'armée du centre commandée par le général Van Rensalaer, était composée principalement des milices de l'état de la Nouvelle-York; elle devait envahir le Canada entre le lac Erié et le lac Ontario. L'armée du nord, forte de 10,000 hommes, sous les ordres du général Dearborn, était chargée d'y pénétrer par le district de Montréal. Van Rensalaer ne fut prêt à prendre l'offensive qu'à la fin de l'été. Après avoir longtemps inquiété le général Brock, il réussit malgré le feu de l'artillerie anglaise qui brisa plusieurs de ses berges, à prendre pied, le 13 octobre au point du jour, sur les hauteurs de Queenston et à repousser les attaques de la milice et d'une partie du 49e régiment. Le général Brock qui était à Niagara, à quelques milles plus bas, était accouru au bruit de la canonnade; il rallia les grenadiers et les conduisit lui-même à la charge. Il aurait peut-être regagné le terrain perdu, si dans le moment même il n'eût été atteint d'une balle dans la poitrine, dont il mourut presqu'aussitôt. Ses troupes parvinrent cependant à se remettre de leur désordre, mais elles ne purent forcer l'ennemi, protégé par des arbres, à abandonner la place ni l'empêcher d'achever le débarquement de sa première division. Les Anglais suspendirent alors leur feu jusqu'à l'arrivée de leurs renforts sous les ordres du général Sheaffe, qui résolut de reprendre aussitôt l'offensive. Laissant quelques hommes pour couvrir Queenston, il fit un détour pour gravir les hauteurs voisines et attaquer les Américains par derrière. Les Indiens plus alertes en vinrent aux mains les premiers, mais ils furent repoussés jusqu'à ce que le corps principal arrivant, les Américains assaillis à leur tour avec vigueur, lâchèrent le lâchèrent pied et se mirent à fuir dans toutes les directions, les uns cherchant à se cacher dans les broussailles et les autres dans leur frayeur se précipitant en bas de la falaise dans le fleuve. Les Indiens ralliés aux troupes en massacrèrent un grand nombre. Les autres voyant tout perdu et leur retraite coupée, posèrent les armes au nombre de 1000 hommes, sur les douze ou quinze cents qui avaient traversé en Canada. Il paraît qu'après le combat du matin, le général Van Rensalaer était repassé à Lewiston pour accélérer le passage du fleuve par la seconde division de son armée, et que ses soldats avaient refusé de marcher malgré les prières et les menaces; que dans son embarras, il avait écrit au général Wadsworth, resté à Queenston, ce qui se passait, et lui avait laissé le choix de l'offensive ou de la retraite, l'informant qu'il lui enverrait tous les bateaux dont il pourrait disposer s'il se décidait pour le dernier parti. La plupart des troupes américaines composées de milices, avaient peu d'ardeur belliqueuse; elles répondirent à Van Rensalaer qu'elles étaient prêtes à défendre leur pays s'il était attaqué, mais qu'elles avaient des scrupules à envahir le territoire anglais. On a déjà vu qu'un grand parti dans la république était opposé à la guerre. Ses opinions fournissaient des motifs vrais ou simulés à uns portion des soldats pour ne point bouger. De pareils événement devaient rassurer le Canada, auquel les deux combats de la journée n'avaient pas coûté cent hommes, tués et blessés, preuve du peu d'ardeur de la lutte. La mort de Brock fit passer le commandement des Anglais entre les mais du général Sheaffe, qui conclut une armistice avec le général Smith, successeur de Van Rensalaer, et qui parut vouloir montrer plus de zèle que son prédécesseur. Il invita les jeunes Américains à venir partager les périls et la gloire de la conquête qui s'offrait devant eux, et parvint à ranimer un peu d'humeur belliqueuse de ses patriotes et à porter son armée à 5,000 hommes. Lorsqu'il fut prêt à agir, il fit dénoncer l'armistice et le 28 novembre de grand matin, il se mit en mouvement. La première division de ses troupes traversa le fleuve et mit pied À terre à la tête de la Grande-Ile entre le fort Erié et Chippawa, où elle prit ou mit en fuite quelques soldats qui s'y trouvaient tandis que le major Ormsley, sorti du fort Erié, faisait de son côté quelques prisonniers américains qui descendaient le long du rivage. La seconde division s'ébranla pour débarquer deux milles plus tins. Les forces anglaises du voisinage étaient maintenant sur l'alerte. Le colonel Bishop sorti de Chippawa avait formé sa jonction avec le major Ormsley, et se trouvait à la tête de onze cents hommes, tant réguliers, miliciens que Sauvages et une pièce de canon, quand les Américains se présentèrent pour débarquer. Le feu très vif qu'il ouvrit sur eux du rivage, brisa deux de leurs berges, jeta les autres en désordre et les obligea de se retirer au plus vite. Le 1 décembre, ils firent mine de renouveler leur tentative, et les troupes même s'embarquèrent pour traverser le fleuve, mais elles reçurent contre ordre et furent remises à terre pour prendre leur quartiers d'hiver Ces échecs humilièrent beaucoup les Américains, qui murmurèrent tout haut contre leur chef, et le forcèrent à prendre la fuite pour se dérober à leur indignation. Ainsi se terminèrent les opérations des armée de l'ouest et du centre. Elles avaient été repoussées partout dans leurs attaques. Les tentatives de celle du nord n'avaient pas été plus vigoureuses ni plus heureuses, quoiqu'elle fût la plus forte et qu'elle parût destinée à porter les plus grands coupa. Elle s'élevait à dix mille hommes stationnés sur le lac Champlain en face. Le général Dearborn la commandait. Après avoir eu quelque temps son quartier général à Albany, il le rapprocha de la frontière, menaçant de marcher sur Montréal par la route de St.-Jean et d'Odelltown. Le commandant de cette frontière plaça, un cordon de voltigeur et de milice depuis Yamaska jusqu'à St.-Régis, point où la limite qui sépare les deux pays aboutit au St.-Laurent. Un corps d'élite composé de réguliers et de milices sous les ordres du colonel Young fut stationné à Blairfindie; et la route de là à la frontière passant par Burtonville et Odelltown, fut coupée et embarrassée par des abattis d'arbres pour empêcher toute surprise. Ce travail fatigant et difficile fut exécuté avec promptitude par les voltigeurs du major de Salaberry. Les voyageurs de la Compagnie du nord-ouest s'organisèrent en troupes légères, et d'autres Canadiens formèrent un bataillon de chasseurs. Pendant ce temps là, les Américains montraient sur cette frontière comme sur celle du Haut-Canada, beaucoup d'hésitation dans leurs mouvemens. Il n'y avait encore eu que quelques petites escarmouches, lorsque le général Dearborn fit mine enfin de se mettre en mouvement. Le major de Salaberry qui commandait nos avant postes, s'était fortifié à rivière Lacolle. Le matin du 20 novembre, avant le jour, une de ses gardes avancées fut assaillie par 1400 fantassins et quelques cavaliers, qui avaient traversé la rivière par deux gués à la fois; mais en voulant la cerner, ils se fusillèrent entre eux dans l'obscurité, ce qui détermina aussitôt leur retraite. Au premier bruit de leur mouvement, le colonel Deschambault avait reçu ordre de traverser le St.-Laurent et de marcher sur l'Acadie avec les milices de la Pointe-Claire, de la rivière du Chêne, de Vaudreuil et de la Longue-Pointe. Une partie de celles de la ville de Montréal à pied et à cheval était passée à Longueuil et à Laprairie, enfin toute la milice du district s'était mise en mouvement pour marcher sur le point attaqué. Soit que le général Dearborn fut intimidé par tous ces mouvemens, ou qu'il n'entra pas dans ses plans d'envahir le Canada pour lors, il ne songea plus qu'à se retirer dans ses quartiers d'hiver à Plattsburgh et à Burlington à l'approche de l'hiver. Ce début n'était pas brillant pour les armes des Américains. Sur mer ils soutinrent mieux l'honneur de leur pavillon. L'Angleterre n'avait rien à craindre d'eux sur cet élément, et ce fut là précisément où elle se laissa enlever quelques lauriers. La frégate américaine la _Constitution_, de 44 canons, commandée par le capitaine Hull, enleva la frégate anglaise, la _Guerrière_ de 38 canons après une demi-heure de combat, et lui avoir tué et blessé le tiers de son équipage. Le _Warp_, de 18 canons, captura aussi un brig de 22 canons après un choc de trois quarts d'heure, pour tomber cependant entre les mains d'un 74, le même jour avec sa prise. Le commodore Decatur montant la frégate, _Les Etats-Unis_, de 44 canons, força la frégate la _Macédonienne_ d'amener son pavillon après une lutte acharnée de près de deux heures, et plus tard la _Constitution_ obtint une secondé victoire en capturant, devant San Salvador, sur les côtes du Brésil, la frégate la _Java_, après lui avoir tué et blessé près de 200 hommes, tandis qu'elle n'en perdait que 34. Ces diverses victoires navales enorgueillirent les Etats-Unis et leur firent oublier les petits échecs qu'ils avaient éprouvés sur terre. Ils avaient en effet raison d'être contens de leur marine, car la cause de ses succès était fort importante. C'était moins par le courage que par la supériorité de construction et d'armement de leurs vaisseaux qu'ils avaient triomphé. Leurs frégates moins hautes au-dessus de l'eau offraient par là même moins de prise aux coups; leurs batteries comptaient moins de bouches à feu mais elles étaient formées de pièces d'un plus gros calibre et d'une plus grande portée; de sorte qu'une frégate américaine de 32 canons lançait plus de métal qu'une frégate anglaise de 40; de là la cause de leurs victoires, dont ils avaient d'autant plus raison d'être fiers qu'elles étaient dues à leur intelligence. La Grande-Bretagne toutefois trop occupée avec le reste de l'Europe dans la guerre contre Napoléon, faisait peu de cas des combats individuels et isolés des vaisseaux de la république, et voyant que ses armes maintenaient son empire en Canada et qu'il ne s'y était rien passé de bien inquiétant pour elle, elle donna ses ordres pour nous envoyer quelques secours et reporta ses regards vers l'Espagne et vers la Russie, où la grandeur des événemens qui s'y passaient jettait complètement dans l'ombre ceux de l'Amérique. Le résultat de la campagne et le zèle qu'avaient montré les populations canadiennes justifiaient la politique de sir George Prévost. Les Canadiens, que leurs ennemis avaient accusés sans cesse de nourrir des projets de rébellion, venaient de donner un démenti éclatant à leurs accusateurs trop favorisés dans tous les temps par les préjugés nationaux. Sir George en assemblant les chambres le 29 décembre, leur dit que suivant les pouvoirs que lui avait confiés la législature, il avait appelé la milice sous les armes, et qu'il avait vu avec la plus vive satisfaction l'esprit public, l'ordre, la fermeté et cet amour de son pays, de sa religion et de ses lois qu'elle avait montrés dans cette occasion, et qui, en animant et réunissant toutes les classes, ne pouvaient manquer avec l'aide de la divine providence de faire respecter le Canada au dehors et de le rassurer au-dedans. Les délibérations de la législature furent moins orageuses que de coutume, malgré l'agitation de plusieurs questions qui auraient pu occasionner de grands débats. M. Stuart, toujours mécontent de la perte de sa place de solliciteur-général, voulut faire instituer une enquête sur le mauvais effet du retard qui survenait dans la publication des lois. Dans une émeute à Lachine les troupes avaient tiré sur le peuple. Il voulut faire attribuer cet événement à l'ignorance de la loi non encore promulguée. Quoique son but fût moins probablement de pallier les auteurs du sang répandu que d'embarrasser l'exécutif, sa plainte était cependant bien fondée. Il proposa aussi de s'enquérir du droit des cours de justice, de faire des règles de pratique pour la conduite des procédures judiciaires, usurpation de pouvoir qui a été pendant longtemps un grave sujet de difficultés dans le pays. Enfin ce fut encore lui qui amena les résolutions touchant le sujet autrement plus grave de la loi martiale, à laquelle l'opinion publique était si fortement opposée, qui les fit adopter après d'assez vifs débats et qui fit déclarer que les limites et l'opération de la loi martiale établie par les statuts impériaux concernant l'armée, et par les statuts provinciaux concernant les milices, ne pouvaient être étendus à ce pays sans l'autorité de son parlement. Les changemens demandés par le gouverneur dans la loi des milices échouèrent par suite du désaccord survenu entre les deux chambres sur la matière, ainsi que le projet de loi pour imposer une taxe sur les salaires des officiers publics pour les frais de la guerre, que le conseil composé de fonctionnaires ou de leurs amis, ne voulut pas agréer. Malgré ces divergences d'opinion, le gouverneur et les chambres ne cessèrent point d'être en bonne intelligence pendant toute la session, et l'assemblée vota pour les besoins de la guerre, une taxe de 2½ pour cent sur les marchandises importées par les négocians du pays et de cinq pour cent sur celles importées par les négocians étrangers. CHAPITRE II CONTINUATION DE LA GUERRE.--PAIX DE 1815. CAMPAGNES DE 1813-1814. Campagne de 1813.--Opérations sur les lacs Erié, Ontario et Champlain--Combats de French town et du fort Meigs.--Attaque de Sandusky.--Combat naval de Put-in-Bay.--Bataille de Thames.--Destruction des Criques.--Prise de Toronto,--Le colonel Harvey surprend les Américains à Burlington.--Black Rock est brûlé--Batailles de Chrystlers Farm et de Châteauguay.--Retraite des armées américaines.--Surprise du fort Niagara. Lewiston, Manchester brûlés.--Opérations sur mer.--Travaux du parlement à Québec.--Le juge Sewell accusé va se justifier à Londres.--Il suggère l'union de toutes les colonies.--Campagne de 1814.--Combats de Lacolle, Chippawa, Lundy's Lane.--Attaque du fort Erié.--Défaite de Drummond.--Expédition de Plattsburgh.--Attaque des côtes des Etats-Unis.--Washington pris et le capitole brûlé.--Bataille de la Nouvelle Orléans.--Cessation des hostilités.--Traité de Gand.--Réunion des chambres.--Sir G. Prévost accusé pour sa conduite à Plattsburgh, remet les rênes du gouvernement et passe en Angleterre.--Sa mort.--Réhabilitation de sa mémoire. Malgré les échecs de leur première campagne, les Américains ne désespéraient pas de finir par obtenir des avantages en continuant la guerre, et ils se préparèrent à la pousser avec vigueur. Mais ils ne changèrent point leur système d'attaque. Ils divisèrent encore leurs principales forces en trois corps. L'armée de l'ouest, commandée par le général Harrison, fut chargée d'opérer sur le lac Erié; l'armée du centre, aux ordres du général Dearborn, sur la frontière de Niagara et du lac Ontario; l'armée du nord, commandée par le général Hampton, sur celle du lac Champlain. Tous ces corps qui formaient une masse d'hommes considérable devaient envahir le Canada simultanément. L'armée de l'ouest fut la première en mouvement. Après les désastres du général Hull dans la dernière campagne, les milices étaient accourues pour défendre cette frontière et reconquérir le pays perdu. Harrison réunit ses forces à la tête du lac Erié pour attaquer les Anglais placés au Détroit, sur la rive droite du fleuve, au pied du lac Ste.-Claire, et à Malden un peu plus bas sur la rive gauche. Le général Winchester se mit en marche au commencement de janvier avec 800 hommes pour la rivière des Miamis, d'où il en détacha une partie pour Frenchtown, 30 milles plus loin. Ce détachement rencontra un corps d'Anglais et de Sauvages qu'il repoussa et prit possession du village. En apprenant ces mouvemens, le général Proctor qui était à Malden, résolut aussitôt d'attaquer ce corps avancé avant qu'il eût été rejoint par le reste de l'armée américaine, qui marchait à trois ou quatre jours de distance. Il réunit 1100 hommes, dont 600 Indiens, parut tout-à-coup devant Frenchtown le 22 janvier, et sans donner aux ennemis le temps de le reconnaître, les attaqua au point du jour avec la plus grande vigueur. Les Américains retirés dans les maisons se défendirent longtemps soutenus par la peur de tomber entre les mains des Sauvages, et d'éprouver les cruautés que ces barbares faisaient souffrir à leurs prisonniers. Winchester était tombé dès le début du combat entre les mains du chef des Wyandots, qui l'avait remis au général Proctor. On lui dit que la résistance de ses soldats était inutile, que l'on allait incendier le village et que s'ils ne se rendaient point, ils deviendraient la proie des flammes ou des Sauvages. Alors leur général leur envoya l'ordre de cesser le fou. Ils demeurèrent prisonniers à la condition qu'ils seraient protégés contre les Indiens. Mais cette condition ne put être exécutée complètement. Il a toujours été presqu'impossible de retenir tout-à-fait les Sauvages dans ces occasions; ils trouvèrent moyen de massacrer quantité de blessés qui ne pouvaient marcher, de se faire donner de grosses rançons pour d'autres, et d'en réserver plusieurs pour les mettre à la torture malgré tous les efforts des officiers pour empêcher ces cruels désordres. Les Américains reprochèrent ensuite amèrement aux Anglais cette violation de la capitulation. Mais ils connaissaient assez les Sauvages pour s'attendre à ce qui arriva. Le combat de Frenchtown coûta près de 200 tués et blessés aux vainqueurs et plus de 300 aux vaincus. Le général Harrison en apprit le résultat aux rapides de la rivière des Miamis, et rétrograda aussitôt de peur d'être attaqué par Proctor. Mais, sur la nouvelle que celui-ci était retourné à Malden, il remarcha en avant avec 1200 hommes et établit sur cette rivière un camp retranché, qu'il appela, le fort Meigs du nom du gouverneur de l'Ohio. Il y attendait les troupes qui devaient le rejoindre, lorsque le général Proctor qui avait résolu de l'attaquer avant cette réunion, parut à la lin d'avril devant ses retranchemens et les investit. Le 5 mai, le général Clay étant arrivé à leur secours avec 1200 hommes du Kentucky, surprit et enleva les batteries anglaises établies du côté ouest de la rivière pendant que la garnison du fort faisait une sortie. Mais Clay s'étant trop attaché à la poursuite des Sauvages, il fut pris à dos par Proctor et coupé dans sa retraite. 500 de ses soldats durent encore poser les armes après un combat violent. Plusieurs prisonniers devinrent encore ici les victimes de la cruauté des Indiens. Malgré ce succès, ces barbares déjà fatigués du siège, abandonnèrent presqu'aussitôt le camp de Proctor malgré tous les efforts du fameux Técumseh, leur chef, pour les retenir, et obligèrent ce général à se retirer à Malden. Proctor voulut reprendre son projet quelque temps après avec 500 hommes et 3 à 4000 Sauvages toujours conduits par Técumseh. Harrison était alors sur la rivière Sandusky encore occupé de ses préparatifs pour l'envahissement du Canada, et attendant la flotte qui s'armait sous la direction du capitaine Perry à la Presqu'Ile, vers le bas du lac Erié, et qui devait seconder ses opérations. Mais Proctor ayant trouvé le fort Meigs trop bien défendu pour pouvoir l'attaquer avec chance de succès, leva le siège ou bout de quelques jours et se porta avec 1400 hommes, dont 600 Sauvages, contre celui de Sandusky situé un peu plus bas sur le lac. Après avoir fait brèche dans ses murailles, il donna l'assaut avec 500 hommes conduits par le colonel Short. Formés en colonne les soldats s'avancèrent sous un feu meurtrier qui les jeta un instant en désordre; mais s'étant ralliés, ils s'élancèrent dans le fossé pour gagner la brèche, lorsque les assiégés mirent le feu à la seule pièce d'artillerie qu'ils avaient placée de manière à enfiler le fossé; elle emporta la tête de la colonne et jeta la frayeur parmi le reste des soldats qui prirent la fuite dans la plus grande confusion. Après cet échec qui coûta une centaine d'hommes, Proctor craignant le général Harrison qui arrivait, prit le parti de la retraite. Ces hostilités du reste étaient à peu près inutiles, car rien d'important ne pouvait être entrepris sans le concours de la marine et sans la suprématie des armes sur le lac Erié. Aussi travaillait-on des deux côtés à se former une flotte pour l'obtenir. Les Anglais devancèrent leurs adversaires de vitesse. Leur gouvernement avait envoyé des officiers et des matelots dans l'hiver, qui étaient venus par terre d'Halifax à Québec, et qu'on avait dirigés aussitôt sur Kingston au pied du lac Ontario, pour équiper une flottille capable de lutter avec celle de l'ennemi. Dans le printemps ils avaient été rejoints par sir James L. Yeo, qui était arrivé avec 4 à 500 nouveaux matelots, pour prendre le commandement supérieur de la marine canadienne. Il donna le commandement des forces du lac Erié au capitaine Barclay, qui alla bloquer avec une flottille de six voiles et 63 canons la flottille américaine dans le havre de la Presqu'-Ile. Cette flottille placée sous les ordres du commodore Perry, était composée de neuf voiles et de 54 canons. Elle ne fut prête à lever l'ancre qu'au milieu de l'été; mais comme les bas-fonds qu'il y avait à l'entrée du havre l'obligeaient à ôter ses canons pour sortir, elle ne pouvait songer à le faire tant qu'elle serait bloquée par la flottille anglaise. Heureusement pour elle, Barclay fut obligé de s'éloigner pendant quelque temps; elle en profita pour gagner le large et forcer à son tour son adversaire à reculer. Les Américains remontèrent alors à la tête du lac et séparèrent les troupes anglaises jetées sur la rive droite du fleuve, de leur flotte qui portait leurs vivres. Barclay dut risquer le combat pour les dégager. Les deux flottilles en vinrent aux mains le 10 septembre à Put-in-Bay. Le combat dura quatre heures avec des chances diverses dues à l'inconstance du vent. Le vaisseau du commodore américain fut même si mal traité qu'il dût l'abandonner pour passer sur un autre. Mais vers la fin de l'action le vent lui devenant tout à fait favorable, Perry réussit à amener toutes ses forces en ligne et à couper celle des Anglais, sur lesquels il gagna une victoire complète. Tous leurs vaisseaux durent amener l'un après l'autre leur pavillon. Barclay lui-même tomba couvert de blessures entre les mains du vainqueur, qui lui montra tous les égards que méritait le courage malheureux. Cette victoire donna le lac Erié aux Américains, et enleva aux Anglais tous les avantages qu'ils avaient obtenus sur la rive droite du fleuve. Le général Proctor qui avait plus de feu que de jugement militaire, dut reconnaître alors la faute qu'il avait commise d'abandonner la guerre défensive pour la guerre offensive. En s'élançant sur le pays ennemi sans forces suffisantes, il devait tôt ou tard compromettre la sûreté du Haut-Canada; car quelque fussent ses succès, il ne pouvait faire de conquête durable. La prise de la flottille anglaise lui enlevant les moyens de s'approvisionner, il dut songer immédiatement à la retraite, et il n'avait pas un moment à perdre. Il évacua le Détroit, Sandwich et Amherstburgh le plutôt qu'il put après en avoir détruit les chantiers et les casernes, et se retirait par la rivière Thames pour descendre vers le lac Ontario, Técumseh couvrant la retraite avec ses Indiens, lorsqu'il fut atteint par l'ennemi en force supérieure. Après sa victoire, le commodore Perry avait transporté sur la rive anglaise du St.-Laurent, l'armée américaine du général Harrison, qui s'était mise aussitôt en marche, et qui arriva à Sandwich au moment où Proctor en partait. Sans s'arrêter il s'élança à sa poursuite, atteignit son arrière garde le 4 octobre, enleva ses magasins et ses munitions et l'obligea lui-même le lendemain à tenter le sort des armes pour échapper à une ruine totale, qu'une victoire seule pouvait lui faire éviter. Il s'arrêta à Moravian-Town et rangea sa petite armée en bataille, sa droite à la rivière Thames et sa gauche à un marais, le fidèle Técumseh toujours prêt à combattre, se plaçant à côté de lui avec ses Indiens. Harrison disposa ses troupes sur deux lignes et fit commencer l'attaque par sa cavalerie. Les cavaliers de Kentucky, accoutumés aux pays boisés et marécageux, chargèrent les troupes de Proctor avec tant de vigueur qu'ils les rompirent et les mirent dans une déroute complète. La plupart durent poser les armes, et Proctor et sa suite chercher leur salut dans la fuite. Les Indiens seuls maintinrent longtemps le combat avec beaucoup de courage; mais ils furent enfin obligés de céder au nombre, après avoir vu tomber leur fameux chef sous les coups de l'ennemi. Son corps fut trouvé parmi les morts. Sa fidélité à l'Angleterre, son éloquence, son influence sur les tribus de ces contrées, ont fait de Técumseh le héros de cette guerre. Sir à sept cents Anglais y compris vingt-cinq officiers, restèrent prisonniers. Deux à trois cents parvinrent au bout de quelques jours dans le plus grand désordre à Ancaster, à la tête du lac Ontario, avec le général Proctor et dix-sept officiers. Le résultat de la bataille de Moravian-Town rompit la grande confédération indienne formée par Técumseh contre la république américaine, remit celle-ci en possession du territoire perdu par le général Hull, dans le Michigan, et ruina la réputation militaire de Proctor. Ce désastre ne termina pas cependant les opérations de la campagne sur la frontière de l'ouest. L'éloquence de Técumseh avait soulevé les tribus du sud. Les Criques avaient pris la hache et entonné l'hymne des combats. Ils massacrèrent 300 hommes, femmes et enfans dans l'Alabama, pour leur début; ils allaient poursuivre le cours de leurs ravages, lorsque le général Jackson s'étant jeté sur leur pays à la tête des milices du Tennessee, entoura une de leurs bandes de 200 hommes, et les tua jusqu'au dernier. Il défit ensuite le gros de la nation dans les combats de Talladéga, Autossie, Emuefau, etc., et finit enfin par en cerner les restes sur la rivière Tallapousa, à Horse Shoe Head, où ils s'étaient retranchés au nombre de 1000 avec leurs femmes et leurs enfans. Jackson donna l'assaut à leurs ouvrages qu'il emporta. Les Indiens dédaignant de se rendre, combattirent avec le courage du désespoir et périrent presque tous. Ainsi tomba une nation dont la bravoure indomptable doit illustrer le souvenir dans l'histoire. La destruction des Criques fut le dernier sang répandu dans l'ouest. Pendant qu'on se battait de ce côté, on en faisait autant sur les lacs, mais avec moins de résultat. Les opérations des armées sur la frontière, de Niagara et du lac Ontario étaient marquées par une foule de combats, d'attaques et de contre attaques dont la relation est d'autant plus fastidieuse que l'on n'avait de part et d'autre aucun plan arrêté, et que l'on faisait une espèce de guerre de partisans meurtrière à la longue et accompagnée de beaucoup de ravages, mais sans avantage important pour personne. Le général Prévost partit de Québec au milieu de février pour le Haut-Canada. En passant à Prescott il permit au colonel McDonnell de faire une tentative sur Ogdensburgh, gros bourg américain situé sur la rive opposée du fleuve. Cet officier partit avec un corps de troupes, enleva la place, brûla les bâtimens qui y étaient en hivernage, prit onze pièces d'artillerie et quantité de petites armes, et s'en revint chargé de trophées. Le général américain Dearborn préparait alors à Sacketts Harbor une expédition contre la capitale du Haut-Canada, principal magasin des troupes anglaises. Il s'embarqua le 25 avril sur la flotte du commodore Chauncey avec 1700 hommes et débarqua deux jours après dans le voisinage de Toronto. Le général Sheaffe voulut lui barrer le chemin à la tête de 600 hommes, et fut repoussé avec perte. Une division des troupes américaines conduite par le général Pyke, et l'artillerie de la flotte attaquèrent alors les ouvrages qui protégeaient la ville; Pyke allait les aborder lorsque la poudrière sauta et entraîna 200 hommes dans ses ruines avec ce général lui-même. Après cet accident la ville dut se rendre. Le vainqueur y fit un butin considérable. Cette conquête achevée, il se prépara aussitôt à profiter du succès pour aller assiéger le fort George situé à la tête du lac. Dearborn porta ses troupes à Niagara, et renvoya la flotte à Sacketts Harbor chercher des renforts. Il se concerta avec le commodore Chauncey pour attaquer à la fois par eau et par terre le fort défendu par le général Vincent. Après une canonnade de trois jours et un combat livré sous les murailles, le général Vincent ne conservant plus d'espérance et ayant déjà perdu près de 400 hommes en tués, blessés et prisonniers, démantela les fortifications, fit sauter les magasins et se retira à Queenston. Là, il attira à lui les troupes de Chippawa et du fort Erié, détruisit les postes anglais qui restaient encore dans cette partie, puis reprit son mouvement de retraite vers les hauteurs de Burlington, suivi des troupes nombreuses des généraux américains Chandler et Winder. Pendant que ces événemens se passaient dans le haut du lac, le général Prévost était au bas avec sir James L. George Yeo. Il fut résolut entre ces deux chefs de profiter de l'absence de la flotte ennemie, pour attaquer Sacketts Harbor. Prévost s'embarqua avec 1000 hommes sur la flotte de Yeo composée de sept voiles partant 110 canons et d'un grand nombre de bateaux, et parut le 28 mai devant la place. On enleva en arrivant une partie d'un convoi de berges chargées de troupes; mais on fit une faute en ajournant le débarquement au lendemain. On donna le temps à l'ennemi d'appeler à lui des secours des environs et défaire ses préparatifs pour disputer l'approche du rivage. On fut repoussé lorsqu'on voulut y descendre, et il dut aller mettre pied à terre plus loin. On réussit à débarquer malgré un feu très vif et on obligea l'ennemi à se retirer dans les abattis d'arbres qu'il avait préparés. La flotte dont l'appui était nécessaire aux opérations de sir George Prévost, se trouvait dans le moment très en arrière faute de vent. Quoiqu'agir sans elle, c'était beaucoup risquer, les soldats n'élancèrent à la bayonnette pour nettoyer les bois. Ils s'avanceront jusqu'aux ouvrages qui couvraient l'ennemi et qui étaient composés de blockhaus et de batteries que Prévost ne voulut point attaquer sans l'artillerie de la flotte. En effet leur conquête, quand bien même elle eut été possible, eut coûté beaucoup plus de vies qu'elle n'eût valu si l'ennemi eut fait la moindre résistance. Il donna donc l'ordre de la retraite, qui se fit malheureusement avec tant de précipitation que nombre de blessés tombèrent entre les mains de l'ennemi. Les Américains qui n'étaient crus un moment perdus, avaient mis eux-mêmes le feu à leurs magasins de marine, à leurs hôpitaux et à leurs casernes pour prendre la fuite. Tout fut consumé avec les trophées faits à Toronto. Cet échec des armes anglaises qui en était à peine un, était alors vengé par le colonel Harvey. Nous avons vu tout à l'heure que le général Vincent s'était, retiré sur les hauteurs de Burlington suivi de l'armée américaine, qui vint camper près de lui. Harvey lui proposa de la surprendre, et fit agréer son projet par son général, qui lui donna, 700 hommes pour l'exécuter. Harvey tomba sur les Américains dans la nuit du 5 au 6 juin, les chassa 4e leur position, fit prisonniers les généraux Chandler et Winder, et s'acquit beaucoup d'honneur par son audace et son sang froid. Les Américains éprouvèrent encore d'autres échecs. A la fin de juin, un de leurs bataillons s'étant cru cerné par des forces supérieures, se rendit à discrétion au lieutenant Fitzgibbon à quelques milles de Queenston. Dans le mois de juillet les Anglais surprirent encore et brûlèrent Black-Rock où le colonel Bishop paya cet audacieux coup de main de sa vie. Mais en présence des forces navales des deux nations qui se balançaient sur le lac, rien de décisif ne pouvait être entrepris sur terre. Les deux flottes s'évitaient et se recherchaient alternativement selon leur supériorité ou leur infériorité relative du moment. Après plusieurs escarmouches, elles se rencontrèrent enfin le 28 septembre devant Toronto, et après un combat de deux heures sir James L. Yeo fut obligé d'abandonner la victoire au Commodore Chauncey, et d'aller chercher un abri sous les hauteurs de Burlington. A peu près dans le même temps le général Vincent qui investissait le fort George ou s'étaient retirées les troupes surprises à Burlington par Harvey, apprenait la déroute de Proctor à Moravian-Town et devait se retirer sans perdre un instant. Il recueillit les débris des troupes de Proctor et reprit la route de Burlington suivi des généraux américains McClure et Porter, qui ne jugèrent pas à propos de l'attaquer dans ces lignes. On touchait alors à la fin de la deuxième année de la guerre. Où en étaient les parties belligérantes de leurs projets sur la frontière du Haut-Canada? Après une multitude de combats dont la diversité embarrasse, dont le but n'est pas bien défini, le résultat semblait paraître favorable aux armes américaines; mais c'était tout. Si la flotte anglaise avait été forcée d'abandonner le combat sur les lacs, si les Américains s'étaient emparés de la frontière de Niagara, leurs généraux trouvant bientôt leur tache au-dessus de leurs forces, avaient résigné le commandement. Le secrétaire de la guerre avait été changé. Le général Armstrong l'avait remplacé; mais les choses n'en marchèrent pas mieux. Au contraire le succès des armes anglaises dans le Bas-Canada va faire perdre à l'ennemi les avantages qu'il a obtenus dans le Haut, et le rejeter partout sur son territoire à la fin de la campagne avec d'assez grandes pertes. Pour opérer contre le Bas-Canada, il avait résolu de réunir son armée du centre à son armée du nord et de les diriger toutes les deux sur Montréal et de Montréal sur Québec. Le général Wilkinson qui commandait la première, rassembla ses troupes au nombre de 8 à 10,000 hommes à French Creek, à 20 milles au-dessous de Sacketts Harbor sur le St.-Laurent, les embarqua sur des berges et se mit à descendre le fleuve protégé par une flottille et un gros détachement de troupes sous les ordres du général Brown, qui le suivait par terre sur la rive anglaise afin de la nettoyer d'ennemis. Le général de Rottenburgh qui avait cru d'abord l'armée américaine destinée contre Kingston, la fit suivre par le colonel Morrison, avec 800 hommes et quelques chaloupes canonnières. Wilkinson mit pied à terre avec une partie de ses forces au-dessus des rapides du Long Sault, d'où il continua sa route par terre sous la protection d'une arriére-garde commandée par le général Boyd. Mais arrivé à Chrystlers Farm, situé à mi-chemin entre Kingston et Montréal, se voyant pressé de trop près par les troupes anglaises, il résolut de s'arrêter pour leur livrer bataille. Le combat s'engagea le 11 novembre et dura deux heures avec une grande vivacité. Les Américains au nombre de 3000, dont un régiment de cavalerie, furent obligés de céder la victoire à leurs adversaires, qui n'étaient que le quart de ce nombre. Ce fait d'armes qui coûta 4 à 500 tués et blessés aux deux partis, fit beaucoup d'honneur au colonel Morrison et à ses troupes; mais n'empêcha point l'ennemi de continuer sa route. La plus grande partie des forces du général Wilkinson se trouva réunie le lendemain à Cornwall et à St. Régis au pied du Long Sault, où elle s'arrêta en apprenant le résultat de la bataille de Châteauguay et la retraite du général Hampton qui marchait sur Montréal par le lac Champlain. L'armée du nord commandée par Hampton était restée immobile la plus grande partie de l'été. Dans le mois de juillet le colonel Murray avait fait irruption à la tête de 1000 hommes jusque dans son voisinage. Il était parti de l'Ile-aux-Noix sur une petite flottille, avait pénétré dans le lac Champlain où il avait brûlé les casernes, les arsenaux et les édifices publics de Plattsburgh, de Burlington, de Champlain et de Swanton, et était revenu sans accident après avoir répandu la terreur sur la frontière. Dans le mois de septembre Hampton parut vouloir agir, mais il fut arrêté par le colonel de Salaberry chargé de lui disputer l'entrée de l'Acadie avec 600 hommes. Après plusieurs escarmouches, n'osant risquer une action générale dans les bois, les Américains s'étaient retirés à Four Corners, où M. de Salaberry surprit leur camp dans une reconnaissance qu'il faisait avec 200 voltigeurs et 150 Sauvages, et les jeta un moment dans la plus étrange confusion. Mais l'heure était arrivée pour eux d'agir plus sérieusement, afin de former leur jonction avec le général Wilkinson qui descendait. Hampton s'ébranla donc pour marcher en avant. Le chemin de la frontière à l'Acadie traversait un pays marécageux et boisé qui avait été coupé et rendu impraticable par des abattis d'arbres. Hampton pour éviter ces obstacles prit une autre route; il se dirigea vers la source de la rivière Châteauguay, se rapprochant ainsi davantage du corps avec lequel il devait opérer sa jonction. Mais partout on avait prévu son dessein; la route avait été embarrassée et couverte d'ouvrages défensifs, et le général Prévost était avec un corps d'hommes à Cauknawaga prêt à s'opposer à la réunion des deux armées ennemies. A la première nouvelle de sa marche, ce général avait laissé le commandement des forces du Haut-Canada au général de Rottenburgh et était descendu à Montréal pour faire tête à l'orage de ce côté. A son appel toute la milice armée du district s'était ébranlée pour le point menacé, ou se tint prête à partir au premier ordre. Le 21 octobre, l'avant-garde d'Hampton repoussa les postes avancés des Anglais sur la route de Piper à dix lieues au dessus de l'église de Châteauguay. Aussitôt le major Henry qui commandait la milice de Beauharnois en fit informer le général de Watteville, et ordonna aux capitaines Lévesque et Debartzch de se porter en avant avec leurs compagnies et deux cents miliciens de Beauharnais. Ils s'arrêtèrent à deux lieues de là, à l'entrée d'un bois difficile à pénétrer et offrant par conséquent une bonne protection. Ils y furent rejoints le lendemain matin par le colonel de Salaberry avec ses voltigeurs et une compagnie de milice. Le colonel prit le commandement de tous ces corps et remonta la rive gauche de la rivière Châteauguay jusqu'à l'autre extrémité du bois, où il savait qu'il y avait une excellente position défensive entrecoupée de ravins profonds. Il y établit quatre lignes d'abattis, les trois premières à deux cents verges l'une de l'autre, et la quatrième à un demi mille en arrière où elle défendait un gué dont il fallait fermer le passage pour protéger son flanc gauche. Toute la journée fut employée à fortifier ces lignes, dont la première avait la forme d'un angle allongé à la droite de la route et suivait les sinuosités du ravin. Cette position obligeait l'ennemi à traverser un pays inhabité et à s'éloigner de ses magasins, tandis que les troupes chargées de la défense avaient tout ce qu'il fallait près d'elles et se trouvaient fortement appuyées par derrière. La rive droite de la rivière était couverte d'un bois épais. On y jeta un fort piquet pour défendre l'approche du gué. Le colonel de Salaberry fit ensuite détruire tous les ponts à une grande distance en avant de sa position, et abattre tous les arbres entre la rivière et un marais qui se trouvait au-delà de la plaine qu'il y avait devant lui, pour empêcher le passage de l'artillerie dont il savait l'ennemi pourvu. Il fit perfectionner tous ces ouvrages jusqu'au moment où l'ennemi parut. Les travaux exécutés permettaient de lutter contre des forces bien supérieures et furent approuvés par le général de Watteville. On n'avait que 300 Canadiens et quelques Ecossais et Sauvages à opposer aux 7000 Américains qui arrivaient avec Hampton. Mais le colonel de Salaberry était un officier expérimenté et doué d'un courage à toute épreuve. Entré très jeune dans l'armée, il avait servi onze ans dans les Indes orientales, où il avait assisté au fameux siège du fort Matilda par le général Prescott. Quoiqu'à peine âgé de seize ans, il fut chargé de couvrir l'évacuation de la place. Il commanda encore avec distinction une compagnie de grenadiers dans l'expédition de la Martinique en 95. Dans celle de Waleheren en Europe, il était aide-de-camp du général de Sottenburgh. Il débarqua à la tête de la brigade des troupes légères et fut placé dans les postes avancés pendant toute la durée du siège de Flushing. Revenu en Canada comme officier d'état major de Rottenburgh, peu de temps avant la guerre avec les Etats-Unis, sir George Prévost le choisit pour lever un corps de voltigeurs canadiens; tâche qu'il accomplit avec un plein succès. Ce beau corps organisé et discipliné en très peu de temps, se signala par des succès constans devant l'ennemi, qui excitèrent l'émulation des autres milices. Le général Hampton divisa son armée en deux corps. Le premier composé de cavalerie et de fantassins soutenus par 2000 hommes placés un peu plus en arrière, se présenta dans la plaine pour attaquer de front la position des Canadiens sur la rive gauche de la rivière. Le second, formé de 1500 hommes sous les ordres du colonel Purdy, fut chargé d'opérer sur la rive droite pour prendre cette position à dos après avoir franchi le gué dont on a parlé tout à l'heure. Trois compagnies avec quelques miliciens et Sauvages défendaient le front de bataille de Salaberry en avant des abattis qui s'appuyaient à la rivière. Trois autres avec les Ecossais avaient été distribuées entre les lignes derrière les abattis. Hampton porta en avant une forte colonne d'infanterie à la tête de laquelle marchait un officier de haute stature qui s'avança et cria en français aux voltigeurs: «Braves Canadiens, rendez-vous, nous ne voulons pas vous faire de mal.» Il reçut pour toute réponse un coup de fusil qui le jeta par terre et qui fut le signal du combat. Les trompettes sonnèrent et une vive fusillade s'engagea sur toute la ligne. Cette fusillade se prolongeait depuis fort longtemps sans aucun résultat, lorsque le général américain changea ses dispositions pour essayer de percer la ligne anglaise par des charges vigoureuses. Il concentra ses forces et se mit à attaquer tantôt le centre, tantôt une aile, tantôt l'autre des Canadiens, sans que ces nouveaux efforts eussent plus de succès. Reçu vigoureusement partout, il échoua dans toutes ses tentatives et fut finalement obligé de se retirer avec d'assez grandes pertes. Cependant le bruit du combat avait attiré l'attention de la colonne du colonel Purdy qui opérait de l'autre côté de la rivière et qui s'était égarée. Aussitôt que le colonel se fut reconnu et qu'il fut à portée, il commença l'attaque des troupes qui se trouvaient devant lui et qui, accablées sous le nombre, reculaient devant la trop grande supériorité de son feu. C'était au moment où celui de l'autre rive avait presque cessé par la retraite d'Hampton. Salaberry voyant l'action devenir sérieuse sur ce point, alla se mettre à la tête des forces placées en potence le long de la rivière, et dirigea de la voix les mouvemens de celles qui étaient au-delà. Il fit ouvrir sur le flanc de l'ennemi qui s'avançait un feu si meurtrier qu'il le jeta dans le plus grand désordre et l'obligea de se retirer précipitamment. Le combat durait depuis plusieurs heures. Hampton voyant que ses troupes n'avaient pas plus de succès sur une rive que sur l'autre, et croyant les Anglais beaucoup plus nombreux qu'ils ne l'étaient en effet, par la manière dont ils étaient disposés dans leurs ouvrages et dans les éclaircis des bois, prit la résolution d'abandonner la lutte, laissant ainsi 3 à 400 hommes vainqueurs de 7000, après une lutte de quatre heures. Le général Prévost accompagné du général de Watteville arriva sur les lieux vers la fin de l'action; il complimenta les Canadiens sur leur courage, et leur commandant sur ses dispositions judicieuses. Telle était l'ardeur des combattans, que l'on vit des voltigeurs traverser la rivière à la nage, pendant le feu, pour aller forcer des Américains à se rendre prisonniers. Le général Hampton après cet échec, perdit tout espoir de pénétrer en Canada et se retira d'abord avec confusion à Four Corners, harassé par les Canadiens, et ensuite à Plattsburgh où il prit ses quartiers d'hiver. Telle fut la victoire de Châteauguay, qui sans être bien sanglante, vu la petitesse du nombre des Canadiens, eut toutes les suites d'une grande bataille. La nouvelle de la retraite du général Hampton trouva, comme nous l'avons rapporté, l'armée de Wilkinson à Cornwall et à St. Régis sur le St.-Laurent. Ce général convoqua aussitôt un conseil de guerre où il fut résolu que l'attaque de Montréal devait être abandonnée après la retraite de l'aile droite défaite à Châteauguay, et que les troupes rendues à Cornwall, devaient être traversées sur la rive américaine pour y prendre leurs quartiers d'hiver. Ainsi la résistance heureuse de quelques compagnies de milice déterminait la retraite d'une armée de 15 à 16,000 hommes, et faisait échouer le plan d'invasion le mieux combiné qu'eut encore formé la république des Etats-Unis pour la conquête du Canada. Le colonel de Salaberry fut remercié par le général en chef, dans un ordre du jour, par les deux chambres, et décoré par le prince régent. Les milices reçurent des drapeaux en témoignage de leur bonne conduite dans cette affaire. L'invasion du Bas-Canada ayant été repoussée, l'offensive fut reprise aussitôt dans le Haut, que les Américains se préparèrent à évacuer. Le général Drummond qui avait remplacé le général de Rottenburgh, monta à la tête du lac Ontario. A son approche, le général McClure qui avait cru le Haut-Canada abandonné en voyant le général Wilkinson s'avancer vers Montréal, évacua le fort George dans le mois de décembre, et brûla le village de Newark avant de rentrer dans son pays. Le général Drummond résolut de venger cet acte de barbarie inutile. Le colonel Murray à la tête de 5 à 600 hommes surprit le fort Niagara, fit 300 prisonniers et enleva une quantité considérable de canons et d'armes de toute espèce. Le général Riall le suivait avec deux régimens et tous les guerriers indiens de l'ouest pour le soutenir. Riall en représailles de l'incendie de Newark, lâcha la bride à ses troupes et aux Sauvages. Lewiston, Manchester et tout le pays environnant furent brûlés et dévastés. Les petites villes de Black-Rock et de Buffalo furent enlevées après un combat livré dans les rues, et abandonnées aux flammes. Cette expédition dévastatrice termina les dernières opérations de la campagne de 1813, qui fut défavorable en définitive aux armes américaines sur terre comme sur mer. Après plusieurs combats navals particuliers, la république n'ayant pas assez de force pour se mesurer avec son adversaire en bataille rangée sur l'océan, vit ses principaux capitaines succomber, comme le brave Lawrence tué dans le célèbre combat livré entre la Chesapeake et la Shannon, qui prit la première à l'abordage. Les flottes anglaises ravageaient les côtes, détruisaient tous les vaisseaux trouvés dans la baie de Delaware, pillaient et brûlaient les villages répandus sur la rivière Chesapeake, et étendaient leurs ravages jusque sur les côtes de la Virginie, dont les habitans étaient soumis à toutes sortes d'outrages. Les armées qui opéraient sur la frontière du Canada ayant pris leurs quartiers d'hiver, le général Prévost descendit à Québec pour rencontrer les chambres qui se réunirent dans le mois de janvier (1814). Les dissensions entre la branche populaire et le conseil législatif, dont la guerre avait d'abord fait suspendre l'ardeur, reprenaient petit à petit leur vivacité accoutumée. Elles furent plus ardentes dans cette session que dans la précédente, malgré les efforts du gouverneur pour calmer les esprits et pour porter toute l'énergie du côté de la guerre. L'assemblée qui était de bonne intelligence avec lui, vota, sur un message secret, une émission de billets d'armée d'un million et demi pour pourvoir aux dépenses militaires. Le bill des juges fut repris par l'assemblée et rejeté par le conseil ainsi que ceux pour imposer les offices publics pendant la guerre et nommer un agent auprès du gouvernement impérial. Stuart ramena encore sur le tapis la question des règles de pratique. Quoique fort importante en elle même puisqu'elle affectait l'administration de la justice, elle n'intéressait guère que le barreau. Le peuple y faisait à peine attention. Stuart accusa cette fois formellement le juge Sewell d'avoir cherché à renverser la constitution pour y substituer une tyrannie arbitraire; d'avoir violé la loi et l'autorité du pouvoir législatif en imposant ses règles de pratique, et en mettant sa volonté à la place de la justice comme président de la cour d'appel; d'avoir induit le gouverneur Craig à dissoudre la chambre en 1809, et à lui faire prononcer un discours insultant pour la représentation; de l'avoir fait destituer lui-même de sa place de solliciteur-général pour la faire donner à son frère, M. Etienne Sewell; d'avoir fait retrancher du rôle des officiers de milice le président de la chambre, M. Panet; d'avoir conseillé la violation de la liberté de la presse en faisant saisir le _Canadien_ et emprisonner son imprimeur; d'avoir violé la liberté de la chambre et des élections en faisant emprisonner MM. Bédard, Blanchet, Taschereau, trois de ses membres, et M. Corbeil sous accusation de trahison, enfin d'avoir employé l'aventurier John Henry pour engager une portion des Etats-Unis à se soulever contre le gouvernement de cette république et à former alliance avec le Canada afin d'en changer la constitution et les lois. Le juge Monk de Montréal fut accusé en même temps de diverses malversations. Tous ces faits graves et vrais pour la plupart, furent renfermés d'abord dans des résolutions et ensuite dans une adresse au roi, adoptées à de grandes majorités. Stuart lui-même fut nommé pour aller les soutenir à la place de M. Bedard, qui avait été choisi d'abord, mais dont la nomination à une place de juge rendait maintenant l'absence impossible. Le gouverneur promit de transmettre les accusations à Londres, en informant en même temps les représentans qu'il ne pouvait suspendre les juges, parce qu'ils n'étaient accusés que par une seule chambre. Le juge Sewell passa en Angleterre pour se défendre. Stuart ne put y aller faute de fonds, le vote d'argent nécessaire pour payer ses frais ayant été rejeté par le conseil comme on devait s'y attendre. Le gouverneur fut alors prié d'envoyer un autre agent à sa place, ce qu'il promit de faire aussitôt que l'on aurait pourvu aux dépenses de sa mission. Les graves accusations portées contre les deux principaux juges du pays, n'eurent aucune suite. Le juge Sewell rendu à Londres non seulement se justifia, mais aidé de l'influence du prince Edouard qui l'avait connu en Canada, conquit les bonnes grâces de lord Bathurst, à tel point que ce ministre le recommanda fortement à son retour à sir J. C. Sherbrooke. M. Sewell, lui disait-il, a eu des rapports avec moi sur les intérêts de la province; je l'ai toujours trouvé très versé dans les affaires du Canada. Je le recommande d'une manière toute particulière à votre attention comme un homme qui pourra vous être très utile, et dont le jugement et la discrétion égalent les lumières et les talens.[14] [Note 14: Lord Bathurst à sir J. C. Sherbrooke partant pour le Canada, 6 mai 1816.] M. Sewell était en effet un homme poli, grave, souple, capable de jouer le rôle qui convenait à la politique du ministère. Quoique ce fût l'ennemi le plus dangereux des Canadiens, il se montrait très affable à leur égard, et rendait avec une affectation marquée le moindre salut du dernier homme de ce peuple. Il fallait à la politique d'Angleterre un homme qui se chargea de la voiler en prenant la direction du parti opposé aux représentants. Il la dirigea jusqu'à la fin de sa vie dans les deux conseils, dans le conseil législatif surtout, où vinrent échouer presque toutes les mesures populaires. Il n'avait pas trouvé, pendant qu'il était en Angleterre, de moyen plus efficace pour se venger des accusations portées contre lui, que de recommander l'union de toutes les provinces anglaises de l'Amérique du nord, sous un seul gouvernement. Il pressa fortement le prince Edouard d'engager les ministres à adopter la projet qui devait noyer la population française; il lui en écrivit, et l'on trouve à la fin du rapport de lord Durham sur les affaires du Canada, la lettre du prince par laquelle il l'informe qu'il en parlera au ministre à la première occasion. M. Sewell suggérait d'établir une chambre de 30 membres pour les cinq ou six provinces, et en transmettant son mémoire au prince il lui recommandait de le donner à lord Bathurst sans lui dire d'où il venait. Lorsque l'union des deux Canadas s'est enfin consommée, quel plaisir a dû en ressentir la vengeance du vieillard, car alors le juge Sewell était bien âgé, en voyant ce peuple qu'il haïssait tant, condamné enfin à périr sous une nationalité étrangère. La session ne fut pas plutôt finie que le général Prévost s'occupa des préparatifs de la prochaine campagne. Un bataillon d'infanterie et des matelots pour la marine des lacs arrivèrent dans l'hiver du Nouveau-Brunswick. Le gouverneur reçut avec une grande pompe au château St.-Louis une grande ambassade des chefs de neuf à dix nations sauvages des pays de l'ouest. Elle protesta de la fidélité des nations qu'elle représentait malgré leurs pertes au feu. Elle demanda des armes pour combattre et des vêtemens pour leurs femmes et leurs enfans. «Les Américains, dirent-ils, prennent tous les jours nos terres; ils n'ont pas d'âme; ils n'ont aucune pitié pour nous; ils veulent nous chasser vers le couchant.» Le gouverneur les exhorta à persévérer dans la lutte. Il exprima tous ses regrets de la mort de Técumseh et de leurs autres chefs, et les renvoya comblés de présens. La défaite des Américains à Châteauguay ne leur avait pas fait perdre entièrement l'espoir de s'établir dans le Bas-Canada, sur lequel ils firent une nouvelle tentative vers la fin de l'hiver. Le dégel ayant été plus précoce que de coutume, le général Macomb avec une division, partit de Plattsburgh, traversa le lac Champlain sur la glace et s'avança jusqu'à St.-Armand, où il attendit celle du général Wilkinson qui devait diriger une attaque sur Odeltown et le moulin de Lacolle. Les deux corps s'étant réunis, Wilkinson entra à Odeltown à la tête de 5000 hommes sans coup-férir. De là il marcha le 30 mars contre le moulin de Lacolle, défendu par les voltigeurs, les sencibles et d'autres troupes. Mais après l'avoir canonné deux heures et demi inutilement, voyant ses troupes épuisées de froid et de fatigue, il prit le parti de la retraite et retourna à Plattsburgh. Ce nouvel échec fit changer à l'ennemi le plan de ses opérations dans la campagne qui allait s'ouvrir. Il abandonna ses attaques contre le Bas-Canada, pour porter tous ses efforts contre le Haut, dont l'invasion offrait plus de facilité. Mais ce plan qui présentait moins de danger, laissait aussi moins de résultat. Jusqu'à présent toutes ses entreprises n'avaient abouti qu'à des défaites ou des succès éphémères, qui avaient coûté quelque fois beaucoup de sang, entraîné beaucoup de ravages sans avancer le but de la guerre. Les Américains retirèrent leurs principales troupes de la frontière du lac Champlain et les portèrent sur le lac Ontario, pour les mettre en mouvement aussitôt que leur flotte de Sacketts Harbor pourrait opérer avec elles. Les magasins de cette flotte étaient à Oswégo. Le général Drummond qui commandait dans le Haut-Canada, résolut de s'en emparer pour retarder son départ. Il s'embarqua avec un gros corps de troupes de toutes armes à Kingston, parut devant Oswégo le 5 mai, et prit et incendia le lendemain après un combat assez vif, le fort et les magasins. Mais l'ennemi avait eu la précaution de transporter d'avance la plus grande partie des objets de marine à quelques milles plus haut sur la rivière, de sorte que le but de l'expédition ne put être entièrement atteint. Après cette course il alla prendre le commandement des troupes placées à la tête du lac. En les disposant il fit la faute de trop les disperser, de manière qu'il fallait quelques heures pour en réunir un nombre capable d'offrir une résistance sérieuse. Les généraux américains Scott et Ripley, placés sur la rive opposée, résolurent d'en profiter. Ils traversèrent le fleuve avec 3000 hommes et surprirent le fort Erié. Le lendemain le général Brown se mettant à la tête de cette troupe marcha sur le camp fortifié du général Riall à Chippawa, un peu au-dessus de la chute de Niagara. Les Anglais, quoique plus faibles en nombre, sortirent de leurs lignes pour livrer bataille en rase campagne. La lutte se prolongea longtemps; mais après avoir vainement essayé de rompre l'ennemi, Riall fut ramené avec de grandes pertes et obligé d'abandonner vers le soir le terrain couvert de morts à la supériorité du vainqueur. Il se retira d'abord dans ses retranchemens, qu'il abandonna ensuite après avoir jeté des détachemens dans les forts George, Niagara et Mississaga, et rétrograda vers les hauteurs de Burlington. Le général Brown suivit Riall jusqu'à Queenston, puis se retira vers Chippawa. Riall remarcha aussitôt en avant, ce que voyant, le premier s'arrêta tout-à-coup à Lundy's Lane, près du dernier champ de bataille, pour lui offrir de nouveau le combat. Riall qui n'était pas disposé à recommencer, se préparait à reculer pour la seconde fois lorsqu'il fut rejoint par le général Drummond avec 800 hommes de renfort. Drummond prit le commandement et contremanda la retraite; mais il fut attaqué à l'improviste avant d'avoir pu faire toutes ses dispositions. Sa gauche après diverses vicissitudes fut obligée de céder; elle recula en bon ordre et alla se former en potence le long du chemin, appuyée sur le centre placé sur une hauteur. Le centre tenait bon contre Brown, qui faisait en vain les plus grands efforts pour s'emparer des batteries qui couronnaient cette hauteur. Les artilleurs anglais se faisaient bayonnetter sur leurs pièces par l'ennemi, qui fit avancer ses canons jusqu'à quelques pas seulement des canons anglais. L'obscurité de la nuit qui était alors venue occasionna plusieurs méprises. Ainsi les deux partis échangèrent quelques pièces de canon au milieu de la confusion, dans les charges qu'ils faisaient alternativement l'un contre l'autre. A neuf heures le feu cessa un instant. Le reste des forces américaines rentra en ligne dans le même temps qu'un surcroît de 1200 hommes arrivait à marche forcée pour augmenter l'armée anglaise. Ainsi renforcé des deux côtés, l'on recommença ce combat nocturne avec plus d'acharnement que jamais, et on le continua jusqu'à minuit que les Américains désespérant d'emporter la hauteur, abandonnèrent enfin le champ de bataille pour se retirer dans leur camp au-delà de la rivière Chippawa. L'action avait commencé à 6 heures du soir, de sorte qu'elle avait duré prés de six heures. Dans l'obscurité le général Riall qui avait été grièvement blessé en voulant gagner le derrière du champ de bataille, tomba au milieu de la cavalerie ennemie et fut fait prisonnier. Le lendemain les américains jettèrent la plus grande partie de leurs bagages et de leurs vivres dans la chute, mirent le feu à Street Mills, détruisirent le fort de Chippawa et retraitèrent vers le fort Erié. La perte des deux côtés était considérable. Le général Drummond avait été gravement blessé au cou, mais il l'avait caché à ses troupes, et était resté sur le champ de bataille jusqu'à la fin de l'action. Le nombre des tués et des blessés s'éleva à 7 à 800 hommes de chaque côté, outre plusieurs centaines de prisonniers que les Américains laissèrent entre les mains du vainqueur. Les Anglais après avoir reçu tous leurs renforts comptaient 2800 hommes; les ennemis 5000. La milice du Haut-Canada montra la plus grande bravoure. «Rien, dit un écrivain, ne pouvait être plus terrible ni plus imposant que ce combat de minuit. Les charges désespérées des troupes étaient suivies d'un silence funèbre, interrompu seulement par le gémissement des mourans et le bruit monotone de la cataracte de Niagara; c'est à peine si l'on pouvait discerner au clair de la lune les lignes des soldats à l'éclat de leurs armes. Ces instans d'anxiété étaient interrompus par le feu de la mousqueterie et la répétition des charges que les troupes britanniques, réguliers et miliciens, recevaient avec une fermeté inébranlable.» Les généraux américains Brown et Scott ayant été blessés, le commandement échut au général Ripley, qui se retrancha au fort Erié, où Drummond vint ensuite l'attaquer. Il fit d'abord canonner les retranchemens par son artillerie, et lorsqu'il crut la brèche praticable, il forma ses troupes en trois colonnes pour attaquer le centre et les deux extrémités à la fois. Il les mit en mouvement dans la nuit du 14 août. La colonne commandée par le colonel Fischer et formée des Watteville, atteignit son point d'attaque deux heures avant le jour, et s'empara des batteries ennemies malgré un échec inattendu qui jeta le corps qui devait la soutenir dans le plus grand désordre. Les deux autres colonnes montèrent à l'assaut en attendant le feu de celle de Fischer, et après une vive résistance réussirent à pénétrer dans le fort qui était au centre des retranchemens, par les embrasures du demi bastion. L'ennemi se retira alors dans un bâtiment en pierre: d'où il continuait à se défendre avec vigueur contre les canons du bastion retournés contre lui, lorsqu'une explosion soudaine enveloppa dans une ruine commune tous les soldats du fort. Au bruit de cette catastrophe une terreur panique s'empara des trois colonnes assaillantes, qui posèrent les armes ou prirent la fuite poursuivies par les Américains. Près de 1000 Anglais furent tués, blessés ou faits prisonniers, tandis que l'ennemi ne perdit pas 80 hommes. Après ce désastre, Drummond se retira dans ses lignes, où il resta jusqu'au 17 septembre que les Américains, à la nouvelle de la victoire remportée par leur flotte sur le lac Champlain et de la retraite du général Prévost, firent une sortie avec un gros corps de troupes à la faveur d'un orage et détruisirent les ouvrages avancés des Anglais. La perte fut encore ici de cinq à six cents hommes de chaque côté, dont la plus grande partie prisonniers. Après ce nouveau choc, la maladie commençant à se mettre parmi les troupes, et le général américain Izard s'avançant de Plattsburgh avec des renforts, Drummond jugea à propos de lever son camp et de retourner à Chippawa. C'était dans le moment où la malheureuse, issue de l'expédition de Plattsburgh, servait de prétexte aux accusations les plus graves contre Prévost. Ce gouverneur que le parti anglais détestait parcequ'il paraissait montrer plus d'égards aux Canadiens que ses prédécesseurs, devait être la cause de tous les malheurs qui arrivaient. Il ne voulait pas voir dans sa conduite le résultat des instructions qu'il avait reçues des ministres, pour obtenir d'un peuple, jusque-là presque frappé d'ostracisme, le sacrifice de son sang et de son argent. Il jugea plus politique de le croire le seul fauteur de ces égards odieux, et feignit de le haïr d'autant plus qu'il paraissait malheureux dans ses entreprises. Forcé de se taire dans le bruit des armes et devant le zèle des Canadiens qu'il avait toujours représentés comme un peuple peu sûr, il ne put se retenir plus longtemps, et saisit pour recommencer ses clameurs l'occasion d'un événement dont il n'était pas la cause. En effet l'expédition de Plattsburgh avait été entreprise sur l'ordre des ministres, que l'abdication de Napoléon et la paix européenne mettaient à même d'employer de plus grandes forces en Amérique. 14,000 hommes de l'armée de Wellington avaient été embarqués en France et débarqués à Québec dans les mois de juillet et août. Ces troupes avaient été acheminées aussitôt vers la frontière du lac Champlain et vers le Haut-Canada. La division envoyée dans le Haut-Canada était commandée par le général Kempt, excellent officier de la guerre espagnole, et avait ordre d'attaquer Sackett's Harbor si une occasion favorable se présentait. Le commandement de la flottille du lac Champlain fut donné au capitaine Downie appelé du lac Ontario. Un gros renfort de matelots fut tiré des deux vaisseaux de guerre qui étaient à Québec pour compléter l'équipage de cette flottille. L'armée anglaise destinée à agir contre Plattsburgh, se concentra entre Laprairie et Chambly. Le général Wilkinson qui commandait l'armée américaine du lac Champlain, fut remplacé par le général Izard après son échec à Lacolle. Les événemens d'Europe obligeaient l'ennemi à changer de tactique et à se renfermer dans la défensive. Il prévoyait déjà la nécessité de faire une paix prochaine, pour ne pas avoir toute les forées de l'Angleterre sur les bras. Le général Izard partit dans le mois d'août avec 5000 hommes pour aller renforcer, à la tête du lac Ontario, l'armée du fort Erié. Il laissa 1500 soldats seulement à Plattsburgh. C'était inviter les Anglais à précipiter leur attaque. Prévost mit son armée en branle. Il traversa la frontière à Odeltown, occupa Champlain le 3 septembre et le camp retranché abandonné par l'ennemi sur la rivière Chazy, puis marcha de là en deux colonnes sur Plattsburgh, repoussant devant lui de nombreux corps de milice. Il atteignit cette petite ville le 6. Le colonel Bayard avec la moitié du régiment de Meuron chassa de la partie de Plattsburgh située au nord de la rivière Saranne les Américains qui se retirèrent sur la rive opposée, d'où ils se mirent à tirer à boulets rouges et incendièrent plusieurs maisons. Les Meurons firent un riche butin. La cavalerie américaine qui était magnifique combattait à pied. On voyait au télescope la longue file de leurs chevaux attachés au piquet. L'infanterie alla occuper les hauteurs que couronnaient trois fortes redoutes, des blockaus armés de grosse artillerie et d'autres ouvrages de campagne. La flottille ennemie du commodore MacDonough s'éloigna hors de la portée de nos canons. La flottille anglaise du capitaine Downie suivait à quelque distance le mouvement du général Prévost. Ce général fit préparer ses batteries pour l'attaque en attendant l'approche de Downie, dont la coopération était nécessaire aux troupes de terre. En arrivant Downie, profitant du vent, engagea à la vue de toute l'armée qui était sous les armes le combat avec la flottille ennemie. Mais la frégate qu'il montait s'étant trop avancée se trouva exposée au feu de deux batteries et d'une frégate américaines. A la première décharge, Downie fut tué avec plusieurs de ses officiers, sa frégate s'ensabla et le feu porta la mort sur ses ponts encombrés d'hommes. La lutte se prolongea ainsi deux heures avec le reste de la flottille, au bout desquelles le capitaine Pring qui avait pris le commandement, fut obligé d'amener son pavillon. Les Anglais ne sauvèrent que sept à huit chaloupes canonnières qui avaient pris la fuite au début de l'action. Prévost en voyant Downie engager le combat, avait ouvert le feu de ses batteries et disposé ses troupes en colonnes pour monter à l'escalade. Une colonne devait forcer le pont jeté sur la rivière qui traverse Plattsburgh et attaquer les ouvrages ennemis de front; une autre devait défiler derrière le camp pour cacher sa marche, traverser la Saranac à un gué qu'on avait reconnu plus haut, et prendre les ouvrages à revers. Les colonnes s'ébranlèrent. Bientôt l'on se battit sur terre comme sur eau. Les chasseurs canadiens étaient à la tête et s'exposèrent sans nécessité. Les obstacles à vaincre étaient nombreux. Le combat ne faisait pas de progrès et les assaillans étaient repoussés ou contenus, lorsque l'armée américaine qui voyait ce qui se passait du sommet de ses ouvrages, poussa des cris de triomphe à la victoire de MacDonough, qui parvinrent jusqu'à la colonne du général Robinson. Cette colonne avait manqué le gué de la rivière et s'était égarée. Robinson inquiet de ce bruit, envoya au quartier général pour en savoir la cause et demander des ordres. Prévost voyant l'issue du combat naval et l'inutilité d'un plus long sacrifice d'hommes, pour s'emparer d'une position qu'il aurait fallu abandonner après la perte de la flottille, lui fit dire de revenir. En effet sans la possession du lac, le but de la campagne était manqué. Il fit retirer partout les colonnes d'attaque, cesser le feu, et se prépara à lever son camp pour rentrer en Canada avec toute son armée, avant que le général Macomb dont les forces augmentaient à chaque instant par l'arrivée des nombreux renforts que les vaisseaux victorieux portaient où il était nécessaire, put être en état de l'attaquer sérieusement dans sa retraite. On disait même déjà que les milices de Vermont allaient traverser le lac. Si Prévost se fut avancé davantage, il aurait probablement eu le sort de Burgoyne. Tout le long du lac, les Américains aidés de leurs chaloupes canonnières, pouvaient détruire ses troupes, le chemin étant près du rivage et dans un état affreux. Après avoir envoyé les blessés en avant et fait démonter les batteries, il ordonna aux troupes de battre en retraite. Elles s'ébranlèrent dans la nuit au milieu d'une pluie qui n'avait pas cessé depuis le commencement de la campagne. Le désordre et la confusion se mirent malheureusement dans leurs rangs. Nombre de blessés et de traînards tombèrent entre les mains de l'ennemi avec presque toutes les munitions de guerre et de bouche, la comptabilité générale, les rôles des troupes, les équipages. La perte fut énorme, parce qu'on avait fait des préparatifs pour passer l'hiver à Plattsburgh. Elle aurait été bien plus grande si toute l'armée américaine s'était mise à la poursuite des Anglais. Plusieurs centaines de soldats désertèrent dès le début de ce mouvement rétrograde. Telle fut l'expédition de Plattsburgh. Elle fut dictée par le cabinet de Londres et eut le succès des plans formés à mille lieues de distance. L'armée de Prévost était trop faible pour pénétrer bien avant dans les Etats-Unis et y remporter des avantages réels; elle était trop forte pour une simple excursion. Au reste la flotte qui devait l'appuyer et sans laquelle elle ne pouvait agir, était trop faible. C'était une base que le moindre choc pouvait renverser, et c'est ce qui arriva. Le reste s'affaissa sous son propre poids. Prévost qui en fut la victime n'en était que l'instrument. Son malheur fut de s'être montré trop obéissant à des ordres imprudens. Cependant tandis que l'on perdait la suprématie du lac Champlain, l'on reprenait celle du lac Ontario. Un vaisseau de 100 canons venait d'y être achevé; sir James L. Yeo fit voile de Kingston pour le haut du lac avec une flotte et des renforts de troupes. Le commodore Chauncey avec la flotte américaine fut obligé à son tour de se renfermer à Sackett's Harbor et de laisser triompher les Anglais, qui allaient maintenant envahir les Etats-Unis de tous les côtés, du côté de l'océan surtout où leurs déprédations et leurs descentes allaient rappeler les excursions des Normands sur les côtés des Gaules et de la Bretagne dans le 9e et le 10e siècle. Tant que la guerre contre Napoléon avait été douteuse, l'Angleterre s'était bornée suivant son plan, à la défensive en Amérique, pour fournir à la coalition européenne ses plus grandes forces. Le duc de Wellington que le ministère consultait sur toutes les opérations militaires de l'empire, avait recommandé ce système. «Je suis bien aise de voir, écrivait-il au commencement de 1813, à lord Bathurst, que vous allez renforcer sir George Prévost; j'espère que les troupes arriveront à temps, que sir George ne se laissera pas entraîner par l'espérance d'avantages de peu de conséquence, et qu'il suivra un système défensif vigoureux. Il peut être sûr qu'il ne sera pas assez fort en hommes ni en moyens pour se maintenir dans toute conquête qu'il pourrait faire. La tentative ne ferait que l'affaiblir, et ses pertes augmenteraient l'ardeur et l'espérance de l'ennemi, si même elles n'étaient pas suivies de conséquences pires; tandis que par l'autre système, il jettera les difficultés et les risques sur les Américains, et ils seront très probablement, défaits.[15] [Note 15: Gurwood: Wellington's dispatches Vol. X, p. 109.] Mais la fin de la crise européenne permettait maintenant d'expédier des renforts en Canada, et d'envoyer des flottes et des troupes pour faire des débarquemens sur les côtes des Etats-Unis le long de l'Atlantique, qui les forceraient à retirer leurs troupes des frontières canadiennes et à faire la paix. Leurs principaux ports furent bloqués depuis la Nouvelle-Ecosse jusqu'au Mexique. Des corps considérables de troupes furent mis sur les flottes pour attaquer les principaux centres de la république. Washington et la Nouvelle-Orléans furent les deux points, au centre et au sud, où l'on fit agir les plus grandes forces sous les ordres des généraux Ross et Packenham. Plattsburgh était le point au nord. Ces entreprises par la manière dont elles étaient distribuées devaient faire beaucoup de mal à l'ennemi. La baie de Chesapeake était un des principaux points d'attaque. On avait déjà fait de fréquentes descentes dans ces parages. Dans le mois d'août le général Ross débarqua avec 5000 hommes à Benedict et s'avança vers Washington. Le commodore Harney brûla sa flottille à son approche dans la rivière Pautuxet, et ayant rallié la milice à ses marins, voulut arrêter les Anglais à Bladensburg, où il fut culbuté et lui-même fait prisonnier. Ross continuant son chemin, prit Washington sans coup-férir, brûla le capitole ainsi que les édifices publics, puis regagna ses vaisseaux. Dans le même temps une partie de la flotte entrait dans le fort d'Alexandrie sur la rivière Potomac, et se faisait livrer par les habitans les vaisseaux et les marchandises qui s'y trouvaient, pour éviter le pillage et l'incendie de leur ville. Après son expédition de Washington, le général Ross alla débarquer à North Point à 14 miles de Baltimore, et marchait sur cette ville lorsqu'il fut tué dans une escarmouche. Le colonel Brooke le remplaça, battit le général américain Stricker et s'avança jusqu'aux ouvrages que les ennemis avaient élevés en face de la ville, pendant que la flotte qui le suivait bombardait inutilement le fort McHenry. Le lendemain Brooke voyant les Américains trop bien fortifiés dans leurs lignes pour être attaqués avec avantage, prit le parti de se retirer. Pendant ce temps là les escadres qui bloquaient les ports de New-York, New-London et Boston, enlevaient de nombreux navires et faisaient subir des pertes immenses au commerce américain. Les états du Sud n'étaient pas plus exempts que ceux du centre de ces irruptions dévastatrices. Dans le mois d'août, les Anglais prirent possession des forts espagnols de Pensacola du consentement des autorités, et préparèrent une expédition pour s'emparer du fort de Bowger qui commandait l'entrée de la baie et du havre de la Mobile. Le général Jackson après des remontrances inutiles au gouverneur espagnol, marcha sur Pensacola, prit cette ville d'assaut, et força les Anglais d'évacuer la Floride. C'est à son retour que la Nouvelle-Orléans se trouva menacée et qu'on se hâta d'armer la milice, de proclamer la loi martiale et d'élever des fortifications pour protéger la ville. L'escadre anglaise portant l'armée du général Packenham, destinée à agir contre elle, entra dans le lac Borgne le 10 décembre et battit ou prit une escadrille de chaloupes canonnières. Packenham débarqué, livra à son tour un combat nocturne d'avant-garde, le 22, à trois lieues de la Nouvelle-Orléans, puis s'avança vers les retranchemens élevés à 4 miles au-dessous de la ville pour la protéger. Ces retranchemens formés de balles de coton étaient défendus par 6000 hommes, les meilleurs tireurs du pays, appuyés de batteries montées sur les points les plus favorables. Packenham forma 12,000 soldats en colonnes et se mit en mouvement. Les colonnes marchèrent à l'assaut avec une parfaite régularité. Lorsqu'elles furent à portée, les batteries américaines ouvrirent leur feu sur elles sans les ébranler. Elles se resserraient à chaque vide que les boulets faisaient dans leurs rangs comme la garde de Napoléon à Waterloo, et continuaient toujours à avancer. Elles arrivèrent ainsi sous le feu de la mousqueterie. Six mille fusils se penchèrent alors sur elles en se réunissant à l'artillerie, et portèrent les ravages et la mort dans leurs rangs. Les décharges les plus meurtrières se succédaient avec d'autant plus de précision que les Américains étaient à couvert. En un instant les colonnes compactes des Anglais furent écrasées. Elles voulurent en vain conserver leur ordre; les tués et les blessés les embarrassaient en tombant. Elles chancelèrent et dès lors tout fut perdu; elles tombèrent dans une confusion effroyable. Le général Packenham fut tué en cherchant à les rallier. Les généraux Gibbs et Keene furent blessés, le premier à mort. Le soldat ne voulut plus écouter la voix des chefs, et toute l'armée prit la fuite en masse laissant le terrain jonché de cadavres. Le général Lambert à qui revenait le commandement, incapable d'arrêter le torrent, le laissa s'écouler vers le camp où les troupes effrayées se remirent petit à petit de leur trouble. Elles avaient laissé 700 tués et plus de 1000 blessés sur le champ de bataille. La perte de l'ennemi n'était que de 7 tués et 6 blessés, différence qui est la condamnation la plus complète de Packenham en attaquant avec trop de précipitation des retranchemens dont il ne paraissait pas connaître la force, et qui justifiait la prudence du général Prévost en ne risquant point une attaque inutile à Plattsburgh. Cette victoire qui remplit les Etats-Unis de joie, et quelques exploits sur mer, précédèrent de peu de temps le rétablissement de la paix. Ces succès rendirent le cabinet anglais moins exigeant, et permirent aux Américains de négocier avec plus de dignité, le parti opposé à la guerre pouvant maintenant lever la tête sans trop blesser l'amour propre national. Ce parti embrassait une grande portion du parti fédéral, dont la grande majorité appartenait aux états de la Nouvelle-Angleterre; à ces états qui avaient commencé la révolution et conquis l'indépendance. Ces anciennes provinces de tout temps plus ou moins jalouses des nouvelles, qui oubliaient souvent ce qu'elles devaient à leurs aînées, n'avaient point cessé depuis la guerre de se plaindre que le gouvernement général ne leur accordait point une protection proportionnée à la part qu'elles payaient des frais de la guerre. L'Angleterre qui connaissait leurs sentimens, faisait ravager leurs côtes exprès pour leur faire désirer plus vivement la cessation des hostilités. Vers la fin de 1814 des délégués nommés par les législatures du Massachusetts, du Connecticut, de Rhode-Island et par une portion du Vermont et du New Hampshire, s'assemblèrent en convention à Hartford pour prendre en considération l'état du pays. Cette convention fut dénoncée dans les termes les plus sévères par les amis du gouvernement général. Elle fut flétrie comme une trahison commise au préjudice de la république entière, et comme un appât aux projets de l'ennemi. Ces querelles agitèrent profondément la nation et influencèrent beaucoup les résolutions du gouvernement fédéral pour la paix. Dès le mois d'août les commissaires des deux nations s'assemblèrent à Gand, en Belgique, pour en discuter les conditions, et signèrent le 24 décembre un traité fort honorable pour la Grande-Bretagne. Il stipulait la restitution réciproque de toutes les conquêtes faites l'un sur l'autre par les deux nations, sauf les îles de la baie de Passamaquoddy dont la propriété devait rester _in statu quo_, et abandonnait la question des frontières du Canada et du Nouveau-Brunswick à la décision des commissaires qui seraient nommés par les deux gouvernemens. Les Etats-Unis adoptèrent aussi dans le traité cette disposition si incompatible avec l'esclavage qui règne dans une grande portion de leur territoire, que comme la traite des esclaves est inconciliable avec les principes de la justice et de l'humanité, et que les deux gouvernemens désirent continuer à travailler à son abolition, ils feront tous leurs efforts pour atteindre un but si désirable. Le silence fut gardé sur le principe que le pavillon couvre la marchandise et sur le droit de visite. Le traité de Gand ne dut pas satisfaire l'amour propre des républicains américains, car en n'obtenant rien de ce qu'ils avaient voulu acquérir par la guerre, ils se reconnaissaient incapables de se le faire donner de force. Leur erreur était d'avoir attendu trop tard pour prendre les armes. La compagne de Russie devait commencer la décadence de Napoléon, assurer le triomphe final de l'Europe sur lui, et laisser l'Angleterre libre d'agir en Amérique. Depuis longtemps l'empereur français pressait les Américains de prendre les armes. Il savait que depuis leur révolution, ils convoitaient les provinces anglaises qui le dos au nord pèsent sur eux de tout leur poids dans toute la largeur du continent. Mais ils mirent tant de lenteur à se décider, qu'ils s'ébranlèrent au moment où leur gigantesque allié commençait à pencher vers sa ruine. Le vrai motif de la guerre était la conquête du Canada, le prétexte le principe que le pavillon couvre la marchandise et le droit de visite. Ce prétexte subsiste encore. L'Angleterre fit une faute de ne pas le faire disparaître; car sa faiblesse en Amérique augmente tous les jours proportionnellement avec la marche ascendante des Etats-Unis. Deux choses contribuent à cette faiblesse relative, l'inégalité numérique croissante de la population et surtout le vice fondamental du gouvernement colonial, dont le point d'appui est à 1000 lieues de distance, dans un autre monde, dans un autre monde qui a une organisation sociale et politique totalement différente, et dont la population devient de jour en jour plus étrangère d'idées et d'intérêts à la colonie. Aussi Alison avoue-t-il que le traité de Gand doit-être regardé plutôt comme une longue trêve que comme une pacification finale. La question de la frontière du Maine resta indécise avec la propriété d'un territoire aussi étendu que celui de l'Angleterre. Les Etats-Unis profitant du levain laissé dans l'esprit des colons canadiens à la suite des événemens de 1837, insistèrent pour qu'on en finit une bonne fois, et obtinrent presque tout ce qu'ils demandaient par le traité d'Ashburton. Le droit de visite fera sans doute renaître les difficultés, car il est incompatible avec la dignité d'une nation libre, et encore moins avec les intérêts commerciaux des Etats-Unis dont les victoires à la fin de la guerre ont satisfait l'amour propre national et excité l'ambition future. Les triomphes de Plattsburgh et de la Nouvelle-Orléans ont fait oublier la bataille de Châteauguay et la retraite de l'armée américaine à la suite des combats perdus dans le Haut-Canada. Le traité qui mit fin à la guerre de 1812 fut accueilli avec joie dans les deux Canadas, mais surtout dans le Haut, où la guerre avait été une suite d'invasions cruelles et ruineuses pour le pays. Il ne fut pas moins bien reçu d'une grande partie des Etats-Unis, surtout de ceux qui bordent la mer. La guerre avait presqu'anéanti le commerce extérieur de la république, qui s'élevait avant les hostilités à un chiffre énorme. Ses exportations étaient de 22 millions sterling, et ses importations de 28,000,000, le tout employant 1,300,000 tonneaux de jaugeage. Deux ans après, en 1814, elles étaient déjà tombées les premières à 1,400,000 et les dernières à moins de trois millions. Deux ou trois mille vaisseaux de guerre et de commerce plus ou moins gros avaient été enlèves par les Anglais, qui malgré les grandes pertes qu'ils avaient faites eux-mêmes, étaient sûrs de ruiner la marine américaine avant d'épuiser la leur, dont la force était immensément supérieure. Le trésor de la république provenant en grande partie de droits de douane, s'était trouvé par là même épuisé en un instant; il avilit fallu recourir à des impôts directs et à des emprunts qui s'élevèrent en 1814 à 20 millions et demi de piastres, somme énorme pour une nation dont la totalité du revenu montait seulement à 23 millions en temps, ordinaire. Les deux tiers des marchands étaient devenus insolvables, et les états du Massachusetts, du Connecticut et de la Nouvelle-Angleterre allaient prendre des mesures pour demander leur séparation de l'union et une indépendance séparée lorsque arriva la paix. La guerre de 1812 causa aussi de grandes pertes au commerce anglais. Les Etats-Unis qui tiraient pour 12 millions de marchandises des îles britanniques, s'arrêtant tout à coup, génèrent ses manufactures, qui durent renvoyer leurs ouvriers dont la misère devint excessive. Il est vrai que bientôt le nord de l'Europe et l'Italie, affranchis des armées françaises après la campagne de Russie, purent offrir une compensation dans les marches que ces pays ouvrirent à son activité. Mais la nécessité rendit les Américains manufacturiers à leur tour, et une fois les manufactures montées chez eux, elles restèrent et leurs produits continuent aujourd'hui à y remplacer une partie de ceux de l'étranger. Tel fut le premier effet permanent de la guerre. Un second effet tout aussi important, c'est que les états du nord qui voulaient s'en détacher pour s'unir à la Grande-Bretagne en 1814 sont précisément ceux-là même à l'heure qu'il est, qui sont les ennemis les plus naturels de cette nation, parce que c'est chez eux que se sont établies les manufactures et qu'existe maintenant la véritable rivalité avec l'Angleterre. Aussi il n'y a plus aujourd'hui à craindre de dissolution, pour la raison commerciale, parce qu'il s'établit tous les jours de plus en plus entre le sud et le nord des rapports d'intérêt qui les rapprochent. Au reste les Américains ne chercheront guère à acquérir le Canada malgré le voeu de ses habitans. La dépendance coloniale ne paraît pas à leurs yeux un état naturel qui doive toujours durer, et la conduite des métropoles elles-mêmes indique assez qu'elles ont aussi le même sentiment sur l'avenir. Cette éventualité préoccupe la politique et les historiens de l'Angleterre; mais ni ses philosophes, ni ses hommes d'état ne peuvent s'affranchir assez de leurs préjugés métropolitains pour porter un jugement correct et impartial sur ce qu'il faudrait faire pour conserver l'intégrité de l'empire. De quelque manière qu'on envisage cette question, la solution paraît difficile, car la métropole ne peut consentir à permettre aux colonies d'exercer la même influence sur son gouvernement que les provinces qui la constituent elle-même, et à leurs députés de siéger à Westminster Hall à côté des siens en nombre proportionné à la population, car il viendrait un temps où la seule population du Canada, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse excéderait celle de l'Angleterre, et si on y joignait la population de toutes les autres colonies, la représentation coloniale deviendrait la majorité, et l'Angleterre passerait du rôle de métropole à celui de dépendance, et recevrait la loi comme telle. Cette alternative qui arriverait indubitablement est supposée ici pour montrer avec plus de force les obstacles que rencontre le système colonial à mesure qu'il vieillit et que les populations s'accroissent. La séparation doit donc paraître une chose inévitable malgré le désir que l'on pourrait avoir des deux côtés de l'éviter. Il ne reste à la politique, dans ce cas, qu'à travailler à reculer l'événement, et lorsque l'événement arrivera, qu'à affaiblir le plus possible le mal qu'il sera de nature à causer aux deux parties. Mais c'est là la prévoyance qui manque presque toujours aux métropoles quand le temps vient de lâcher graduellement les rênes des jeunes coursiers qui essaient leurs forces et qui brûlent de s'élancer dans la carrière avec toute l'indépendance d'un tempérament jeune, indocile et vigoureux. La crainte retient la main du conducteur, et la contrainte irrite l'ardeur du coursier qui se cabre, se révolte, et brise son frein. Les métropoles se trompent souvent sur les causes de trouble. «Après tout ce qui peut-être fait, dit encore Alison, pour assurer nos possessions de l'Amérique du nord par la prudence et la prévoyance, leur conservation doit toujours dépendre principalement de l'attachement et de l'appui de ses habitans. Quoique nous devions déplorer l'effet des actes coupables et de l'ambition criminelle des révolutionnaires du Bas-Canada en aliénant les affections d'un peuple simple et industrieux, autrefois loyal et dévoué, le mal n'est pas encore sans remède; et si on y remédie dans un bon esprit, il pourra résulter de ces maux passagers un bien durable. Ces événemens en attirant l'attention ont fait découvrir bien des abus qui sans cela seraient restés dans l'ombre, et ont fait voir la nécessité de les faire disparaître.» Mais l'abus est l'abîme insurmontable des gouvernemens coloniaux. Ceux qui désirent le plus dans la métropole les réformes, sont ceux-là même qui qualifient la conduite des réformateurs coloniaux de criminelle et de révolutionnaire. Les insurrections du Haut et du Bas-Canada en 1837 n'ont été que la conséquence de la mauvaise administration de ces deux pays, et l'obstination du pouvoir à ne pas prêter l'oreille à temps à leurs représentations exprimées solennellement par leurs députés en pleine législature pendant une longue suite d'années. Le préjugé est si difficile à vaincre, que l'historien métropolitain en indiquant le remède se taira sur la révolte du Haut-Canada, parceque ce pays est peuplé d'hommes de sa race, et notera d'infamie le rebelle du Bas parcequ'il est d'une autre origine, attribuant la conduite de l'un à la supériorité de lumières et d'énergie, et la conduite de l'autre à l'ignorance et à l'ambition. Comment le politique tiraillé par les préjugés, par les passions, par les intérêts qui l'entourent, pourra-t-il éviter de se tromper si le philosophe se laisse entraîner dans le silence du cabinet jusqu'à pervertir la vérité et faire de la même chose un crime à l'un et une vertu à l'autre. Après la campagne de 1814, sir George Prévost était descendu à Québec où il avait réuni les chambres, dans le mois de janvier 1815. M. Panet nommé au conseil législatif avait été remplacé par M. Papineau à la présidence de l'assemblée, quoique M. Papineau fut l'un de ses plus jeunes membres, et eût à peine 26 ans. Plus ardent que son père, qui s'était distingué dans nos premières luttes parlementaires, il devait porter ses principes beaucoup plus loin que lui. Après avoir amendé l'acte des milices et augmenté les droits sur divers articles pour pourvoir aux besoins de la guerre si elle continuait, la chambre était revenue sur la question d'un agent en Angleterre. Elle avait passé une résolution à ce sujet, qui avait été repoussée comme les autres par le conseil législatif. L'Angleterre toujours opposée à ce système, le faisait rejeter par le conseil, chaque fois qu'on l'amenait devant la législature, et faisait déclarer que le gouverneur était la seule voie constitutionnelle de correspondance entre les deux corps législatifs et la métropole. Ce qui avait fait désirer alors plus que jamais d'avoir un agent à Londres, c'est le bruit qui s'était répandu de la suggestion du juge Sewell de réunir toutes les colonies sous un seul gouvernement. L'assemblée déclara qu'elle persistait dans ses accusations contre ce juge et contre le juge Monk, et nomma de nouveau M. James Stuart pour aller les soutenir auprès de la métropole. Elle était encore occupée de cette question irritante lorsque la conclusion de la paix fut officiellement annoncée. La milice fut renvoyée dans ses foyers, et l'assemblée passa une résolution pour déclarer que sir George Prévost dans les circonstances nouvelles et singulièrement difficiles dans lesquelles il s'était trouvé, s'était distingué par son énergie, sa sagesse et son habileté. Elle lui vota cinq mille louis sterling pour lui acheter un service de table en argent, don que le conseil rejeta lorsqu'il fut soumis à son suffrage l'année suivante, malgré l'approbation que le prince régent avait donnée à l'administration et à la conduite militaire de ce gouverneur. Lorsque le parlement fut prorogé, le président de l'assemblée en présentant le bill des subsides, lui adressa ces paroles: «Les événemens de la dernière guerre ont resserré les liens qui unissent ensemble la Grande-Bretagne et les Canadas. Ces provinces lui ont été conservées dans des circonstances extrêmement difficiles. Lorsque la guerre a éclaté, ce pays était sans troupes et sans argent, et votre excellence à la tête d'un peuple, en qui, disait-on, l'habitude de plus d'un demi-siècle de repos, avait détruit tout esprit militaire. Au-dessus de ces? préjugés, vous avez su trouver dans le dévouement de ce peuple brave et fidèle, quoiqu'injustement calomnié, des ressources pour des ressources pour déjouer les projets de conquête d'un ennemi nombreux et plein de confiance dans ses propres forces. Le sang des enfans du Canada a coulé, mêlé avec celui des braves envoyés pour les défendre. Les preuves multipliées de l'efficacité de la puissante protection de l'Angleterre et de l'inviolable fidélité de ses colons, sont devenues pour ceux-ci de nouveaux titres en vertu desquels ils prétendant conserver le libre exercice de tous les avantages que leur assurent la constitution et les lois.» Le gouverneur accueillit cette approbation avec un extrême plaisir, et informa les chambres qu'il allait remettre les rênes du gouvernement, pour aller répondre en Angleterre aux accusations de sir James L. Yeo, au sujet de l'expédition de Plattsburgh. Les habitans de Québec et de Montréal lui présentèrent les adresses les plus flatteuses pour lui témoigner qu'ils prenaient la part la plus vive à tout ce qui le concernait et qu'ils regardaient l'insulte qu'on lui faisait comme une insulte faite à eux-mêmes. Les Canadiens lui montraient d'autant plus d'affection qu'ils savaient que l'espèce de disgrâce dans laquelle il était tombé, provenait en grande partie de la sympathie qu'il avait paru leur porter. Le résultat de l'expédition de Plattsburgh avait fourni à ses ennemis un prétexte pour lui montrer enfin ouvertement toute leur haine, qu'ils avaient dissimulée jusque là tant qu'ils avaient pu. Ils s'étaient ligués pour faire retomber sur lui la responsabilité de la défaite navale de Sackett's Harbor, afin de le faire rappeler. Sir James L. Yeo l'avait accusé d'avoir été la cause du triomphe des Américains, et la cour martiale composée de marins, avait cherché à faire retomber sur lui, dans la sentence qu'elle avait portée contre les officiers de la flottille, une partie du tort. Le département militaire en lui transmettant les accusations lui avait donné jusqu'au mois de janvier 1816 pour faire venir ses témoins du Canada et préparer sa défense. Mais il mourut dans l'intervalle des suites des fatigues qu'il avait endurées en faisant à pied une partie du chemin de Québec au Nouveau-Brunswick, dans la saison la plus rigoureuse de l'année, pour passer en Europe. Suivant l'usage des conseils de guerre, sa mort mit fin à l'enquête. Après quelques démarches de sa veuve et de son frère, le colonel Prévost, auprès du bureau de la guerre, le gouvernement fut forcé de reconnaître d'une manière publique les services distingués qu'il avait reçus de la victime, et de permettre par une espèce de rétribution d'ajouter quelques armoiries dans les armes de sa famille. Les hommes compétans avaient déjà approuvé le système de sir George Prévost et la résolution qu'il avait prise à Sackett's Harbor. Le duc de Wellington écrivait à sir George Murray: «J'approuve hautement, et même plus, j'admire tout ce qui a été fait par le militaire en Amérique, d'après ce que je puis en juger en général. Que sir George Prévost ait eu tort ou raison dans sa décision au lac Champlain, c'est plus que je ne puis dire; mais je suis certain d'une chose, c'est qu'il aurait été également obligé de retourner à Montréal après la défaite de la flotte. Je suis porté à croire qu'il a eu raison. J'ai dit, j'ai répété aux ministres que la supériorité sur les lacs est la condition _sine qua non_ du succès en temps de guerre sur la frontière du Canada, même si notre but est une guerre entièrement défensive.» LIVRE QUINZIÈME. CHAPITRE I. QUESTION DES SUBSIDES. 1816-1822. Les dissensions entre la chambre et l'exécutif recommencent après la guerre.--Union des colonies anglaises.--Le général Drummond.--Abus dans le bureau des terres et des postes.--Rejet des accusations contre les juges Sewell et Monk.--Dissolution du parlement.--Sir John Coape Sherbrooke gouverneur.--Il transmet aux ministres un tableau de l'état des esprits en Canada.--Instruction qu'il reçoit.--Le clergé catholique: M. Plessis.--Le juge Sewell.--MM. Uniacke et Marshall.--Situation des finances.--Leur confusion.--Dépenses faites sans appropriation.--Instructions de lord Bathurst.--Droit de voter les subsides.--Le juge Foucher accusé.--Le duc de Richmond remplace Sherbrooke.--Reprise de la question des finances.--Liste civile augmentée demandée pour la vie du roi.--Elle est refusée.--Le juge Bedard accusé.--Mort soudaine du duc de Richmond.--Dissolution du parlement.--Le comte de Dalhousie gouverneur--M. Plessis à Londres.--Ses entrevues avec lord Bathurst.--Les discussions sur la question des finances continuent.--M. Papineau nommé au conseil exécutif.--Refus des subsides.--Division dans le conseil législatif.--Partage des droits de douane avec le Haut-Canada. La guerre qui venait de finir avait ralenti l'ardeur des dissensions entre l'exécutif et la chambre d'assemblée. La paix faite, sir George Prévost parti, victime de son équité envers les Canadiens plutôt que de ses fautes, les anciennes discordes menacèrent de recommencer. Le bureau colonial parut avoir oublié à l'instant même le zèle de la population pour la défense de la colonie, et il fut presqu'aussitôt question de l'union des deux Canadas, contre laquelle on la savait complètement opposée. Le général Drummond qui vint remplacer temporairement sir George Prévost, s'occupa des récompenses à donner aux soldats et aux miliciens qui s'étaient distingués. On songea à les payer en terre, et pour cela il fallut recourir à un département où on ne pouvait jeter les yeux sans découvrir les énormes abus qui ne cessaient point de s'y commettre. Les instructions qu'avait envoyées l'Angleterre sur les représentations du général Prescott, à la fin du siècle dernier, loin de les avoir fait cesser, semblaient les avoir accrus malgré les murmures de tout le monde. On continuait toujours à gorger les favoris de terres. On en avait tant donné que Drummond manda aux ministres que tous ces octrois empêchaient d'établir les soldats licenciés et les émigrans sur la rivière St,-François.[16] Chacun s'était jeté sur cette grande pâture, et pour la dépecer on s'était réuni en bande. Un M. Young en avait reçu 12,000 acres; un M. Felton en avait eu 14,000 acres pour lui-même et 10,000 pour ses enfans. De 1793 à 1811 plus, de trois millions d'acres avaient été ainsi donnés à une couple de cents favoris, dont quelques-uns en eurent jusqu'à 60 et 80,000, comme le gouverneur R. Shore Milites, qui en prit près de 70,000 pour sa part. Ces monopoleurs n'avaient aucune intention de mettre eux-mêmes ces terres en valeur. Comme elles ne coûtaient rien ou presque rien, ils se proposaient de les laisser dans l'état où elles étaient, jusqu'à ce que l'établissement du voisinage en eût fait hausser le prix. Un semblant de politique paraissait voiler ces abus. On bordait, disait-on, les frontières de loyaux sujets pour empêcher les Canadiens de fraterniser avec les Américains. «Folle et imbécile politique, s'écriait un membre de la chambre, M. Andrew Stuart, en 1823; on craint le contact des deux populations qui ne s'entendent pas, et on met pour barrière des hommes d'un même sang, d'une même langue et de mêmes moeurs et religion que l'ennemi!» [Note 16: Dépêches de Drummond à lord Bathurst, 16 juin 1815.] Drummond porta encore son attention sur un autre département, celui des postes. Il y découvrit de tels désordres qu'il demanda la destitution de M. Heriot qui en était le chef. Ces diverses perquisitions qui mettaient à nu le défaut de contrôle à chaque pas, l'occupèrent jusqu'à l'ouverture du parlement en 1816. Rien de remarquable ne se passa dans les premiers jours de la session, lorsque M. Loring, le secrétaire du gouverneur, vint remettre à la chambre un message qui l'informait que les accusations contre les juges Sowell et Monk étaient repoussées, et que les juges réunis avaient le droit de faire des règles de pratique pour leurs tribunaux. Le gouverneur ajoutait «que le prince Régent avait vu avec peine les procédés de là chambre contre deux hommes qui remplissaient depuis si longtemps et avec tant d'habileté les plus hautes charges judiciaires; que cette conduite était d'autant plus regrettable qu'elle tendait à déprécier aux yeux de la légèreté et de l'ignorance, leur caractère et leurs services, et à diminuer par là même l'influence qu'ils méritaient à si juste titre.» Cette réponse était un triomphe pour les deux juges accusés, et une insulte à la représentation par les termes dont on se servait pour la communiquer. Elle fut regardée aussi comme un acte de censure et de partialité de race d'un très mauvais augure pour l'avenir. Elle détrompa tous ceux qui s'étaient laissés abuser pendant la guerre par les ménagemens de sir George Prévost, et détruisit dans beaucoup d'esprits les espérances que l'administration de ce gouverneur avait fait naître. La tête de l'hydre de l'oligarchie sembla renaître plus fière et plus puissante que jamais, après une victoire qui suivait de si près celle obtenue par le rappel du général Prévost, insulté dans un libelle, avant son départ, par le solliciteur-général Sewell, frère du juge réintégré. Le message causa, comme on devait s'y attendre, la plus grande sensation dans le parlement et dans la ville. La chambre ordonna sur le champ un appel nominal, et une adresse au prince régent allait être votée, lorsqu'elle fut soudainement dissoute, suivant l'ordre envoyé de Londres par anticipation au gouverneur, qui prononça un discours rempli de reproches. Le bureau colonial qui voulait en imposer en recourant à ce moyen extrême, se chargeait d'une grande responsabilité pour l'avenir, car il n'y avait aucune apparence d'un revirement d'opinion parmi le peuple, chez lequel sa décision avait réveillé l'irritation des temps de Craig. Le peuple répondit en réélisant presque tous les mêmes membres. Dans l'intervalle Drummond fut remplacé par sir John Coape Sherbrooke, homme plus habile et plus prudent, et qui commença son administration par un acte de bienfaisance dont on lui sut gré. Des gelées hâtives avaient détruit les récoltes de la partie inférieure du district de Québec, et plusieurs paroisses allaient se trouver dans un dénuement presqu'absolu. Il s'empressa de leur envoyer des vivres, que l'on tira des magasins du roi, ou qu'il fit acheter sur sa propre responsabilité et les fit distribuer aux familles menacées de la famine. Cette attention parut indiquer un coeur qui avait quelque sympathie, et on voulut en tirer un bon augure. En prenant les rênes du pouvoir il s'occupa de la question qui avait fait dissoudre le parlement, et écrivit aux ministres pour leur faire connaître l'état des esprits et pour demander des instructions sur la conduite qu'il devait tenir avec la chambre d'assemblée. Il l'informa que si la dernière dissolution avait été résolue en vue de changer le caractère de la représentation, elle avait entièrement manqué son but; qu'elle avait au contraire, augmenté le mal en excitant une grande irritation parmi les représentans et parmi le peuple; que presque tous les mêmes membres avaient été réélus, et que là où il y avait eu des changemens, on avait choisi des hommes encore moins modérés que ceux qu'ils avaient remplacés. En Canada une pareille mesure devait dans presque toutes les circonstances produire plus de mal que de bien. Elle ne pouvait avoir l'effet qu'elle avait en Angleterre, où le système de la responsabilité ministérielle obligeait le gouvernement de marcher avec la majorité des communes. Le bureau colonial était prêt à braver le ressentiment populaire à tout hasard; et pour parer à toutes les éventualités, il donna les instructions nécessaires pour mettre le gouverneur en état de marcher sans le parlement. Lord Bathurst lui manda[17] que, «si la nouvelle chambre était animée du même esprit que la dernière, ce serait en vain qu'on attendît d'elle les appropriations nécessaires, et qu'il lui envoyât un état des revenus de la couronne, en s'abstenant d'agir sur l'ordre qu'il lui avait donné de transporter les biens des jésuites aux syndics de l'institution royale, parce qu'on en aurait besoin pour payer les dépenses publiques. Il approuvait entièrement sir Gordon Drummond d'avoir dissous le parlement, et si la nouvelle assemblée conservait le même esprit de résistance à l'autorité royale, Sherbrooke pouvait en faire autant. Mais tant qu'il paraîtrait y avoir d'autres moyens de résister à ses tentatives, il devait éviter de recourir à cette mesure extrême. «Jusqu'ici, disait-il, le gouvernement a trouvé dans toutes les occasions ordinaires une ressource constante dans la fermeté et les dispositions du conseil législatif, et il n'y a aucune raison de douter qu'il ne continue tant qu'il pourra à contrecarrer les mesures les plus injudicieuses et les plus violentes de l'assemblée. Il est donc désirable, pour toutes sortes de raisons, que vous profitiez de son assistance pour réprimer les actes de cette assemblée que vous pourrez trouver sujets à objection, au lieu de mettre votre autorité ou celle du gouvernement en opposition immédiate à celle de la chambre, et ainsi de lui donner un prétexte pour refuser à la couronne les subsides nécessaires pour le service de la colonie.» [Note 17: Dépêche du 31 mai, 1816.] Tels étaient les moyens qu'on employait pour gouverner. Le juge Sewell n'avait tant d'influence dans l'administration que parcequ'il était l'instrument le plus habile du système. Que n'a-t-on pas vu dernièrement au sujet des rectoreries du Haut-Canada? Voici comme parle un ministre du gouvernement actuel: «Leur histoire n'est pas un sujet nouveau, car je me rappelle bien l'étonnement avec lequel le public apprit, après le départ de sir John Colborne, à la fin de sa triste administration, que cinquante-sept rectoreries avaient été créées à la face d'une dépêche du ministre des colonies, dans laquelle il était formellement dit qu'il ne devait pas en être établi sans le consentement de la législature coloniale. Je me trompe, cependant, en disant qu'il avait été créé cinquante-sept rectoreries; car il n'avait été exécuté que trente-six patentes: les autres avaient été signées en blanc au moment où sir John Colborne quittait la province. Mais on a su depuis, grâce aux bons offices de ce ferme ami du Canada, Joseph Hume, que la dépêche à laquelle je viens de faire allusion, était accompagnée d'une lettre privée du ministre des colonies enjoignant à sir John Colborne de procéder avec toute la célérité possible et d'assurer l'établissement des rectories par toute la province. L'histoire des gouvernemens ne fournit peut-être pas un autre exemple d'une pareille perfidie et d'un délit si flagrant.»[18] [Note 18: Discours du Dr. Rolph, commissaire des terres de la couronne à ses électeurs en 1861.] Tandis que le ministre indiquait d'un côté l'usage que l'on devait faire du conseil contre la chambre d'assemblée, il cherchait de l'autre à se concilier le clergé catholique et son évêque qui avait une grande influence sur le peuple. Le gouverneur revenant sur la question, transmit à lord Bathurst un aperçu de l'état des partis dans le pays et lui marqua l'embarras où il se trouvait placé entre ses instructions et la situation des esprits. Il déclara qu'il était impossible de se faire une idée de l'impopularité du juge Sewell; que d'après les informations qu'il avait reçues et les siennes propres dans un voyage qu'il avait fait dans la province, il trouvait que toutes les classes lui étaient hostiles, même dans les coins les plus reculés du pays; que cette hostilité fût le fruit des artifices et des calomnies des démagogues ou de la haine personnelle, peu importait; elle existait depuis longtemps, et elle avait acquis une nouvelle violence du triomphe apparent de ce juge; qu'elle était non seulement partagée par le peuple, mais par le clergé catholique lui-même, qui soutenait à toute force qu'elle était bien fondée. Que si l'influence du clergé sur les laïcs était grande sur différentes questions, sa seigneurie pouvait juger de ce qu'elle était lorsqu'elle servait pour un objet dans lequel le peuple croyait ses intérêts les plus chers engagés, contre un homme qu'il regardait malheureusement comme ayant outragé ses sentimens religieux et sa loyauté; que le clergé recevait une double force dans le cas actuel de l'effet combiné des préjugés politiques et religieux et que l'on pouvait se faire facilement une idée de la haine que cet homme leur avait inspirée. Le gouverneur assurait qu'il était persuadé que s'il avait été dans les vues du gouvernement d'entendre les deux parties sur les accusations portées contre ce juge, quand bien même la décision eût été ce qu'elle avait été, elle aurait contribué à la paix, parce qu'elle aurait ôté au parti hostile à l'accusé un prétexte de plainte, prétexte qui intéresse toujours le peuple, et que dans le cas actuel la présence de l'accusé en Angleterre avait rendu plus plausible, vu surtout que le gouvernement n'avait voulu entendre que lui seul; et il osait dire que c'était là la raison qui avait fait passer les résolutions pour lesquelles l'assemblée avait été dissoute. Après avoir recommandé de le mettre à la retraite, il ajoutait qu'il lui donnerait, conformément à ses instructions, tout son appui quelle qu'injuste que fut l'hostilité du barreau et de la chaire contre lui, dut-il pour cela sacrifier la conciliation du clergé, la paix du Canada et l'avancement de ses intérêts les plus chers; qu'il tâcherait aussi d'établir de bons rapports avec l'évêque catholique à qui il avait déjà donné des preuves de ses dispositions; mais que ce serait tromper le ministre que de lui faire espérer aucun changement dans les sentimens du clergé ou du peuple sur le point en question. Si les raisonnemens n'avaient pu persuader, il craignait que la coercition ne fit qu'augmenter leur haine. Des hommes modérés et bien informés pensaient qu'en vain y aurait-il prorogation sur prorogation, dissolution sur dissolution, on verrait plutôt une révolution dans le pays que dans les sentimens de ses habitans. Après avoir ainsi passé en revue l'état des choses, Sherbrooke indiquait les remèdes qu'il croyait nécessaires. L'un d'eux était la nomination d'un agent auprès du gouvernement à Londres, désirée depuis longtemps et qu'avaient presque toutes les autres colonies. L'assemblée attribuait la perte du bill qu'elle avait passé pour cet objet, dans le conseil, à l'influence du juge Sewell qui voulait lui ôter les moyens de soutenir les accusations qu'elle avait portées contre lui, et prévenir les autres avantages qui pourraient résulter d'un défenseur de ses droits dans le métropole. Un autre était de détacher M. Stuart, le principal auteur des résolutions de l'année précédente, du parti qui l'avait pris pour un de ses chefs, en le prenant par le côté sensible chez bien des hommes, l'intérêt personnel. On croyait que l'opposition privée de ses talens, perdrait sa vigueur et tomberait dans l'insignifiance. On lui avait dit que si on lui offrait la place de procureur-général il abandonnerait ses amis. Il suggérait aussi de nommer le président de l'assemblée, M. Papineau, au conseil exécutif, où le parti dominant de la chambre n'était pas représenté. Le plus grand mal, la source la plus fertile de dissensions, c'est, disait-il, que l'on n'avait aucune confiance dans le gouvernement, c'est-à-dire non pas tant dans le caractère personnel du gouverneur que dans le conseil exécutif, dont les membres étaient regardés comme ses conseillers et dont tous les mouvemens étaient surveillés avec une jalousie qui nuisait à tous les actes du pouvoir. Il pensait que l'introduction de M. Papineau dissiperait cette méfiance. Ce rapport remarquable lève un coin du rideau qui couvrait l'administration, et laisse entrevoir les moyens qu'on employait pour gouverner. Sir John G. Sherbrooke propose au ministre d'acheter par des faveurs ou par des emplois les chefs du clergé et du peuple. Stuart, ce tribun si audacieux, était singulièrement apprécié. La charge de procureur-général parut cependant au-dessus de ses forces. Drummond avait déjà représenté à lord Bathurst que Uniacke qui la remplissait, était un homme sans talens, à quoi le ministre avait d'abord répondu de le remplacer ou de lui donner des aides, et plus tard de tâcher de l'engager à résigner pour donner sa place à quelqu'homme plus compétent qu'il lui enverrait. Mais Uniacke ne voulant pas entendre parler de résignation, un M. Marshall vint d'Angleterre en qualité de solliciteur-général pour suppléer à son incapacité. Ce qui avait attiré principalement cette mauvaise réputation à Uniacke, c'était son honnêteté et son indépendance. En 1805 le juge Sewell, alors procureur-général, avait voulu abolir les paroisses catholiques pour leur substituer des paroisses protestantes, prétendant que les statuts d'Henri VIII et d'Elizabeth devaient être observés ici, en dépit des traités, du droit public et des gens, et qu'il n'y avait pas d'évêque catholique. Plus tard Uniacke et Vanfelson, avocat du roi, soutinrent que la prétention de Sewell était mal fondée. On ne put pardonner cette opinion à Uniacke, et il n'avait pas cessé d'être persécuté depuis. Sherbrooke ne l'avait pas destitué parce que ç'aurait été augmenter ses embarras. Suivant ses instructions secrètes, ce gouvernement faisait alors tous ses efforts pour acquérir l'évêque catholique au gouvernement, et mandait qu'il était d'une grande importance d'avoir son appui et celui de son clergé. Dès 1814 ou 15 le prince régent avait envoyé des ordres pour le nommer au conseil; mais on avait exigé des admissions que ce prélat n'avait pas cru devoir faire comme chef du clergé. Sherbrooke suggéra de le reconnaître plus formellement qu'on ne l'avait fait jusque-là. Comme le bruit courait que le catholicisme était exposé à perdre la tolérance dont il jouissait, lord Bathurst le chargeait de dire que les instructions royales n'avaient pas changé depuis 1775, et que l'évêque catholique devait dissiper les fausses impressions que l'ignorance ou la malveillance pourraient répandre à ce sujet; que cependant M. Plessis paraissait être dans l'erreur. L'explication du 4ème article du traité de 63 ne permettait pas aux Canadiens de jouir de leur religion comme avant la cession du pays, mais en autant que les lois anglaises le permettaient. C'est ce qui avait été clairement compris suivant lord Egremont. Les ministres français avaient proposé d'insérer les mots comme ci-devant dans le traité, et avaient insisté jusqu'à ce qu'on leur eût dit que le roi n'avait le pouvoir de tolérer cette religion qu'autant que les lois anglaises le permettaient. Comme les lois de la Grande-Bretagne défendaient toute hiérarchie papiste, il était clair qu'on ne devait marcher qu'avec beaucoup de circonspection, et que ce n'était qu'en expliquant d'une manière favorable l'esprit des lois que le roi pouvait reconnaître M. Plessis comme évêque. C'était à cause de son zèle et de sa loyauté qu'il avait droit à une distinction dont aucun de ses prédécesseurs n'avait joui, celle d'un siège dans le conseil. Ni cette distinction, ni cette reconnaissance cependant ne devaient être considérées à l'avenir comme choses qui allaient sans dire, mais bien comme choses qui devaient dépendre des circonstances et des avantages que le pays pourrait retirer d'une mesure de conciliation. Ses successeurs ne pourraient être autorisés à prendre ce titre qu'après avoir été reconnus.[19] [Note 19: Dépêches de lord Bathurst à sir J. C. Sherbrooke, du 1, 5 et 6 juin, 1817.] L'alliance formée entre le clergé et la chambre avait jeté la frayeur dans les conseils exécutif et législatif. Lorsqu'ils apprirent qu'on voulait porter l'évêque catholique et le président de l'assemblée dans le dernier, ils s'élevèrent aussitôt contre, et le juge Sewell eut beau soulever des difficultés, leur opposition fut inutile devant une mesure que les ministres agréaient dans l'intérêt de leur politique. La nomination de M. Plessis fut confirmée en 1818, avec un salaire de £1000, outre les £500 qu'il recevait déjà pour le loyer, du palais épiscopal occupé par la législature. La conduite de Sherbrooke avait beaucoup modéré l'ardeur, des partis. Lorsque le parlement s'ouvrit, la chambre parut vouloir abandonner l'affaire des juges au grand déplaisir de Stuart, qui se crut trahi par ses amis. Le gouverneur employa tout son crédit pour qu'il n'en fut plus question, et pria M. Plessis, suivant la ligne de conduite qui lui avait tracé le ministre, de l'aider de son influence. «Stuart, écrivait plus tard, Sherbrooke au bureau colonial, a été abandonné. Cela peut-être attribué au salaire donné au président; mais la chambre était fatiguée; elle voulait se reposer. J'attribue beaucoup de cette modération au bon sens et aux efforts de M. Papineau, qui a manifesté le désir de causer fréquemment avec moi dans les cas difficiles, ce que je l'ai encouragé à faire.» Cependant l'Angleterre s'occupait de la situation financière du Canada, question autour de laquelle rayonnaient toutes les autres. Dans les pays constitutionnels, le vote des deniers publics est censé appartenir aux communes, c'est-à-dire aux représentans du peuple. Ce principe avait été reconnu en Canada par la constitution de 91; mais l'application n'en avait été ni générale, ni absolue. Le gouvernement avait chicané sur les limites de ce droit, et à certaines époques il s'était emparé de la caisse publique et avait dépensé l'argent sans appropriation, ce qui faisait dire au gouverneur que le ministre serait comme lui, d'opinion qu'il était nécessaire de retirer les finances de la confusion où elles étaient tombées par la dépense d'année en année des fonds publics sans appropriation, prévoyant probablement déjà les troubles et les discordes qui devaient en résulter plus tard. Tantôt la chambre protestait avec force contre cette violation de son droit le plus précieux; tantôt elle gardait le silence, attendant quelque circonstance favorable pour le revendiquer, parceque sans lui la constitution devenait en Canada plus qu'ailleurs une lettre morte. A cette époque la colonie était encore hors d'état de le maintenir contre l'Angleterre, à moins de rompre son alliance avec elle et de se jeter dans les chances d'une rébellion et dans les bras des Etats-Unis. Personne ne pensait à une pareille tentative. Mais l'oeil clairvoyant de Sherbrooke, l'un des gouverneurs les plus habiles que nous ayons eus, avait prévu toutes les difficultés qu'un pareil état de choses était de nature à faire naître. Les agitations que la question des subsides avait déjà causées, étaient un signe que le peuple lorsque ce jour serait venu prétendrait exercer son droit dans toute sa plénitude. Le gouverneur transmit à lord Bathurst un état du revenu et des charges ordinaires et extraordinaires dont ce revenu était grevé, d'après lequel la dépense permanente avait excédé, pour 1815, le montant affecté à son acquit par la législature, de près de £19,000. Lorsqu'on voulait régler avec la caisse provinciale, on prenait à même les extraordinaires de l'armée. Sir George Prévost avait suivi cette pratique. En 1815 le gouvernement redevait £60,000 à la province, dont elle pouvait demander le remboursement d'un moment à l'autre. A cela il fallait ajouter le déficit de l'année expirée le 5 janvier 1817. La balance qui était alors à la disposition de la législature, se montait à £140,000; mais il manquait £7,500 au receveur-général pour former ce total, et il paraît que dans cette balance se trouvaient aussi incluses trois sommes formant ensemble £35,000, qui avaient été portées au débit de la province comme appropriations quoiqu'elles n'eussent pas été dépensées, et qui ne pouvaient plus être censées faire partie de cette balance. Ces trois sommes avec le déficit de £7,500 composaient un total de £43,000 qu'il fallait porter au déficit de 1817. Cela ajouté à l'excédant de la dépense permanente sur le revenu approprié dans les trois années expirées en 1815, et aux £19,000 dépensés sans appropriation en 1816, formait un grand total de £120,000 que le gouvernement devait à la caisse publique. Le gouverneur mettait à nu dans cette dépêche la manière dont la constitution était violée. Le vote des subsides par les représentans passe pour un droit imprescriptible et essentiel à la liberté. Sans lui le gouvernement pourrait à la rigueur se dispenser des chambres. On se contentait de mettre devant la législature un état d'une partie de la dépense faite sans appropriation. Il y avait une liste séparée formée principalement des salaires du clergé et des pensions, qui s'élevait à £6000, qu'on croyait devoir soustraire à sa vue. Le gouverneur demanda ce qu'il fallait faire pour retirer les finances de cette confusion. Quant au passé, allait-il rembourser la dette considérable qu'on avait laissé accumuler sur l'extraordinaire de l'armée, ou demander à la législature de la couvrir par un vote? Quant à l'avenir, allait-on couvrir le déficit annuel causé par l'excès de la dépense permanente sur le montant de l'appropriation, en empruntant à l'extraordinaire de l'armée, ou bien allait-on soumettre à la législature au commencement de chaque session, comme dans la Nouvelle-Ecosse et dans les autres colonies, une estimation de la liste civile et lui demander de voter les sommes nécessaires? Lord Bathurst lui répondit qu'il aurait été sans doute préférable que les comptes entre le gouvernement et la province eussent été réglés d'une manière formelle; mais que dans les circonstances le point était de considérer si le silence de la chambre n'était pas une sanction tacite de l'emploi de cet argent. Quant à une partie de cette dépense, le silence de la législature était certainement une approbation. Quant à l'autre portée aux comptes qui lui avaient été soumis, il ne voyait point d'objection non plus de regarder son silence de la même manière, c'est-à-dire comme une approbation et des comptes et de la façon dont ils avaient été acquittés. Huit jours après, craignant d'avoir fait une concession trop large, dont les conséquences pussent entraîner des regrets plus tard, il adressa une nouvelle dépêche pour y mettre des restrictions. Dans le cas où la chambre d'assemblée voterait l'allocation du clergé catholique en omettant celle du clergé protestant, le gouverneur devait employer tous les moyens qui étaient à sa disposition pour faire rejeter cette allocation partielle par le conseil législatif, et dans le cas où elle passerait là aussi, d'y refuser sa sanction. Si l'assemblée proposait de voter l'allocation de chaque clergé séparément, il devait se mettre en garde contre la probabilité d'une allocation partiale, en ayant soin qu'on ne votât rien dans le conseil pour l'église catholique avant que l'assemblée n'eût voté l'allocation du clergé protestant. Il recommandait de veiller attentivement à ce que l'assemblée n'assumât point le pouvoir de disposer des deniers publics sans le concours du conseil, privilège que l'assemblée avait déjà réclamé, mais qu'on lui avait jusqu'à présent refusé avec succès; «et comme, ajoutait le ministre, la nécessité du concours de toute la législature pour valider un octroi d'argent, est presque le seul frein solide qu'on ait sur les procédés de l'assemblée, vous partagerez, j'en suis sûr, mon opinion, qu'il est plus que jamais nécessaire de ne rien abandonner ni céder sur ce point.» Ainsi le droit de voter les subsides qui, dans l'esprit et l'essence de la constitution, appartient aux représentai du peuple seuls, était par ces instructions mis en partage avec le conseil législatif, nommé par la couronne et conséquemment sa créature. A peu près dans le même temps le bruit courait que le gouverneur avait reçu des dépêches dans lesquelles le ministre renvoyait les accusations portées contre le juge Foucher au conseil législatif. Cette décision équivalait à un rejet pur et simple. Après quelques débats, le conseil qui voulait s'assurer de la vérité de ce bruit, vota une adresse au gouverneur pour lui demander s'il était fondé, et dans le cas affirmatif s'il voulait bien lui communiquer la dépêche totale ou partielle du prince Régent à cet égard. Il transmit un message aux deux chambres pour les informer que cette rumeur était vraie; mais qu'il n'avait reçu aucune instruction sur la manière d'exécuter la sentence; qu'il en avait écrit à Londres et qu'il ne manquerait pas de leur communiquer la réponse qu'il attendait aussitôt qu'il l'aurait reçue. Cette réponse fut apportée par le duc de Richmond, qui la transmit l'année suivante à l'assemblée. Il fallait que celle-ci fournît ses preuves par écrit à l'appui des accusations contre le juge Foucher; que copie des accusations et des preuves fussent transmises par le gouverneur à l'accusé pour préparer sa défense; qu'ensuite la défense, envoyée au gouverneur, fût communiquée à l'assemblée pour sa réplique, après quoi le tout serait renvoyé en Angleterre pour faire ce qui serait convenable. Toutes ces formalités auxquelles on voulait assujétir la représentation, tous ces va-et-vient étaient de pures moqueries et blessèrent profondément la dignité de l'assemblée, qui se voyait traitée comme un simple individu par un ministre placé à mille lieues d'elle et qui dépendait lui-même d'un parlement qui ne pouvait rien voir ni connaître de ce qui se passait en Canada. En effet, le ministre se réservait contre tous les principes de la constitution, avec un superbe silence, le droit de juger en secret d'une manière absolue et définitive. Rien n'était plus propre à rendre plus vivaces Les germes de discorde qui existaient déjà dans le pays qu'une conduite qui paraissait si contraire à tous les usages reçus dans les pays libres. Le reste de la session fut rempli par les débats sur le budget. L'estimation des dépenses publiques se montait à £74,000. £33,000 étaient couverts par des appropriations permanentes. Il restait £40,000 à voter pour l'année courante. Cette somme fut mise à la disposition du gouverneur en attendant qu'on pourvût à la liste civile par bill, afin de la mettre sur un pied vraiment constitutionnel. Sherbrooke qui avait demandé son rappel pour cause de mauvaise santé, s'embarqua peu de temps après la session pour l'Europe. On assure qu'il partit dégoûté de la tâche qu'il avait eue à remplir. Il est assez difficile de dire qu'elles étaient vraiment ses idées sur la politique à suivre en Canada. Il est probable qu'il était mécontent de tous les partis et qu'il avait craint surtout de se livrer à l'oligarchie, cause première de toutes les discordes. C'était un homme d'un grand sens, qui avait des vues élevées, mais qui connaissant l'influence des officiels au bureau colonial, n'osa pas se mettre en lutte avec eux, d'autant plus que ses vues ne cadraient pas entièrement avec celles de l'assemblée. Il fut remplacé par l'un des plus grands personnages de la Grande-Bretagne, le duc de Richmond, qui avait gouverné l'Irlande tant bien que mal, et qui était réduit à voyager ainsi d'un pays à l'autre pour refaire une fortune qu'il avait dissipée par ses extravagances. Le rang élevé de ce seigneur, l'influence que son nom lui donnait en Angleterre, tout portait à croire que son administration allait être signalée par quelque grande réforme qui mettrait fin aux dissensions qui commençaient à déchirer le pays au sujet des finances. Mais il s'était gâté au gouvernement de l'Irlande, où le mal dessèche tout, jusqu'au sol. Il arriva à Québec en 1818 accompagné de son gendre, sir Peregrine Maitland, nommé lieutenant gouverneur du Haut-Canada. Tous les principaux citoyens s'empressèrent d'aller lui présenter leurs hommages ou de laisser leurs noms au château. Mais cet empressement et ses espérances ne durèrent qu'un instant. Après un ajournement du 12 au 22 janvier 1819, à l'occasion de la mort de la reine, les chambres se réunirent et le nouveau vice-roi leur adressa un discours qui avait presque exclusivement rapport à la question des finances, et qui fit d'abord espérer une heureuse solution de la question. L'assemblée répondit en faisant de grands complimens, qu'elle allait s'en occuper sans délai. Mais lorsqu'elle prit les estimations de la dépense de l'année courante et qu'elle les vit grossies du cinquième sur l'année précédente, elle éprouva quelque surprise. Quoique l'on pût supposer que le gouvernement se trouvant désormais obligé d'obtenir une liste civile pour la vie du roi, choisissait la première épreuve de la libéralité populaire pour la faire mettre sur un pied qui correspondit avec l'accroissement du pays, la chambre n'était point dans les dispositions convenables pour accueillir une pareille proposition sans de graves motifs. Loin de là, elle ne faisait tant d'efforts pour obtenir le contrôle du budget, que parce qu'elle croyait qu'il régnait de grands abus, et qu'au lieu d'augmenter la dépense il fallait la réduire. Le duc de Richmond était le dernier homme au monde pour régler une question financière, lui qui avait gaspillé une immense fortune. Il prit la chose avec hauteur, et le mécontentement de la chambre n'était pas de nature à se taire devant l'aspect menaçant du château. Les estimations furent renvoyées à un comité spécial, qui fit un rapport fort long et fort détaillé dans lequel il recommandait avec énergie l'économie et l'abolition de plusieurs charges inutiles ou purement nominales. Comme dans une colonie le contrôle de la chambre sur le gouvernement est nécessairement plus fictif que dans une métropole, où il est en dernière analyse appuyé sur la volonté générale; et comme dans une colonie aussi le gouvernement représente la mère-patrie, qu'il dispose de toutes ses forces, et peut dans le besoin se passer du concours des colons pour exister, il en résulte que ceux-ci sont obligés de prendre pour influencer l'exécutif, des précautions qui sont inutiles ailleurs. De plus, quoique la liste civile soit votée pour la vie du monarque en Angleterre, la somme est si petite relativement à la totalité du budget, qu'elle est à peine sensible, et que sans le vote annuel de la totalité, le gouvernement serait dans l'impossibilité absolue de marcher. Il n'en était pas de même en Canada. Avec la liste civile obtenue pour la vie du roi, le gouvernement pouvait facilement se passer des chambres ou les ajourner à la première difficulté sans éprouver d'embarras. Ce sont ces considérations essentielles qui portaient la chambre à n'abandonner aucune de ses prétentions sur la question. S'occupant encore plus du fond que de la forme, l'assemblée voulait obtenir par son contrôle sur l'argent, la plus grande influence possible sur l'exécutif; elle avait obtenu le vote annuel des subsides, elle voulait encore spécifier en détail les objets pour les quels elle les accordait, parcequ'il y avait beaucoup d'abus dans la distribution; mais cette nouvelle prétention quoique conforme à son droit, parceque qui peut plus peut moins, éprouvait de l'opposition de la part de quelques membres moins exigeans que les autres. Il s'agissait de décider si la somme demandée par le gouvernement serait accordée en bloc en lui en laissant la distribution, ou si elle le serait en détail, c'est-à-dire en fixant chaque item de dépense. Les membres les moins hostiles au gouvernement repoussaient ce dernier mode comme sans exemple et portant atteinte à la prérogative royale; le plus grand nombre au contraire soutenaient que c'était le droit indubitable des communes de déterminer la distribution de l'argent tel qu'elles le jugeaient convenable; que si les communes d'Angleterre ne le faisaient point, c'est qu'elles ne voulaient pas user de leur droit; que c'était le seul moyen de tenir en Canada le gouvernement en échec et de s'assurer de la diligence et de l'intégrité de ses officiers. Prenant un milieu entre ces deux extrêmes, quelques membres auraient voulu que les subsides fussent votés par chapitres, ou en diverses sommes rondes pour chaque département, laissant la distribution au gouvernement; mais les partisans du vote en détail l'emportèrent, et le bill de subsides passé dans cette forme, fut envoyé au conseil. Le salaire de chaque officier avait été fixé malgré l'opposition qui prétendait que c'était vouloir exercer un contrôle direct sur tous les fonctionnaires, renverser l'autorité exécutive et établir virtuellement une démocratie. On avait été encore plus loin; on avait approprié les fonds qui avaient déjà été mis à la disposition de la couronne, afin d'exercer un contrôle continuel sur la totalité de la dépense et d'avoir une garantie que l'argent était employé conformément à la loi. Le premier effet de ce système fut l'omission de plusieurs salaires pour des emplois inutiles. Le conseil rejeta le bill avec hauteur et passa cette résolution: «Que le mode adopté pour l'octroi de la liste civile était inconstitutionnel, sans exemple et comportait une violation directe des droits et des prérogatives de la couronne; que si le bill devenait loi, il donnerait aux communes non seulement le privilège de voter les subsides, mais aussi de prescrire à la couronne le nombre et la qualité de ses serviteurs en réglant et en récompensant leurs services comme elles le jugeraient convenable; ce qui les mettrait dans la dépendance des électeurs et pourrait leur faire rejeter l'autorité de la couronne, que leur serment de fidélité les obligeait de soutenir.» Tout le monde s'était attendu à ce résultat. Tandis que la chambre cherchait à amener ainsi les fonctionnaires les uns après les autres à son tribunal, qu'ils faisaient semblant de braver encore, mais dont ils devaient bientôt redouter toute l'influence, M. Ogden, l'un des membres de la chambre, porta contre le juge Bedard des Trois-Rivières, cet ancien patriote si indépendant et si énergique des temps de Craig, les plaintes les plus graves. Il l'accusa de négliger ses devoirs, de prostituer l'autorité judiciaire pour satisfaire ses vengeances personnelles, de violer la liberté individuelle, de dégrader la dignité de ses fonctions. Il paraît que sur ses vieux jours, ce juge qui avait besoin d'un plus grand théâtre que la petite ville où on l'avait relégué pour ses talens, s'abandonnait à des excès d'intempérance qui laissaient des traces d'irritation dans son humeur. Dans ces momens, les avocats de sa cour abusaient quelquefois de la latitude laissée à la parole pour exciter le vieux lion populaire, et lui faire commettre des actes qui compromettaient son caractère et ses hautes fonctions. Son accusateur avait été lui-même emprisonné par son ordre pour libelle et mépris de cour. La chambre renvoya les accusations à un comité spécial qui, après examen, déclara qu'elles étaient sans fondement. Cette guerre contre les fonctionnaires est l'indice le plus certain du malaise et de l'agitation des esprits. Les entraves, les oppositions, les défiances, les haines, tout surgissait de la manière avec laquelle on faisait fonctionner la constitution. Il était évident que la lutte allait avoir des suites plus graves si l'on ne prenait pas les moyens d'en faire disparaître la cause. La constitution avait trop donné et trop retenu. Entre la branche populaire et l'exécutif qui était indépendant de la colonie, il n'y avait aucun corps indépendant pour adoucir les chocs, car le conseil dépendait du gouvernement et lui servait d'écran, ce qui en faisait un instrument de discorde plutôt que d'harmonie. Les vices de l'organisation judiciaire étaient un sujet de plaintes générales; mais on n'avait encore proposé aucun remède. C'était une de ces questions difficiles devant lesquelles l'on recule dès qu'on y porte une attention sérieuse. Le gouverneur y appela vainement celle de l'assemblée, qui était alors trop occupée de la question des subsides, pour se laisser distraire par un objet qu'elle aurait toujours la liberté de discuter, et dont l'ajournement ne portait aucun préjudice aux droits politiques du pays. Elle négligea de la même manière le projet d'érection d'un tribunal judiciaire dans le district de St. François, contrée située entre le district des Trois-Rivières et les états de Vermont et de New-Hampshire, malgré les messages du gouverneur et de son prédécesseur. Elle nomma un comité de cinq membres pour dresser, 1º un état des revenus de la couronne et des payemens faits par le receveur général depuis l'établissement de la constitution jusqu'au temps présent, 2º un état en détail de toutes les appropriations de la législature et des payement faits à compte dans le même espace de temps. Le comité devait ensuite établir la balance, compter l'argent dans la caisse publique et faire rapport avec toute la diligence convenable. Cette résolution toute sage qu'elle fut en elle-même, avait l'apparence d'un soupçon offensant pour le gouvernement. Elle fut considérée comme telle, car elle n'eut aucune suite; ce qui fut un malheur pour tout le monde, pour les contribuables, pour l'exécutif et pour le fonctionnaire qui regardait plus particulièrement, parce que plus tard il se trouva un déficit de près de £100,000 dans sa caisse. Richmond à qui on avait persuadé que l'intention de la chambre n'était que de faire de l'opposition, fut irrité de l'audace qu'elle avait d'oser douter de la fidélité des fonctionnaires, et en allant proroger le parlement lui adressa le discours hautain qui suit: «Je suis venu prendre les rênes du gouvernement des domaines de sa Majesté dans l'Amérique du nord avec le désir sincère d'exécuter les intentions généreuses et les vues bienveillantes de son altesse royale, le prince Régent; d'avancer par tous les moyens possibles, la prospérité générale, l'amélioration des ressources mutuelles et le bonheur individuel des sujets de sa Majesté. Je m'étais flatté de l'espoir et de l'attente raisonnable, de trouver dans ces poursuites, l'appui de toutes les personnes instruites et capables d'apprécier les motifs qui m'ont porté à accepter cette charge. Frappé de ces impressions avec une pleine confiance dans votre zèle, dans voue loyauté, dans votre connaissance locale des intérêts publics et privés j'ai patiemment suivi vos délibérations... Vous, messieurs du conseil législatif, vous n'avez pas trompé mes espérances, et je vous prie d'accepter mes remercîmens pour le zèle et l'assiduité que vous avez montrés dans ce qui concernait plus particulièrement la branche de la législature à laquelle vous appartenez. C'est avec un véritable regret que je ne puis vous exprimer, à vous, messieurs de la chambre d'assemblée, la même satisfaction ni la même approbation sur le résultat des travaux auxquels vous avez passé un temps si précieux, ou sur les principes qui vous ont guidé et qui sont consignés dans vos journaux. Vous avez pris en considération les documens que j'avais fait mettre devant vous, et vous avez voté une partie des sommes requises pour le service de 1819 mais vous avez basé vos appropriations comme le font voir les procès-verbaux du conseil, sur des principes qui ne peuvent être constitutionnellement admis, et ce conseil les a en conséquence rejetées; de sorte que le gouvernement se trouve maintenant sans ressources nécessaires pour le maintien de l'administration civile malgré l'offre et l'engagement volontaire pris par l'assemblée envers sa Majesté par sa résolution du 13 février 1810.» Comme Craig, le duc prit, comme on voit, la liberté de complimenter une chambre et de blâmer l'autre. Cette liberté qui ne se prend dans les pays indépendans que dans les temps de trouble et de révolution, peut se répéter dans les colonies où les conséquences mettent plus de temps à venir, quoiqu'elles n'en sont pas moins inévitables. Le duc de Richmond ne vécut pas assez longtemps pour voir l'effet de sa conduite, et mourut convaincu que la tranquillité publique était assurée pour longtemps. Il écrivait à lord Bathurst que les habitans étaient contens de leur constitution et que l'on pouvait dépendre sur eux si les Etats-Unis nous attaquaient. En arrivant à Québec, il avait visité le Haut-Canada; il y retourna après la session pour examiner plus attentivement les moyens d'améliorer les communications intérieures et d'en fortifier les positions militaires, sujet qui occupait toujours l'attention de l'Angleterre. En 1816 son projet était de laisser le pays situé entre le lac Champlain et Montréal à l'état de nature afin que les forêts servissent de protection contre les Américains, et lord Bathurst était fâché qu'on eût commencé des établissemens à Hemingford et dans les autres lieux de ce voisinage. Il fallait empêcher l'ouverture des chemins dans cette direction. Richmond descendait à Québec lorsqu'il tomba malade sur la rivière des Outaouais, et expira au bout de quelques heures dans les douleurs les plus cruelles. Ses restes furent descendus dans la capitale et déposés avec une grande pompe dans la cathédrale protestante le 4 septembre 1819. Ainsi mourut celui dont la domination menaçait le pays de nouveaux orages. Les rênes du gouvernement passèrent successivement par les mains de Monk, sir Peregrine Maitland, et du comte Dalhousie élevé à la tête du gouvernement des colonies de l'Amérique du Nord. Les visites fréquentes des gouverneurs du Bas-Canada dans le Haut depuis quelque temps, firent soupçonner que quelque projet se tramait dans l'ombre contre les Canadiens français, toujours vus avec froideur comme des étrangers dans la maison paternelle. La hauteur et l'arrogance de langage du dernier gouverneur étaient un présage qui faisait mal augurer de l'avenir. Quoiqu'on fût préparé à quelque coup d'éclat, la dissolution de l'assemblée ordonnée par Monk, étonna, parce que l'on savait qu'une nouvelle élection n'en changerait point le caractère, et que cette mesure ne paraissait pas en uniformité avec l'excellente réception que lord Bathurst faisait alors à Londres à l'évêque de Québec, M. Plessis, passé en Europe pour les affaires de son diocèse. Il était question à Rome de changemens dans l'église des diverses provinces anglaises de l'Amérique du Nord, rendus nécessaires par l'accroissement de la population catholique. Comme le projet de l'union des deux Canadas était probablement alors sur le tapis au bureau colonial, le ministre croyait devoir faire toutes les concessions demandées par le clergé, afin de prévenir ses objections contre une mesure qui aurait pu lui inspirer des craintes, et, suivant la politique suivie depuis le commencement du siècle, de rallier l'autel à soi pour être plus fort contre le sénat. Le pape avait signé des bulles au commencement de 1819, pour ériger l'évêché de Québec en archevêché. M. Plessis rendu à Londres, craignant que cet arrangement, fait sans sa connaissance et sans celle du gouvernement, ne lui portât ombrage, écrivit au préfet de la propagande, le cardinal Fontana, pour l'informer qu'il n'avait pas voulu prendre son nouveau titre. En même temps il présentait trois mémoires à lord Bathurst, qui s'était trouvé offensé comme il l'avait prévu, de l'expédition des bulles. Le premier avait rapport à la division du diocèse de Québec; le second au séminaire de Montréal, dont l'on avait recommandé au gouvernement de prendre les biens; et le troisième au collège de Nicolet. Il suggérait de former du diocèse de Québec une hiérarchie consistant en un métropolitain et quatre ou cinq évêques suffrageans. Sur les objections du ministre à l'introduction d'ecclésiastiques étrangers, il répondait: «Des prédicans de toute espèce s'introduisent en Canada: méthodistes, newlights, anabaptistes. Des renégats de toute nation, des révolutionnaires, des déserteurs, des régicides pourraient y entrer sans blesser les lois. Pourquoi en fermer la porte aux seuls ecclésiastiques catholiques, à des jeunes gens élevés avec soin, étrangers à la politique et préparés par leur éducation à soutenir et à défendre l'autorité contre les empiétemens de la démocratie?» Depuis longtemps le bureau colonial prenait ses précautions. Les concessions qu'il avait intention de faire aux catholiques n'étaient pas dues seulement à leurs bonnes raisons. Il avait senti que la question religieuse était la plus importante, parce que c'était celle au moyen de laquelle on pouvait agiter le plus facilement et le plus profondément les masses. Il décida de la régler sans délai. Le prélat canadien ne fit aucune promesse à lord Bathurst de soutenir de l'influence cléricale les mesures politiques que l'Angleterre pourrait adopter à l'égard du Canada quelque préjudiciables qu'elles pussent être aux intérêts de ses compatriotes; mais on peut présumer que le ministre en vit assez à travers son langage pour se convaincre qu'en mettant la religion catholique, les biens religieux et les dîmes à l'abri, on pouvait compter sur son zèle pour le maintien de la suprématie anglaise quelque chose qui put arriver, soit que l'on voulût changer les lois et la constitution, ou réunir le Bas-Canada au Haut. Les membres du clergé pourraient bien se prononcer pour ou contre suivant leur opinion individuelle; mais les changemens opérés, l'union accomplie, on s'y soumettrait et le clergé serait le premier à donner l'exemple. Lord Bathurst avait pu voir aussi que le chef du clergé canadien n'était pas plus favorable aux institutions républicaines que les chefs des clergés italien, espagnol ou français. Il invita M. Plessis à son château d'Oakley grove près de Cirencester, où il eût de fréquentes conférences avec lui dans les vingt quatre heures qu'ils y passèrent ensemble. Le ministre fit d'abord beaucoup de difficultés sur le premier mémoire, mais parut s'y rendre par sa dépêche du 17 septembre. Quant au second, il chercha à engager l'évêque à entrer en composition, et finit par avouer que si les titres du séminaire de Montréal étaient comme il le disait, il fallait bien lui confirmer ses biens. Il fut aussi question des écoles. Le ministre répugnait à sanctionner la loi que la chambre avait passée à ce sujet, parce qu'il croyait qu'elle avait été faite pour les paroisses catholiques seulement. Rendu à Rome, M. Plessis présenta au pape un mémoire semblable à celui qu'il avait donné à lord Bathurst sur la division de son diocèse et obtint ce qu'il demandait. Revenu à Londres le ministre approuva cette division et l'érection de l'archevêché avec sièges suffrageans, mais refusa de sanctionner le bill d'éducation jusqu'à ce que l'on eût adopté d'autres mesures qui étaient depuis longtemps en discussion.[20] L'évêque lui dit que le clergé catholique était opposé à l'institution royale et à l'acte des écoles de 1801, qui les mettait sous une commission presque toute protestante, et blâmait Monk, d'ailleurs peu populaire, d'avoir dissous la chambre en 1819. [Note 20: Dépêches du 20 mai 1820 et du 10 septembre 1821.] En effet cette dissolution ne fit qu'augmenter l'agitation et affaiblir l'influence de l'exécutif en faisant proclamer par le scrutin électoral une nouvelle censure contre la marche de l'administration. La liste civile proposée par la chambre fut prise pour cause de la dissolution et la plupart des membres qui avaient voté contre furent repoussés par les électeurs. La nouvelle chambre fut encore plus opposée aux prétentions du gouvernement que l'ancienne, comme on le vit dès le début. Aussitôt que le parlement fut réuni la chambre élut son président et déclara que, comme elle n'avait pas encore reçu le rapport de l'élection du comté de Gaspé, elle n'était pas en nombre suivant les termes de la constitution et ne pouvait procéder aux affaires. Sir Peregrine Maitland revenu du Haut-Canada lui adressa en vain un message pour lui recommander de renouveler certaines lois qui allaient expirer, elle y répondit par son silence et laissa même entrevoir que si elle ne pouvait siéger dans les douze mois faute du rapport de l'élection de Gaspé, elle pourrait être autorisée à regarder les conséquences de la dernière dissolution comme une violation de la constitution. Elle renferma cette interprétation dans une résolution qu'elle communiqua au chef de l'exécutif, qui répondit qu'il en était fâché et qu'il ne la croyait pas fondée. Elle refusa de correspondre avec le conseil et l'on ne sait combien de temps l'on serait resté dans cette situation embarrassante sans l'arrivée de la nouvelle officielle de la mort de George III, qui fournit une occasion d'en sortir en entraînant la dissolution du parlement. Le comte Dalhousie débarqua à Québec dans le moment même qu'avaient lieu les élections. Il retourna visiter les districts supérieurs, qu'il avait déjà parcourus avec le duc de Richmond. Les élections ne changèrent point le caractère de la chambre qui se réunit le 14 décembre. Le gouverneur fit allusion à une multitude de sujets dans son discours. Il ajouta quelques observations qui paraissaient couler du coeur d'un homme qui désirait ardemment voir régner l'harmonie et la bienveillance, mais il gardait le silence sur les grandes questions qui agitaient tous les partis et qui devaient finir par les jeter dans les convulsions de la guerre civile. Le bureau colonial avait repris la mesure de l'union dont la menace fut lancée pour la première fois vers 1807, mais qu'on n'eut pas le temps de mûrir avant la guerre américaine. La part que les Canadiens prirent à la défense du pays, dirigés par la politique de M. Bedard et de ses amis, contre les républicains, malgré les persécutions qu'ils avaient éprouvés sous Craig, fit ajourner le projet sans le faire abandonner. Malgré les tentatives du juge Sewell pour le faire reprendre, lors de son voyage à Londres, il dormit jusque vers le temps où nous sommes arrivé, qu'il fut exhumé pour en faire un but vers lequel on devait plus directement marcher. On ne devait en conséquence faire aucune concession sur la question des finances; et s'il arrivait une crise en profiter pour le mettre à exécution. Mais la métropole ne devait pas paraître comme actrice active dans la politique qu'on allait suivre pour amener ce résultat. La rivalité des deux chambres canadiennes était nuisante pour cela. On n'avait qu'à soutenir le conseil dans son opposition à la chambre et ne rien céder à celle-ci, et en peu de temps la crise serait portée au point qui permettrait aux ministres de prouver au parlement impérial que l'union était le seul remède propre à mettre fin aux dissensions et à assurer le repos du peuple et l'existence du gouvernement. Si le plan que nous venons de tracer ne fut pas d'abord arrêté à la lettre au bureau colonial tel qu'on l'expose ici, il est indubitable que l'idée en influença de jour en jour plus fortement la marche des ministres, et qu'à l'époque où nous arrivons M. Ellice les avait presque convaincus de la nécessité de le soumettre au parlement; ce qui expliquait pourquoi toutes les demandes de l'assemblée étaient reçues, quelque raisonnables qu'elles fussent, par le cri éternel de révolte et de trahison poussé par le conseil guidé par le juge Sewell, instrument rusé et parfaitement éclairé du bureau colonial. L'assemblée pour ne pas laisser lord Dalhousie dans la pensée qu'il suffisait de manifester des intentions pacifiques et bienveillantes pour rétablir la concorde, s'expliqua d'une manière précise dans sa réponse sur le grand sujet du débat, le budget, rédigée par un comité composé de MM. Cuvillier, Taschereau, Neilson, A. Stuart et Quesnel, citoyens sages, éclairés et jouissant à juste titre d'une grande popularité. Bans les estimations qui furent transmises par l'exécutif, la dépense civile était divisée par classes correspondant aux classes des fonctionnaires et à la nature des dépenses, et elles se montaient en totalité à £45,000. L'assemblée les discuta article par article, fit quelques retranchemens, puis, pour tâcher de concilier le conseil à la doctrine du vote annuel, abandonna la forme prise dans la dernière session, c'est-à-dire le vote par article, et adopta la division par chapitre; elle vota ainsi une liste civile de £46,000 de son propre mouvement sans attendre le message ordinaire du gouverneur. Mais cette initiative empressée porta ombrage. Le conseil qui redoutait quelqu'embûche, s'empressa de signaler les défauts de l'appropriation. Une partie du revenu public était déjà appropriée d'une manière permanente par d'anciennes lois, et l'assemblée l'avait comprise dons son vote pour soumettre ainsi sans doute la totalité du revenu à son contrôle. C'était une usurpation de pouvoir et un note d'ambition qu'il fallait s'empresser de repousser, et de prime abord il rejeta la liste civile en déclarant: «Qu'il avait incontestablement le droit de contribuer au vote du bill des subsides; que ce droit n'étendait à l'adoption et au rejet du bill, et qu'aucune appropriation ne pouvait être faite sans son concours. Qu'il ne prendrait en considération aucun bill de subsides sans la recommandation du représentant du roi, ou s'il était divisé par chapitres et par articles, et ai sa durée était pour moins que pour la vie du roi; qu'enfin il ne considérerait aucun bill d'appropriation d'argent dépensé sur l'adresse de la chambre, si ce n'était pour payer les dépenses de cette chambre elle-même ou pour subvenir à quelque besoin imprévu et pressant.» La chambre ne lit pas attendre on réponse; elle déclara à une grande majorité: «Que le conseil ne pouvait ni lui prescrire ni lui dicter la forme ou la manière de voter les subsides non plus qu'aucune autre mesure, et que toute tentative à cet effet était une infraction de ses privilèges; que le droit de proposer les subsides lui appartenait exclusivement, et que les résolutions du conseil étaient contraires aux usages parlementaires et à la constitution.» Le conseil sans tenir compte de ce protêt, persista dans sa détermination et rejeta le bill. La chambre pour ne pas arrêter le gouvernement faute d'argent, mit par un vote spécial les fonds nécessaires à sa disposition. Lord Dalhousie qui s'entendait avec le conseil, répondit qu'il avait considéré la question avec la plus grande attention et que ce vote était insuffisant sans le concours de celui-ci. On en resta là, le conseil ne voulant point entendre parler de subsides à moins que la totalité ne fût votée en bloc pour la vie du roi, et l'assemblée persistant à les voter par chapitres et par année afin de pouvoir contrôler l'exécutif par le moyen tout-puissant. Ce contrôle du reste était essentiel à son existence. La force militaire du gouvernement indépendante d'elle, laissait encore à celui-ci une prépondérance assez forte pour se faire respecter. La chambre voulait assurer à tous ses actes la plus parfaite indépendance. Elle ne voulait se laisser ni censurer, ni intimider. Il n'y a rien en effet de plus humiliant dans l'état colonial que les insultes prodiguées à la représentation par un gouverneur souvent inconnu d'elle et que l'intrigue ou le hasard a fait placer à sa tête. La censure portée contre la chambre par le duc de Richmond' et la résolution qu'avait passée le conseil pour servir d'introduction à cette censure, furent évoquées, et l'on résolut presqu'à l'unanimité sur la proposition de M. Neilson, que c'était une violation des droits et des privilèges les plus incontestables de la chambre, et une usurpation de pouvoir contraire aux lois et tendant à renverser la constitution. Par une autre résolution la chambre maintenait son droit d'adopter, en votant les subsides, tel ordre ou tel mode qu'elle jugerait conforme à ses réglemens. L'importance de cette question l'avait obligée de négliger beaucoup de mesures, et elle en communiqua les raisons au gouverneur par une adresse, en promettant d'en faire l'objet de ses premières délibérations à la session suivante. Dans une autre adresse elle lui signala une foule d'abus et de sinécures. Elle le priait de suspendre le payement d'un salaire de £1500 accordé à un lieutenant gouverneur qui n'avait jamais mis le pied dans le pays, déclara inutile le salaire d'un autre nommé pour Gaspé qui ne résidait point non plus; le priait de ne payer le salaire de £400 à un M. Amyot, secrétaire de la province, que lorsqu'il y remplirait ses fonctions, déclara la charge d'agent de la province à Londres, sans avantage pour le peuple, posa pour règle qu'aucun salaire ne devait être accordé aux conseillers exécutifs qui ne résidaient point dans le pays, que la réunion d'offices de juge à la cour d'amirauté et de juge à la cour du banc du roi, était incompatible sur la même tête; que le cumul de ceux de juge comptes l'était encore plus; enfin elle le priait de porter remède à tous ces griefs comme à celui, le plus grave de tous pour la pureté de la justice, dont se rendait coupable le juge de l'amirauté, qui se faisait donner des honoraires par les plaideurs contrairement à la loi, tandis qu'il recevait un salaire de l'état. Ces désordres étaient si patens que le gouverneur assura la chambre qu'il allait en faire rapport aux ministres. Mais en allant la proroger, il lui fit des reproches qui ne permirent plus de douter que la politique du bureau colonial n'avait pas changé. Il la blâma de perdre son temps à discuter des questions de principes constitutionnels, de laisser le gouvernement sans subsides et d'arrêter les améliorations. Les résolutions de la chambre et ce discours n'étaient pas propres à calmer le pays; les journaux redoublèrent de violence, et chaque parti parut plus résolu que jamais de défendre à outrance la position qu'il avait prise. En Canada l'opinion publique soutenait les représentans; et si les deux partis ne voulaient point céder, l'on tombait dans une crise. L'oligarchie n'avait aucun doute dans sa force appuyée qu'elle était de la toute-puissance de l'Angleterre. Le parti populaire, maintenant physiquement trop faible, voyait néanmoins dans un avenir plus ou moins éloigné, le succès infaillible de ses doctrines. Comme M. Papineau était le chef le plus avancé des Canadiens, le bureau colonial écoutant enfin la suggestion de Sherbrooke, chercha à se l'acquérir. Il ordonna à lord Dalhousie de le nommer au conseil exécutif; mais M. Papineau convaincu que seul il ne pourrait exercer aucune influence sur les dispositions de ce corps, n'y parut jamais, de sorte que le but qu'on s'était proposé on l'y nommant fut manqué, et en 1823 on résolut que les avantages qu'on attendait de la présence du président de la chambre dans son sein ne s'étant pas réalisés, il on fut retranché. Le gouverneur visita le Haut-Canada dans le cours de l'été, sous prétexte d'en examiner les fortifications, mais pour sonder l'opinion publique et faire rapport à Londres sur la situation des esprits dans les deux provinces, par anticipation à leur union, dont les ministres préparaient alors le projet. A son retour il assembla le parlement et lui déclara que la liste civile devait être votée pour la vie du roi, d'après la recommandation de sa Majesté, qui voulait que ce principe fût adopté et suivi dans le pays. Cette nouvelle déclaration fit évanouir tout espoir d'arrangement s'il en existait encore. La réponse de la chambre fut réservée et pleine des expressions les plus respectueuses pour la constitution. Le gouverneur répliqua qu'il avait l'espoir que la discussion serait calme et sans passion; mais qu'il devait déclarer d'avance que la liste civile qu'il avait demandée était la condition _sine qua non_, et que tant qu'elle ne serait pas votée, on ne pourrait attendre aucune harmonie entre les trois branches de la législature, prévision qu'il pouvait faire avec d'autant plus d'assurance qu'il était maître de deux. La chambre était décidée à ne pas abandonner la position qu'elle avait prise, laquelle lui permettait de battre en brèche tout le système oligarchique qu'elle voulait à tout prix renverser avant de poser les armes. Cependant elle ne voulait pas accueillir la demande du gouverneur par un refus soudain et absolu et elle cherchait à l'ajourner, lorsque M. Taschereau, devenu partisan de l'administration, en proposa tout à coup l'acceptation pour faire disparaître tous les doutes. Le bureau colonial en était rendu au point où il lui fallait des moyens prompts et décisifs. Cinq membres seulement votèrent pour la proposition; trente et un contre. Dans un gouvernement vraiment constitutionnel une pareille division sur une matière d'argent eût réglé la question d'une manière définitive. La chambre crut devoir expliquer les motifs de son vote, qui étaient fondés principalement sur les considérations que nous avons développées plus haut, et conformes à l'offre faite en 1810 et acceptée par le roi en 1818. Ces explications furent incorporées dans une adresse à George IV, que lord Dalhousie promit de transmettre en Angleterre. En même temps la chambre nomma M. Joseph Marryat, membre des communes, pour veiller aux intérêts de la colonie au siège de l'empire, et pour communiquer avec les ministres sur toutes les questions qui auraient rapport au Canada, sur lesquelles on lui envoya des instructions très volumineuses. Le conseil redoutant l'effet de la démarche de l'assemblée, s'empressa de déclarer qu'en nommant M. Marryat sans le concours des autres branches de la législature, elle s'arrogeait un pouvoir dangereux; que c'était nommer aux emplois en violation directe de la prérogative royale, et renverser ou chercher à renverser la constitution. Marryat en apprenant ce qui s'était passé, refusa la commission de la chambre sous prétexte que sa nomination ne pouvait être constitutionnelle, si elle n'était pas reconnue du gouvernement et approuvée de la seconde branche de la législature. L'assemblée persistant dans la voie qu'elle s'était tracée, refusa, malgré le message spécial que le gouverneur lui envoya, de voter les subsides et passa même une résolution pour rendre le receveur général personnellement responsable des paiemens qu'il pourrait faire. A la tournure tranchée que prenaient enfin les choses, lord Dalhousie vit bien que la réserve et la tactique qu'il avait employées jusque-là pour parvenir à son but, ne produiraient rien sur des hommes trop habiles pour s'en laisser imposer, et il prit le parti de communiquer la réponse des ministres aux demandes de l'assemblée de l'année précédente. Cette réponse communiquée au début de la session eut amené une explosion; elle refusait ou ajournait tout. Le lieutenant gouverneur de Gaspé était des plus nécessaires, et au lieu de retrancher son salaire il fallait l'augmenter; on aurait soin à la mort du présent secrétaire provincial d'en nommer un qui résiderait; l'agent colonial avait toujours existé et il n'y avait rien contre sa conduite qui pût autoriser son déplacement. Le reste était ajourné. La minorité du conseil, car la nature de la question avait enfin fini par détacher une faible section de ce corps, la minorité du conseil à l'aspect des menaces sourdes que l'on commençait à proférer contre les Canadiens, crut devoir faire une démonstration en faveur de l'opinion de la chambre sur la liste civile, craignant les suites d'une lutte trop prolongée sur une pareille matière, et M. Debartzch proposa de révoquer les résolutions de la session précédente. A cette proposition rétrograde, la majorité se récria. Des débats animés s'engagèrent et durèrent fort longtemps. «Comment, dit M. Richardson, pouvons-nous révoquer nos résolutions en présence d'un comité secret qui siège à la chambre d'assemblée, et qui délibère peut-être dans le moment même sur la nomination d'un gouverneur et sur le renvoi de celui que nous avons maintenant, pour le remplacer par un de son choix. Un comité siège à l'insu de plusieurs des membres de la chambre, chose sans exemple en Angleterre excepté du temps de Charles premier. Ce comité est peut-être un comité de sûreté.» Ce membre crédule et violent accusa la majorité de l'assemblée de desseins désorganisateurs et révolutionnaires, et porta les accusations les plus graves sur ses intentions. Plusieurs membres de la chambre présens à ces débats, en prirent ombrage et communiquèrent leurs sentimens aux autres. L'un d'eux, M. Quirouet, fit part à rassemblée de ce qu'il avait entendu. Là dessus un comité de cinq membres est nommé, lequel présenta quelques jours après, un rapport qui entraîna des débats dans lesquels l'antipathie profonde qui divisait les deux corps éclata dans toute sa force. Le rapport fut adopté à une grande majorité, et il fut résolu que le langage de M. Richardson était faux, scandaleux et méchant; qu'il tendait à détruire la confiance du roi dans la fidélité et la loyauté de la chambre et du peuple; que c'était de plus une haute infraction de ses privilèges; que le conseil devait sévir d'une manière proportionnée au mnal qu'on avait voulu lui faire, et que le gouverneur était tenu de destituer le coupable de toutes les places d'honneur, de confiance ou de profit qu'il pouvait tenir de la couronne. Deux adresses conformes furent présentées, l'une au gouverneur et l'autre au conseil. Le gouverneur répondit qu'elles renfermaient les conséquences de la plus haute importance; que les résolutions paraissaient exprimées dans un langage qui ne convenait nullement à la dignité réfléchie d'un corps délibératif; qu'elles affectaient les privilèges du conseil et la liberté des débats, et qu'il devait pour ces raisons se refuser à la demande qu'elles contenaient. La chambre protesta alors contre toutes les tentatives qui se faisaient pour détruire la confiance dans l'honneur et la loyauté des représentans du peuple, neutraliser leurs efforts en faveur du bien public, et déclara qu'elle avait incontestablement le droit de les réprimer par tous les moyens que lu constitution avait mis à sa disposition. Ce conflit qui caractérise la violence de l'époque, augmenta encore l'irritation des esprits. L'assemblée montra en cette occasion trop de susceptibilité et parut vouloir gêner la liberté des débats. La bonne politique indiquait une marche contraire, parceque rien ne faisait mieux ressortir la faiblesse et le caractère du conseil, que ces apostrophes inspirées par la douleur qu'il éprouvait à chaque coup porté contre sa puissance artificielle. Cependant le gouverneur en voyant la résolution de l'assemblée au sujet des subsides, l'informa qu'il allait payer les dépenses du gouvernement sur les fonds que les anciennes lois avaient mis à sa disposition, à quoi elle répliqua qu'aussitôt qu'elle serait mise en pleine jouissance de ses privilèges et que son offre de voter les subsides annuellement serait acceptée, elle remplirait ses obligations avec toute l'économie que commandaient impérieusement les circonstances dans lesquelles se trouvait le pays. Parallèlement à la question des subsides marchait dans l'assemblée celle du partage des droits de douane avec le le Haut-Canada. Le commerce de cette province avec l'Angleterre ne pouvait se faire que par le Bas-Canada. Les règles à suivre dans le partage avaient déjà causé beaucoup de difficultés, qui n'avaient été terminées qu'après de longs débats. Par le dernier arrangement conclu en 1817, le Haut-Canada devait recevoir le cinquième des droits perçus au port de Québec. Depuis quelque temps il réclamait une plus grande proportion sous prétexte que sa population avait beaucoup augmenté. On nomma des commissaires de part et d'autre, qui eurent plusieurs entrevues à Montréal sans pouvoir s'entendre. Le Haut-Canada poussé par les ennemis de l'assemblée, dont le principal foyer était dans cette ville, avançait des prétentions exagérées. Il demandait l'augmentation du cinquième fixé par le traité de 1817, vingt mille louis à titre d'arrérages sur les _draw-backs_, et dix mille qu'il prétendait lui revenir lors du dernier traité. Nos commissaires repoussèrent la première prétention et refusèrent d'entrer en négociation sur les deux autres, avant d'être autorisés. Le Haut-Canada résolut alors de s'adresser à l'Angleterre elle-même vers laquelle il députa un agent. Le comte de Dalhousie ne fit part à la législature que dans la session suivante de ces difficultés qui étaient de nature à fournir un nouveau motif en faveur de l'union, pour laquelle l'on disait qu'il penchait secrètement. On lui fit un reproche de ce délai; on l'accusa de trahir les intérêts de la province que le roi lui avait confiée; mais il s'excusa en assurant qu'il avait reçu la nouvelle officielle trop tard. L'assemblée instruite de ce qui se passait par les gazettes, s'était hâtée de protester à la dernière heure de la session contre les demandes du Haut-Canada, et de déclarer qu'elle était prête à agréer tout arrangement qui pourrait faciliter le passage de ses marchandises d'outre-mer par Québec. Deux jours après, le gouverneur prorogeait les chambres en regrettant les résolutions de l'assemblée et faisant des compliments au conseil dont la conduite, disait-il, pouvait convaincre le roi qu'il continuerait à maintenir fermement les véritables principes de la constitution et les justes prérogatives de sa couronne. C'étaient MM. Papineau, Neilson et Cuvillier qui avaient dirigé la chambre dans le grand débat sur les finances avec le bureau colonial, représenté ici par le gouverneur et le conseil. MM. Papineau et Neilson s'étaient chargés de la discussion du principe; M. Cuvillier des chiffres et de la comptabilité. Ils firent preuve qu'ils étaient parfaitement maîtres de leur sujet, et que les ministres n'étaient pas capables de leur en imposer ni de les trouver en défaut sur aucun point relatif à l'impôt et aux finances; mais celui-ci avait le oui et le non, le pouvoir et la force, et il en avait usé largement pour dissoudre le parlement. A peine un seul parlement avait-il atteint son terme naturel depuis plusieurs années. Cette situation extraordinaire devait enfin finir, car les autres affaires étaient entravées et les esprits se montaient. C'est cette extrémité que les partisans de l'union attendaient. La question du partage des droits de douane avec le Haut-Canada présentait à leurs yeux des motifs suffisans pour la justifier. Le Bas-Canada y était opposé, mais suivant eux, pas jusqu'au point de lever l'étendard de la révolte. L'on pouvait compter sur le clergé catholique au chef duquel on avait fait des concessions suffisantes pour le tranquilliser sur la nouvelle situation que l'union ferait aux peuples de son église, et le clergé catholique avait une influence toute puissante sur eux. Les ministres pressés; toujours de plus en plus par Ellice et ses amis, prirent enfin la résolution d'exécuter ce grand projet et d'introduire au parlement un bill pour révoquer l'acte de 91. CHAPITRE II. PREMIER PROJET D'UNION. 1823-1827. L'Union des deux Canadas désirée par les Anglais de Montréal.--Ellice est leur agent.--Histoire de la fortune de ce marchand.--Le bill d'union amené secrètement devant le parlement impérial,--Parker donne l'alarme.--Sir James Macintosh et sir Francis Burdett avertis arrêtent le bill dans la chambre des communes.--Nature de ce bill.--Il est ajourné.--Sensation que la nouvelle de son introduction dans le parlement fait dans les deux Canadas.--Pétitions contre: MM. Papineau et Neilson députés à Londres. Habile mémoire qu'ils présentent au gouvernement.--Les ministres abandonnent la mesure.--Paroles d'Ellice à M. Papineau.--Appréciation d'Ellice par sir James Macintosh.--Opinion de sir Francis Burdett sur l'union.--Entrevues de M. Papineau avec lord Bathurst.--Opinion des hommes d'état sur la durée de l'union des Etats-Unis.--Montant de la défalcation de Caldwell.--Affaires religieuses.--Lord Dalhousie passe en Angleterre et revient à Québec.--Refus des subsides.--Discours insultant de ce gouverneur en prorogeant le parlement. L'Union avait été de tout temps la pensée secrète du parti anglais de Montréal, dont l'hostilité contre les anciens habitans augmentait tous les jours avec le désir de les dominer. L'avarice autant que l'ambition entretenait cette haine qui trouvait de la sympathie en Angleterre à la faveur des préjugés nationaux et des calomnies. Ce parti avait exclusivement l'oreille du peuple anglais; le bureau colonial recevait toutes ses inspirations de lui, et les gouverneurs se jetaient presque toujours dans ses bras pour l'avoir pour ami et s'assurer de ses bonnes grâces à Londres, où les Canadiens étaient regardés comme des espèces d'étrangers. De là le motif de leur antipathie pour ces derniers et de leur chambre d'assemblée. On a pu voir depuis l'arrivée du comte de Dalhousie que sa marche a été régulière et comme toute tracée d'avance. Son dernier mot est dit dans son premier discours aux chambres; aucune concession n'est accordée, et les résolutions de l'assemblée ne sont recueillies que pour servir de pièces dans le grand procès qu'on se propose de lui intenter devant les communes d'Angleterre avant de la détruire. De là la situation des choses en 1822, refus des subsides et querelles avec le Haut-Canada. De deux points et pour des motifs différens partaient des accusations contre l'assemblée où l'esprit, les sympathies et l'intérêt de l'ancienne population s'étaient réfugiés. Le parti britannique le plus exclusif avait toujours voulu l'union pour noyer la population française, ci c'est pour ce motif que M. Lyrnburner protesta en son nom à la barre de la chambre des communes contre la division de la province en 91. Lorsque M. Papineau le vit en 1823, en qualité d'ancien ami de son père et d'homme instruit et lettré comme lui, pour l'intéresser aux requêtes des Canadiens, sachant qu'il avait changé d'opinion, il répondit à lui et à M. Neilson qui l'accompagnait: «J'ai plusieurs lettres de mes anciens amis en Canada, qui s'appuyent de ce que j'ai dit en leur nom comme au mien contre la division de ce pays en deux provinces. Cette division fut une erreur. L'amalgamation des deux populations eût été plus rapide sans elle. Mais il y aurait maintenant de l'injustice à la faire disparaître. Elle a fortifié des habitudes et des intérêts distincts, elle a donné naissance à une législation séparée. J'ai répondu que loin de les appuyer, je les opposerais et que j'emploierais mon influence auprès des hommes publics que je connais pour faire échouer leur tentative, parce que le gouvernement se mettrait par là en contradiction avec lui-même et ce rendrait odieux en Amérique.» Si M. Lyrnburner était maintenant contre l'union, d'autres l'avaient remplacé dans son ancienne idée. On sait que la compagnie du Nord-Ouest jouissait d'une influence locale assez grande à Londres. Cette compagnie était dirigée en Canada par MM. Richardson et McGill, deux des chefs les plus exagérés du parti anglais. M. Ellice, dont le père avait fait autrefois un grand commerce dans ce pays, et qui y avait acheté de la famille Lotbinière, la seigneurie de Beauharnois, avait été commis chez eux. Par le chapitre des accidens, Ellice était devenu un homme important à Londres. Du Canada, il était passé aux Iles. Là il avait épousé une des filles du comte Grey, veuve d'un officier de l'armée. Quelques années plus tard, lord Grey se trouvait l'homme le plus puissant du parti whig, et M. Ellice, par contre coup, quoique d'un esprit fort ordinaire, se trouvait par son alliance en possession d'une grande influence. Whig en Angleterre, il devint entremetteur des torys du Canada avec le ministère tory à Londres, pour détruire l'oeuvre de Pitt, et il détermina le ministère à précipiter son projet et à présenter, en 1822, le bill d'union aux communes, qui étaient sur le point de l'adopter pour ainsi dire par surprise, la chose se faisant sans bruit, lorsque par hasard un M. Parker en eut connaissance. Parker sans être un homme de talent ni d'influence, portait une haine mortelle à Ellice, qu'il accusait de diverses fraudes dans ses transactions commerciales avec lui et avec d'autres marchanda. Il vivait retiré en Angleterre avec une fortune qu'il avait acquise dans le commerce canadien, lorsqu'il apprit que le bill d'union soumis au parlement, était plutôt l'oeuvre d'Ellice que du ministère. Il courut aussitôt dire à Downing Street qu'ils étaient les dupes d'un fripon sans pouvoir se faire écouter. Il fut plus heureux auprès de sir James Macintosh, sir Francis Burdett et de quelques autres membres des communes. Une opposition se forma et arrêta le bill à sa seconde lecture. C'est à cette occasion qu'on entendit proférer ce langage singulier dans un pays libre, par un organe du cabinet, M. Wilmot. «Je vous supplie de passer ce bill immédiatement; si vous attendez à l'an prochain, vous recevrez tant de pétitions pour protester contre la mesure, qu'il sera fort difficile de l'adopter quelqu'utile qu'elle puisse être à ceux qui s'y opposent par ignorance ou par préjugé. D'ailleurs elle est indispensable pour faire disparaître les difficultés qui existent entre l'exécutif et l'assemblée.» Malgré cette supplication pressante, sir James Macintosh et ses amis persistèrent dans leur opposition et firent renvoyer le bill à l'année suivante. Ce bill tranchait largement sur les libertés coloniales en général et sur celles du Bas-Canada en particulier. Il donnait à celui-ci une représentation beaucoup plus faible qu'au Haut. Il conférait à des conseillers non élus par le peuple le droit de prendre part aux débats de l'assemblée. Il abolissait l'usage de la langue française. Il affectait la liberté religieuse et les droits de l'église catholique. Il restreignait les droits des représentans touchant la disposition des impôts. Ce bill paraissait enfin dicté par l'esprit le plus rétrograde et le plus hostile. Il réduisait le Canadien français presqu'à l'état de l'Irlandais catholique. Le peuple libre qui se met à tyranniser est cent fois plus injuste, plus cruel, que le despote absolu, car sa violence se porte pour ainsi dire par chaque individu du peuple opprimant sur chaque individu du peuple opprimé toujours face à face avec lui. La nouvelle de l'introduction secrète pour ainsi dire de ce bill dans les communes, fit une immense sensation en Canada. L'on cria à la perfidie, à la trahison; et il ne resta plus de doute sur les motifs de la résistance du bureau colonial dans la question des subsides. On vit dés lors le but qu'il voulait atteindre. Mais il y avait encore quelque bienveillance pour nous en Angleterre. Les journaux torys qui avaient gardé îe silence jusque là, donnèrent, au mot d'ordre, le cri d'approbation, auquel les journaux libéraux répondirent en donnant l'éveil aux habitans, dont les institutions, les lois et la langue se trouvaient menacées d'une manière si inattendue. Toute la population s'agita d'un bout du pays à l'autre. On tint des assemblées publiques, on organisa des comités dans toutes les localités, pour protester contre la conduite du gouvernement de la métropole, et pour préparer des pétitions au parlement impérial et les faire signer par le peuple. Montréal et Québec donnaient l'exemple. Le jour de l'assemblée de Québec, les partisans de l'union se réunirent à Montréal sous la présidence de M. Richardson. Plusieurs assistans prononcèrent des discoure dans lesquels ils s'abandonnèrent à tous les sentimens de haine qu'ils portaient aux anciens habituans, et que plusieurs avaient dissimulés longtemps, surtout ce même Smart que la chambra avait désigné tant de fois pour être son agent en Angleterre, et qui vint donner le démenti à tous les sentimens qu'il avait professés avec ardeur jusque-là. «Les raisons des Canadiens, dit-il, ne peuvent être fondées que sur des préjugés qu'il faut extirper, ou sur des intérêts locaux qui ne doivent pas entrer dans la considération de la question,» comme si la langue, les lois, les institutions d'un peuple, «observait le _Spectateur_, pouvaient être mis au rang des préjugés.» Une partie des habitans des townships nouvellement établis sur les limites des districts des Trois-Rivières et de Montréal, sur la frontière américaine, imitèrent leurs compatriotes de Montréal. Mais il n'en fut pas de même dans le Haut-Canada. La majorité des habitans se prononça formellement contre l'union. Partout ils déclarèrent qu'ils étaient satisfaits de leur constitution, qu'ils désiraient la transmettre intacte à leur postérité, et que le bill introduit par les communes anglaises, loin de les accroître restreignait leurs droits et leurs libertés. Ce langage déconcerta les unionnaires, qui commencèrent après quelque temps d'attente à perdre espérance. Cependant les pétitions des Canadiens se couvraient de signatures. Bientôt elles en portèrent plus de 60,000 provenant de cultivateurs, des seigneurs, des magistrats, des ecclésiastiques, des officiers de milice, des marchands. Au contraire de celles de leurs adversaires, elles s'exprimaient dans un langage digne et modéré, qui faisait voir que l'on ne voulait s'appuyer que sur le nombre et sur la justice. Elles n'avaient besoin d'ailleurs que d'exposer la vérité avec le calme et la gravité que demandaient l'importance de leurs motifs, la sainteté de leur cause pour porter la conviction dans le coeur des juges d'un peuple qu'on voulait proscrire sans l'entendre. Toutes ces adresses furent envoyées à Londres en attendant la réunion de la législature, qui devait parler à son tour au nom de tout le pays. Elles étaient portées par M. Papineau et M. Neilson, deux de des membres les plus distingués et les plus populaires, qui furent chargés aussi de celles du Haut-Canada. Sans attendre le résultat des mesures du ministère, le gouverneur convoqua le parlement pour le commencement de janvier (1823,) et en l'absence de M. Papineau M. Vallières de St.-Réal fut porté à la présidence de l'assemblée, qui s'occupa aussitôt de l'union, contre laquelle elle passa les résolutions les plus énergiques. M. Ogden, le chef et l'orateur de l'opposition, proposa un amendement en faveur de l'union. «Les Canadiens, disait-il, ne peuvent avoir aucun sentiment hostile contre des sujets d'un même souverain, par conséquent aucune répugnance à adopter la langue, les habitudes et le caractère de cette grande famille, et à former dans l'intérêt commun une seule province des deux. L'union de l'Angleterre avec l'Ecosse avait eu un résultat fort heureux; les intérêts des habitans des deux Canadas devaient être les mêmes. Il fallait détruire les préjugés mal fondés pour assurer la bonne harmonie. Il n'était pas nécessaire d'expliquer ce qui avait causé l'alarme produite par la mesure amenée devant la chambre des communes; elle était connue du gouvernement. C'était la jalousie, c'était le manque de confiance dans l'honneur et la droiture du pouvoir, qu'on entretenait malheureusement avec trop de succès parmi les hommes ignorans et inconsidérés; et il était quelquefois du devoir des législateurs de chercher le bonheur du peuple même malgré lui.» Les imprudens et les ignorans dans le langage de M. Ogden, c'étaient les Canadiens-français qu'il voulait régénérer comme l'avaient été ses pères. Celui qui prenait ainsi le langage de l'insulte, et qui taxait d'ignorance le sentiment de la nationalité si profondément gravé dans le coeur de tous les peuples, était le descendant d'un des deux Hollandais qui contractèrent en 1632 pour bâtir les mure d'une église à New-Amsterdam pour la somme de 1000 piastres. Ils ne pensaient pas, sans doute, qu'un de leurs descendans, chassé de leur pays, parlerait ainsi d'un peuple planté en Amérique par le grand roi Louis XIV, le terrible voisin de leurs ancêtres. L'amendement de M. Ogden, que le président refusa de recevoir parcequ'il était en opposition directe avec les résolutions qui venaient d'être adoptées, ne rallia que trois voix lorsque son auteur appela à la chambre de la décision du fauteuil. Pendant que partout en Canada l'on se levait et protestait contre cette mesure, les townships de l'Est se plaignaient que leurs intérêts étaient négligés, excités par les affidés du château. Ils demandèrent à être représentés dans l'assemblée, et lord Dalhousie recommandait l'intervention du parlement impérial pour satisfaire leurs voeux. Il approuvait en même temps le conseil d'avoir rejeté le bill passé par la chambre, pour augmenter la représentation générale.[21] On ne savait enfin quel moyen prendre pour diminuer, pour neutraliser le nombre des représentons Canadiens et augmenter celui des Anglais, quoique la proportion de ces derniers fût déjà bien plus élevée que celle des habitans de leur origine, dans la population entière. [Note 21: Dépêche de lord Dalhousie au ministre, 5 avril, 1825.] On s'attendait que la question des subsides allait revenir sur le tapis et amener la répétition des débats qui troublaient le pays depuis tant d'années; mais contre l'attente de bien du monde, elle reçut une solution temporaire. Le gouvernement sépara dans les estimations qu'il transmit à l'assemblée, la liste civile des autres dépenses. Cette distinction déplut aux deux partis; mais à l'aide de termes généraux susceptibles de différentes interprétations, on ménagea les prétentions hostiles et le bill des subsides passa. Le conseil à qui la main avait été forcé probablement par quelque influence supérieure, déclara qu'il n'y donnait son concours dans le moment qu'à cause des circonstances dans lesquelles se trouvait le pays; mais qu'il ne le ferait pas à l'avenir. Ce corps recevait alors un terrible choc de la grande débâcle du receveur-général, l'un de ses chefs, dont la banqueroute jeta un moment l'épouvante et la confusion dans leur camp. Depuis longtemps la chambre soupçonnait sa défalcation par les grands travaux et le grand commerce de bois qu'il faisait, les nombreux moulins qu'il élevait partout et qui devaient entraîner des dépenses auxquelles ses propres capitaux n'auraient pu suffire. L'un des principaux motifs de l'assemblée en persistant dans sa résolution sur les subsides, était de forcer le gouvernement à mettre au jour la véritable situation des finances. L'opposition qui connaissait son but mettait tout en oeuvre pour la faire échouer. Les chefs de cette opposition, amis intimes du receveur-général, partageant ses festins et son opulence, sans connaître peut-être ses vols, étaient portés par sympathie de caste à le soutenir dans ses prétextes et dans les raisons qu'il voulait bien donner pour refuser de fournir à l'assemblée les renseignemens qu'elle demandait. Mais chaque chose à son terme, et Caldwell fut obligé en 1822, de déclarer qu'il n'avait plus d'argent pour subvenir aux dépenses du reste de l'année. La chambre ne manqua pas une occasion qui venait si à propos pour justifier ses prétentions. Elle déclara que le receveur-général devait avoir au moins £100,000 entre les mains, et qu'elle ne pouvait sanctionner aucun remboursement pour favoriser des opérations inconstitutionnelles. Ce reflua qui en toute autre occasion eut amené une crise, fut reçu presque sans mot dire par l'exécutif, qui voulait éviter un éclat et qui témoigna contre son ordinaire toute sa satisfaction du résultat de la session, résultat dit le gouverneur qui faisait honneur aux membres et qui serait utile au pays. Mais en même temps, il ôtait le titre de Gazette officielle au journal de M. Neilson fils, et le transférait à une nouvelle feuille qu'il faisait mettre sur pied, afin de punir le fils des indiscrétions du père, et d'avoir un organe de son choix et sur la dépendance duquel il put toujours compter, pour communiquer ses vues ou défendre ses mesures devant le public. On voulait imiter l'Angleterre; mais à Londres le ministère qui a ses journaux pour soutenir sa politique, est responsable aux chambres, de sorte que ces journaux ne sont après tout que les organes d'un parti politique qui a la majorité et qui possède le pouvoir pour le moment. En Canada, la responsabilité n'existant pas, et le gouvernement n'étant ostensiblement soutenu par aucune majorité, le journal ministériel loin d'avoir de l'influence devait la perdre du moment qu'il défendait une politique qui ne s'accordait pas avec l'opinion publique, et c'est ce qui arriva. Cependant MM. Papineau et Neilson étaient reçus à Londres avec tous les égards qu'une métropole peut accorder à une colonie. L'unanimité des Canadiens avait d'abord arrêté le cabinet, et l'avait engagé ensuite à retirer sa mesure. Dès la première entrevue de MM. Neilson et Papineau avec le sous-secrétaire des colonies, M. Wilmot, à Downing Street, ils en eurent l'assurance. Après quelques discussions, ces agens lui dirent qu'ils allaient voir le plus grand nombre possible de membres du parlement pour leur faire connaître l'opposition générale du pays. M. Wilmot feignant de balancer, leur dit enfin: «Restez tranquilles; ne faites part à personne de ce que je vais vous annoncer; le gouvernement ne veut pas de fracas dans le parlement au sujet de l'union; elle ne sera pas amenée dans cette session.» Ils s'empressèrent d'aller communiquer cette réponse à sir James Macintosh, qui les félicita sur la tournure que prenait leur affaire, et qui leur dit qu'ils pouvaient s'en rapporter à la parole du cabinet. Les agens avaient déjà sollicité l'appui du chef du parti appelé les Saints, composé de méthodistes et autres dissidens; ils n'allèrent pas plus loin, et sur la demande du secrétaire colonial ils présentèrent un mémoire qui renfermait les raisons du Canada contre la mesure et réfutait celles de ses partisans.[22] [Note 22: Ce mémoire rédigé par M. Neilson aidé de M. Papineau, est l'un de nos papiers d'état les plus noblement, savamment et philosophiquement pensés que l'on trouve dans notre histoire.] Nous nous étions flattés, disaient-ils, qu'il ne serait pas nécessaire de faire part au gouvernement de nos observations sur une mesure que les neuf-dixièmes des habitans et toutes les autorités constitutionnelles de la colonie répudient comme remplie des plus graves dangers. Nous prenons la liberté de remarquer, que quoique l'on ait demandé l'approbation du Haut-Canada, il l'a refusée comme le prouvent les requêtes de ses habitans, dont la majorité repousse l'union. La population du Bas-Canada est estimée à cinq cent mille âmes, celle du Haut à cent vingt mille. Le nombre d'hommes de seize à soixante ans dans les deux provinces est d'environ cent mille, dont près de soixante-dix mille ont réclamé contre la mesure. Si un petit nombre d'individus l'ont appuyée par leurs requêtes, on doit faire attention que personne dans l'une ni dans l'autre colonie, avant que l'on y eût appris l'existence du bill actuel, ne l'avait sollicitée, ni n'avait découvert les maux qui la rendent nécessaire selon ses auteurs. Les agens s'étendirent ensuite sur la fidélité des Canadiens, qui avaient défendu l'autorité métropolitaine lorsque toutes les colonies anglaises de l'Amérique se révoltaient; sur la différence qu'il y avait entre la société en Angleterre et la société en Canada; sur les dangers de faire des changemens contre le gré des habitans. Ils exposaient qu'il était évidemment utile pour des législatures locales et subordonnées que leurs limites ne fussent pas trop étendues; que la distance entre le golfe St.-Laurent et la tête du lac Huron était de plus de 500 lieues; que le climat variait beaucoup dans cette vaste étendue de pays, et que par conséquent les communications étaient très difficiles et très dispendieuses surtout l'hiver, tandis que dans la même étendue de territoire, l'Union américaine comptait sept états distincts pour la facilité du gouvernement et de la législature. Ce n'est pas seulement à cause des distances et des différences de climats et de saisons, ajoutaient-ils, que la mesure préjudicierait aux intérêts des Canadas. C'est un fait constant que non-seulement les lois qui règlent la propriété et les droits civils dans les deux provinces, mais les coutumes, les habitudes, la religion et même les préjugés différent essentiellement. Les habitans tiennent fortement à toutes ces choses, dont la jouissance leur a été solennellement garantie par la Grande-Bretagne. Le plus sage, le plus désintéressé, le plus savant législateur, pourrait à peine fondre leurs codes en un seul sans danger pour les propriétés acquises sous ces lois différentes. MM. Neilson et Papineau faisaient alors une revue des différens articles du bill d'union; de la composition du conseil législatif et de la chambre d'assemblée, où le Haut-Canada devait avoir une représentation trois fois plus considérable que celle du Bas, eu égard à sa population; de la qualification pécuniaire trop élevée des membres; de la taxation inégale. La clause aussi qui autorisait le gouverneur à nommer des conseillers exécutifs qui auraient droit de siéger et de discuter mais non de voter dans l'assemblée, était à leurs yeux une déviation singulière de la constitution anglaise, et ils ajoutaient que celle qui proscrivait la langue française avait excité de vives réclamations. La langue d'un père, d'une mère, de sa famille, de ses amis, de ses premiers souvenirs, est chère à tout le monde disaient-ils, et cette intervention inutile dans la langue du peuple du Canada était vivement sentie dans un pays où cette langue avait été, sans contredit, une des causes qui avaient le plus contribué à conserver cette colonie à la Grande-Bretagne à l'époque de la révolution américaine. Les députés protestèrent aussi contre la clause du bill qui tendait à faire nommer les curés catholiques par le gouverneur et L'évêque conjointement contre toute loi, contre tout usage même dans l'église protestante, et finissaient par demander que si l'on se proposait plus tard de reprendre la mesure, il fut ordonné au gouverneur de faire faire un recensement et de faire passer une loi dans le Bas-Canada pour nommer des commissaires chargés de venir en Angleterre soutenir la constitution canadienne. Le gouvernement cherchait toujours, comme on voit, à usurper le pouvoir ecclésiastique en s'emparant de la nomination des curés, et à mettre le clergé catholique dans sa dépendance. Mais la religion plus forte que les choses temporelles et la politique, mettait un obstacle infranchissable à l'ambition et aux préjugés du bureau colonial. Cette tentative indique encore une fois la source où sir James Craig puisait ses inspirations, et qu'en religion comme en politique, les désirs secrets de la métropole étaient toujours la destruction de toutes les anciennes institutions canadiennes. En présence d'une opposition aussi générale quant à l'opinion, et aussi puissante quant à la logique et à la justice, le ministère dut retirer sa mesure. Mais n'osant plus se fier à lui après tout ce qui s'était passé, malgré ses assurances qu'elle serait laissée là pour la session, il fut convenu entre les deux agens que M. Papineau resterait à Londres jusqu'à la prorogation, de peur de quelque surprise. C'est vers ce temps-ci, qu'un soir M. Papineau étant à table chez un ami avec M. Ellice et M. Stuart, l'agent des unionnaires, la conversation tomba sur le Canada. Ellice lui dit: «Vous avez l'air bien tranquille; je crois savoir de bonne source que le cabinet vous a donné l'assurance que la mesure ne reviendrait pas sur le tapis; mais elle y reviendra; je déshonorerai les ministres, j'ai leur parole en présence de témoins.» M. Papineau et M. Neilson inquiets allèrent voir aussitôt sir James Macintosh, qui leur répondit de ne pas s'alarmer; «que M. Ellice était un bavard (braggadocio) sans poids ni influence. Il n'osera jamais agir aussi follement qu'il a parlé. Par l'entremise de quelques uns de mes amis, je saurai refroidir son ardeur. Nous ne le voyons que parce qu'il est le gendre du comte Grey.» Plus tard, M. Papineau rencontra chez M. Ellice sir Francis Burdett. La discussion ayant été ramenée sur le tapis, M. Papineau réussit à faire dire à sir Francis, que si la majorité en Canada était aussi grande et aussi hostile à l'union qu'il l'assurait, c'était compromettre le parti whig que de le faire agir contre ses professions si souvent répétées de respect pour les voeux des majorités, et qu'il fallait l'abandonner. «Non, dit Ellice, c'est une majorité ignorante, fanatisée par les prêtres.» Il attaqua violemment le séminaire de Montréal, les lods et ventes, et avoua qu'il s'occupait avec M. Stuart d'un bill pour changer la tenure seigneuriale, espérant tirer meilleur parti de sa seigneurie de Beauharnais sous un nouveau régime. M. Papineau eut deux entrevues avec lord Bathurst lui-même. Le ministre des colonies se réjouissait de la probabilité de la dissolution de l'Union américaine. Son opinion était partagée par sir Francis Burdett, sir James Macintosh et M. Hume, mais ceux-ci pour s'en affliger; l'histoire était là; elle prouvait qu'un si vaste territoire n'avait jamais pu subsister en république. Lorsque les whigs remontèrent au pouvoir après la loi de réforme, M. Ellice devint un homme tout puissant pour le malheur du Canada. Il visitait Montréal en 1837 peu de temps avant les troubles, et avoua à M. Papineau qu'il était sollicité de reprendre le projet de l'union. Chaque fois, depuis le commencement du siècle, que le pays demandait une réforme on le menaçait de l'union, et l'on n'accordait rien. On attendait sans doute pour consommer cet acte que la population anglaise du Haut-Canada réunie à celle du Bas, eût la majorité sur les Canadiens-français, afin de les noyer sans paraître faire d'injustice. La décision de l'Angleterre semblait devoir calmer les esprit en Canada et ramener l'harmonie entre les différentes branches de la législature; mais rien n'était changé au fond, et la cause des dissensions restait toujours la même. Aussi allons-nous voir bientôt les mêmes difficultés recommencer avec plus d'ardeur que jamais. L'insolvabilité du receveur-général était arrivée à propos pour faire condamner tout le système administratif. Le gouverneur qui prévoyait l'effet de cette catastrophe financière, n'avait levé qu'un coin du voile à la fois pour diminuer la sensation que cette nouvelle annoncée tout à coup eût pu produire. Ce qu'il avait fait connaître dans la dernière session annonçait que quelque chose n'était pas bien. Dans la session suivante, il informa la chambre que le déficit de ce fonctionnaire était de £96,000, sterling, somme qui égalait presque deux années du revenu public. Dès ce moment les mesures de la chambre touchant les subsides étaient justifiées, et l'administration restait convaincue de connivence sur les abus de ses créatures. Il y avait tant de négligence dans le département de M. Caldwell, qu'on ignorait s'il avait des cautions. On fit des recherches en Canada sans rien trouver. Le gouverneur écrivit à lord Bathurst pour demander des renseignemens de la trésorerie, qui avait nommé le défalcataire à la charge qu'il remplissait, et de laquelle on sut enfin qu'il avait dû donner un cautionnement de 10,000 louis en Angleterre et un pareil cautionnement en Canada, mais qu'il n'avait point fourni le dernier pour des raisons qu'on ignorait. Le receveur-général comme les officiers de douane étaient alors nommés par la trésorerie. La chambre voulut rendre la métropole responsable de ces détournemens, et députa un agent à Londres pour en réclamer le payement. Dans le même temps un autre agent comptable, M. Perceval, percepteur des douanes à Québec, était accusé d'exactions par le commerce, et la chambre qui demandait sa suspension, recevait pour réponse, que c'était un officier honnête, intègre, diligent, qui se conformait aux lois et à ses instructions, et que tout ce qu'on pouvait faire, c'était de transmettre les plaintes en Angleterre, quoique Perceval fût alors poursuivi devant les tribunaux et condamné à des restitutions. Les estimations transmises aux chambres contenaient la même distinction entre les dépenses dont le payement était assuré par l'appropriation permanente, et celles qui avaient besoin d'un vote pour être liquidées; et c'est à ces dernières qui s'élevaient à £34,000, que le gouvernement demandait à la législature de pourvoir. De quelque manière que l'on se tournât, l'on se trouvait toujours là où l'on était il y a deux ans. L'assemblée passa un bill de subsides avec les anciennes conditions, outre le retranchement d'un quart sur le salaire des fonctionnaires, ce qui le fit rejeter de prime abord par le conseil, auquel lord Dalhousie adressa encore des complimens en prorogeant le parlement. Ce gouverneur cherchait alors à faire revivre les querelles religieuses. Il transmettait au ministre un mémoire sur l'état du Bas-Canada, où il remarquait que depuis la conquête l'évêque catholique avait exercé tout le patronage ecclésiastique dans son clergé; que l'on devait remédier à ce mal qui enlevait à la couronne une partie très importante de son influence, le roi étant le chef de cette église comme de toutes les autres. Dans une dépêche du 19 décembre 1824, il soutenait encore la prétention que la couronne devait jouir de toutes les prérogatives dont jouissait le roi de France en vertu des libertés de l'église gallicane, et demandait l'ordre nécessaire pour mettre fin au différend élevé entre l'évêque et les Sulpiciens. «L'évêque catholique actuel, dit-il, cherche à s'acquérir une influence indépendante, mais il n'est nullement trop tard pour reprendre les rênes, et une classe très notable de son clergé désire fortement que le gouvernement le fasse.» Il finissait par appeler l'attention du ministre au pamphlet de M. Chaboillez, d'où l'on voit que ses sympathies étaient pour les Sulpiciens contre l'évêque. Le gouverneur passa à Londres après la session pour rendre compte de la situation des choses et recevoir les ordres du ministère. Sir Francis Burton tint les rênes du gouvernement pendant son absence. Les élections eurent lieu dans l'été et augmentèrent les forces du parti populaire; mais l'assemblée ne voulut point entrer en querelle avec Burton. Elle connaissait ses bonnes intentions, elle savait que malgré les fonctionnaires élevés qui l'avaient fortement conseillé de remettre la convocation des chambres au dernier jour du délai légal, et surtout de ne pas confirmer l'élection de M. Papineau si elle le portait encore à sa présidence, il avait fait changer l'opinion du conseil exécutif à cet égard.[23] Dans les estimations qu'il transmit à la chambre, les dépenses publiques n'étaient point divisées en dépenses permanentes et en dépenses locales, de sorte que les subsides purent être votés dans une forme qui obtint le concours du conseil et l'approbation du chef du gouvernement. Tout le monde crut que la grande question des finances était réglée et que l'harmonie allait renaître. Burton se berçait lui-même de cette illusion. Mais il n'avait qu'un rôle temporaire et pour ainsi dire d'entre-acte à jouer; on lui laissait certaines libertés lorsqu'il avait les guides en main, en attendant qu'on les remit dans d'autres en qui on avait plus de confiance pour atteindre le but sur lequel on avait toujours les yeux. Lord Dalhousie était passé en Angleterre pour s'entendre avec les ministres sur ce qu'il y avait à faire après la déconvenue de leur projet d'union. La surprise des communes n'était plus possible; il fallait changer de tactique et s'y prendre de plus loin pour assurer le succès et donner à sa cause une forme plus soutenable devant la législature. Le gouverneur reçut de nouvelles instructions, et de retour à Québec, il rouvrit les chambres dans le mois de janvier 1826. Il leur adressa un discours qui était de nature à continuer l'illusion qu'avait répandue Burton. La chambre y répondit dans le même esprit. Le gouverneur manifesta une vive satisfaction en voyant que ses sentimens s'accordaient si bien avec les siens, et déclara qu'il anticipait le résultat le plus heureux pour le bien public. A sa suggestion, la chambre vota une adresse au roi pour demander la révocation des lois passées par le parlement impérial et qui changeaient la tenure des terres en Canada et introduisaient les lois anglaises. Elle faisait observer que les motifs qui avaient engagé la métropole à donner une législature à ce pays, devaient suffire pour empêcher le parlement impérial de s'immiscer dans sa législation intérieure; qu'il y avait péril pour lui de commettre des erreurs et des injustices graves, et que dans l'exercice de l'autorité suprême il devait mieux respecter son propre ouvrage en laissant les colons user des pouvoirs qu'il leur avait confiés tels qu'ils l'entendraient. Il ne s'était présenté encore aucune circonstance qui mît la dépendance du pouvoir législatif colonial dans une situation plus humiliante. L'on voyait agir l'influence de M. Ellice, sous le voile des argumens du bureau colonial. L'amour propre du colon en était froissé, et cependant il fallait s'y soumettre. Mais dans le moment où l'on croyait qu'il ne restait que la question de tenure à débattre avec la métropole, celle des finances surgit tout à coup plus menaçante que jamais. Aux paroles de paix que Dalhousie avait proférées en arrivant, ceux que l'approbation de Burton n'avait pas complètement convaincus, crurent que les difficultés financières étaient en effet finalement réglées. Mais il n'en était rien, et lord Bathurst niait toujours le droit de disposer d'une manière pleine et entière de tout le revenu, à l'assemblée qui transmit une nouvelle adresse au roi pour déclarer qu'elle persistait dans ses prétentions. En même temps le président de cette assemblée, M. Papineau, écrivait une longue lettre à sir James Macintosh pour lui exposer de nouveau les abus de l'administration: «A la dernière séance du conseil législatif, les conseillers, disait-il, dont 9 officiers publics, ont déclaré que la résolution de la chambre qui rend le receveur-général responsable des payemens faits sans autorisation de la législature, est un attentât contre la loi, et ont proclamé le principe que cet officier est tenu d'agir suivant les instructions qu'il reçoit de l'exécutif et non d'aucune des deux chambres.» [Note 23: Lettre de sir Francis Burton à lord Bathurst, du 28 mars 1825.] Les subsides furent votés dans la même forme que l'année précédente et furent refusés. Sir Francis Burton, que l'on avait blâmé d'avoir sanctionné un bill qui n'était pas conforme aux instructions transmises à Sherbrooke et à Dalhousie, et qu'on lui croyait entre les mains, avait écrit à lord Bathurst pour lui dire qu'il les ignorait et qu'elles ne s'étaient pas trouvées au secrétariat. Les représentans résolurent qu'ils étaient prêts à voter les subsides comme en 1825, mais que les estimations telles qu'elles leur avaient été fournies, ne leur permettaient point de le faire pour cette année. C'était provoquer un dénouement subit. Le refus des subsides était la censure la plus solennelle que le pays pût porter contre l'administration. Lord Dalhousie qui était l'agent de l'Angleterre dans les vues de laquelle il entrait d'autant plus qu'en général les gouverneurs, étrangers aux colonies, n'ont aucune sympathie pour elles, et sont des instrumens souvent passionnés par leur contact direct avec le colon, lord Dalhousie prorogea les chambres dés le lendemain. Il monta dans la salle du conseil, éperonné et l'épée au côté suivant l'usage militaire, accompagné d'une nombreuse suite couverte d'écarlate et d'or: «Je suis venu, dit-il, mettre fin à cette session, convaincu... qu'il n'y a plus lieu d'en attendre rien d'avantageux pour les intérêts publics. A vous, messieurs du conseil législatif, qui avez été assidus à vos devoirs,... j'offre mes remercîmens de la part de sa Majesté, en témoignage de l'intérêt que vous avez prit au bien-être de votre pays, et du respect que vous avez montré pour le souverain dont vous tenez vos honneurs. Il m'est bien pénible, messieurs de la chambre d'assemblée, de ne pouvoir vous exprimer mes sentimens en termes d'approbation et de remercîment... Des années de discussions sur des formalités et des comptes n'ont pu réussir à éclaircir et à terminer une dispute à laquelle la modération et la raison eussent promptement mis fin. «C'est ainsi que l'agent colonial parle d'un principe qui forme l'une des principales bases de la constitution d'Angleterre, le vote et le contrôle des dépenses publiques par les représentans du peuple. Il adressa ensuite une longue série de reproches à la chambre en forme de questions, avec toute l'audace insultante qu'un agent métropolitain peut avoir dans une colonie. Avez-vous fait ceci? avez-vous fait cela? «Ce sont des questions, dit-il, dont il faut que vous répondiez à vos consciences, comme des hommes liés par des sermens de fidélité à votre paya et à votre roi.» Il n'est pas étonnant qu'aussitôt qu'elles le peuvent, les colonies brisent le joug de métropoles qui leur envoient des agens frappés de pareille folie. CHAPITRE III. CRISE DE 1827. 1827-1828. Nouvelle crise.--Adresse de M. Papineau et d'une partie des membres de la chambre à leurs commettans en réponse au discours prononcé par le gouverneur en ajournant la session.--Assemblées publiques.--Destitutions dans la milice.--La presse.--Elections.--Réunion du parlement.--Le gouverneur désapprouve le choix de M. Papineau comme président de l'assemblée.--Le parlement est prorogé.--Adresses des partisans de lord Dalhousie au roi.--Assemblées publiques dans toutes les parties du pays.--Adresses au roi et aux deux chambres du parlement impérial.--M. Waller, rédacteur du _Spectateur_ arrêté deux fois.--MM. Neilson, Viger et Cuvillier députés à Londres avec les adresses des Canadiens.--M. Gale avec celles du parti opposé.--Affaires du Canada devant le parlement impérial. Discours de MM. Huskisson, Labouchère, sir James Macintosh, Hume, Wilmot, Stanley dans les communes.--Les adresses sont renvoyées à un comité.--Rapport du comité.--M. Huskisson est remplacé dans le ministère des colonies par sir George Murray.--Le rapport du comité n'est ni rejeté ni adopté--Sir George Murray annonce aux députés canadiens qu'on va prendre des mesures pour faire cesser les difficultés.--Sir James Kempt remplace lord Dalhousie en Canada. La violence des journaux et celle de lord Dalhousie dans son discours de prorogation annonçaient une nouvelle crise. La question des finances est celle qui fournit des armes ordinairement aux partis dans les grandes luttes politiques; c'est celle qui détermina les révolutions d'Angleterre, des Etats-Unis et de France. Elle n'en fut pas la cause seule; mais elle en fut le principal prétexte et c'est elle qui les commença. Au milieu du débordement des esprits la _Gazette de Québec_ rédigée par l'un des chefs du parti libéral, M. Neilson, conserva un ton de modération et de dignité calme qui désespéra les adversaires de la chambre. Les principaux membres du district de Montréal crurent devoir répondre aux raisonnemens du discours du gouverneur, par une adresse à leurs commettans. Cette adresse qui était écrite avec autant de mesure qu'en permettaient les circonstances, fut signée par MM. Papineau, Heney, Cuvillier, Quesnel et d'autres membres moins marquans, et avait pour but d'expliquer la conduite de la majorité, en faisant retomber la suspension des travaux législatifs sur le gouverneur lui-même et sur son entourage. Elle devait provoquer la réélection de tous les membres de la majorité, car une nouvelle élection était maintenant inévitable, et eut un grand retentissement. Elle détermina presqu'un mouvement populaire. Les habitans des campagnes commencèrent à s'assembler. Les résolutions d'abord fermes mais positives, devinrent bientôt violentes et accusatrices. Les discours subissaient la même influence. Une question nouvelle vint augmenter l'ardeur des esprits et le feu des discordes. L'expiration des lois de milices faisait revivre, suivant le procureur général, les anciennes ordonnances, qui furent remises en vigueur par un ordre du 14 mai. Ces vieilles réminiscences d'un temps où la liberté était inconnue, n'étaient plus de mise avec les institutions nouvelles. Les journaux de l'opposition donnèrent l'éveil; ils firent craindre qu'elles ne fussent exécutées avec rigueur et ne servissent à influencer les élections qui allaient avoir lieu. On critiqua la mise à la retraite des officiers de milice et leurs remplacemens; il y eut en quelques endroits refus de commander et refus d'obéir. Grand nombre d'officiers furent destitués pour avoir refusé de paraître aux revues, induit les miliciens à désobéir, commis des actes d'indiscipline dignes ds châtiment, manqué de respect à leurs supérieurs, s'être servi d'un langage insultant en renvoyant leur commission, avoir convoqué des assemblées publiques, excité le mécontentement du peuple, enfin pour s'être montré les agens actifs d'un parti hostile au gouvernement. L'un écrivait: «Après avoir considéré la manière peu généreuse que vous employez pour poursuivre les miliciens de ma compagnie, qui ont manqué aux exercices, je crois devoir vous informer que je me suis refusé et que je me refuse à me conformer à vos instructions et à exécuter vos ordres à cet égard.» Un autre répondait: «En ce jour qu'on ne saurait être citoyen et officier de milice, que tant de personnes mille fois plus respectables que moi ont été déplacées, je me croirais souillé si je retenais une commission qui n'a plus rien que de dégradant à mes yeux. Je ne l'acceptai qu'après avoir su que mon devoir serait d'agir conformément à la loi; cette conformité ne pouvant plus être, ma commission cesse d'exister.» Ces destitutions firent aux yeux du peuple des martyrs politiques, mais n'empêchèrent point la grande majorité des miliciens de se conformer à la loi en se rendant aux exercices. Dalhousie dont la conduite aurait pu être blâmée en Angleterre si la désobéissance eût été générale, s'empressa d'en exprimer toute sa satisfaction, et de déclarer qu'il espérait que malgré les artifices des gens mal intentionnés pour répandre les doutes et les soupçons dans l'esprit du peuple, les officiers et les miliciens continueraient à montrer le zèle, l'obéissance et la subordination qui avaient distingué jusque là la milice canadienne. Il est inutile de dire qu'au milieu de ces dissensions beaucoup d'officiers furent destitués injustement ou pour des motifs que l'esprit de parti avait fort exagérés. Cependant la chambre avait été dissoute, quoique les élections faites dans des circonstances comme celles où l'on se trouvait, eussent toujours tourné contre le gouvernement et augmenté le parti populaire. La polémique des journaux ne cessait pas d'être d'une virulence extrême. Les discours prononcés dans les assemblées publiques étaient souvent empreints des passions les plus haineuses, et les journaux de l'administration qui auraient dû conserver au moins par politique l'apparence de la modération, employaient le langage le plus insultant pour la population française, faute dont leurs adversaires se prévalaient aussitôt pour prouver l'antipathie de l'administration contre l'ancienne population. Des Canadiens fixés à Plattsburgh, état de Nouvelle-York, établirent une feuille, l'_Ami du Peuple_, pour soutenir les droits de leurs compatriotes. «Canadiens, disaient-ils, on travaille à vous forger des chaînes; il semble que l'on veuille vous anéantir ou vous gouverner avec un sceptre de fer. Vos libertés sont envahies, vos droits violés, vos privilèges abolis, vos réclamations méprisées, votre existence politique menacée d'une ruine totale.... Voici que le temps est arrivé de déployer vos ressources, de montrer votre énergie, et de convaincre la mère patrie et la horde qui depuis un demi siècle vous tyrannise dans vos propres foyers, que si vous être sujets, vous n'êtes pas esclaves.» Le _Spectateur_ de Montréal en accueillant ces paroles s'écriait: «La patrie trouve partout des défenseurs, et nous ne devons point encore désespérer de son salut.» La chambre remporta une victoire complète. Les élections accrurent encore sa force de plusieurs membres malgré l'opposition éprouvée en plusieurs endroits. Au quartier ouest de Montréal, à Sorel, à St.-Eustache, il y eut des rixes entre les deux partis et beaucoup de désordres; mais les libéraux l'emportèrent. «Les élections sont presque finies, s'écriait le _Spectateur_, les amis du roi, de la constitution et du psys ont remporté une victoire signalée. Les employés de l'administration de lord Dalhousie et l'administration elle-même ont éprouvé une désapprobation générale et formelle.» Cette feuille était rédigée par M. Waller, fervent catholique et journaliste de talens distingués, qui s'était acquis par ses idées libérales la haine du gouvernement, dont il était un des plus rudes adversaires. Il était frère d'un baronnet d'Irlande, et pour cela même entouré d'un certain prestige aux yeux de ses compatriotes en Canada, qui avaient voté avec plusieurs Anglais ou Ecossais pour M. Papineau, au quartier ouest de Montréal. Le gouverneur dont la politique était si solennellement condamnée par la voix du peuple dans une élection générale, ne vit plus désormais de justification que dans une persistance plus opiniâtre à voir des rebelles dans tous les chefs de l'opposition. Il prit occasion d'un nouvel ordre général de milices pour porter une accusation contre elle. «Son excellence s'empresse, disait-il, de faire connaître aux milices ses sentimens sur des faits récens qui affectent leur fidélité et leur honneur. Les lois temporaires qui les concernaient étant expirées les anciennes ont repris leur première vigueur; des personnes mal disposées ont cherché à répandre des doutes sur la légalité de ces ordonnances; à ces doutes elles ont ajouté des faussetés et des calomnies grossières sur les intentions du gouvernement, tendant à exciter au mécontentement, et surtout à la désobéissance aux officiers de milice; son excellence a vu échouer leurs efforts avec la plus grande satisfaction, et sauf l'absence de quelques officiers, les revues de juillet et d'août ont été plus nombreuses qu'à l'ordinaire; elle en témoigne sa plus vive reconnaissance aux miliciens qui ont ainsi fait preuve de leur fidélité et su apprécier leur devoir; mais en même temps elle se croit obligée de priver de leur commission tous les officiers qui ont négligé d'assister aux revues, ou qui dans leurs discours aux assemblées publiques, ont manqué de respect au représentant de leur souverain.» Le résultat des élections et cet ordre général annonçaient la détermination de chaque parti de persister dans la voie qu'il avait prise. Mais rien n'était d'un plus dangereux exemple que ce mélange de discours civiques et de devoirs militaires où tout esprit politique doit disparaître. Les chambres se réunirent le 20 novembre. Sur l'ordre de l'huissier, l'assemblée se rendit dans la salle du conseil législatif, où le président l'informa que le gouverneur lui ferait part des causes de la convocation après qu'elle se serait choisi un président, et qu'elle eût à le présenter le lendemain à deux heures à son approbation. M. Papineau fut proposé par M. Létourneau et M. Vallières de St. Real par le solliciteur général Ogden. Après quelques débats la chambre se partagea. Trente neuf membres votèrent pour M. Papineau et cinq seulement pour M. Vallières. Cette division annonçait que la parti de l'administration était réduit à rien dans l'assemblée, parce que quelques uns des membres qui avaient appuyé la candidature de M. Vallières, étaient contre le gouvernement. Le lendemain l'assemblée se rendit au conseil avec son président qui informa le gouverneur assis sur le trône du choix qu'elle avait fait. Le président du conseil répondit aussitôt que son excellence le désapprouvait au nom de sa Majesté, et qu'elle eût à retourner dans la salle de ses séances pour en faire un autre, et le présenter à son approbation le vendredi suivant; qu'ensuite elle lui communiquerait les dépêches qu'elle avait reçues de Londres sur les affaires publiques. Ce Résultat n'était pas inattendu. Le _Spectateur_ de Montréal disait le 7 novembre: «La gazette du château regarde le président de la chambre d'assemblée comme l'organe de la conciliation... est-ce la conciliation avec son excellence? Quelle conciliation peut-on espérer d'une administration qui depuis sept ans viole les lois, viole les droits constitutionnels du pays? Qui a travaillé à faire tourner les ministres anglais contre nous, qui a juré une guerre éternelle à nos droits, qui a déshonoré et diffamé le lieutenant gouverneur Burton, qui a refusé de communiquer des documens nécessaires sur des sujets importans, qui a insulté, calomnié, diffamé la représentation nationale?... Quelle espérance de conciliation reste-t-il avec une pareille administration, qui fait revivre des ordonnances militaires contre les plus simples règles d'interprétation légale, qui voyage pour remercier une demi douzaine de flatteurs ou d'intrigans... Il n'y a guère à douter que le gouvernement anglais ne regarde une pareille administration comme une nuisance, dont les folies et la mauvaise conduite finiront bientôt ai le pays prend de son côté des mesures fermes et décisives.» Le refus du gouverneur fournit de nouveaux motifs et de nouvelles armes à l'opposition, et la grande majorité se montra décidée à maintenir la position qu'elle avait prise. Le fauteuil du président était resté vide. Sur la proposition de M. Cuvillier, il fut résolu: que le choix du président devait être fait librement et indépendamment du gouvernement; que M. Papineau avait été choisi, que la loi n'exigeait pas d'approbation et qu'elle était comme la présentation une simple formalité d'usage. Après cette déclaration, M. Papineau fut reconduit au fauteuil et les membres de la minorité se retirèrent. Sur la motion de M. Vallières, une adresse au gouverneur pour l'informer de ce qu'on avait fait, fut adoptée à l'unanimité, et une députation fut envoyée pour savoir quand il voudrait bien recevoir la chambre. Le gouverneur fît répondre qu'il ne pouvait recevoir ni message ni adresse d'elle avant qu'il eût approuvé son président, et le soir même le parlement fut prorogé. Le gouvernement dont les organes célébraient l'énergie et disaient que sans la fermeté du comte de Dalhousie cette scène aurait conduit à une révolution, le gouvernement avait voulu dans le même temps sévir contre la presse. Un grand jury de Montréal avait rejeté les accusations qu'on lui avait présentées; on en choisit un autre plus commode qui en accueillit au commencement de novembre contre le _Spectateur_; mais loin de modérer l'ardeur des journaux cette démonstration sembla l'accroître, le peuple lui-même commença à s'agiter. Il y eut des assemblées publiques dans les villes et dans les campagnes; on y organisa des comités pour rédiger des résolutions et de nouvelles adresses au roi et ou parlement impérial, que l'on ferait ensuite saigner par le peuple. Le parti qui appuyait la politique de lord Dalhousie, très faible en nombre en Canada, mais puissant à Londres par l'influence de ses amis, et soutenu par le bureau colonial qui avait donné carte blanche pour faire triompher sa politique, tint lui aussi une assemblée à Montréal pour adopter une adresse à l'exemple de ses adversaires, et la transmettre à l'Angleterre, sans cesse importunée maintenant par ses colons indociles et remuans. Il déclarait que la chambre avait retenu injustement les fonds de douane du Haut-Canada, passé des lois temporaires pour tenir l'exécutif dans sa dépendance, refusé de donner des représentans aux cantons anglais et d'établir des bureaux d'hypothèques afin d'entraver l'immigration; il l'accusait aussi d'être conduite par un esprit de domination et de mépris pour les prérogatives de la couronne, et remerciait la providence d'avoir permis que ces prérogatives fussent maintenues pour assurer au pays son caractère anglais, et le gouverneur d'avoir montré une si noble énergie en toute occasion au milieu des funestes divisions qui déchiraient le pays, espérant que les actes de la chambre allaient enfin porter l'Angleterre à prendre la situation en très sérieuse considération et à corriger les défauts et les erreurs que l'expérience du passé et les dernières prétentions des représentans avaient mie au jour. Le gouverneur répondit suivant son rôle dans ces débats lorsqu'on lui remit l'adresse pour la transmettre au roi: «Vous avez très exactement tracé la tendance funeste des mesures que la chambre a adoptées depuis quelques années. Quoique l'effet de ces mesures arrête depuis longtemps les améliorations publiques, je considère cela comme rien en comparaison de l'atteinte beaucoup plus audacieuse qu'elle a osé porter récemment à la prérogative royale. Je ne puis attribuer cet acte à l'ignorance; quelques uns de ceux qui se trouvent à la tête des mesures factieuses de ce corps, sont des hommes éclairés, et pour cette raison il est du devoir de tous ceux qui savent priser le bonheur dont ils jouissent sous la constitution britannique, de se montrer. «Je regrette beaucoup de ne pouvoir déposer moi-même en personne votre adresse aux pieds de sa Majesté, tant je désire y ajouter tout le poids que ma situation au milieu de vous pourrait lui donner. De tout ce qui sera en mon pouvoir rien ne sera oublié pour recommander les sentimens et les opinions qui y sont exposés, à la considération immédiate et favorable du secrétaire d'état de sa Majesté....» Cette réponse contenait un appel à tous les partisans du château de s'agiter comme leurs adversaires. Il continua à s'exprimer dans le même sens à l'occasion de chaque adresse qu'on lui présentait. Les townships de l'est imitèrent leurs compatriotes de Montréal et préparèrent aussi des pétitions à l'Angleterre. Les partisans de la chambre n'étaient pas en reste. Ils continuaient leur agitation partout avec activité. Ils tinrent encore une grande assemblée à Montréal sous la présidence de M. Jules Quesnel, l'un des principaux citoyens de la ville. M. D. B. Viger et M. Cuvillier y furent les principaux orateurs. On y passa des résolutions qui furent incorporées dans une pétition au roi et aux deux chambres du parlement impérial, dans lesquelles le gouverneur fut accusé d'avoir commis des actes arbitraires tendant à rompre les bases du gouvernement et à aliéner l'affection des habitans; tiré par warrant, ou autrement, des mains du receveur-général, des sommes considérables sans être autorisé par la loi; supprimé volontairement ou soustrait à la connaissance du parlement, divers documens et papiers nécessaires à l'expédition des affaires; conservé, en violation de son devoir envers son souverain et envers le Canada, M. John Caldwell dans l'exercice de ses fonctions longtemps après que ce fonctionnaire eut avoué sa défalcation; nommé en violation de son devoir, John Hale, écuyer, pour le remplacer; usé en différens temps, de son autorité, comme commandant en chef, pour influencer et intimider les habitans dans l'exercice de leurs droits civils et politiques; destitué un grand nombre d'officiers de milice sans raison suffisante ainsi que plusieurs officiers civils; maintenu et conservé en place plusieurs fonctionnaires dont la nomination et la conduite étaient préjudiciables au service public; multiplié sans nécessité les cours d'oyer et terminer; nui aux intérêts publics en empêchant la passation d'actes utiles par des prorogations et des dissolutions violentes et subites du parlement; porté des accusations fausses dans ses discours contre les représentans du peuple afin de les déprécier dans l'opinion de leurs constituans; toléré et permis que les gazettes publiées sous son autorité portassent journellement les accusations les plus mensongères et les plus calomnieuses contre la chambre d'assemblée, ainsi que contre tout le peuple de cette province; menacé, par le même moyen, le pays d'exercer la prérogative royale d'une manière violente et despotique en dissolvant le corps représentatif; puni en effet le pays en refusant sa sanction à cinq bills d'appropriation; violé la franchise élective en voulant, directement et indirectement influencer les électeurs; créé dans le pays par ces divers actes d'oppression un sentiment d'alarme et de mécontentement général; déprécié le pouvoir judiciaire et affaibli la confiance du peuple dans l'administration de la justice; enfin d'avoir répandu dans toute la province un sentiment insurmontable de méfiance contre son administration. Le pouvoir qui voulait intimider les organes de l'opposition et atténuer au loin l'effet de ces grandes démonstrations publiques par quelque coup d'éclat qui répandit le soupçon, choisit pour faire arrêter une seconde fois l'éditeur du _Spectateur_, M. Waller, le moment où il se rendait à l'assemblée. Mais ces tentatives d'intimidation ne faisaient qu'aigrir davantage les esprits. Le lendemain le _Spectateur_ disait: «Un autre attentat a été commis au préjudice de la liberté de la presse et des droits et immunités des sujets anglais. Lorsque l'on réfléchit à la misérable folie qui a marqué d'une manière indélébile l'administration; lorsque l'on voit l'indiscrétion et la passion qu'elle a montrées; lorsque l'on se rappelle ce que les intérêts de la société ont souffert, ce qu'ont enduré ses sentimens, ses droits, la constitution, la représentation, on ne peut être surpris des tentatives faites maintenant pour étouffer la presse, ou réduire au silence toutes celles qui ne sont pas payées par l'administration ou qui ne sont pas dans sa dépendance.» Les autres villes et tous les districts ruraux se réunissaient ou s'étaient réunis pour le même objet. On adoptait des adresses de toutes parts dans lesquelles on s'exprimait avec la même énergie et la même unanimité qu'à Montréal. A Québec on en adopta une qui semblable au fond à celle de Montréal, était plus modérée dans les termes. 80,000 signatures couvrirent bientôt ces représentations que MM. Neilson, Viger et Cuvillier furent chargés d'aller porter en Angleterre. Les menaces de la presse officielle ne fit qu'exciter le zèle des partisans de la chambre. En vain les accusait-elle de trames séditieuses et de rébellion, ils marchèrent droit à leur but, guidés par cet instinct secret qui été de tout temps comme la sauve-garde et le bouclier des Canadiens. Chacun sentait que le bureau colonial persistant dans son projet, cherchait des motifs pour revenir au bill d'union de 1822, car sans ses sympathies, sans son appui au parti opposé à la chambre, prouvés par la marche rétrograde du gouvernement depuis 1820, les difficultés auraient été arrangées depuis longtemps. Le chef de police de Montréal, M. Gale porta en Angleterre les dépêches de lord Dalhousie et les adresses qu'il avait reçues. Le bruit courait alors qu'il devait demander une nouvelle division des deux Canadas, par laquelle l'îe de Montréal et les townships de l'est auraient été annexés au Haut-Canada. C'était un partisan violent de l'administration. Sa haine contre les Canadiens était notoire, et on savait qu'il avait pris une grande part dans les attentats contre la liberté de la presse, et à la rédaction de la _Gazette_ de Montréal qui demandait l'union des Canadas, demande que le caractère officiel de cette feuille rendait solidaire avec le gouverneur. Le départ des agens Canadiens ne fit point diminuer les assemblées ni l'agitation. L'on déclarait partout que les prétentions de l'administration répandait l'alarme; que la chambre devait avoir le contrôle sur les subsides; que la conduite de la majorité était digne de toute approbation; que le refus de confirmer la nomination de son président après en avoir appelé au peuple, était un acte d'insulte et de mépris de nature à aliéner son affection; que par la conduite qu'il avait tenue le gouverneur avait perdu la confiance publique, et que ceux qui acceptaient des commissions pour remplacer les officiers de milice destitués méritaient la réprobation et devaient être regardés comme les ennemis des droits du peuple. Les partisans du pouvoir, quoique peu nombreux, continuaient de leur côté à s'agiter sans relâche sur tous les points où ils pouvaient s'en rallier quelques-uns, et envoyaient des adresses dans lesquelles ils manifestaient leurs sentimens avec une ardeur qui n'en cédait point à celle de leurs adversaires. Dalhousie répondait à l'une, celle du comté de Warwick: «J'ai vu avec une grande satisfaction par votre langage que la conduite des chefs factieux est généralement réprouvée par tout homme loyal et respectable.» A l'autre, celle des Trois-Rivières: «Je me suis vu forcé de défendre contre des empiètemens, les principes les plus évidens de la constitution et les prérogatives les plus indubitables de la couronne. Vous pouvez être assurés que je ne changerai point de conduite, car je suis certain de recevoir finalement l'appui de tous les fidèles sujets du roi, et parmi eux je compte la très grande partie du peuple qui s'est laissé égarer.» Un pareil langage après ce qu'il savait des projets des ministres et de leur détermination de noyer les Canadiens dans une majorité étrangère, n'était-il pas la violation la plus évidente de la sainteté de la vérité. Il rendait son administration désormais impossible. Ne gardant plus de mesures, il continua à sévir contre les magistrats, contre les officiers de milice et contre la presse. Plusieurs magistrats furent destitués. La _Gazette de Québec_ disait: «Que le pays méprise cette nouvelle insulte; il peut confier sans crainte ses destinées à un roi et à un gouvernement anglais.» Quoique toujours plus modéré que les autres, ce journal était alors en butte aux poursuites du gouvernement. Quatre actes d'accusation pour libelles avaient été portés contre son rédacteur, pour avoir publié les résolutions adoptées dans les assemblées publiques. Pendant que le Bas-Canada était ainsi livré aux dissensions qu'amène le despotisme d'une minorité maintenue par la force, car elle n'aurait pu rien faire sans l'appui de l'Angleterre, le Haut-Canada était en proie aux mêmes agitations dues à la même cause. Le parti libéral s'était soulevé contre l'oligarchie. Cette coïncidence dans deux contrées dont la masse de la population était d'origine différente, annonçait une cause réelle de souffrance et donnait par là même du poids aux représentations de chacune. Déjà M. Hume y avait fait allusion à l'occasion des subsides pour l'armée. «Les dépenses des colonies renfermaient, suivant lui, la question de savoir de quelle manière ces colonies étaient gouvernées. L'étaient-elles d'une manière sage et sensée? ou le gouvernement ne mettait-il pas plutôt tout en usage pour les irriter et pour les porter dans leur désespoir à tout tenter? Pourquoi, ajoutait-il, avoir à présent 6000 soldats en Canada? Si ce n'était pour tenir de force le peuple sous un gouvernement qu'il haïssait et méprisait? Que dirait la chambre des communes si elle était traitée comme le sont les assemblées législatives dans ce pays? Que dirait-elle si le roi refusait le président qu'elle se serait nommé par une majorité de 55 contre 5. Qu'on regarde les Etats-Unis. Il n'y a pas pour garder leur immense frontière autant de soldats qu'en Canada. Le même système erroné subsiste dans toutes les autres colonies, où le peuple anglais connaît peu le gouvernement arbitraire qu'on impose. Car tous les gouverneurs militaires sont arbitraires par nature. On devrait les remplacer par des gouverneurs civils.» M. Huskisson proposa une motion tendante à faire nommer un comité pour s'enquérir de l'état des deux Canadas. «La question, dit-il, est de savoir si ces deux provinces ont été administrées de manière à favoriser leur établissement, leur prospérité et leur attachement à l'Angleterre. Sinon ce sera au parlement à faire les modifications nécessaires. Bien des défauts peuvent exister dans le système; mais ils étaient inévitables à l'époque où la constitution a été établie. Le pays, ses ressources, ses intérêts étaient alors peu connus, et il n'y a rien de surprenant qu'il s'y trouve des imperfections, quoique cette constitution ait été imaginée par les plus grands hommes d'état de l'Angleterre. Ils avaient à remplir les engagemens que nous avions pris avec les colons français tout en tâchant autant qu'il était compatible avec ces engagemens, d'introduire les avantages qui découlent des lois, de la jurisprudence et d'une administration anglaise.[24] [Note 24: Le ministre trahit ici l'esprit du bureau colonial dans sa conduite envers les Canadiens français. Il ne peut dissimuler ses sentimens.] «L'acte de 91 vous permet de l'amender et d'en considérer toutes les imperfections pour les corriger; Pitt les avaient prévues. «La France céda le Canada à l'Angleterre en 63 sans condition, sans stipuler de quelle manière il serait administré, en pleine et entière souveraineté. Sa population n'excédait pas 65,000 âmes. La France y avait introduit son système féodal dans toute sa vigueur, je pourrais dire dans toute sa difformité. Le système français fut suivi non seulement dans les institutions, mais même dans les édifices. Les maisons de campagne des colons avaient tous les défauts et tout le mauvais goût qu'on voit à Versailles, la grandeur et l'étendue exceptées. Tel était l'état du Canada sous le régime français, le système féodal florissant dans toute sa vigueur parmi une poignée d'habitans au milieu d'un désert. «Ce système avec la coutume de Paris arrêta tout progrès. Le ministre passant ensuite à l'intention du roi après la conquête de porter des colons en Canada en leur promettant une assemblée législative et les lois anglaises, continua: L'on fit tout ce que l'on put pour introduire ces lois et les faire observer jusqu'en 1774. On y envoya des juges pour les administrer; mais on ne donna point de législature par suite de la révolte des autres provinces qui survint alors. Pour se concilier les Canadiens, on abandonna ces projets, on révoqua les promesses d'introduction des lois anglaises excepté pour le code criminel, on confirma les anciennes lois, on y reconnut la religion catholique et on substitua au système de taxation français le système anglais bien moins onéreux. «L'acte déclaratoire de 78 abandonna aux colonies le droit de se taxer, droit qui fut confirmé par la constitution de 91. Tous les droits devaient être imposés et appropriés par la législature, et le Haut-Canada fut distrait du Bas pour les colons anglais. On fit la faute de diviser les collèges électoraux non suivant l'étendue du territoire, mais suivant l'étendue de la population, ce qui a eu l'effet de mettre la prépondérance de la représentation dans les seigneuries.» L'esprit du ministre perce partout; il aurait voulu qu'on eût donné à quelques habitans des townships la majorité sur la masse de la population. «Il reste, dit-il, une autre difficulté encore plus formidable, celle du contrôle de la législature coloniale sur le revenu public. Les taxes qui ont remplacé les taxes françaises, furent appropriées par l'acte de 74 au payement de la liste civile et de l'administration de la justice. Elles se montent à £35,000; à £40,000 avec le revenu des amendes et confiscations. Les autres revenus qui ont été imposés par la législature et qui sont à sa disposition, s'élèvent à £100,000 environ. La chambre d'assemblée réclame tout ce revenu, surtout le droit de décider quelles branches du service public et quels établissemens judiciaires seront payés sur les £40,000. La couronne lui nie cette prétention, qui n'est fondée ni sur la loi ni sur l'usage, et la chambre là-dessus refuse tout subside pour forcer le gouvernement à lui abandonner le contrôle sur la totalité des revenus. Telle est la question en débat entre les deux chambres. «Mais avant de m'asseoir, je demanderai à ajouter un mot ou deux sur un point auquel on a fait allusion dans cette chambre et qu'on a discuté ailleurs. Je veux parler de l'abandon de nos colonies. Ceux qui sont de cette opinion disent que nous devrions nous épargner la peine d'améliorer l'état de ces provinces, en prenant la voie la plus sage, qui serait de les abandonner à elles-mêmes. Mais que ceux qui parlent ainsi considèrent que ce sont nos compatriotes qu'on abandonnerait, qu'ils sont nés comme nous dans l'allégeance du roi, qu'ils remplissent tous les devoirs de ses sujets, qu'ils désirent le demeurer et en remplir toutes les obligations comme habitans de l'empire. Tant qu'il en sera ainsi, je dis qu'ils ont droit à la protection dont leur fidélité et leur bonne conduite les rendent si dignes. Sur un pareil sujet, je ne ferai pas usage d'une autre raison, l'importance de ces provinces pour la marine, pour le commerce et pour la politique de la Grande-Bretagne. Que ceux qui hazardent une pareille suggestion considèrent l'honneur de ce pays et l'impression que ferait sur toutes les nations un pareil abandon accompli sans nécessité et sans être demandé. Devons-nous abandonner une pareille contrée de notre seul et unique mouvement? Ou comme cela a déjà eu lieu une fois touchant une autre partie de l'Amérique qui a appartenu à la France, la Louisiane, en ferons-nous une affaire de louis, chelins et deniers? Vendrons-nous le Canada à une puissance étrangère? Non, l'Angleterre n'est pas tombée si bas. Le Canada nous appartient par les souvenirs d'une haute et honorable valeur tant sur mer que sur terre. C'est un trophée trop glorieux pour s'en défaire par aucun de ces deux moyens. Nous devons tout employer pour conserver le Canada et le défendre jusqu'à la dernière extrémité. Ainsi la question présentée sous ce point de vue ne peut être un seul instant douteuse. Qu'on se rappelle aussi que c'est un pays où il n'y a point de ces malheureuses distinctions qui existent dans quelques-unes de nos autres colonies; il n'y a aucune distinction de castes, de maîtres et d'esclaves. Le peuple forme, pour ainsi dire, une seule famille, que les liens les plus forts attachent à la métropole. L'Angleterre est la mère de plusieurs colonies, dont quelques unes forment déjà un des empires les plus vastes et les plus florissans de l'univers: celles-ci et beaucoup d'autres ont porté dans tous les coins du monde notre langue, nos institutions, nos libertés et nos lois. Ce que nous avons planté a pris racine; les pays que nous favorisons aujourd'hui comme colonies, deviendront tôt ou tard des nations libres, qui à leur tour communiqueront la liberté à d'autres contrées. Mais me dira-t-on, l'Angleterre a fait pour cela des sacrifices immenses; je l'avoue; mais malgré ces sacrifices l'Angleterre est encore par l'étendue de ses possessions la plus puissante et la plus heureuse nation qui existe et qui ait jamais existé. Je dirai de plus que nous serons bien payés de tous les sacrifices qu'il faudra faire encore, par la moisson de gloire que nous ajouterons à celle que nous avons déjà acquise, la gloire d'être la mère-patrie de pays où l'on jouira dans les siècles à venir du bonheur et de la prospérité qui distinguent de nos jours l'empire britannique. Telle sera la gloire qui nous reviendra de l'établissement de la surabondance de notre population non seulement en Amérique, mais dans toutes les parties du monde. Quel noble sujet d'orgueil pour un Anglais de voir que sa patrie a si bien rempli sa tâche, en travaillant à l'avancement du monde. Que le Canada reste à jamais attaché à l'Angleterre, ou qu'il acquiert son indépendance, non pas, je l'espère, par la violence, mais par un arrangement amical, il est toujours du devoir et de l'intérêt de ce pays d'y répandre des sentimens anglais et de lui donner le bienfait des lois et des institutions anglaises.» Ce discours était rempli d'adresse. Le ministre dissimulait la question des finances, qui était un terrain dangereux devant une chambre de communes pour laquelle la votation des impôts était un droit sacré, et appuyait principalement sur la gloire pour l'Angleterre de faire du Canada un pays vraiment anglais d'affection comme de nationalité. Tout ce qu'avait fait jusque-là le bureau colonial avait tendu vers ce but. Aussi Huskisson donna-t-il une approbation complète à l'administration canadienne, censura-t-il les mesures de l'assemblée et s'éleva-t-il avec force contre l'agitation extraordinaire qui régnait dans le pays. Les gouverneurs n'avaient agi dans tout ce qu'ils avaient fait que par l'ordre formel de Downing-Street, et la nomination du comte Dalhousie au gouvernement des Indes, était une preuve que sa conduite en Canada était loin d'être désavouée du cabinet. Il n'est donc pas étonnant de voir le ministre élever la voix contre les colons, puisque leurs plaintes étaient la censure la plus grave de ses propres fautes et de celles de ses prédécesseurs. L'un des membres marquans des communes, M. Labouchère, homme d'origine française comme les Canadiens, prit leur défense et exposa avec force les droits de cette race en face de tous les préjugés qui s'élevaient contre elle: «Je considère, dit-il, l'acte de 91 comme la grande charte des libertés canadiennes. Je crois que si l'intention de Pitt et des législateurs de son temps avait été suivie d'une manière plus efficace, le Bas-Canada aurait eu meilleure chance de parvenir à la prospérité qu'on lui destinait et de jouir de cette concorde et de cette tranquillité que son alliance avec la métropole devait lui assurer. Il me parait évident que l'intention de Pitt a été de donner au Bas-Canada une assemblée populaire et un conseil législatif, mais non pas de composer entièrement ce conseil de la plus petite portion de la population, c'est-à-dire de la partie anglaise des habitans. Le secrétaire des colonies ne rendait pas justice aux Canadiens ni à leur chambre d'assemblée en disant que l'expérience de Pitt n'avait pas réussi, puisqu'il était vrai que cette expérience n'avait jamais été tentée ou mise à l'épreuve de bonne foi.... Je suis fâché que le nom du ministre des colonies se trouve attaché au bill d'union de 1822, qui a si puissamment contribué à exciter le mécontentement qui existe généralement aujourd'hui. L'on se rappelle que vers la fin de juin, lorsqu'il n'y avait pas soixante membres présens, il introduisit un bill pour anéantir la constitution que Pitt, le gouvernement et la législature de ce pays avaient donnée aux Canadas; la manière dont cette mesure fut introduite était une marque évidente qu'on voulait prendre les Canadiens par surprise, afin de les empêcher d'exprimer leur opinion sur la conduite du gouvernement.» Sir James Macintosh maintint qu'on ne pourrait conserver longtemps le Canada sans le gouverner avec justice. «Mes maximes en politique coloniale, dit cet homme d'état, sont simples et peu nombreuses. Protection pleine et efficace contre l'influence étrangère; liberté complète aux colonies de conduire elles-mêmes leurs affaires locales; obligation pour elles de payer les dépenses raisonnables de leur propre gouvernement en en recevant en même temps le parfait contrôle et entier affranchissement de toute restriction quelconque sur l'industrie du peuple. Telles sont les seules conditions que je voudrais imposer à l'alliance des colonies avec la métropole, les seules conditions auxquelles je désirerais que toutes fussent gouvernées. On ne peut guère douter que placées dans de telles circonstances les colonies ne fussent sous un gouvernement plus doux, dans un état plus heureux, que si elles se trouvaient sous la protection immédiate, sous le gouvernement direct de ll mère-patrie. «Pour revenir sur les observations qui ont été faites au sujet du la coutume de Paris, je prie la chambre de considérer que ce code n'a subi aucun changement depuis 1760 jusqu'à 1789; et tout en admettant que ce puisse être un mauvais système quant à l'aliénation des immeubles et aux hypothèques, un système qui entraîne de grands frais dans les poursuites judiciaires, je dois cependant déclarer que les Canadiens ne peuvent être si mal partagés avec des lois formées sous les auspices du parlement de Paris, d'un corps qui a été composé des plus grands génies qui se soient jamais appliqués à l'étude du droit, et qui peut montrer les noms de l'Hôpital et de Montesquieu.» Ici l'orateur donnant cours à son esprit sarcastique prit occasion de faire une espèce de comparaison entre les lois françaises et les lois anglaises. Il releva avec un esprit inimitable toutes les complications, toutes les bizarreries, toutes les singularités que les lois anglaises ont conservées des temps barbares, et en effet le champ était vaste et varié, puisque l'aliénation des propriétés foncières est devenue une science en Angleterre des plus compliquées, et que l'achat d'une simple propriété coûte autant d'écriture qu'un traité important entre deux nations. Reprenant son sérieux, Macintosh continua: «Dans le vrai, le ministère, n'a mis devant la chambre aucune information suffisante, et il est bien loin d'avoir rendu sa cause parfaite. Mais telle qu'elle est, avec la connaissance que nous avons des faits, et sans entrer dans d'autre détail, je suis d'opinion que la chambre d'assemblée est pleinement justifiable d'avoir agi comme elle a fait. Indubitablement elle a le droit d'approprier l'argent qu'elle accorde. Cela est même dans la nature de son vote. C'est le droit de toute assemblée représentative, et c'est à l'exercice de ce droit que la chambre des communes est redevable de toute son importance. Si la chambre d'assemblée ne possède pas ce droit, c'est une pure illusion que son prétendu contrôle sur la dépense publique. En 1827 elle passa 31 bills la plupart pour effectuer des réformes; quelques uns ayant rapport à l'administration intérieure, d'autres à des changemens utiles dans ses lois, d'autres enfin dans la constitution. La chambre haute les désapprouva tous. Le gouverneur en est-il responsable? Je réponds qu'il l'est. Le conseil n'est autre chose que l'instrument du gouvernement. Ce conseil n'est pas un contrepoids constitutionnel entre le gouverneur et la chambre élective, c'est le conseil du gouverneur. Des 27 membres qui le composent, 17 remplissent des charges qui dépendent du bon plaisir du gouvernement. Ces 17 personnes reçoivent entre elles £15,000 de l'argent public, et cette somme n'est pas peu de chose dans un pays où £1000 passent pour un revenu considérable. Je ne parle pas de l'évêque qui peut être porté vers l'autorité, mais qui est d'un caractère pacifique. Les autres, fatigués à la fin de lutter contre les 17 fonctionnaires, ont cessé d'assister aux délibérations; et deux d'entre eux, qui sont parmi les plus forts propriétaires fonciers de la province, ont signé la pétition. Les choses en étant ainsi, je demande si les Canadiens n'ont pas grand droit de regarder l'existence d'un pareil conseil comme un grief. «Le ministre des colonies s'est adressé aux sentimens de cette chambre, pour exciter notre sympathie, non en faveur des pétitionnaires, mais en faveur des Anglais du Canada, et dans plusieurs parties de son discours il a fait allusion à eux. Mais je demande qu'on me montre une seule loi passée par l'assemblée du Bas-Canada contre les colons anglais? Une loi qui s'applique à eux séparément? Et le remède qu'on propose, c'est de changer la représentation? et l'objet de ce changement, ce sont les intérêts de ces 80,000 Anglais? Mais quelle influence, quel pouvoir peuvent-ils avoir contre plus de 400,000 Canadiens, qui ont entre leurs mains toutes les terres, toutes les propriétés du pays? Les Anglais, à peu d'exception près, sont renfermés dans les villes, et se composent en grande partie de marchands ou d'agens de marchands. Ce sont tous des gens respectables je n'en doute pas; mais ne serait-ce pas la plus grande injustice que de leur donner l'influence que les Canadiens doivent posséder par leurs propriétés. Lorsque j'entends parler d'enquête pour protéger les colons anglais, je ne puis m'empêcher d'éprouver un sentiment pénible. Je suis fâché qu'on tienne un pareil langage; et je regarderais comme un mauvais symptôme si cette chambre était disposée à traiter une classe d'hommes comme une race privilégiée, comme une caste dominante, placée dans nos colonies pour surveiller le reste des habitans. Aurons-nous en Canada une colonie anglaise séparée du reste de la population? Les Anglais formeront-ils un corps favorisé par excellence? Auront-ils des privilèges exclusifs? Seront-ils unis d'intérêt et de sympathie pour assurer la domination protestante? Et donnerons-nous à ces colonies 600 ans de calamités comme nous avons donné à l'Irlande, parcequ'il se rencontre dans ce pays une population anglaise avec des intérêts et des sympathies anglaises? Au nom de Dieu! n'introduisons pas un pareil fléau dans une autre région. Que notre politique soit de donner à toutes les classes des lois équitables et une égale justice; et qu'on ne fasse pas croire que les Canadiens nous sont moins chers, qu'ils ont moins de droit à notre considération comme sujets du roi, qu'ils sont moins dignes de la protection des lois que les Anglais. La chambre doit faire attention; elle ne doit établir aucune distinction entre ces deux classes d'hommes. S'il est de la nature d'un gouvernement équitable de donner la plus grande portion du pouvoir politique à ceux qui ont la plus grande portion de la propriété et qui forment la majorité, quel droit a la minorité de se plaindre? Ce n'est pas ce qui découle du plan de Pitt: et si la liberté civile et le pouvoir politique ne suivent pas le grand nombre et la propriété, le peuple ne peut plus les tenir que du bon plaisir de ses gouvernans. Je regarde comme un symptôme dangereux la distinction des races et la formation d'un peuple en deux classes distinctes.» M. Hume parla aussi avec force à l'appui des plaintes des Canadiens, et surtout de ceux du Haut-Canada qui l'avaient chargé de leurs pétitions. Il blâma sévèrement la politique du bureau colonial. Si la seule colonie du Canada, dit-il, portait des plaintes, on pourrait supposer qu'elle est plus disposée que les autres à se quereller avec le gouvernement. Mais à l'exception de la Nouvelle-Ecosse, il n'y en a pas une seule qui ne se plaigne depuis de longues années sans obtenir de satisfaction. Les discours des amis des Canadiens qui paraissaient fondés sur la raison et sur la justice, firent une grande sensation. M. Wilmot répliqua à M. Labouchère. Il prétendit que la métropole devait se conserver le droit de taxer les colonies, surtout leur commerce, en leur laissant le produit de la taxe. M. Stanley vint après; il maintint que le conseil législatif devait être changé, que le gouverneur s'en servait comme d'un écran pour se mettre à couvert, qu'il était toujours opposé au peuple et tenait la place d'une aristocratie sans en avoir les qualifications. On ne devait point, suivant lui, accorder de privilèges à l'église, et il était important que les Canadiens n'eussent aucune raison de jeter les yeux au-delà de l'étroite frontière qui les séparait des Etats-Unis et qu'ils n'y vissent rien à envier. M. Warburton et M. Baring s'exprimèrent dans le même sens. Les communes renvoyèrent les affaires du Canada à un comité spécial. En présence de l'appui que les Canadiens trouvaient dans cette chambre et auquel on ne s'était peut-être pas attendu, leurs ennemis à Londres commencèrent à se remuer de nouveau. Une quarantaine de marchands de cette ville adressèrent une pétition au parlement en faveur de l'union des deux Canadas. Quoiqu'une grande partie des signataires n'eût jamais vu ce pays, elle fut renvoyée au comité comme les autres ainsi que celle que l'on reçût à peu près dans le même temps contre les destitutions des officiers de milice. Le comité interrogea sir Francis Burton, M. Grant, les agens de la chambre d'assemblée, celui du Haut-Canada, M. Ryerson, M. Gale, M. Ellice, M. Wilmot et quelques marchands. Une partie des témoignages eut rapport à la question des subsides. Il envisagea cette question d'un point de vue élevé, et laissa percer aussi que l'horizon qu'on apercevait pourrait s'élargir encore et qu'il fallait tout préparer pour aller plus loin lorsque le temps viendrait d'augmenter de nouveau les libertés canadiennes; du moins c'est ce que l'on doit conclure de quelques passages. Il rapporta que dans l'état des esprits il n'était pas prêt à recommander l'union des deux Canadas, mais que les dispositions déclaratoires de l'acte des tenures touchant les concessions en franc et commun soccage, devaient être maintenues en introduisant les hypothèques spéciales et les lois d'aliénation du Haut-Canada; que l'on devait donner aussi la faculté de changer la tenure seigneuriale, et d'établir des cours de circuit dans les townships pour les causes concernant les terres soccagères. Il était fermement d'opinion que les Canadiens devaient demeurer dans la paisible jouissance de leur religion, de leurs lois et de leurs privilèges tels que toutes ces choses leur avaient été garanties par le parlement, et que lorsqu'ils désireraient avoir de nouvelles seigneuries on leur en accordât; qu'il pourrait être avantageux d'augmenter la représentation sur la base adoptée pour le Haut-Canada; que le pouvoir de confiscation pourrait être exercé pour remédier aux abus et faire remettre dans le domaine de la couronne les terres restées incultes pour les vendre à d'autres; que l'on pourrait aussi lever une légère taxe sur les terres non défrichées ni occupées; qu'il serait avantageux de mettre à la disposition de l'assemblée tous les revenus de la province, sauf le revenu héréditaire et territorial, et de conserver à la couronne le pouvoir de destituer les juges. Il regrettait qu'on n'eût pas informé le parlement impérial de l'appropriation des revenus du Canada sans le consentement de ses représentans. Quant à la défalcation de M. Caldwell, il fallait prendre à l'avenir les mesures nécessaires pour se mettre en garde contre les détournemens du receveur-général et des shériffs. Les biens des jésuites devaient être appropriés à l'éducation. Le conseil législatif devait être rendu plus indépendant, de manière à le lier plus intimement d'intérêts avec le peuple. Les juges ne devaient point prendre part aux discussions politiques dans le conseil législatif ni avoir de siège dans le conseil exécutif. Enfin on devait borner les changemens à faire à la constitution de 91 à l'abandon à la législature locale de toutes les affaires intérieures et ne faire intervenir le parlement impérial que lorsque son autorité suprême serait nécessaire. Quant au partage des droits de douane entre le Haut et le Bas-Canada, il était désirable, suivant lui, de régler cette affaire d'une manière amicale et permanente. Les terres de la couronne et du clergé devaient être vendues à la condition expresse du défrichement, et leur prix approprié au maintien des églises de toutes les sectes protestantes, eu égard à leur nombre si le gouvernement le jugeait convenable. La constitution de l'université du Haut-Canada devait être changée et le serment religieux aboli. La loi du jury devait être perfectionnée. On devait permettre aux deux Canadas d'avoir chacun un agent à Londres comme les autres colonies. S'il y avait des défauts sérieux dans les lois ou dans la constitution de ces deux provinces, les difficultés actuelles provenaient principalement d'une mauvaise administration. Malgré les perfectionnemens et les suggestions qu'il proposait, sans un système constitutionnel impartial et conciliation on ne devait pas attendre de repos. Enfin quant à la conduite de lord Dalhousie lui-même depuis le départ des agens touchant la destitution des officiers de milice et les poursuites pour libelle à l'instance du procureur-général, le comité ne pouvait s'empêcher d'appeler l'attention du gouvernement sur la pétition qui les concernait et de l'engager à faire faire une enquête sévère en donnant les instructions que demandaient la justice et la saine politique. Ce document dressé avec beaucoup de précaution permettait ou plutôt laissait entrevoir beaucoup plus de concessions qu'il n'en accordait réellement. On y voyait évidemment un désir de satisfaire tout le monde; mais la chose était fort difficile sinon impossible. On voulait conserver la prépondérance au parti anglais quoiqu'il fut dans une immense minorité et satisfaire en même temps les plaintes les plus justes des Canadiens. Le comité se montrait fort libéral en parole; mais toutes faibles qu'étaient ses concessions, elles ne furent pas même sanctionnées par les communes. Le rapport ne fut ni adopté ni rejeté. Le nouveau ministre, sir George Murray, qui venait de remplacer M. Huskisson, promit d'en suivre les recommandations quand la chose serait possible. Ainsi tout en reconnaissant la réalité des griefs du peuple par des paroles qui ne liaient point le ministère, la métropole ne prenait aucun engagement solennel de les redresser, abandonnant ce soin à la discrétion du bureau colonial, dont les sympathies allaient être, sous des paroles plus douces et plus réservées, plus hostiles que jamais. Dans une entrevue des agens canadiens avec sir George Murray quelques jours après, ce ministre leur dit qu'il regrettait de voir que lord Dalhousie eût perdu la confiance du Canada, colonie si importante pour l'Angleterre; mais qu'il pouvait les assurer que l'on allait prendre des mesures pour faire cesser les difficultés qui troublaient le pays depuis si longtemps. Pour rendre le rétablissement de la paix plus facile, lord Dalhousie fut rappelé et nommé au commandement des Indes en remplacement de lord Combermere. Sa retraite était d'autant plus nécessaire que sa popularité était complètement perdue. Il n'aurait pu la reconquérir sans suivre une politique diamétralement opposée à celle qu'il avait tenue jusque-là, ce qui aurait rendu son administration méprisable. Ses rares partisans lui présentèrent une adresse louangeuse, et il partit chargé de l'imprécation des masses, imprécation due moins à son caractère qu'au vice du système qu'il avait trouvé établi et qu'il avait suivi avec plus de zèle que de sagesse et de justice. Sir James Kempt, lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, vint le remplacer. C'était un homme plus réservé et plus adroit, qui dès son début voulut marcher sans faire alliance avec aucun parti et qui, comme tous les nouveaux gouverneurs, prit le timon de l'état entouré de l'espérance que donne toute nouvelle administration. Ainsi se termina la nouvelle phase, la nouvelle secousse qui venait d'exposer pour la seconde fois le vaisseau mal conduit de l'état. Tandis que l'agitation et la discorde divisaient encore les chefs, qui débattaient sur les moyens de le gouverner pour l'avantage du plus grand nombre, il suivait toujours sa route sur les flots du temps et s'élevait dans l'échelle des peuples. Le parlement impérial en laissant en suspend le rapport du comité, abandonna, comme on l'a dit, la réparation des abus au bureau colonial lui-même, c'est-à-dire que rien n'était réglé et que les dissensions allaient bientôt reprendre leur cours. En effet, malgré les censures du comité, il y a lieu de croire que le ministère serait sorti victorieux de la lutte si on eût été aux voix et qu'il aurait eu pour lui une grande majorité. C'est ce résultat presque certain qui empêcha les amis des Canadiens d'insister davantage. Ils préférèrent sagement de s'en tenir aux promesses des ministres quelques vagues qu'elles fussent que de s'exposer à tout perdre Car si la lutte eut été poussée à outrance, le premier discours de M. Huskisson annonçait déjà assez qu'il en aurait fait une question nationale, une question de race, et devant les préjugés anglais les Canadiens français auraient été sacrifiés sans hésitation. LIVRE SEIZIÈME. CHAPITRE I. LES 92 RÉSOLUTIONS. 1829-1834. Espoir trompeur que le rapport pu comité de la chambre des communes fait naître en Canada.--Instructions de sir James Kempt.--la presse canadienne devient plus modérée.--Ouverture des chambres.--Décision des ministres sur la question des subsides et autres points mineurs.--Les espérances de l'assemblée s'évanouissent.--Résolutions qu'elle adopte.--Nouvelles adresses à l'Angleterre.--Travaux de la session.--Session de 1830.--Réponse des ministres aux dernières adresses.--Résolutions sur les ordonnances de milice et les subsides.--Conseils législatif et exécutif.--Opinion de sir James Kempt à leur sujet.--Sensation qu'elle produit.--Assemblée de St.-Charles.--Sir James Kempt, qui a demandé son rappel, est remplacé par lord Aylmer.--Le procureur-général Stuart suspendu.--Concessions et réformes proposées par lord Goderich.--Appel nominal de la chambre.--Elles sont refusées.--Faute de l'assemblée en cette occasion.--Lord Aylmer très affecté.--Les juges Kerr et Fletcher accusés.--Le Parlement impérial change l'acte constitutionnel pour abandonner tous les revenus du Canada au contrôle de sa législature.--Session de 1831-2.--Nouvelles dépêches de lord Goderich.--Indépendance des juges.--Terres de la couronne et réserves du clergé.--Bureau des postes.--Fin de la session.--Regret de lord Aylmer de voir les concessions de lord Goderich si mal accueillies.--Emeute du 21 mai à Montréal--Le choléra en Canada: ses terribles ravages.--Assemblée des Canadiens à St.-Charles, des Anglais à Montréal.--Réponse des ministres touchant le juge Kerr et l'indépendance des juges.--Retour des ministres à une politique rétrograde.--Adresse au roi pour le prier de rendre le conseil législatif électif.--Résolutions contre l'annexion de Montréal au Haut-Canada.--Le procureur-général Stuart et le juge Kerr destitués.--Adresse du conseil législatif au roi,--Double vote de son président.--Townships de l'est.--Session de 1834.--Dépêches de lord Stanley sur divers sujets.--Considération de l'état de la province.--Les 92 résolutions.--Lord Aylmer accusé.--Adresse du conseil législatif.--Prorogation. Le rapport fait à la chambre des communes sur le Canada ne décidant rien, n'ayant pas même été adopté, l'on devait s'attendre que les divisions allaient continuer plus vives et plus ardentes que jamais. Beaucoup de personnes espéraient que la politique métropolitaine allait changer et qu'il y aurait plus de justice et d'impartialité pour la population française; que les abus et les défectuosités de l'administration seraient corrigés et qu'enfin tous les moyens seraient pris pour rétablir l'harmonie et la concorde entre les trois grands pouvoirs de l'état. Mais c'était une illusion. Les ministres ne voulaient faire aucune réforme, aucune concession réelle. La minorité anglaise conserverait toujours tous les départemens de l'exécutif et, au moyen des deux conseils, un pouvoir législatif égal à la majorité française représentée par l'assemblée, et entre ces deux corps en opposition, ils comptaient exercer eux-mêmes le pouvoir comme ils l'entendaient par l'intermédiaire du gouverneur. Sir James Kempt reçut des instructions particulières. Il devait dissimuler son rôle et paraître conserver une parfaite impartialité entre les deux partis, sans laisser abattre le conseil, qui servait de barrière contre les prétentions de la branche populaire. Il s'acquitta de cette tâche avec une grande adresse, et se retira lorsqu'il vit le moment arriver où de vaines paroles ne seraient plus suffisantes. En prenant les rênes du pouvoir, il porta les yeux sur la presse, dont les emportemens n'avaient plus de bornes, la presse officielle surtout. Plus réservée dans tous les pays que celle de l'opposition, elle l'était d'autant moins en Canada qu'elle paraissait inspirée et payée par le pouvoir. Sir James Kempt donna ses ordres et son ton devint bientôt plus modéré. Il fit abandonner aussi les procès politiques qu'avait ordonnés son prédécesseur, en en faisant rapport aux ministres, suivant ses instructions. La presse libérale écoutant les conseils des agens revenus de Londres et les chefs de l'assemblée se turent aussi. Le parlement anglais et le ministère, disait le _Spectateur_, ont montré pour les habitans de ce pays de la bienveillance, de la justice et de la conciliation, et nous devons les imiter. Il n'y eut que la presse anglaise de Montréal qui, moins soumise au contrôle immédiat de l'exécutif, et moins initiée aux secrets du château, voulût persister dans son intempérance de langage, dont l'excès du reste portait son contrepoison avec lui aux yeux des hommes calmes et sensés. Tout le monde attendait avec impatience l'ouverture des chambres pour voir la décision de la métropole sur les questions qui avaient tant troublé le pays. Les uns croyaient que pleine justice serait rendue, les autres que les concessions seraient purement nominales. La législature s'assembla à la fin de 1828. Le gouverneur approuva le choix de M. Papineau pour la présidence de l'assemblée, et adressa un discours aux chambres dans lequel il chercha à les convaincre du vif désir des ministres de faire cesser les difficultés existantes, et qu'il n'était lui-même que leur interprète dans l'occasion présente. «Le gouvernement de sa Majesté m'a déchargé, dit-il, de la responsabilité attachée à aucune des mesures nécessaires pour l'ajustement des difficultés fiscales qui se sont malheureusement élevées, et je saisirai une occasion prochaine pour vous transmettre par message une communication de la part de sa Majesté, qu'elle m'a spécialement ordonné de vous faire relativement à l'appropriation du revenu provincial. Il sera en même temps de mon devoir de vous exposer les vues du gouvernement de cette province sur lesquelles l'attention des ministres de la couronne a été appelée: vous y découvrirez les preuves du désir le plus sincère qu'a le gouvernement de sa Majesté d'appliquer, autant qu'il sera praticable, un remède efficace à tous les griefs réels.» Ce discours que l'on dit avoir été envoyé tout fait d'Angleterre, à part de la recommandation de l'oubli des jalousies et des dissensions passées, ne renfermait pas grand'chose. Les deux chambres observèrent la même réserve dans leurs réponses, excepté l'assemblée sur un point. Elle se crut obligée de protester contre l'acte illégal et arbitraire de l'exécutif qui s'était passé l'année précédente de la législature et avait employé les deniers publics sans appropriation. Sept jours après elle reçut le message annonçant la décision de la métropole sur les subsides et sur quelques autres points mineurs. Après quelques observations générales sur la loyauté des Canadiens et le retour de l'harmonie, le gouverneur l'informait que les discussions qui avaient eu lieu au sujet de l'appropriation du revenu, avaient attiré l'attention du roi, qui avait fait étudier la question pour la régler d'une manière définitive en ayant égard aux prérogatives de sa couronne et aux droits de son peuple. Tant que le revenu approprié par le parlement impérial n'aurait pas été mis par le même parlement sous le contrôle de la province, il devait rester à la disposition de la couronne. Ce revenu ajouté à ceux provenant d'appropriations provinciales, et aux £3 à 4000 du revenu casuel et territorial, formait un grand total de £38,000 qui se trouvait à la disposition permanente du gouvernement. Après le payement du salaire du gouverneur et des juges, on était prêt à garder le reste entre ses mains jusqu'à ce que l'assemblée eût fait connaître ses vues sur la manière la plus avantageuse de l'employer. On espérait que cette proposition serait agréée, mais en tout cas l'Angleterre avait déjà un projet pour régler la question financière d'une manière permanente. Quant à l'insuffisance des garanties données par le receveur-général et les shériffs, le gouvernement impérial se tiendrait responsable des deniers qu'ils pourraient verser entre les mains de son commissaire de l'armée. Il approuverait aussi avec plaisir tout plan équitable adopté par les deux Canadas pour le partage des droits de douane perçus à Québec. Enfin il pensait que les terres incultes devaient être taxées et que l'on devait établir des bureaux d'enregistrement. Voilà à quoi se bornaient les réformes. Après avoir mis de côté ce qu'il fallait pour payer le gouverneur et les juges, la chambre pourrait être entendue sur la manière d'employer le reste de cette portion du revenu mise à la disposition de l'exécutif par les actes impériaux, pourvu qu'elle voulût l'appliquer au service public sans blesser les intérêts ni diminuer l'efficacité du gouvernement. Or pour ne pas diminuer l'efficacité du pouvoir, c'était une appropriation permanente qu'il fallait sous une autre forme, et c'était justement pour rendre le pouvoir moins indépendant d'eux que les représentans faisaient tant d'efforts pour faire tomber ce revenu sous leur suffrage annuel. Puis la métropole avait un projet financier sur le métier, qu'était-il? C'étaient les élus des contribuables qui devaient régler cette question et non le bureau colonial, qui était indépendant d'eux et inspiré par des sentimens qu'ils connaissaient pour leur être plus hostiles que jamais. Toutes ces explications, toutes ces suggestions étaient parfaitement illusoires. Aussi l'assemblée après avoir renvoyé le message à un comité spécial, vit-elle toutes ses espérances s'évanouir successivement comme un beau rêve. Lorsque le comité présenta son rapport, elle l'adopta presque à l'unanimité. Il fut résolu qu'elle ne devait en aucun cas abandonner son contrôle sur la recette et la dépense de la totalité du revenu public; que l'intervention du parlement impérial où le Canada n'était pas représenté, n'était admissible que pour révoquer les statuts contraires aux droits des Canadiens; que cette intervention dans les affaires intérieures ne pouvait qu'aggraver le mal; que la chambre pour seconder les intentions bienveillantes du roi, prendrait en considération l'estimation des dépenses de l'an prochain, et lorsqu'il aurait été conclu un arrangement final elle rendrait le gouverneur, les juges et les conseillers exécutifs indépendans de son vote annuel. Elle ajouta qu'elle passerait un bill d'indemnité pour les dépenses faites après les avoir examinées; qu'elle n'avait reçu aucune plainte touchant le partage des droits de douane entre les deux Canadas; qu'elle concourrait avec plaisir à toute mesure touchant les townships, et que le règlement des points suivans était essentiel à la paix et au bonheur du pays: 1. Indépendance des juges et leur isolement de la politique. 2. Responsabilité et comptabilité des fonctionnaires. 3. Conseil législatif plus indépendant du revenu et plus lié aux intérêts du pays. 4. Biens des jésuites appliqués à l'éducation. 5. Obstacles à l'établissement des terres levés. 6. Redressement des abus après investigation. Ces résolutions prirent la forme d'adresses au parlement impérial, que le gouverneur transmit à Londres. Le conseil rescindait en même temps, à la suggestion de sir James Kempt sans doute, sa résolution de 1821, de ne prendre en considération aucun bill s'il n'était d'une certaine façon. Malgré la persistance de la chambre dans ses plaintes et les investigations qu'elle continua sur les abus, elle passa une foule de lois, dont 71 furent sanctionnées par le gouverneur et six réservées pour l'être par le roi, parmi lesquelles celle qui portait la représentation à 84 membres. L'assemblée l'avait fixée à 89. Le conseil retrancha un membre à plusieurs comtés auxquels elle en avait donné deux et en ajouta un à d'autres qui n'en avaient qu'un. Elle préféra sanctionner ces amendemens qui réduisaient le chiffre de la représentation que de perdre la mesure. Elle avait donné un membre à chaque 5000 âmes à-peu-près. Le conseil voulait en donner deux à chaque 4000 âmes et plus, et un à chaque comté de moins de 4000 âmes. Ainsi deux comtés de 1000 âmes auraient élu deux membres et un comté de 20,000 n'en aurait élu que le même nombre. Parmi ces lois il y en avait plusieurs d'une grande importance soit par les principes qu'elles entraînaient ou confirmaient, soit par l'impulsion qu'elles devaient imprimer aux progrès du pays. Telles étaient celles qui donnaient une existence légale aux juifs et aux méthodistes, qui accordaient des sommes considérables pour l'amélioration de la navigation du St.-Laurent et des routes, pour l'éducation et l'encouragement des lettres et des sciences. Les appropriations s'élevèrent à plus de £200,000. Mais aucune des grandes questions politiques n'avait été réglée; toutes les causes de discorde subsistaient dans toute leur force, ou n'en étaient que plus dangereuses pour être ajournées. Le gouvernement cherchait tant qu'il pouvait à temporiser, espérant que le temps amènerait le calme dans les esprits. A l'ouverture de la session suivante il s'empressa d'annoncer aux chambres que le commerce progressait tous les jours, que le revenu avait augmenté, que des écoles s'établissaient partout, que les routes s'amélioraient, que l'ordre se rétablissait dans la comptabilité des deniers publics. Il suggérait, pour venir en aide à ces progrès, de perfectionner la loi des monnaies, celles de l'éducation et de la qualification des juges de paix; d'établir des cours de justice dans les comtés populeux ainsi que des prisons et un pénitentiaire, enfin de taxer les terres incultes et d'établir des bureaux d'hypothèques. Quant à la réponse de l'Angleterre aux pétitions de l'assemblée, les ministres n'avaient pas eu le temps d'amener la question des subsides devant le parlement impérial, mais ils allaient s'en occuper immédiatement, et en attendant la chambre était priée de voter la liste civile de l'an dernier. La chambre revint dans le cours de la session aux anciennes ordonnances de milice dont lord Dalhousie avait tant abusé, et résolut à la majorité de 31 contre 4, d'envoyer une adresse au roi contre la légalité de cette mesure d'autant plus dangereuse que ces lois avaient été faites dans un temps où un despotisme pur couvrait le pays. La chambre, dit M. Neilson, a décidé unanimement que ces ordonnances ne sont pas en force. «Si cette chambre a exprimé les opinions du pays, observa M. Papineau, les ordonnances sont abrogées; car quand tous les citoyens d'un pays repoussent unanimement une mauvaise loi; il n'y a plus de moyen de la faire exécuter: elle est abrogée.» C'est de la rébellion s'écria M. A. Stuart. Quant aux subsides, la chambre déclara en passant le bill, que l'appropriation qu'elle faisait n'était que provisoire et dans l'espérance que la question financière allait être bientôt réglée; que les griefs sur lesquels le comité des communes anglaises avait fait rapport, seraient pleinement redressés et que l'on donnerait plein effet à ses recommandations; que le conseil législatif serait réformé, que les juges cesseraient de se mêler de politique et de siéger dans le conseil exécutif, enfin que l'on établirait un tribunal pour juger les fonctionnaires accusés. Le conseil voyant l'acharnement implacable de l'assemblée contre lui, voulait rejeter le bill sans même le regarder; mais l'influence du gouverneur retint quelques membres, et le juge Sewell sut éviter ce qui aurait été un immense embarras. Lorsque le bill fut mis aux voix, elles se trouvèrent également partagées 7 contre 7. Alors le vieux juge toujours trop habile pour manquer de moyens, imagina de voter deux fois; il vota d'abord comme membre et ensuite comme président de la chambre. L'évêque protestant, M. Stewart, qui n'y avait pas paru de la session, y vint ce jour là à la sollicitation du juge pour donner sa voix. La minorité n'eut plus qu'à protester. Sir James Kempt regrettait que l'assemblée n'eût pas voté la somme nécessaire pour couvrir toutes les dépenses du service public et les arrérages de certains salaires; mais il la remercia en la prorogeant de ses généreuses appropriations pour l'éducation, l'amélioration du St.-Laurent et les routes intérieures. Elle avait accordé une somme considérable pour entourer le port de Montréal de quais magnifiques en pierre de taille, pour encourager la navigation à la vapeur entre Québec et Halifax, pour bâtir une douane à Québec et des phares en différens endroits du fleuve; elle avait donné £20,000 pour une prison à Montréal, £12,000 pour un hôpital de marine à Québec, £38,000 pour l'amélioration des chemins et l'ouverture de nouvelles routes dans les forêts afin de faciliter l'établissement des terres; £8,000 pour éducation. Enfin elle s'était plu à faire voir que si elle voulait exercer plus d'influence sur le gouvernement, c'était pour l'employer à l'avantage de la chose publique, et que ses prétentions étaient inspirées par le besoin qu'avait la société de plus de latitude, de plus de liberté pour répondre à son énergie et à son activité qui se développaient dans une proportion encore plus rapide que le nombre des habitans qui la composaient. Le gouverneur n'ignorait pas qu'il faudrait satisfaire tôt ou lard ce besoin, et que si l'on ne faisait pas de concessions maintenant des difficultés plus graves que toutes celles qu'on avait encore vues ne tarderaient pas à éclater. Ce n'était qu'en usant de la plus grande réserve et de la plus grande prudence qu'il les empêchait de renaître; mais le moindre accident pouvait briser la bonne entente qui paraissait exister entre lui et les représentans du peuple. Les conseils législatif et exécutif occupaient alors l'Angleterre. Le ministre des colonies écrivit pour demander des informations sur ces deux corps; s'il était à propos d'en changer la constitution, surtout s'il serait désirable d'y introduire plus d'hommes indépendans du gouvernement, c'est-à-dire sans emploi de la couronne, et dans ce cas si le pays pourrait en fournir assez de respectables pour cet honneur. Sir James Kempt répondit que le conseil législatif était composé de 23 membres dont 12 fonctionnaires, 16 protestans et 7 catholiques, et le conseil exécutif de 9 membres dont un seul indépendant du gouvernement et un seul catholique; qu'il n'était pas préparé à y recommander de changement notable; mais que l'on devait introduire graduellement plus d'hommes indépendans du pouvoir dans le conseil législatif, et n'admettre à l'avenir qu'un seul juge dans les deux conseils, le juge en chef; qu'il pensait aussi qu'il serait à propos d'introduire dans le conseil exécutif un ou deux des membres les plus distingués de l'assemblée, afin de donner plus de confiance à la branche populaire dans le gouvernement, chose qui lui paraissait de la plus grande importance pour la paix et la prospérité du pays. Il croyait que l'on pourrait trouver assez de personnes qualifiées pour remplir les vides qui arriveraient de temps à autre dans les deux corps. Quand on voit le gouverneur qui paraissait le plus favorable au pays s'exprimer avec tant de circonspection sur les matériaux les plus nécessaires qu'il contenait pour faire marcher un gouvernement, on n'est pas surpris de ses embarras. Quand un gouvernement a une si haute opinion de lui-même et une si petite des peuples qu'il dirige, la sympathie doit être aussi bien faible. Aussitôt que la dépêche de sir James Kempt, mise devant le parlement impérial, fut connue en Canada, les habitans les plus respectables des comtés de Richelieu, Verchères, St.-Hyacinthe Rouville et Chambly, s'assemblèrent à St.-Charles sous la présidence de M. Debartzch, et déclarèrent que quoique la conduite de ce gouverneur eût fait disparaître les haines et les divisions qu'avait fait naître la politique arbitraire et extravagante de lord Dalhousie, cette dépêche réveillait les craintes les plus sérieuses, et si les deux conseils n'étaient pas réformés, l'on devait s'attendre aux conséquences les plus funestes pour le maintien de l'ordre, parce qu'il ne restait plus d'espoir de voir rétablir l'harmonie entre les différentes branches de la législature. Sir James Kempt qui se voyait au moment d'être forcé de se prononcer sur les réformes que l'on appelait à grands cris, avait demandé son rappel pour ne pas se trouver dans les mêmes difficultés que son prédécesseur. Il savait que le pays était trop avancé pour se contenter plus longtemps de vaines théories, de sentimens vagues ou des déclarations générales, et qu'il fallait enfin lui accorder ou lui refuser d'une manière formelle et précise ce qu'il demandait. Quoiqu'il eût rétabli les magistrats destitués par son prédécesseur, qu'il eût fait de grandes réformes parmi les juges de paix; quoiqu'il eût aussi commencé à réorganiser la milice et à rétablir dans leurs grades les officiers qui avaient perdu leurs commissions pour leurs opinions politiques, les résolutions de l'assemblée de St.-Charles lui démontraient que sa popularité finissait avec son administration. Il fut remplacé par lord Aylmer, qui avec le même programme à suivre allait avoir en face de lui une assemblée plus nombreuse que celle de son prédécesseur, et par conséquent plus difficile encore à contenter. Le parti de la réforme s'était beaucoup accru. Tous les anciens membres libéraux qui avaient voulu se présenter avaient été réélus à de grandes majorités. 60 Canadiens-français et 24 Anglais composaient la nouvelle chambre. Une forte partie de ces derniers avait été élue par les Canadiens, fait qui prouve que les principes l'emportaient sur les préjugés nationaux, qui inspiraient beaucoup plus le gouvernement que le peuple. L'antipathie du bureau colonial était telle qu'il fallait des efforts répétés pour le persuader à admettre quelques Canadiens dans les deux conseils, et la crainte seule des troubles avec les vives recommandations de sir James Kempt purent l'engager à choisir trois Canadiens français sur les cinq membres qui y furent ajoutés vers ce temps-ci. Lord Aylmer ouvrit les chambres en 1831 et les informa que la mort du roi et le changement de ministère avaient retardé l'arrangement de la question des finances; mais que les nouveaux ministres allaient s'en occuper et qu'il espérait que les instructions qu'il allait recevoir à ce sujet mettraient fin à toute difficulté pour l'avenir. L'assemblée se hâta de passer un bill pour empêcher les juges de siéger dans les deux conseils, afin de mettre à l'essai les nouvelles dispositions de l'exécutif. Le bill fut rejeté aussitôt par le conseil législatif, d'où la plupart des membres de l'assemblée conclurent que les ministres persistaient toujours dans leur ancienne politique. Elle résolut alors de maintenir sa position coûte que coûte. Le procureur-général Stuart fut accusé de fraude dans son élection à William-Henry, de partialité, d'exaction en exigeant des honoraires sur les commissions des notaires sans autorité; d'avoir prêté son ministère à la compagnie de la Baie d'Hudson contre le locataire des postes du roi qu'il devait défendre en sa qualité d'officier de la couronne. La chambre qui avait renvoyé ces accusations à un comité spécial, demanda la destitution de ce fonctionnaire, qui fut dabord suspendu et plus tard destitué après deux ou trois ans d'investigation au bureau colonial, auprès duquel M. Viger avait été envoyé pour soutenir les accusations. Enfin le gouverneur reçut la réponse des ministres sur la question des subsides. Ils abandonnaient le contrôle de tous les revenus excepté le revenu casuel et territoire,[25] pour une liste civile de £19,000 votée pour la vie du roi. Cette réserve loin d'être exorbitante paraissait assez raisonnable, et allait diminuer d'importance de jour en jour par les progrès du pays et l'augmentation de ses richesses. Cependant la chambre refusa de l'accepter, grande faute due à l'entraînement d'autres questions qui avaient déjà fait perdre la liste civile de vue. Si le gouvernement eût fait quelques années plutôt ce qu'il faisait maintenant, tout se serait arrangé. Mais après tant d'années de discussion, les passions s'étaient échauffées, les partis avaient pris leur terrain, et tous les défauts des deux conseils s'étaient montrés avec tant de persistance et sous tant d'aspects divers que l'on ne voulût plus croire à la possibilité d'une administration juste et impartiale tant qu'ils seraient là pour la conseiller où pour la couvrir. On demanda des garanties et des réformes qui effrayèrent l'Angleterre. On éleva de nouveau le cri de domination française, ce cri funeste qui n'avait de signification que par l'asservissement d'une race sur l'autre. Pour les uns, il voulait dire, nous ne voulons pas être soumis à une majorité canadienne, pour les autres, nous ne voulons pas être le jouet d'une minorité anglaise. Jusqu'ici le gouvernement maître des deux conseils, maître de lui-même, maître de l'armée, maître enfin de toute la puissance de l'Angleterre, avait pu retenir les représentans d'un petit peuple dans des limites assez étroites. Mais qu'arriverait-il dans l'avenir? [Note 25: C'est-à-dire des biens des jésuites, des postes du roi, des forges St.-Maurice, du quai du roi, des droits de quint, des lods et ventes, des terres et des bois. Le tout ne se montait qu'à environ £7,000 par année et le gouvernement se le réservait parce qu'il ne provenait point des taxes, mais directement des domaines de la couronne.] Le bureau colonial savait que les principes étaient en faveur de ce petit peuple qu'il tenait sous l'eau jusqu'à la bouche sans le noyer encore tout-à-fait, et qu'il serait impossible de les violer longtemps sans révolter la conscience publique et sans se dégrader lui-même à ses propres yeux; c'est pourquoi il nourrissait toujours dans le silence son projet de 1822, afin de mettre fin une bonne fois lorsque le moment serait arrivé, par une grande injustice à mille injustices de tous les jours qui l'avilissaient. Ce but était évident; il se manifestait par le refus de toute réforme importante propre à rétablir l'harmonie dans le pays. Aussi était-ce précisément ce qui devait mettre l'assemblée sur ses gardes. Elle ne devait rien compromettre, profiter des circonstances et surtout du temps qui élève dans la république des Etats-Unis, une rivale à laquelle l'Angleterre sera bientôt obligée de chercher des ennemis pour conserver la domination du commerce et des mers. Avec une politique ferme et habile, les Canadiens pouvaient triompher des antipathies métropolitaines et mettre les intérêts éclairés à la place des préjugés aveugles. Car on ne pouvait croire sérieusement qu'une nation comme l'Angleterre fût jalouse des institutions d'un peuple de quelques centaines de mille âmes relégué à l'extrémité de l'Amérique. Malheureusement dans une petite société les passions personnelles obscurcissent les vues élevées, et les injustices senties trop vives et trop directement font oublier la prudence nécessaire pour attendre des remèdes efficaces et souvent fort tardifs. C'est ce que va nous faire voir la suite des événemens que nous avons à raconter. On oubliait aussi que dans la série d'hommes qui tenaient successivement comme ministres le portefeuille des colonies, il pouvait s'en trouver qui n'entrassent pas bien avant dans le projet de l'union des deux Canadas, et c'est ce qui arriva. Lord Goderich, par exemple, ne montra pas, par ses actes, un grand désir d'en accélérer la réalisation. Mieux éclairé qu'aucun de ses prédécesseurs sur le Bas-Canada par ses entrevues fréquentes avec M. Viger, il parut au contraire vouloir faire plus de concessions qu'aucun de ses prédécesseurs. C'est lui qui venait de faire la dernière proposition sur les subsides, laquelle comportait la concession de presque tout ce que l'on demandait sur cette question capitale. Néanmoins la chambre ne voulant tenir aucun compte des oppositions que ce ministre avait peut-être à vaincre dans le milieu dans lequel il agissait pour obtenir ces concessions de ses collègues, resta en garde contre lui comme contre tous ses prédécesseurs, et au lieu d'accepter la liste civile qu'il proposait, elle demanda copie des dépêches qu'il avait écrites à ce sujet. Lord Aylmer répondit qu'il regrettait de ne pas avoir la liberté de les communiquer. Il existe une règle générale pour tous les gouverneurs, d'après laquelle ils ne peuvent montrer aucune dépêche des ministres sans permission du bureau colonial.[26] La chambre se montra blessé de ce refus et ordonna un appel nominal pour prendre en considération l'état de la province. C'était annoncer qu'elle allait étendre le champ de ses prétentions. Elle demanda à l'exécutif des renseignemens sur les dépenses du canal de Chambly un état détaillé de la liste civile proposée, un état du revenu des biens des jésuites et des terres et des bois, avec l'emploi que l'on proposait de faire de ces revenus; si le juge de l'amirauté recevait un salaire ou des honoraires. Le gouverneur ne la satisfit que sur une partie de ces points. Il l'informa aussi que les ministres avaient intention d'introduire un bill dans le parlement impérial pour révoquer la loi qui chargeait les lords de la trésorerie de l'appropriation des revenus que l'on se proposait d'abandonner à la chambre. [Note 26: Lorsque je faisais des recherches pour cet ouvrage, le secrétaire de lord Elgin, le colonel Bruce, me montra cette règle dans un volume imprimé qui contient toutes celles qui doivent servir de guide aux gouverneurs de colonies.] Le comité auquel tous ces documens étaient renvoyés présenta un premier rapport la veille du jour de l'appel nominal. «Comme les principales recommandations du comité de la chambre des communes n'ont pas été suivies, disait-il, par le gouvernement, quoiqu'il y ait plus de deux ans qu'il a été fait, et que les demandes que l'on avance maintenant ne correspondent point avec les recommandations de ce comité au sujet des finances, ni même avec l'annexe du bill introduit dans la dernière session du parlement impérial par le ministre colonial, votre comité est d'opinion qu'il n'est pas à propos de faire d'appropriation permanente pour payer les dépenses du gouvernement.» Le lendemain, il fut proposé par M. Bourdages de refuser les subsides jusqu'à ce que tous les revenus sans exception fussent mis sous le contrôle de la chambre, que les juges fussent exclus du conseil, que les conseils législatif et exécutif fussent entièrement réformés et que les terres de la couronne fussent concédées en franc-aleu roturier et régies par les lois françaises. Mais cette proposition parut prématurée et fut rejetée par 50 voix contre 19. On procéda alors à l'appel nominal et les débats sur l'état de la province commencèrent. Ils durèrent plusieurs jours et se terminèrent par l'adoption de nouvelles pétitions à l'Angleterre, à laquelle on ne se fatiguait pas d'en appeler. C'est dans le cours de cette discussion que M. Lee proposa vainement, pour rétablir l'harmonie, de rendre le conseil législatif électif.[27] On demanda encore à l'Angleterre les biens des jésuites et des institutions municipales, on réclama contre l'administration des terres, les lois de commerce passées à Londres, l'introduction des lois anglaises, l'intervention des juges dans la politique, l'absence de responsabilité chez les fonctionnaires, l'intervention du parlement impérial dans nos affaires intérieures, le choix partial des conseillers législatifs, et on se plaignait que les abus que le comité de la chambre des communes avait recommandé de faire disparaître existaient toujours. [Note 27: Cette proposition fut écartée par une majorité de 24 contre 18, division qui annonçait déjà un fort parti en faveur du principe électif.] Lord Alymer, qui était un homme très sensible, parut fort affecté de ce nouvel appel à la métropole. Lorsque la chambre lui présenta en corps la pétition pour le roi, il lui dit qu'il pouvait se faire qu'il avait encore quelque chose à apprendre sur les vues ultérieures des membres; mais qu'il était bien aise de voir que les abus exposés dans la pétition étaient distincts et tangibles; qu'il pouvait déclarer que plusieurs étaient déjà en voie de réforme sinon de redressement complet. Qu'il serait néanmoins beaucoup plus satisfait s'il pouvait se convaincre que la pétition embrassât tous les sujets de plainte; qu'il était très inquiet à cet égard, et qu'il priait bien la chambre de lui ouvrir son coeur, de lui donner toute sa confiance et de ne lui rien cacher; qu'il leur avait tout fait connaître, qu'il n'avait rien dissimulé; qu'il aurait regardé toute manoeuvre, toute supercherie de sa part comme indigne du gouvernement et du caractère franc et loyal du peuple canadien; qu'il demandait la même bonne foi de la part de l'assemblée. La chambre avait-elle tout mis au jour, avait-elle réservé quelque plainte, quelque grief pour amener plus tard. Il l'implorait de lui dévoiler la vérité au nom de leur souverain qui était la sincérité elle-même, afin que l'Angleterre pût voir d'un coup d'oeil toute l'étendue de leurs maux. Après des sentimens exprimés à la fois avec tant de naïveté et avec tant de chaleur, on ne peut s'empêcher de reconnaître la sincérité de ce gouverneur, car il est impossible d'attribuer un pareil langage à la dissimulation et à l'hypocrisie. Mais cette scène montrait la grande divergence du point de départ des vues de lord Aylmer et des représentans du peuple. Un membre des townships de l'est se rallia vers ce temps-ci à la majorité de la chambre contre l'oligarchie. C'est elle qui avait inspiré l'idée au bureau colonial de faire passer l'acte des tenures pour empêcher les lois françaises d'être étendues à ces townships. M. Peck, avocat, se leva dans la chambre et fît passer une adresse au roi pour le prier de faire révoquer cet acte et de rétablir les anciennes lois, déclarant qu'il était contraire aux sentimens des habitans, et qu'on le leur avait imposé de force contre leurs droits, leurs intérêts et leurs désirs, autre preuve de l'influence funeste qui dirigeait le bureau colonial. En même temps le juge de cette localité, M. Fletcher, était accusé d'oppression, d'abus et de perversion de la loi, et la chambre priait lord Aylmer de prendre les mesures nécessaires pour protéger les habitans contre ces injustices. Le juge Kerr fut accusé à sort tour. Le public étonné devant tant de scandale, perdait de plus en plus confiance dans les autorités; et le temps allait arriver où les réformes partielles ne seraient plus suffisantes. Le gouverneur eut beau faire informer la chambre que deux des juges n'avaient point assisté au conseil législatif de la session, et qu'il avait fait signifier au troisième de se retirer, cette nouvelle fit à peine quelque sensation. On se préoccupait déjà fortement de mesures plus radicales. On ne vota encore que des appropriations temporaires pour les dépenses du gouvernement. Ce qui fit dire à lord Aylmer en prorogeant l'assemblée que la mesure de ses remercîmens aurait été complète si les circonstances lui avaient permis d'informer l'Angleterre que ses propositions touchant les finances avaient été enfin favorablement accueillies. L'Angleterre ne perdait pas espérance que cette question finirait par s'arranger. Lord Howick, sous secrétaire des colonies, fit passer une loi en 1831, malgré le protêt du duc de Wellington, pour amender l'acte constitutionnel de manière à permettre l'abandon aux chambres canadiennes de tout le revenu moyennant une liste civile annuelle de £19,000. Comme on l'a déjà dit, les réformes qui se font trop attendre font naître le besoin de beaucoup d'autres, et on put voir que cela était vrai en Canada, où l'on voulait déjà en faire exécuter plusieurs à peine ébauchées quelques mois auparavant, avant de voter une liste civile. A mesure qu'on avançait l'on apercevait mieux la véritable cause du mal. Les chambres rouvertes à la fin de 31, l'assemblée reçut copie d'une longue dépêche de lord Goderich en réponse à ses adresses de la dernière session. Elle la renvoya aux comités de l'éducation, du commerce, de l'administration de la justice, des officiers exécutifs et judiciaires, et des agens comptables en ce qui les concernait. Le gouverneur s'exprimait alors en toute occasion comme si les difficultés eussent été arrangées. La confiance l'empêchait de voir au-dessous de la superficie des choses, et les moindres réformes lui paraissaient fondamentales. Une dépêche plus importante suivit celle-ci. Elle invitait les chambres à passer une loi pour rendre les juges des cours supérieures indépendans de la couronne et inamovibles durant bonne conduite, à condition que leurs salaires seraient votés permanemment, et les informait qu'aucun juge ne serait à l'avenir nommé dans l'un ou l'autre conseil, excepté le juge en chef, et encore serait-il tenu de s'abstenir de prendre part aux questions politiques. Lord Alymer demanda en même temps le vote du reste de la liste civile, en lui transmettant copie de l'acte passé à ce sujet par le parlement impérial. La chambre se contenta de résoudre de se former en comité général après un appel nominal, pour prendre en considération la composition des deux conseils, et après de longues discussions lorsque ce comité s'assembla, la question fut ajournée. Le bill des juges passé par l'assemblée et rendu au conseil le gouverneur pria la chambre de voter le salaire du chef du gouvernement, des secrétaires civil et provincial et des procureur et solliciteur-généraux. Ces salaires avec ceux des juges formaient en y ajoutant quelques pensions et autres petits items, la liste civile de £19,000. Cette demande fut discutée en comité général, qui se leva sans adopter de résolution, ce qui équivalait à un rejet. Jamais la chambre n'avait fait une faute aussi grave, car une partie de sa force consistant dans son influence morale, elle devait accomplir même au-delà de la lettre les engagemens qu'elle avait pris ou qu'elle paraissait avoir voulu prendre. Il est indubitable que le ministère anglais n'avait fait une si grande concession à ses yeux que pour calmer les esprits et s'assurer une liste civile suffisante qui ne serait plus contestée. On devait reconnaître cette libéralité par des marques substantielles, et non la repousser par de nouvelles prétentions qui ne devaient trouver leur solution que dans un avenir plus ou moins éloigné. Mais déjà une influence malheureuse emportait la chambre au-delà des bornes de la prudence. Les dernières élections avaient changé le caractère de ce corps. Un grand nombre de jeunes gens des professions libérales avaient été élus sous l'inspiration de l'esprit du temps. Ils devaient porter dans la législature l'exagération de leurs idées et exciter encore les chefs qui avaient besoin plutôt d'être retenus après la longue lutte qu'ils venaient de soutenir. M. de Bleury, LaFontaine, Morin, Bodier et autres, nouvellement élus, voulaient déjà qu'on allât beaucoup plus loin qu'on ne l'avait encore osé. Il fallait que le peuple entrât enfin en possession de tous les privilèges et de tous les droits qui sont son partage indubitable dans le Nouveau-Monde; et il n'y avait rien à craindre en insistant pour les avoir, car les Etats-Unis étaient à côté de nous pour nous recueillir dans ses bras si nous étions blessés dans une lutte aussi sainte. Ils s'opposèrent donc à toute transaction qui paraîtrait comporter un abandon de la moindre parcelle des droits populaires. Ils se rangèrent autour de M. Papineau, l'excitèrent et lui promirent un appui inébranlable. Il ne fallait faire aucune concession. Pleins d'ardeur, mais sans expérience, ne voyant les obstacles qu'à travers un prisme trompeur, ils croyaient pouvoir amener l'Angleterre là où ils voudraient, et que la cause qu'ils défendaient était trop juste pour succomber. Hélas! plusieurs d'entre eux ne prévoyaient pas alors que la providence se servirait d'eux plus tard en les enveloppant dans un nuage d'honneur et d'or, pour faire marcher un gouvernement dont la fin première et fixe serait «d'établir, suivant son auteur, dans cette province une population anglaise, avec les lois et la langue anglaise, et de n'en confier la direction qu'à une législature décidément anglaise,»[28] qui ne laisserait plus exister que comme le phare trompeur du pirate, cet adage inscrit sur la faux du temps: «Nos institutions, notre langue et nos lois.» [Note 28: Rapport de lord Durham.] Malgré les sentimens chaleureux que lord Aylmer manifestait en toute occasion, il était facile de s'apercevoir que les refus de la chambre commençaient à lui inspirer de la méfiance. La communication qu'il dût lui faire au sujet des réserves du clergé devait encore, faute de bonne entente, exciter les esprits. Les terres appartenaient à tout le pays sans distinction de secte. Le gouvernement impérial rependant s'était emparé sans droit, sans justice dans un temps encore tout vicié par les préjugés, d'une proportion considérable de ces terres pour le soutien d'une religion dont les adeptes comptaient à peine dans la masse des citoyens. C'était sous une autre forme, faire payer comme en Irlande, la dîme des protestans aux catholiques et à tous les dissidens. Lord Goderich voyant tous les défauts de ce système, fit proposer à l'assemblée de soumettre ses vues à cet égard afin de voir comment l'on pourrait régler cette question de la manière la plus avantageuse. C'était une concession équitable et importante. Elle passa un bill pour révoquer la partie de l'acte constitutionnel qui avait rapport aux réserves du clergé. Elle en passa un autre, appuyée par les membres des townships eux-mêmes, pour révoquer celui qu'Ellice avait obtenu du parlement impérial, lequel autorisait les propriétaires à demander les prix qu'il voulait pour leurs terres et introduisait les lois anglaises. Il va sans dire que ces deux lois tombèrent dans le conseil. Quant aux terres de la couronne, lord Goderich pensait qu'au lieu de les donner pour rien à ceux qui en demandaient comme le proposait la chambre, le meilleur système serait de les vendre à l'encan périodiquement; que néanmoins si elle avait des améliorations à proposer à ce système, elles seraient bien reçues; et quant aux réserves du clergé il concourrait entièrement avec elle; il fallait les abolir. «Un mode vicieux, disait-il, pour lever un fonds destiné à des fins publiques était encore plus fortement condamnable lorsque c'était pour les ministres de la religion, puisqu'il devait tendre directement à rendre odieux aux habitans ceux-là même qui avaient besoin d'une manière particulière de leur bienveillance et de leur affection.» La chambre ayant terminé son enquête contre les juges accusés, demanda leur suspension au gouverneur, qui refusa sous prétexte que les fonctionnaires n'étaient pas dans le même cas que M. Stuart puisqu'ils allaient être rendus indépendans de l'exécutif; qu'il les suspendrait néanmoins si le conseil législatif se joignait à elle. La session touchait à sa fin. Un des derniers actes de l'assemblée fut de demander la mise du bureau des postes sous le contrôle de la législature. Lord Aylmer en la prorogeant exprima tout son regret de voir qu'après toutes les espérances que ses votes et ses résolutions avaient fait concevoir, elle eût accueilli la liste civile par un refus. Il l'informa que, malgré les embarras qui pourraient en résulter, il se trouvait dans la nécessité, suivant ses ordres, de réserver le bill de subsides à l'approbation du roi. Malgré les concessions de lord Goderich, l'excitation dans les chambres et dans le public allait toujours eu augmentant. Le parti anglais qui dominait partout, excepté dans l'assemblée, tremblait à l'aspect des réformes du ministre et était furieux. Le parti canadien croyait tous les jours davantage que ces réformes seraient nulles si nos sentimens ne pénétraient pas plus avant dans le personnel de l'exécutif; que tant qu'il n'exercerait pas une plus grande part du pouvoir, la démarcation insultante existerait toujours entre le conquis et le conquérant, et que le premier ne cesserait pas de paraître comme étranger dans son pays. C'est au milieu de ces querelles; que l'élection d'un membre eut lieu à Montréal, laquelle dura trois semaines avec tous les incidens d'une lutte acharnée. Les troupes lurent appelées le 21 mai, tirèrent sur le peuple, tuèrent trois hommes et en blessèrent deux, sanglant épisode qui lit une triste sensation. Tout l'odieux en retomba sur l'exécutif. «Jamais, disait-on, les gens de son parti n'attrape de mal; on sait si bien distinguer les victimes.» Le gouverneur fut en vain prié de monter à Montréal par M. Papineau, pour assister à l'enquête avec M. Neilson et M. Panet, il ne crut pas devoir commettre un acte qui l'eût compromis aux yeux du parti opposé à la chambre, et qui aurait eu l'air d'une intervention dans l'administration de la justice. Le choléra qui éclata cette année pour la première fois en Canada, et qui fit des ravages épouvantables, puisqu'il enleva 3300 personnes à Québec seulement dans l'espace de quatre mois, calma à peine les esprits. On recommença à tenir des assemblées publiques en différentes parties du pays. St.-Charles qui paraissait s'être attribué l'initiative dans cette nouvelle manière de discuter les questions politiques, donna encore l'exemple. On voulait imiter l'Irlande et O'Connell; mais une fois lancé, on ne put plus s'arrêter. Dans une assemblée des notables de la rivière Chambly, toujours présidée par M. Debartzch, l'on résolut que tant que le conseil législatif serait nommé par la couronne, il n'en serait que l'instrument contre le peuple; que les observations du gouverneur à la prorogation de la législature au sujet de la liste civile, était une insulte faite à la chambre et une atteinte portée à ses privilèges et à son indépendance; que l'Angleterre était responsable des ravages que faisait le choléra en ayant acheminé sur le pays une émigration immense qui en portait les germes dans son sein. En effet 52,000 émigrans débarquèrent à Québec dans le cours de l'été. On protesta contre la conduite des magistrats dans l'affaire du 21 mai, contre le refus du gouverneur de monter à Montréal; on passa enfin en revue tous les griefs en signalant pour la centième fois l'exclusion des Canadiens des charges publiques. Le parti anglais pour ne pas rester en arrière se réunit à Montréal à son tour, et adopta des résolutions d'une tendance contraire à celles de St.-Charles, qu'il fit appuyer d'une démonstration par ses amis de Toronto, où le procureur et le solliciteur-général convoquèrent une assemblée pour prier le roi d'annexer l'île de Montréal à leur province. Lord Aylmer tout-à-fait soulevé alors contre la chambre et les Canadiens, visitait les townships de l'est et la vallée de la rivière des Outaouais, et écrivait à lord Goderich que l'on pourrait établir 500,000 émigrans dans les premiers, et 100,000 dans la dernière, moyen plus efficace pour régler la question des deux races qu'aucun autre. Enfin les sentimens secrets de tous les partis se dessinaient de jour en jour avec plus de force au milieu des passions croissantes, et ne permettaient plus guère de dissimulation. Le bureau colonial depuis qu'il était dirigé par lord Goderich, travaillait tant qu'il pouvait à corriger les abus. Onze nouveaux membres avaient été ajoutés au conseil législatif dont huit Canadiens français, pour tâcher de le populariser un peu. Mais ces réformes n'arrivaient pas assez vite pour satisfaire des hommes aigris par une longue attente. Le gouverneur eut beau adresser un long discours aux chambres en 1832, et repasser avec modération les sujets qui devaient les occuper, s'abstenant de toute remarque sur la question de la liste civile, et donnant de justes louanges à la conduite courageuse et dévouée du clergé et des médecins au milieu des ravages du fléau qui venait de décimer le pays, l'assemblée jalouse de ses privilèges, protesta contre les attaques qu'elle avait cru voir dans les observations qu'il avait faites en prorogeant la dernière session. À peine avait-elle accompli ce qu'elle regardait comme un devoir, qu'elle reçut les vues du ministre sur le bill de subsides de la dernière session. A l'avenir le gouverneur ne pourrait en sanctionner aucun dans lequel on n'aurait pas spécifié avec précision la somme et l'objet pour lequel cette somme était accordée; et comme le dénouement de la question de la liste civile équivalait à un rejet absolu, le roi n'amènerait plus cette question sur le tapis et continuerait à payer les dépenses sur les deniers que la loi avait mis à sa disposition. Quant au bill pour l'indépendance des juges, il n'avait pas été sanctionné parce qu'on n'avait pas fait d'appropriation fixe et permanente pour leur salaire, suivant l'usage de l'Angleterre d'autant plus nécessaire en Canada, disait lord Goderich, que la population y était divisée en deux classes, différant d'origine, de langue, de religion et de coutumes, et que la prépondérance de l'une dans l'assemblée excitait la jalousie de l'autre ailleurs. Le refus de la proposition des ministres sur la question des subsides allait nous faire rétrograder au point d'où nous étions partis. Il était facile de voir que lord Goderich qui avait fait plus qu'aucun de ses prédécesseurs, comme nous l'avons dit, malgré les préjugés de l'Angleterre, allait être forcé de reconnaître que les Canadiens étaient insatiables et que leurs adversaires avaient raison de vouloir tenir dans l'abaissement des hommes si ambitieux. Le retour du ministre à une politique rétrograde ou stationnaire, loin d'arrêter l'élan de l'assemblée, l'augmenta. Elle se vit inondée de pétitions de Montréal, des Deux-Montagnes, de l'Islet, de Richelieu, de St.-Hyacinthe, de Rouville, de Chambly et de Verchères, sur les abus de l'administration, les vices de la constitution et le 21 mai. Pendant ce temps là, elle faisait une enquête sur les événemens de cette funeste journée, interrogeait les témoins, recevait un refus du gouverneur de lui dire s'il avait recommandé d'augmenter le nombre des membres du conseil législatif, quelles personnes il avait recommandé d'y nommer et si elles allaient l'être par suite de ses recommandations, et ordonnait un appel nominal pour le 10 janvier, au sujet du conseil législatif. Il fut résolu après un mois de délibération et une division de 34 contre 26, de présenter une nouvelle adresse au roi pour le prier de rendre le conseil législatif électif, en suggérant quelle devait être la qualification des électeurs et qu'un sixième du conseil fut élu tous les ans. Elle protestait contre l'annexion de l'île de Montréal au Haut-Canada, cette île qui contenait, disait-elle, une population de près, de 60,000 habitans, dont la plus grande partie descendaient de ceux en faveur desquels avaient été signées les capitulations de 1760; elle déclarait que ce serait une spoliation non provoquée et une violation de ces mêmes capitulations, des actes les plus solennels du parlement britannique et de la bonne foi de la nation anglaise. La nouvelle de la destitution du procureur-général Stuart et du juge Kerr, annoncée quelque temps après, calma à peine quelques instant les esprits. Mais le conseil législatif ne pouvant plus se contenir devant les attaques de l'assemblée, et forcé d'ailleurs d'agir par le parti qu'il était censé représenter dans le pays, vota à son tour une adresse à l'Angleterre en opposition à celle des représentans du peuple, il exposait qu'il avait pris en considération leurs actes aussi dangereux qu'inconstitutionnels, et la situation alarmante du pays, pour prier sa Majesté d'y porter remède; que d'un état de paix et de prospérité l'on marchait rapidement vers l'anarchie et une confusion certaine; que les plus grands efforts étaient faits pour diviser les habitans des deux origines; que les intérêts du commerce et de l'agriculture étaient sacrifiés à l'esprit de cabale: que le gouverneur était faussement accusé de partialité et d'injustice; que les officiers civils et militaires étaient représentés comme une faction corrompue, armée pour l'oppression du peuple, et cela dans le but de dégrader les autorités et de les rendre complètement nulles; que l'on diffamait les juges tout en rebutant au conseil la permission de s'enquérir de leur conduite; et que pour combler la mesure l'on demandait de le rendre lui-même électif. Le conseil exposait ensuite que l'assemblée cherchait à augmenter son pouvoir à ses dépens et aux dépens de la couronne, en voulant obtenir la disposition des deniers publies sans pourvoir aux dépendes du gouvernement civil et des juges, et en voulant conserver les terres incultes pour les Canadiens fronçais; que c'était en 1831 que l'on avait commencé pour la première fois à mettre en question l'élection du conseil, et qu'il était étonnant que la majorité de la chambre se fut laissée entraîner à détruire la constitution; qu'il ne croyait pas que la majorité des Canadiens fût pour cette mesure, mais qu'il émit facile de tromper un peuple chez lequel l'éducation avait fait si peu de progrès; que le conseil était essentiel à l'existence de la prérogatives royale, à l'alliance du Canada avec l'Angleterre et à la sûreté des 150,000 Anglais qu'il y avait dans le paya; qu'un conseil électif serait la contre-partie de l'assemblée; que ce serait rendre les charges électives, troubler la sécurité des Anglais dans leurs personnes et dans leurs biens, arrêter le progrès, interrompre l'émigration, briser les liens qui attachaient la colonie à la mère patrie, amener une collision avec le Haut-Canada, inonder le pays de sang, car le Haut-Canada ne permettrait point paisiblement l'interposition d'une république française entre lui et l'Océan; et que le conseil n'avait point sanctionné la mission de M. Viger à Londres. La passion qui avait dicté cette adresse avait fait dépasser le but. L'idée qu'il fallait conserver le même pouvoir à la minorité qu'à la majorité parce que l'une, comme anglaise devait être royaliste, et l'autre comme française, républicaine, était mise à nu trop hardiment pour ne pas frapper le bureau colonial dont on brisait ainsi le voile qu'il avait tant de peine à tenir tendu, et pour ne pas exciter sa mauvaise humeur sur une pareille gaucherie. «Sa Majesté, dit le ministre, a reçu avec satisfaction l'expression de loyauté et d'attachement à la constitution que contient cette adresse... mais elle aurait désiré que le conseil se fût abstenu relativement à l'autre branche de la législature, d'un langage dont le ton est moins modéré que ne le comporte sa dignité, et moins propre à conserver ou à rétablir la bonne entente entre les deux corps. Sa Majesté surtout regrette l'introduction d'aucune expression qui ait l'apparence d'attribuer à une classe de ses sujets d'une origine, des vues qui seraient contraires à la fidélité qu'ils lui doivent. Le roi espère que toutes les classes de ses sujets obéissent à la loi volontairement et avec plaisir. Il étendra toujours sa protection paternelle à toutes les classes; et le conseil législatif peut-être certain qu'il ne manquera pas d'assurer à toutes les droits et les libertés constitutionnelles qu'elles possèdent par leur participation aux institutions britanniques.» En même temps le gouverneur fit informer le conseil que le ministre était d'opinion que son président n'avait point de double vote; mais que ce n'était qu'une opinion et que le parlement impérial seul avait droit de régler la question. La compagnie qui s'était formée à Londres pour coloniser les townships de l'est préoccupait les Canadiens depuis quelque temps. Ils croyaient qu'elle leur était hostile, et qu'elle allait s'emparer des terres d'avance pour les en exclure par le haut prix qu'elle demanderait et les autres obstacles qu'elle mettrait dans leur chemin. C'était bien là en effet le but d'une partie des membres, mais pas de tous. La chambre passa encore une adresse au roi à ce sujet, pour le prier de n'accorder ni terres, ni charte, ni privilèges à cette association. Le conseil législatif vota aussitôt une contre adresse. N'étant plus retenu par le gouvernement dans les bornes de la circonspection comme auparavant, ce corps faisait maintenant une opposition ouverte à la chambre en servant de rempart à l'exécutif. L'assemblée ayant en votant ies subsides refusé ou diminué certains items et réduit la somme demandée de £54,000 à £47,000, il rejeta aussitôt le bill en motivant son refus dans une série de résolutions. L'assemblée demanda encore que le bureau des postes fut placé sous le contrôle de la législature coloniale, et déclara qu'au lieu de chercher à tirer un revenu de ce département, l'on devait plutôt diminuer les droits de port sur les journaux surtout, et employer le surplus du revenu, s'il y en avait un, à étendre les communications postales. Les chambres furent prorogées le 4 avril, après une session de près de cinq mois. La discussion des grandes questions qui occupaient la chambre depuis si longtemps, se porta au dehors. La population anglaise s'assembla en différentes parties du pays pour désapprouver la conduite de l'assemblée et pour prier l'Angleterre de maintenir la constitution intacte: c'était ce que l'on devait attendre. Elle devait soutenir le conseil législatif qui représentait ses intérêts, et redouter un changement qui aurait appelé les Canadiens au partage du pouvoir exécutif et de toutes ses faveurs dont ils étaient presque totalement exclus. Chaque jour prouvait davantage leur situation exceptionnelle. Québec et Montréal venaient d'être incorporés pour l'administration de leurs affaires locales. Le conseil de Québec se trouvant composé en majorité de Canadiens, passa des réglemens en français et les présenta, suivant la loi, aux tribunaux pour les faire confirmer. Les juges refusèrent de les recevoir, parce qu'ils n'étaient pas en Anglais. C'était renier la légalité de la langue française. Cette proscription inattendue donna dans l'état des esprits de nouvelles armes aux partisans d'une réforme radicale. On la regarda comme une violation du traité de 1763. L'assemblée doit décider, disaient les journaux, si l'on peut se jouer ainsi de la foi engagée entre deux nations. Cependant M. Neilson voyant l'entraînement de la majorité et ne voulant pas suivre M. Papineau jusqu'à l'extrémité, s'était séparé de lui depuis quelque temps. Plusieurs Canadiens, membres marquans de la chambre, en avaient fait autant, comme MM. Quesnel, Cuvillier, Duval, et quelques autres. Ces hommes éclairés dont l'expérience et le jugement avaient un grand poids, reconnaissaient bien la justice des prétentions de la majorité, mais ils craignaient de risquer ce qu'on avait déjà obtenu. Lord Goderich avait fait des concessions et des réformes dont l'on devait lui tenir compte si l'on faisait attention aux préjugés enracinés du peuple anglais contre tout ce qui était français et catholique. Plus tard à mesure que l'on parviendrait à détruire ces préjugés, l'on demanderait la continuation de ces réformes, et la puissance croissante des Etats-Unis dont il fallait que l'Angleterre pesât les conséquences tout anglo-saxons qu'ils étaient, aiderait fortement à la rendre juste à notre égard. M. Bedard, père, M. Neilson et M. Papineau étaient les trois hommes d'état les plus éminens qu'eussent encore eus le Canada. La séparation de MM. Neilson et de M. Papineau, était un vrai malheur pour le pays. L'éloquence, l'enthousiasme de l'un étaient tempérés par le sang froid et les calculs de l'autre, dont l'origine ne permettait point le même emportement contre l'infériorité dans laquelle on voulait tenir les Canadiens français. Tous deux avaient l'âme grande et élevée. Tous deux étaient presque des amis d'enfance, et avaient toujours combattu ensemble pour la même cause. M. Cuvillier, M. Quesnel étaient de leur côté des hommes libéraux, mais modérés, aimant leur pays et jouissant d'un caractère qui faisait honneur à leurs compatriotes. M. Papineau en se séparant de tant d'hommes sages pour se lancer dans une lutte contre l'Angleterre, prenait une grande responsabilité sur lui. Sans doute que ce qu'il demandait était juste, sans doute que si ses compatriotes eussent été d'origine anglaise au lieu d'être d'origine française, le bureau colonial eût accordé toutes leurs demandes sans objection. Mais l'équité ne triomphe pas toujours; les préjugés nationaux font commettre bien des injustices. C'est au patriote, c'est à l'homme d'état de considérer tous les obstacles, de peser toutes les chances et de régler sa conduite de manière à obtenir le plus grand bien possible pour le moment en attendant le reste de l'avenir, sans livrer ce qu'on a déjà au risque d'une lutte désespérée. Il n'y avait pas de honte pour les Canadiens à prendre ce parti. Un petit peuple d'un demi-million d'habitans pouvait souffrir une injustice d'une puissance comme l'Angleterre sans flétrissure. Le déshonneur est pour le fort qui foule et tyrannise injustement le faible. Lorsque M. Papineau fut de retour chez lui encore tout excité par ses luttes parlementaires, il commença à déposer sur le papier les griefs de ses compatriotes contre l'Angleterre. Malheureusement la liste en était longue et leur réminiscence ne fit qu'aigrir davantage son âme ardente. Il arriva à la session suivante avec ce travail en ébauche. Le gouverneur informa les chambres, ouvertes le 7 janvier 1834, que le roi avait nommé un sur-arbitre pour faire le partage des droits de douane entre les deux Canadas, et que le rapport accordait une plus grande part que de coutume au Haut; qu'il serait nécessaire de renouveler la loi d'éducation et les lois de milice qui expiraient, et de reprendre la question des finances sans délai, afin que la métropole vit ce qu'elle aurait à faire. Plusieurs membres voulaient cesser tout rapport avec l'exécutif et passer de suite à la considération de l'état de la province. M. Bourdages toujours à la tête des hommes les plus avancés, fit une proposition dans ce sens qui fut repoussée. En réponse aux remarques du gouverneur, touchant la porte du bill de subsides de la dernière session, la chambre observa qu'élue par le peuple, elle devait en partager le sort, et que son plus grand désir devait être de travailler pour son bonheur. Elle organisa ses comités ordinaires, mais elle refusa d'en nommer un, suivant l'usage, de bonne correspondance avec le conseil législatif. «C'est une insulte, disait M. Bourdages, de correspondre avec un corps qui a ouvertement déclaré que nous voulions établir une république française.» L'assemblée reprit l'enquête du 21 mai. Elle reçut presqu'aussitôt plusieurs messages du château. Le 13, elle en reçut un sur le bill de subsides, et un autre sur le siège de M. Mondelet dans son sein, qu'elle avait déclaré vacant deux ans auparavant par suite de sa nomination au conseil exécutif. Le ministre approuvait le gouverneur de n'avoir pas fait procéder à une nouvelle élection dans un cas où la chambre avait outrepassé son pouvoir. Le lendemain on lui en remettait un autre au sujet du conseil législatif en réponse à l'adresse de la dernière session. «L'objet que l'on a en vue par cette adresse, disait M. Stanley, est de prier sa Majesté de vouloir autoriser une convention nationale du peuple du Bas-Canada à l'effet de mettre de côté les autorités législatives et de prendre en considération lequel de deux modes sera adopté pour détruire entièrement la constitution, l'introduction du principe électif ou l'entière abolition du conseil législatif. Sa Majesté veut bien ne voir dans le mode projeté que le résultat d'une extrême légèreté; elle ne pourra jamais être conseillée de donner son assentiment à ce projet, vu qu'elle doit considérer une semblable mesure comme incompatible avec l'existence même des institutions monarchiques; mais elle sera disposée volontiers à sanctionner toute mesure qui pourrait tendre à maintenir l'indépendance et à élever le caractère du conseil législatif. «Je ne suis pas prêt à lui conseiller de recommander au parlement une démarche aussi sérieuse que celle de révoquer l'acte de 91.... mais si les événemens venaient malheureusement à forcer le parlement à exercer son autorité suprême, pour appaiser les dissensions intestines dans la colonie, mon devoir serait de soumettre au parlement des modifications à la charte des Canadas, tendant non pas à introduire des institutions incompatibles avec l'existence d'un gouvernement monarchique, mais à maintenir et à cimenter l'union avec la mère-patrie, en adhérant strictement à l'esprit de la constitution britannique, et en maintenant dans leurs véritables attributions, et dans des bornes convenables, les droits et les privilèges mutuels de toutes les classes de sa Majesté.» Il est inutile de dire quel fut l'effet de cette décision sur l'assemblée. Elle renvoya de suite à des comités spéciaux toutes ces communications du gouverneur, qui refusait alors de lui avancer l'argent nécessaire pour payer ses dépenses contingentes, sous prétexte que la perte du dernier bill de subsides le laissait chargé, d'une trop grande responsabilité. L'assemblée demanda copie des instructions royales touchant le bill de subsides de 32, et rejeta un bill passé par le conseil, pour établir un tribunal destiné à juger les fonctionnaires accusés, tandis que le conseil en rejetait un de son côté passé par l'assemblée pour assurer la dignité et l'indépendance des deux conseils, dans lequel contrairement à tous les principes de la constitution anglaise, les conseillers exécutifs devaient être hors du contrôle des deux chambres. Ce bill auquel on avait fait peu d'attention, avait été introduit par M. A. Stuart et semblait plutôt une ironie qu'une mesure sérieuse. Cependant Le jour pour la prise en considération de l'état du pays arrivait. C'était pour cette occasion que M. Papineau avait préparé; le tableau des griefs dont nous ayons parlé tout à l'heure. En arrivant à Québec il l'avait communiqué aux membres, de son parti. On s'était réuni à diverses reprises chez les membres du comté de Montmorency, M. Bedard, pour l'examiner et y faire les changemens jugés nécessaires. Après quelques modifications un autre membre, M. Morin avait été chargé de les mettre en forme de résolutions. Il fut décidé que ce serait M. Bedard qui les présenterait. Ce membre avec quelques uns de ses amis avait paru dans la dernière session vouloir se détacher de M. Papineau, qui pour ramener le parti de Québec, à ses vues, consentit à faire quelques modifications dans, les résolutions, et, pour flatter l'amour propre de M. Bedard, à les laisser proposer par lui. Les débats durèrent plusieurs jours. M. Papineau fit un discours dans lequel encore tout irrité du ton de la dépêche de M. Stanley, il s'abandonna à un enthousiasme républicain qui devait mettre l'Angleterre sur ses gardes, et qui était contraire à la partie des résolutions qui citait le fait, que dans les anciennes colonies anglaises, celles qui jouissaient des institutions les plus libérales avaient été les dernières à se révolter. «Des plaintes existent, dit-il, depuis longtemps; tous conviennent de nos maux; tous sont unanimes pour accuser; la difficulté est quant aux remèdes. Il s'agit d'examiner où nous les prendrons. Il y a des personnes, qui, occupées des systèmes électifs et des autres constitutions européennes, veulent nous entretenir de ces idées. Ce n'est pas à nous à décider des institutions de l'Europe; on ne peut les connaître ni en bien juger, nous devons examiner quel doit être notre sort, le rendre aussi bon et aussi durable que possible. Il est certain qu'avant un temps bien éloigné, toute l'Amérique doit être républicaine. Dans l'intervalle, un changement dans notre constitution, s'il en faut un, doit-il être en vue de cette considération? et est-il criminel de le demander? Les membres de cette chambre en sont redevables à leurs constituans comme d'un devoir sacré, et, quand bien même le soldat devrait les égorger, ils ne doivent pas hésiter à le faire, s'ils y voient le bien de leur pays. Il ne s'agit que de savoir que nous vivons en Amérique, et de savoir comment on y a vécu. L'Angleterre elle même y a fondé de puissantes républiques où fleurissent la liberté, la morale, le commerce et les arts. Les colonies espagnoles et françaises, avec des institutions moins libérales, ont été plus malheureuses, et ont dû lutter beaucoup contre le vice de leurs institutions. Mais le régime anglais, qu'a-t-il été dans les colonies? A-t-il été plus aristocratique que démocratique? Et même eh Angleterre est-il purement aristocratique? C'est donc une grande erreur de M. Stanley, de nous parler du gouvernement monarchique d'Angleterre en 1834. Du temps de la maison des Stuart, ceux qui ont maintenu le pouvoir monarchique, ont perdu la tête sur les échafauds. Depuis ce temps la constitution de l'Angleterre a été appelée mixte, et telle ne devait pas être appelée autrement. Lui, M. Stanley, ministre par un vote de là chambre et malgré le roi, à qui l'on a dit de l'accepter ou de perdre sa couronné, M. Stanley méprisé aujourd'hui par le peuple, vient nous parler du gouvernement monarchique de l'Angleterre, quand des changemens sont permis à ses habitans, si grands par leur commerce, leurs institutions, et les progrès qu'ils ont fait faire à la civilisation, aux arts et à la liberté sur tout le globe; et quand cette nation veut introduire de nouveaux élémens de bonheur, en demandant la réforme de l'aristocratie, et en augmentant la force du principe démocratique dans son gouvernement. Le système vicieux qui a régné dans les colonies, n'a fait que donner plus d'énergie au peuple, pour se rendre républicain: c'est ce qui a été le cas dans les états du nord de l'union. Dans les colonies du milieu, quoique les institutions y fussent plus républicaines et plus libérales, le peuple y a été le dernier à se révolter.» M. Neilson proposa un amendement tendant à faire déclarer «que comme la dépêche du ministre des colonies du 9 juillet 1831, en réponse aux adresses de la chambre du 16 mars précédent, contenait une promesse solennelle de coopérer avec elle au redressement des principaux abus, c'était le devoir de la chambre de travailler dans l'esprit de cette dépêche, à la paix, au bien-être et au bon gouvernement du pays suivant la constitution; que la dépêche du bureau colonial communiquée le 14 janvier dernier, confirmait les mêmes dispositions; que l'on devait s'occuper de l'amélioration du pays, de l'occupation des terres, des lois de propriété, de l'indépendance des juges, de l'administration de la justice, de la responsabilité des fonctionnaires, des comptes publics et de la réduction de toutes les charges inutiles.» «Les résolutions de M. Bedard portent atteinte, dit-il, à l'existence du conseil législatif, d'un corps constitué comme nous, par l'acte de 91; elles mettent en accusation le gouverneur en chef qui forme aussi une autre branche de la législature; elles refusent formellement de subvenir aux dépenses de la province, et comportent un procédé injurieux contre la mère-patrie, c'est-à-dire contre son secrétaire colonial. Il n'est pas nécessaire de dire que je ne puis voter pour elles. La constitution en tout pays est la règle de conduite pour toutes les parties et la sauve-garde de la liberté de chacun. Du moment qu'on l'attaque on ébranle les passions. Nous nous trouvons dans des circonstances différentes de celles des pays où il y a eu des changemens. En Angleterre et aux Etats-Unis, qu'on a cités, des changemens ont été opérés par le peuple, non par suite d'un goût pour la réforme, mais parce que les rois eux-mêmes voulaient violer la constitution. La ligne de démarcation est bien distincte: ils combattaient pour des droits qui existaient, et nous, nous voulons renverser ceux qui sont établis. Le résultat doit être différent. L'histoire est un moniteur fidèle; elle nous apprend que les conséquences suivent les principes.» «Je crains, ajouta M. Quesnel à son tour, qu'en nous adressant à l'Angleterre pour demander un changement dans notre constitution, nous ne l'obtenions point et que notre démarche entraîne avec elle des suites désastreuses pour le pays. En Angleterre on n'a jamais voulu convenir des vices de la constitution, et pense-t-on qu'aujourd'hui on y sera plus facile sur ce sujet? Je ne le crois pas. J'ignore où ces résolutions peuvent nous conduire. Si elles n'excitent point de trop grands troubles, il en résultera au moins une grande réaction. Je souhaite sincèrement que mes prévisions ne s'accomplissent point; je souhaite me tromper. Quoique je diffère d'opinion avec la majorité de cette chambre, si elle réussit à procurer l'avantage réel et permanent du pays par les moyens qu'elle emploie aujourd'hui, je me réjouirai de ses succès avec les hommes éclairés qui auront formé la majorité. Je regretterai alors de n'avoir pas eu comme eux assez d'énergie pour braver le péril et entreprendre une chose que je regardais comme dangereuse, ou du moins comme très incertaine quant à ses résultats. Si au contraire mes craintes se réalisent, si la chambre succombe dans son entreprise, je partagerai avec les autres les maux qui pourront peser sur ma patrie, je dirai, ce sont sans doute les meilleures intentions qui ont guidé la majorité de la chambre, et on ne me verra point m'unir avec ses ennemis pour lui reprocher d'avoir eu des vues perverses. Voilà ce qui fera ma consolation.» L'amendement de M. Neilson fut rejeté par 56 contre 24. MM. Cuvillier, Quesnel, Duval, et plusieurs autres Canadiens faisaient partie de la minorité; et les résolutions qui ont porté depuis le nom de 92 résolutions, furent finalement adoptées. Les administrations provinciales, disaient-elles en substance, foulaient aux pieds les droits et les sentimens les plus chers des Canadiens, qui s'étaient toujours empressés de recevoir les émigrans des îles britanniques comme des frères, sans distinction d'origine ni de croyance; la chambre ne voulait introduire dans le pays que les droits dont jouissaient les habitans de l'Angleterre; le défaut le plus grave dans la Constitution était la nomination du conseil législatif par la couronne, au lieu d'être électif comme elle l'avait demandé l'année précédente, parce que la constitution et la forme du gouvernement qui convenaient le mieux à cette colonie, ne devaient pas se chercher uniquement dans les analogies que présentaient les institutions de la Grande-Bretagne, dans un état de société tout-à-fait différent du nôtre. Ce n'était pas le plus libre régime colonial dans les anciennes colonies, qui avait hâté leur séparation, puisque la Nouvelle-York dont les institutions étaient les plus monarchiques dans le sens que le comportaient la dépêche de M. Stanley, avait été la première à refuser d'obéir à un acte du parlement impérial, et que le Connecticut et le Rhode-Island avec des institutions purement démocratiques furent les derniers à entrer dans la confédération des Etats-Unis. L'acte des tenures devait être révoqué et le vote de toutes les dépenses publiques laissé à là chambre; là partialité dans la distribution des charges publiques était portée au comble loin de diminuer, puisque sur une population de 600,000 habitans, dont 525,000 d'origine française, 47 fonctionnaires seulement les moins rétribués appartenaient à cette origine, tandis que 157 appartenaient à l'origine britannique ou aux 75,000 habitans qui restaient de la population. La négligence du bureau colonial à répondre aux adresses de la chambre, la détention du collège de Québec par le militaire, les obstacles opposée à l'établissement d'autres colléges le refus de rembourser à la province les £100,000 de la défalcation de M. Caldwell étaient encore signalés avec la foule d'abus déjà exposés tant de fois dans les précédentes adresses. La chambre et le peuple, continuaient-elles, appuyés sur la justice, devaient être assez forts pour n'être exposés à l'insulte d'aucun homme quelqu'il fût ni tenue de le souffrir en silence. Dans leur style, les dépêches de Stanley étaient insultantes et inconsidérées à un degré tel que nul corps constitué par la loi même pour des fins infiniment subordonnées à celles de législation, ne pouvait ni ne devait les tolérer... ces dépêches étaient incompatibles avec les droits et les privilèges de la chambre qui ne devaient être ni mis en question, ni définis par le secrétaire colonial. Puisqu'un fait qui n'était pas du choix de la majorité du peuple, son origine et sa langue, était devenu un prétexte d'injures, d'exclusion, d'infériorité politique et de séparation de droits et d'intérêts, la chambre en appelait à la justice du gouvernement de sa Majesté et de son parlement et à l'honneur du peuple anglais; la majorité des habitans du pays n'était nullement disposée à répudier aucun des avantages qu'elle tenait de son origine et de sa descendance de la nation française, qui sous le rapport des progrès qu'elle avait fait faire à la civilisation, aux sciences, aux lettres et aux arts, n'avait jamais été en arrière de la nation britannique et était aujourd'hui dans la cause de la liberté et la science du gouvernement sa digne émule. Enfin elles finissaient par mettre lord Aylmer en accusation, en priant les communes d'Angleterre de soutenir les plaintes devant la chambre des lords, et les membres indépendans des deux chambres impériales de les appuyer, entre autres O'Connell et Hume. Elles invitaient en même temps les libéraux canadiens à se former en comités dans toutes les parties du pays, pour correspondre avec ces deux hommes d'état, avec M. Viger, et avec les autres colonies en leur demandant leur appui dans des questions qui les intéressaient toutes également. M. Morin fut chargé d'aller remettre à M. Viger, toujours, à Londres, les pétitions basées sur ces résolutions et destinées aux deux chambres du parlement impérial. Le conseil législatif, en présence de l'attitude de l'assemblée, vota des adresses contraires aux siennes, pour prier le roi de maintenir la constitution pure et intacte. Les marchands anglais de Québec et autres, opposés à la politique de l'assemblée, signèrent aussi une pétition à la couronne dans le sens de celle du conseil, dans laquelle ils observaient qu'elle voulait donner aux Canadiens-français une supériorité sur les autres habitans, qu'elle voulait s'emparer des terres publiques et entraver l'émigration, que la qualification en biens immeubles exigés des magistrats était faite pour exclure les Anglais de ce corps, que la loi des jurés avait la même tendance, que l'assemblée avait montré une hostilité constante au commerce, que le conseil législatif était leur sauvegarde contre les mesures arbitraires et inconstitutionnelles des représentans du peuple, et que M. Viger ne devait pas être considéré comme l'agent de la population anglaise. L'assemblée après avoir voté les appropriations nécessaires pour l'éducation, les institutions charitables, les chemins et les améliorations intérieures, laissant de côté la liste civile, commença à se disperser. Le gouverneur ne la voyant plus en nombre, la prorogea en observant que ses procédés ne lui avaient pas permis de lui communiquer les dépêches du ministre sur les difficultés financières; que puisqu'elle en avait appelé au parlement impérial, chaque parti devait se soumettre à son autorité suprême, mais qu'il devait déclarer que le langage des 92 résolutions était si contraire à l'urbanité et à la modération bien connues des Canadiens, que ceux qui ne connaissaient pas le véritable état des choses ne pourraient s'empêcher de croire qu'elles ne fussent le fruit d'une excitation extraordinaire et générale; que néanmoins quelque fussent les sentimens qui régnaient dans l'enceinte de l'assemblée la tranquillité la plus profonde régnait au dehors. Cette dernière observation était des plus imprudentes. C'était inviter les membres qui avaient voté pour les 92 résolutions à prouver au gouverneur qu'ils exprimaient les sentimens de la masse du peuple; et c'est ce qu'ils firent en organisant partout une agitation générale qui aboutit à l'insurrection. CHAPITRE II LES TROUBLES DE 1837. 1835-1837. Effet des 92 résolutions en Angleterre.--Une partie des townsbips de l'est se rallie à la chambre d'assemblée--Comité nommé dans les communes sur nos affaires.--Débats--Une partie du ministère anglais résigne.--M. Stanley est remplacé aux colonies par M. Rice et plus tard par lord Aberdeen.--Comités de district en Canada.--Nouvelles pétitions.--Lettre de M. Roebuck.--Nouveaux débats dans la chambre des communes.--Dissolution du parlement canadien.--Associations constitutionnelles.--Rapprochement entre les libéraux du Haut et du Bas-Canada.--Le parlement s'assemble à Québec.--Nouvelle adresse à l'Angleterre--Une nouvelle section de la majorité se détache de M. Papineau.--Dépêches de lord, Aberdeen.--Ministère de sir Robert Peel.--Trois commissaires envoyés en Canada.--Lord Gosford remplace lord Aylmer.--Chambre des lords. Ouverture du parlement canadien.--Discours de lord Gosford.--La chambre persiste dans la voie qu'elle a prise, en votant 6 mois de subsides qui sont refusés.--Le parlement est prorogé et convoqué de nouveau.--Les autres colonies qui devaient faire cause commune avec le Bas-Canada l'abandonnent et acceptent les propositions de l'Angleterre.--Rapport des commissaires.--La conduite du ministère approuvée.--Les assemblées continuent en Canada.--Langage des journaux.--Agitation dans les campagnes.--Bandes d'hommes armés.--M. Papineau descend jusqu'à Kamouraska.--Opinion réelle de la masse des habitans.--Nouvelle session du parlement aussi inutile que les autres.--Nouvelle adresse au parlement impérial.--Magistrats et officiers de milice destitués.--Associations secrètes à Québec et à Montréal, où l'on résout de prendre les armes.--Démonstrations en faveur du gouvernement.--Assemblée des six comtés.--Mandement de l'évêque de Montréal.--Le gouvernement fait des armemens.--Troubles à Montréal.--Mandat d'arrestation lancés.--Les troupes, battues à St.-Denis; victorieuses à St.-Charles.--La loi martiale proclamée.--Plusieurs membres invitent inutilement le gouverneur à réunir immédiatement les chambres.--Affaire de St.-Eustache.--L'insurrection supprimée.--Troubles dans le Haut-Canada.--Résignation de lord Gosford.--Débats dans les communes.--Les ministres promettent de soumettre l'insurrection par les armes. Les 92 résolutions et l'ajournement prématuré des chambres ne laissèrent plus de doute sur la gravité de la situation dans l'esprit de ceux en Angleterre qui s'intéressaient aux affaires de ces importantes provinces. La solution de toutes les questions était laissée à la métropole. Quoiqu'il régnât beaucoup d'incertitude sur ce qu'elle allait faire, il surgissait de temps à autre des faits, des rumeurs qui entretenaient les espérances des libéraux. Les journaux reproduisirent une dépêche de lord Goderich au gouverneur de Terreneuve sur les conseils législatifs, qui paraissait leur donner gain de cause. «On ne peut nier, disait ce ministre, qu'en pratique l'existence de ces corps n'aient été accompagnée de difficultés sérieuses. Ils ont mis trop souvent en collision les différentes branches de la législature; ils ont ôté aux gouverneurs le sentiment de leur responsabilité, et privé les assemblées de leurs membres les plus utiles, tout cela sans compensation. Ils ne prennent dans les colonies ni une position ni une influence analogue à la chambre des lords en Angleterre, parce qu'ils n'ont rien de la richesse, de l'indépendance et de l'antiquité de cette institution qui fait respecter la pairie anglaise. D'après ces circonstances et l'histoire des colonies de l'Amérique, je verrais avec plaisir tout arrangement tendant à fondre les deux chambres en une seule dans laquelle les représentans du peuple rencontreraient les serviteurs de la couronne.» Ces dernières paroles annonçaient à la fois l'abolition du conseil et l'introduction du système responsable. L'île du Prince Edouard comme Terreneuve se plaignait de son exécutif. Une partie des habitans des townships de l'est s'assemblèrent à Stanstead sous la présidence de M. Moulton, et passèrent des résolutions à l'appui de l'assemblée. Presque tous les comtés, presque toutes les paroisses les imitèrent. Les journaux étaient remplis de ces manifestations qui raffermissaient les chefs et divisaient de plus en plus les partis. Des délégués de comtés s'assemblèrent à Montréal pour organiser un comité central et permanent, qui éclairerait l'opinion et donnerait l'exemple des mesures à prendre suivant les circonstances. Le parti anglais faisait courir alors le bruit que les ministres avaient résolu d'unir les deux Canadas. L'agitation dans le Haut-Canada était presqu'aussi vive que dans le Bas, et le parti libéral y paraissait vouloir coordonner ses mouvemens avec les nôtres. Mais c'était à londres que devaient se décider nos destinées. M. Roebuck avait fait nommer un comité dans les communes sur nos affaires. MM. Roebuck, Hume, O'Connell avaient pris la parole en faveur des Canadiens. Le ministre des colonies, M. Stanley, avait défendu sa politique appuyé de lord Howick et de M. P. Stewart. M. Roebuck en plaidant la cause du Bas-Canada, avait plaidé celle du Haut, dont M. McKenzie était l'agent à Londres, mais l'agent de la minorité d'après l'opinion de sa législature. M. Stanley, dit que le Haut-Canada ne se plaignait pas de sa constitution, et que c'étaient les factions qui avaient décrié celle du Bas, accordée pour conserver la langue, les usages et les lois de ses habitans. Il déclara que le conseil législatif devait être maintenu, parce qu'en le rendant électif on détruirait entièrement l'influence du gouvernement et on annulerait les droits de la minorité anglaise, pour la défense et la protection de laquelle il avait été établi dans l'origine; qu'il était vrai que sur 204 fonctionnaires 47 seulement étaient Canadiens-français; mais qu'il ne doutait nullement que les deux Canadas ne fussent un jour unis, quoiqu'il ne fût pas préparé à proposer pour le moment une mesure qui lui paraissait la seule propre à y assurer la permanence des principes anglais et à réduire la législature réfractaire qui siégeait à Québec. O'Connell protesta contre la constitution du conseil législatif, vu qu'elle donnait un double vote au gouvernement, et déclara que l'un des principaux abus venait de ce que l'exécutif mettait toute son influence à soutenir des étrangers contre les habitans du pays. Lorsque la nouvelle de ces débats arriva à Montréal, le comité central vota des remercîmens aux orateurs qui avaient plaidé la cause canadienne, et des approbations à M. Bidwell, à M. MacKenzie et autres chefs réformateurs du Haut-Canada. De jour en jour le parti libéral de cette province cherchait à se rapprocher de nous, pour s'appuyer de notre influence en attendant qu'il eût la majorité vers laquelle il approchait graduellement et qu'il devait bientôt obtenir. Le comité de la chambre des communes ne put être retenu dans les limites de l'enquête de celui de 1828, et voulut étendre son investigation au-delà, malgré les efforts de M. Stanley. La correspondance entre le bureau colonial et les gouverneurs du Canada, lui fut soumise. On trouva dans les dépêches de lord Aylmer depuis qu'il s'était soulevé contre la chambre, des épithètes offensantes pour les chefs du parti canadien, que M. Baring voulut faire effacer, parce qu'elles devaient tendre à irriter, et que d'ailleurs ce gouverneur était un homme indiscret et d'un esprit faible. Le comité interrogea sir James Kempt, MM. Viger, Morin, Ellice, J. Stuart, Gillespie et le capt. McKennan. M. Morin avait eu une conférence d'une heure et demie avec M. Stanley et sir James Graham, dans laquelle ils avaient discuté la question des finances et celle d'un conseil législatif électif. Quant à sir James Kempt, il disait que le seul moyen de terminer les dlfférens serait d'assurer le payement des fonctionnaires par un acte du parlement impérial, et que quant au conseil exécutif, il s'était dispensé de ses services lorsqu'il était gouverneur du Canada; M. J. Stuart pensait qu'il fallait réorganiser la chambre d'assemblée pour assurer une majorité anglaise, ou réunir les deux Canadas et donner le pouvoir au conseil exécutif de se renouveler lui-même et de renouveler le conseil législatif. C'est pendant que la question canadienne était devant ce comité qu'une partie des ministres résigna sur la question des biens de l'Irlande. M. Stanley fut remplacé au ministère des colonies par M. Spring Rice. Cette nouvelle accueillie avec joie en Canada, où M. Stanley avait perdu par sa conduite récente la popularité que ses discours de 1822 lui avait acquise, exerça peu d'influence sur nos destinées. Le rapport que présenta le comité ne concluait à rien et laissait les choses dans l'état où elles étaient. Il était très court et à dessein contraint et fort ambigu, pour ne pas mécontenter trop fort aucun parti. Il laissait la solution de toutes les questions au bureau colonial. Cependant il avait causé beaucoup de discussions dans le comité. M. Stanley avait voulu y faire approuver sa conduite, et il y avait fait mettre des additions dans ce sens auxquelles M. Roebuck s'était opposé et qui avaient été retranchées. Sir James Graham et M. Robinson avaient soutenu le ministre contre MM. Roebuck, Howick et Labouchère. On avait débattu quatre heures, et obtenu une majorité de 2 voix. Les comités de district siégeaient toujours en Canada. Ils avaient acheminé des pétitions portant plus de 60,000 signatures à Londres; ils correspondaient avec nos agens et passaient résolutions pour tenir le peuple en haleine. On lut dans celui de Montréal une lettre de M. Roebuck dans laquelle il l'informait que tant que M. Stanley avait été à la tête du bureau colonial il n'avait conservé aucune espérance de voir les affaires s'arranger, mais que M. Spring Rice paraissait plus traitable et qu'il attendait un meilleur avenir de lui; qu'il avait abandonné le bill de M. Stanley touchant la liste civile, et qu'on devait lui donner un peu de délai. «Il vaut mieux j'en conviens, disait-il, combattre que de perdre toute chance de se gouverner soi-même; mais nous devons assurément essayer tous les moyens avant de prendre la résolution d'avoir recours aux armes.... La chambre pourrait, comme sous l'administration de sir James Kempt, passer un bill de subsides temporaire sous protêt, se réservant tous ses droits et exposant qu'elle le faisait par esprit de conciliation et pour fournir au nouveau ministre l'occasion de redresser les griefs de son propre mouvement.» Il conseillait aussi de réveiller le peuple, de ne pas reculer d'un pas devant les principes, et déclarait que l'on n'aurait de bon gouvernement que lorsqu'on se gouvernerait soi-même et qu'on se serait défait du conseil législatif. La suite des événement fera voir si ces conseils étaient bien sages. Le 4 août il y eut encore quelques débats dans les communes sur nos affaires à l'occasion d'une requête présentée par M. Hume à l'appui des 92 résolutions. M. Rice blâma sévèrement M. Hume d'une lettre publiée dans les journaux, dans laquelle il appelait les Canadiens à résister à la funeste domination du gouvernement anglais. Il dit qu'il ne convenait point à un homme parlant sans danger dans l'enceinte des communes, de lancer des sentimens qui pourraient faire tant de mal à l'Angleterre et au Canada, et que si l'on avait recours à la résistance il espérait que les lois atteindraient tous ceux qui y seraient concernés. Le parlement canadien fut dissous au commencement d'octobre, et les élections qui eurent lieu affaiblirent encore le parti du gouvernement. Il y eut beaucoup de troubles à Montréal, où l'élection fut discontinuée pour cause de violence, et en d'autres localités. Un Canadien fait tué d'un coup de fusil à Sorel de propos délibéré. Les Anglais, joints à quelques Canadiens avec M. Neilson à leur tête, formaient alors à Québec, à Montréal, aux Trois-Rivières des associations constitutionnelles par opposition aux comités permanens des partisans de la chambre, pour veiller aux intérêts de leur race. Bon nombre d'Anglais cependant partageaient les sentimens de leurs adversaires, et sept à huit furent élus par leur influence. Les townships de l'est, peuplés d'Anglais, se prononçaient de plus en plus pour les réformes. Sur leur invitation, M. Papineau, accompagné de plusieurs membres de l'assemblée, se rendit à Stanstead, où il fut reçu avec toutes sortes d'honneurs par les comités qui s'étaient formés dans ces localités. Plusieurs centaines de personnes le visitèrent le jour de son arrivée, et le _Vindicator_ annonça qu'il ne s'était pas trouvé moins de 500 personnes à la fois pour le voir, parmi lesquelles on avait remarqué plusieurs Américains des états de New Hampshire et de Vermont et entre autres le général Fletcher. Le soir on lui donna un dîner de 200 couverts. M. Papineau, le Dr. O'Callaghan, M. Dewitt, le général Fletcher y furent les principaux orateurs. Ces démonstrations, les discours des membres dans les assemblées qui avaient lieu partout, et la polémique des journaux n'annonçaient aucune intention chez les partis de rien abandonner de leurs prétentions. M. Papineau avait recommandé dans son adresse aux électeurs de cesser de consommer les produits anglais, de se vêtir d'étoffes manufacturées dans le pays et de ne faire usage que de boissons canadiennes, pour encourager l'industrie locale et dessécher la source du revenu public, que les ministres employaient comme ils voulaient. Comme les banques appartenaient aussi à leurs ennemis, ils devaient exiger le payement de leurs billets en espèces afin de transférer ces établissemens de mains ennemies en mains amies, tous principes que le parti contraire avait commencé à mettre en pratique à Montréal; mais qui ne furent admis du moins ouvertement par personne à Québec. Il fut en même temps question d'établir une banque nationale. A Toronto il se forma une association politique qui se mit en rapport avec les comités permanens du Bas-Canada. Tous les jours le parti libéral dans les deux provinces se rapprochait de plus en plus, et cherchait à coordonner ses mouvemens pour donner plus de poids à ses paroles et à ses résolutions. On en avait besoin, car bientôt l'on apprit la résignation du ministère et l'avènement des torys au pouvoir avec sir Robert Peel à la tête des affaires et le comte Aberdeen pour ministre des colonies. Ils eurent à s'occuper des nouvelles adresses du parti anglais et de la nouvelle pétition de l'assemblée et de la minorité du conseil législatif à l'appui des 92 résolutions. Mais les nouveaux ministres ne pouvaient transmettre leurs instructions à lord Aylmer avant l'ouverture des chambres canadiennes en 1835. La première chose que fit l'assemblée fut de protester contre les remarques faites par le gouverneur en mettant fin à la dernière session, touchant les requêtes qu'elle avaient adressées au parlement, et de faire biffer son discours de son procès-verbal. C'était dénoncer les hostilités. M. Morin proposa ensuite que la chambre se formât en comité général pour reprendre la considération de l'état de la province. M. Gugy en s'y opposant observa qu'il préférait un gouvernement d'hommes nés dans le pays, à tout autre. «Pour moi, répliqua M. Papineau, je ne veux pas cela; j'aime autant celui de mes co-sujets, amis des lois, de la liberté, de la justice, d'hommes qui protègent indistinctement toutes les industries, et veulent accorder à tous les mêmes privilèges; je les aime, je les estime tous sans distinction d'origine; mais je n'aime pas ceux, qui, conquérans orgueilleux, viennent nous contester nos droits, nos moeurs et notre religion. S'ils ne sont pas capables de s'amalgamer avec nous, ils devraient demeurer chez eux. Il n'y a pas de différence entre eux et nous; les mêmes droits et la même protection appartiennent à tous. Assurément je préférerais le gouvernement de gens du pays à celui des hommes dont je viens de parler, et mes compatriotes ont déjà fait preuve de capacité, d'intégrité. Ceux-mêmes qui réclament ces privilèges exclusifs les réprouvent dans leur coeur, et ils en seront eux-mêmes les victimes. En supposant qu'ils fissent du Canada une Acadie, et qu'ils chassassent toute la population française, là division se mettrait bientôt parmi eux. S'ils parvenaient à former des bourgs pourris, bientôt même cette représentation corrompue les opprimerait. Il est dans le coeur de tous les hommes de détester les privilèges exclusifs; mais la haine, la passion, l'esprit de parti les aveuglent.... On nous dit: soyons frères. Soyons le: mais vous voulez avoir le pouvoir, les places et les salaires. C'est cette injustice que nous ne pouvons souffrir. Nous demandons des institutions politiques qui conviennent à notre état de société.» L'exécutif n'avait rien à communiquer de décisif sur les affaires. L'assemblée siégea deux fois par jour pour terminer la session plus vite. Les débats furent la répétition de ce qu'on avait déjà dit tant de fois. Elle continua l'agence de M. Roebuck, et passa encore une nouvelle adresse qui occasionna une longue discussion et qui devait amener une prorogation immédiate. C'est au sujet de cette adresse que la majorité commença à se diviser une seconde fois. Plusieurs membres voulurent que l'on continuât à faire marcher les affaires, et que l'on s'abstint avec soin de toute mesure qui pût prêter à l'exécutif le plus léger prétexte d'interrompre les travaux législatifs. M. Bedard qui ne suivait qu'à contre coeur depuis deux ans, la majorité, osa dire enfin que l'adresse contenait un refus péremptoire et direct de tout ce que le gouverneur demandait, et qu'il ne pouvait l'appuyer. «Et peut-on oublier, répliqua aussitôt M. Papineau, qu'en Angleterre c'est la même plume qui prépare et le discours du trône et la réponse. Les circonstances exigent que nous nous écartions des formes ordinaires, et que nous exprimions hautement ce que nous sentons. C'est faire injure à l'Angleterre que de dire qu'elle peut passer un bill de coercition et nous envoyer dix à douze régimens. Si c'était le cas, on devrait songer au plutôt à nous délivrer d'un gouvernement qui serait si tyrannique. Mais s'il y avait lieu de craindre une lutte, on pourrait dire que le danger existe déjà, et que nous avons déjà été bien plus loin que ne va cette adresse.» M. Bedard proposa divers amendemens, secondé par M. Caron, qui furent rejetés par 48 voix contre 26, dont 16 Canadiens. Cette rupture devait s'agrandir de jour en jour. Elle fut regardée dès le premier instant par les hommes extrêmes comme une défection de la part de la minorité, et le bruit courut que des intrigues secrètes et des faveurs montrées dans le lointain avaient ébranlé les auteurs des amendemens sur lesquels on savait que l'évêché, qui redoutait les troubles, avait une grande influence. Le rédacteur du _Canadien_, M. Parent, qui était leur ami intime, et qui était bien supérieur à eux par ses lumières et ses talens, vint à leur secours et chercha à les justifier. Il attribua le vote de la minorité aux besoins du district de Québec, au progrès duquel la suspension des travaux législatifs faisait un grand tort dans un moment surtout où la gêne commerciale était si grande. Mais les dépêches de lord Aberdeen, qui lui furent communiquées, et le refus de lord Aylmer d'avancer l'argent nécessaire pour payer les dépenses courantes de l'assemblée avant qu'elle eût approuvé celles qu'il avait faites sans bill de subsides, amenèrent la dispersion des membres et la prorogation des chambres. Lord Aberdeen refusait d'assurer l'indépendance des deux conseils et des juges, jusqu'à ce que toutes les enquêtes sur les abus fussent parvenues au point où l'on pût avoir la perspective d'un arrangement, et le bill d'éducation parce qu'il paraissait reconnaître l'existence légale des sulpiciens et des jésuites, et pouvait donner des privilèges civils exclusifs aux catholiques au détriment de la minorité protestante. _Vigilante comme elle devait l'être avec beaucoup de raison_ contre le moindre empiétement sur sa liberté religieuse, elle pouvait soupçonner que cette législation rétrograde conférait des avantages indus à la majorité catholique. Elle pouvait croire aussi que la langue, la littérature française et les institutions religieuses avaient été les objets d'une attention spéciale; que les fondations ecclésiastiques existantes avaient été préférées à celles qui pourraient s'élever plus tard, parce que les premières étaient sous le contrôle du clergé catholique, et que les secondes, c'est-à-dire les protestantes, ne fleuriraient et ne se multiplieraient qu'avec l'émigration et l'accroissement des capitaux et des établissemens anglais. Toutes ces raisons du ministre étaient de purs subterfuges pour tromper. Il ne voulait pas donner les mêmes avantages aux catholiques qu'aux protestans; mais comme une déclaration ouverte et franche d'un pareil principe eût paru trop odieux, il faisait des suppositions idéales pour faire croire que l'usage de la liberté chez les uns aurait amené nécessairement l'esclavage chez les autres. La question religieuse ainsi traitée fit penser à la situation des catholiques en Canada. Les journaux publièrent les instructions de sir George Prévost,[29] dans lesquelles on maintenait les prétentions que nous avons déjà rapportées ailleurs sur la suprématie et la juridiction ecclésiastique de l'Angleterre. Dans les paroisses où la majorité serait protestante, le curé devait l'être et percevoir les dîmes, les catholiques se servant de l'église après les protestans. Les prêtres pourraient contracter mariage, et les ministres protestant devaient remplacer graduellement les missionnaires catholiques chez les Sauvages. C'était l'esprit de ces instructions qui avait inspiré lord Aberdeen dans le rejet de la loi dont nous venons de parler. [Note 29: Papiers officiels imprimés en 1814 par ordre de la chambre des communes.] Cependant la politique du ministre était de le dissimuler dans le parlement impérial. Il y eut encore des débats dans les communes à l'occasion de la présentation de la pétition des membres du conseil législatif et de l'assemblée du mois de décembre. La veille on avait distribué un pamphlet aux membres des communes, dressé par un ami des Canadiens à Londres, dans lequel on exposait tous les vices du gouvernement et toutes les réformes que demandait le peuple. On passait en revue les abus du système judiciaire et de l'exécutif à la tête duquel on mettait des militaires incapables de gouverner un peuple libre; la mauvaise administration des terres; la multiplicité des emplois dans les mêmes familles, la défalcation de receveur-général Caldwell, protégé du pouvoir et conseiller législatif devenu riche, disait-on, depuis son malheur, nom que les gens de sa classe donnait à son péculat, et qui lui permettait de donner des dîners somptueux; l'absence de contrôle partout malgré l'abus de l'intervention incessante du parlement impérial. L'auteur terminait par appuyer sur la nécessité de rappeler lord Aylmer. A peu près dans le même temps un article écrit avec beaucoup de verve parut dans _Taits Edinburgh Magazine_, sur la situation politique du Canada, qu'on attribua à M. Chapman et dont le mémoire ci-dessus était un résumé. M. Roebuck répéta dans les communes ses remarques ordinaires sur les abus de l'administration. M. Spring Rice dit, qu'avant la retraite du ministère dont il faisait partie, il avait préparé une dépêche qui contenait un ample exposé des vues du gouvernement. Cette retraite avait empêché de l'envoyer. Il n'avait pas confirmé la nomination du juge Gale parce qu'il s'était trop compromis comme partisan politique, et comme le juge Kerr avait été destitué de sa place de juge de l'amirauté pour malversation, il n'avait pas cru convenable de lui laisser celle de juge de la cour du banc du roi. M. Stanley maintint qu'on n'avait pu réussir à prouver une seule plainte, un seul grief articulé dans les 92 résolutions, et que le ministère avait obtenu du comité un verdict d'acquittement triomphant. Sir Robert Peel fit part à la chambre qu'il avait chargé lord Aylmer d'informer le Canada que l'on allait y envoyer un gouverneur étranger à la politique coloniale et en possession des vues et des intentions de la métropole, pour y examiner l'état des choses et faire rapport, après quoi le ministère proposerait les mesures nécessaires. Mais il devait déclarer que l'on n'entendait admettre aucun nouveau principe dans l'organisation du gouvernement, et que, si les griefs n'étaient pas fondés, l'on prendrait les moyens de faire cesser l'agitation. Quant aux menaces de rébellion, il dirait aux rebelles, nous voulons vous rendre justice et vos menaces augmentent nos forces. Quant à l'intervention des Etats-Unis, on était en bonne intelligence avec eux, et quand bien même ils voudraient intervenir, ils ne prendraient pas M. Roebuck pour leur organe dans cette chambre. MM. Stanley, Robinson, Hume, Sheil prirent la parole. Le discours du ministre malgré son air de modération, et la confirmation de la nomination du juge Gale, que M. Spring Rice avait refusée, indiquaient assez la conduite qu'on allait tenir. On voulait seulement mettre en usage cette bienveillance de manière et cette finesse de conduite usitées dans la diplomatie et inconnue jusque-là dans la politique coloniale, pour tâcher d'apaiser les discordes et de faire pénétrer dans les coeurs des sentimens plus favorables aux réformes qu'on pourrait juger nécessaire d'adopter plus tard. Dès le mois de février lord Aberdeen avait écrit à lord Aylmer pour lui dire qu'il approuvait sa conduite, mais que dans l'état des esprits il n'y avait pas d'espoir qu'il pût employer avec succès des paroles de paix et de conciliation, et qu'on allait le remplacer par une personne de confiance avec le titre de commissaire royal. Lord Aylmer lui avait déjà envoyé une longue dépêche pour repousser les accusations portées contre lui dans les 92 résolutions. Il disait que sur 142 personnes qu'il avait nommées à des emplois salariés, 80 étaient d'origine française et 295 sur 580 nommées à des emplois non salariés; que sur 330 commissaires des petites causes, 151 étaient de la même origine, et qu'au reste l'on devait préférer les personnes les plus propres sans distinction d'origine; que toutes les places dans l'église catholique, comme les cures dont les appointemens excédaient £25,000, étaient entre les mains des Canadiens-français, qu'il en était de même des maîtres d'écoles de campagne, dont les salaires et les allocations s'élevaient à £18,000. Mais la partialité avait été si grande avant lui, et l'abus était si enraciné encore que s'il avait donné 80 places aux Canadiens qui formaient les trois quarts de la population, il en avait donné 62 aux Anglais qui formaient l'autre quart, et que les salaires et les émolumens de ces 62 excédaient de beaucoup ceux des 80. D'après la liste civile, l'estimation soumise à la chambre en 1834 et d'autres sources, les fonctionnaires recevaient £71,770, distribués comme suit: Anglais £58,000, Canadiens-français £13,600. Ceux-ci étaient exclus de tous les départemens de l'exécutif, ainsi que du bureau des terres, des douanes et des postes, et dans l'administration de la justice qui coûtait £36,000, £28,000 étaient partagés par les Anglais et £8,000 par les Canadiens. Une pareille exclusion, une pareille injustice peut-elle être tolérée sinon sous l'empire de la force matérielle. C'est insulter les sentimens les plus nobles que de le croire. Cependant les discussions que le Canada soulevait dans le parlement impérial avaient leur écho au dehors où, les grands journaux, comme le _Times_, le _Chronicle_, le _Herald_, étaient hostiles à l'assemblée et aux Canadiens-français presque totalement inconnus en Angleterre. L'_Advertiser_, le _Globe_, prenaient leur défense; mais il était facile de voir que la grande majorité des communes comme de la nation, n'avait aucune sympathie pour eux. Le bruit courut d'abord que le commissaire royal allait être le vicomte de Canterbury, ci-devant sir Charles Manners Sutton; mais bientôt l'on apprit qu'il refusait d'accepter cette mission difficile sous prétexte de maladie dans sa famille. Sa réputation avait fait concevoir des espérances. L'on parla ensuite de lord Amherst, celui-là même qui avait été ambassadeur en Chine et vice-roi d'Irlande. Lord Aberdeen annonça même sa nomination; à lord Aylmer. Mais le ministère ayant été changé sur ces entrefaites, le choix des nouveaux ministres tomba sur lord Gosford, qui avait acquis quelque réputation en Irlande, sa patrie, par son opposition aux orangistes. L'on vantait sa fermeté et la libéralité de ses principes; mais on lui adjoignait deux personnages à peu près inconnus, sir Charles Gray, tory de la vieille école, et sir James Gipps. Le correspondant de Londres du _Vindicator_ n'attendait rien de cette commission. L'un des agens du parti anglais, M. Walker, osa chercher à gagner O'Connell à sa cause. «Comment, vous désirez être représentés comme minorité, lui dit le grand orateur; certes ce serait, selon moi, un grand grief si vous l'étiez.» Le 12 juin les affaires du Canada furent l'objet de quelques discussions dans la chambre des lords. Le langage du comte Aberdeen faisait dire au Canadiens. «La base de sa politique coloniale, chose remarquable, est précisément la même que pose le peuple du pays... Si lord Aberdeen et les hommes d'état de l'Angleterre, voulaient être aussi honnêtes et sincères qu'ils sont faiseurs de belles phrases nos difficultés seraient bien vite arrangées.» Un lord déclara qu'il ne pouvait pas concevoir quel intérêt avait l'Angleterre à refuser des concessions larges et libérales. On ne devait pas traiter les assemblées coloniales comme des enfans ni les assujétir entièrement aux ordres de l'Angleterre; on devait les laisser jouir de la plus entière liberté compatible avec le maintien de la souveraineté métropolitaine. Une commission lui semblait non seulement inutile, mais pire qu'inutile; on devait envoyer un commissaire prêt à agir. Le gouvernement pouvait et devait décider sur le champ toutes les questions importantes. Il y avait peu de sujets sur lesquels on avait besoin d'information. Lord Glenelg répliqua qu'il s'était cru obligé avec ses collègues de changer les instructions de ses prédécesseurs, et d'envoyer plusieurs commissaires pour faire une enquête sur les lieux. Les nouvelles instructions que lord Aberdeen qualifiait d'inutiles, mettaient la majorité et la minorité du Canada en face, déclaraient d'avance que le conseil législatif ne pouvait être changé, et ordonnaient à la commission d'opposer un refus formel à la proposition de l'assemblée de renvoyer cette question à des conventions du peuple. Quant aux subsides, les revenus de la couronne ne pourraient être abandonnés que moyennant une liste civile suffisante pour le soutien du gouvernement. L'administration des terres de la couronne devait rester entre les mains de l'exécutif. Les juges accusés subiraient leur procès devant le conseil législatif ou devant le roi aidé du comité judiciaire du conseil privé. La commission devait faire rapport sur la tenure des terres, sur les biens du séminaire de St.-Sulpice, sur l'éducation, sur la distribution des droits de douane entre les deux Canadas. Elle pouvait interroger des témoins et les documens écrits; elle allait au Canada pour remplir une mission de conciliation et de paix et devait éviter conséquemment de paraître mettre en force un pouvoir nouveau et odieux. En recevant les plaintes de tous les partis, la politesse, l'urbanité et le respect devaient caractériser sa conduite envers toutes les classes; elle devait entrer en relation avec elles, exprimer ses opinions avec bienveillance, surveiller les indications des assemblées publiques et des relations sociales ordinaires, étudier les écrits politiques et la littérature périodique, transporter ses enquêtes en différens endroits du pays et observer le plus grand secret sur ses conclusions. La commission arriva à Québec à la fin d'août. Le Conseil-de-Ville lui présenta une adresse de bien-venue. Lord Gosford tint un lever quelques jours après, et s'y montra très gracieux. Mais on était sur ses gardes. Les membres libéraux du conseil et de l'assemblée se réunirent au commencement de septembre aux Trois-Rivières pour s'entendre sur la conduite à suivre devant les commissaires. Ceux du district de Québec ne jugèrent pas à propos d'y aller. La division entre ce district et ceux des Trois-Rivières et de Montréal devenait plus grande de jour en jour. Lord Gosford cherchait par tous les moyens à captiver la bienveillance des Canadiens. Il invita M. Papineau et M. Viger à dîner chez lui; il visita les classes du séminaire, et laissait tout le monde enchanté de sa politesse. Il donna un grand bal le jour de la Ste.-Catherine, anniversaire fêté chez beaucoup de Canadiens, où ses prévenances pour Madame Bedard blessèrent quelques parvenus de l'oligarchie, enfin la place du juge Kerr destitué, parut destinée pour le mari de cette dame, celui-là même qui avait proposé les 92 résolutions. Ces faits, ces bruits portés, grossis de bouche en bouche augmentaient les espérances, lorsque les chambres s'ouvrirent le 27 octobre. Lord Gosford leur adressa un long discours, dans lequel il parla de beaucoup de choses, mais finit par déclarer que sur les grandes questions en débat la commission ferait son rapport à Londres, et que du reste les Canadiens pouvaient être assurés qu'on ne toucherait point à leurs arrangemens sociaux. C'était annoncer un nouvel ajournement. Mais comme il avait appuyé sur beaucoup de réformes de détail et que son discours, préparé avec soin, respirait la modération et la justice, on ôsa espérer encore. «Je dirais, observait-il, aux Canadiens tant d'origine française que d'origine britannique, considérez le bonheur dont vous pourriez jouir, et la situation favorable où, sans vos dissensions, vous pourriez vous placer. Issus des deux premières nations du monde, vous occupez un vaste et beau pays, un sol fertile, un climat salubre, et le plus grand fleuve du globe amène jusqu'à votre ville la plus éloignée les vaisseaux de la mer.» La réponse au discours du trône provoqua quelques débats, sur un amendement de M. Clapham, qui voulait qu'on reconnût la commission; mais la chambre s'y refusa, ne connaissant point les instructions qu'elle devait suivre. Le parti tory cherchait déjà à l'appuyer comme s'il les eut connues et s'il eût connu sa pensée. La réponse de la chambre ne fut qu'un écho du discours, interprété au point de vue des 92 résolutions. Lord Gosford fidèle au système qu'on lui avait tracé de tâcher de capter la bienveillance des Canadiens par ces égards qui touchent, répondit d'abord à la chambre en français, puis ensuite en anglais. La _Gazette_ de Montréal se trouva offensée de cette courtoisie et de l'audace qu'avait eue un gouverneur anglais de faire usage de la langue du vaincu. C'était une concession coupable, le premier pas de la dégradation de la mère-patrie, qui avait eu la faiblesse de ne pas proscrire la langue française dès l'origine. Les journaux anglais qui avaient eu le signal, faisaient les plus grandes menaces suivant le système qu'on leur avait indiqué, et que faisaient marcher des fils secrets qu'on tenait à Londres. L'associatien constitutionnelle de Montréal demanda à être entendue par la commission, qui l'informa que l'esprit de la constitution ne serait pas changé et que l'intérêt commercial serait protégé. Elle voulut organiser des comités de quartier dans la ville dans le cas où l'union et la force seraient nécessaires. Elle organisa un corps de carabiniers de 800 hommes au nom de _Dieu sauve le roi_. Elle voulut faire sanctionner cette organisation par le gouverneur, qui s'y refusa et qui en ordonna quelque temps après la dissolution. Les orangistes essayèrent aussi à lever la tête avec eux. Dès 1827 air Harcourt Lees avait recommandé leur organisation dans les deux Canadas. Le district de Gore du Haut-Canada fit aussitôt offrir son appui à lord Gosford contre les tentatives séditieuses des constitutionnels. Dans le Bas-Canada on n'en faisait de cas que par leur influence à Londres. Cependant l'assemblée continuait ses travaux législatifs. Elle accusait encore un autre juge, M. Thompson de Gaspé. Elle protestait une seconde fois contre l'annexion du comté de Gaspé, au Nouveau-Brunswick; elle réclamait surtout contre le payement des officiers publics sans appropriation, et le Dr. O'Callaghan présentait un rapport sur les procédés du parlement impérial à l'égard des 92 résolutions, dans lequel il mettait à nu les contradictions, les erreurs du bureau colonial en faisant l'historique de la question des finances depuis 1828. Dans le temps même on recevait du Haut-Canada une partie des instructions de lord Glenelg à la commission, que sir Francis Bond Head avait communiquées à l'assemblée. Comme M. Mackenzie, disait le _Canadien_, l'avait prévu, la communication de ces instructions produit un vif regret et un désappointement général. Décidément ces instructions décèlent chez les ministres des dispositions et des vues peu propres à inspirer de la confiance dans la libéralité de leur politique à notre égard. Lord Glenelg fait le réformiste à Londres et le conservateur à Québec. «Ces instructions renferment aussi, comme le discours du trône, circonstance que nous n'avons pas cru devoir faire ressortir jusqu'à présent, cette mortifiante comparaison de la faction oligarchique avec la masse de la population, en parlant comme ayant toutes deux le même poids, un droit égal à la considération auprès des autorités impériales. C'est là sans doute le résultat de l'éducation et des habitudes aristocratiques du vieux monde; on croyait sans doute que la faction oligarchique est ici ce que le corps aristocratique est en Angleterre. Cette erreur, cette prévention, si elle ne disparaît, et ne luit place à des idées plus conformes à l'état de la société, fera perdre bientôt à la couronne britannique un de ses plus beaux joyaux. Ce n'est qu'avec des idées et des principes d'égalité que l'on peut maintenant gouverner en Amérique. Si les hommes d'état de l'Angleterre ne veulent pas l'apprendre par la voie de remontrances respectueuses, ils l'apprendront avant longtemps d'une façon moins courtoise; car les choses vont vite dans le Nouveau-Monde.» Tel émit le langage d'un organe de la presse qui songeait alors à abandonner le parti de M. Papineau pour soutenir celui de Québec, et à recommander l'acceptation des propositions de lord Gosford. On peut concevoir quel put être celui du parti extrême. Un appel nominal fut de suite ordonné. Le parti de Québec, qui se séparait de plus en plus de celui de M. Papineau, voulut s'opposer à la réception des instructions de la commission, par son organe M. Bedard, opposition inutile, parce que l'essentiel était connu, c'est-à-dire les dépêches elles-mêmes. Loin de vouloir guerroyer sur des questions de forme, cette nouvelle opposition aurait du lever de suite franchement son drapeau et déclarer clairement ses principes. Si les réformes qu'on demandait n'étaient pas accordées, allait-on se les faire donner de vive force, en levant l'étendard de la révolte, ou allait-on négocier? On aurait alors comparé ses forces à celles de l'Angleterre et pesé les chances de succès. Car quant à la justice de leur cause, les Canadiens-français avaient cent fois plus de droit de renverser leur gouvernement que l'Angleterre elle-même en 1668, et les Etats-Unis en 1775, parce que c'était contre leur nationalité elle-même que le bureau colonial dirigeait ses coups; jugée sous ce rapport, la question se modifiait et devait être envisagée non sous le point de vue du droit, mais sous le point de vue de l'expédience, que les peuples comme les individus ne peuvent négliger lorsqu'ils en appellent à la force physique. Mais malheureusement le chef du parti de Québec, comme nous désignerons désormais cette nouvelle opposition, était alors en pourparler, pour une charge de juge, avec lord Gosford, qui laissait entrevoir d'autres faveurs à quelques uns de ses amis. Dans des débats aussi graves entre l'Angleterre et l'assemblée, une scission entre le parti extrême et le parti modéré aurait dû se faire en vue du bien public seulement et non sous l'influence de l'or et des places. Le devoir de tout représentant du peuple était de refuser toute faveur jusqu'après l'arrangement des difficultés, afin de conserver son indépendance et de ne pas paraître influencé, par l'intérêt personnel. Le moment était trop solennel pour s'occuper de soi lorsque l'existence politique de tous les Canadiens était en question. Cette grande faute du parti modéré n'échappa pas à ses adversaires, qui en profitèrent pour l'exposer aux yeux du public, qui donna dès lors par ironie le nom de _petite famille_ à M. Bedard et à ses amis, pour désigner des hommes qui servaient leurs intérêts avant ceux du pays. C'était détruire leur influence dès le début de la nouvelle voie dans laquelle ils entraient, et, dans laquelle la majorité des Canadiens eussent suivi des hommes indépendans et énergiques, qui n'auraient pas plus fléchi devant les appâts du pouvoir que devant les menaces de la rébellion. Le vrai patriote tout pauvre qu'il est, tient plus de place dans le coeur du peuple que l'agitateur riche et puissant dont on soupçonne toujours l'ambition. La majorité de l'assemblée fut entraînée par l'éloquence de M. Papineau. La nomination de M. Bedard comme juge formellement annoncée, loin d'apaiser les esprits, les excita, suivie qu'elle fut presqu'aussitôt après du refus du gouverneur de destituer le juge Gale, dont le ministre qui avait succédé à M. Spring Rice avait confirmé la nomination. Le conseil plus opposé que jamais à la chambre, rejetait presque tous les bills qu'elle lui envoyait, ce qui la confirmait dans l'opinion que le gouvernement voulait la tromper et que le conseil lui servait d'instrument. Sur 106 bills passés par l'assemblée dans la session, 61 furent ainsi étouffés ou mutilés, et c'étaient les principaux. En voyant ce résultat, les hommes versés dans la politique et qui connaissaient la dépendance du conseil, étaient convaincus que le gouvernement jouait un rôle double et qu'il excitait par des moyens secrets et détournés une chambre contre l'autre. La dernière lutte entre l'exécutif et l'assemblée allait se porter sur la question des subsides. Les débats durèrent deux jours. On y répéta ce qui avait déjà été dit tant de fois. Une grande partie des membres prirent la parole. M. Morin proposa d'accorder six mois de subsides. M. Vanfelson proposa en amendement douze mois avec les arrérages. MM. LaFontaine, Papineau, Taschereau, Drolet, Rodier, Berthelot parlèrent contre l'amendement; MM. Power, Caron, DeBleury pour. «Par suite de l'injonction du parlement impérial, dit M. Vanfelson, le secrétaire colonial a commencé à remplir sa mission de réforme et quoiqu'il n'ait pas remédié efficacement à tous les maux, je crois pouvoir démontrer si l'on vent discuter et juger sans passion qu'il a déjà fait beaucoup. Plusieurs griefs ont été réparés; un grand nombre d'autres sont en voie de l'être. Qu'on relise les 92 résolutions et on verra que déjà 9 ou 10 des griefs énoncés ont cessé d'exister, et lord Aylmer que nous avions accusé d'avoir violé les droits et les privilèges de cette chambre a été rappelé.» L'orateur passant ensuite aux dissensions entre la chambre et le conseil, ajouta que l'Angleterre avait envoyé la commission pour constater qui avait tort et qui avait raison, et que quant à la plainte faite contre le choix de militaires pour gouverner le pays, on y avait fait droit, puisque lord Gosford ne l'était pas. Il fallait donner le temps aux commissaires d'achever leur enquête, et imiter O'Connell qui se relâchait de ses prétentions dans certaines circonstances. M. LaFontaine prenant la parole, observa que dans sa revue des griefs, le préopinant avait été obligé d'avouer que les principaux, ceux qui avaient provoqué les 92 résolutions, existaient encore; que lord Gosford n'avait d'autre mérite auprès de l'assemblée que ses promesses, qu'il n'avait encore rien exécuté, et que si l'on voulait adhérer strictement aux principes, on ne devait pas voter de subsides du tout. M. Papineau se leva enfin et parla pendant plusieurs heures. C'était à lui à soutenir la position prise par le parti populaire dans les 92 résolutions; il en était le véritable auteur, il y avait résumé l'esprit et les doctrines de l'opposition canadienne depuis plusieurs années. Le sort de ses compatriotes y était attaché. Orateur énergique et persévérant, M. Papineau n'avait jamais dévié dans sa longue carrière politique. Il était doué d'un physique imposant et robuste, d'une voix forte et pénétrante, et de cette éloquence peu châtiée mais mâle et animée qui agite les masses. A l'époque où nous sommes arrivé il était au plus haut point de sa puissance. Tout le monde avait les yeux tournés vers lui, et c'était notre personnification chez l'étranger comme disait le _Canadien_. Tout président de la chambre qu'était M. Papineau, c'est lui qui dirigeait la politique de la majorité. «Nous sommes, dit-il, à voir s'il y a dans la situation politique du pays des circonstances nouvelles qui puissent justifier la conduite de ceux qui semblent déserter la cause de la patrie, qui se séparent de cette immense majorité de leurs concitoyens qui ont directement approuvé et ratifié sur les hustings la conduite des membres qui ont voté les 92 résolutions. Dans cette grande discussion, il ne faut pas considérer lord Gosford, mais il faut considérer les principes. Nous sommes en lutte contre un système colonial qui, tel qu'il nous est expliqué par lord Glenelg, contient dans son essence les germes de tous les genres de corruption et de désordre; nous sommes appelés à défendre la cause et les droits de toutes les colonies anglaises. Le même génie malfaisant qui jetait malgré elles les anciennes colonies dans les voies d'une juste et glorieuse résistance, préside à nos destinées. Il a inspiré les instructions de la commission, qui changent nos relations avec le gouvernement, qui détruisent le titre qu'il avait à la confiance des représentans du peuple. Elles renferment un refus formel de faire aucune attention aux plaintes du Haut et du Bas-Canada. La commission au lieu de puiser ses renseignemens auprès des autorités constituées du pays, est décidée à prendre pour base de ses déterminations les opinions de la minorité, de cette minorité turbulente et factieuse, disait-il, dans une autre occasion, qui ne cherche qu'à se gorger aux dépens d'une population qui lui a offert un refuge. On veut dominer là ou peu de mois auparavant on ne cherchait qu'un asile, qu'une patrie. Au milieu de nous cette minorité se pavane de sa supériorité et de ses prétentions exclusives. Nous n'avons pas un gouvernement de droits égaux, mais de favoritisme. Les mignons de l'administration accaparent au préjudice de la population entière tous les avantages du pays. L'estime et la confiance de la majorité les font crier contre l'usurpation et la nationalité, comme s'il était juste d'avoir versé son sang pour se voir dégradé, exploité, dépouillé par et pour la minorité. De telles prétentions pourtant se font entendre journellement à un degré dont même l'Irlande n'offre pas d'exemple, dans le temps où ceux qui trahissaient sa cause étaient récompensés par des emplois comme les seuls hommes de capacité et de lumières. «Pouvait-on imaginer, continua l'orateur, un plan plus défectueux que d'envoyer trois commissaires qui ne s'étaient jamais vus, ayant une foule d'employés avec chacun leurs communications et leurs correspondances secrètes? Peut-on voir dans cette combinaison quelque trait de sagesse? Aussi les résultats ne se sont pas fait attendre. Quelques heures pour ainsi dire après leur arrivée le public fut averti qu'il y avait division parmi eux sur tous les points. Pouvait-on espérer qu'ils ne sèmeraient pas ici la division; qu'il y aurait entre eux unanimité sur nos difficultés politiques, et que la diversité connue de leurs opinions sur la politique de leur pays, ne serait pas le prélude à la même diversité d'opinions sur la politique de notre pays? Aussi les a-t-on vus se jeter dans les sociétés les plus opposées, et la presse anglaise a bientôt retenti d'injures contre celui qu'elle appelait radical, de louanges pour celui qu'elle appelait tory. On nous a promis que de ce mélange naîtraient l'ordre et la justice. On aime à s'endormir sur le bord d'un précipice, à attendre le bonheur que promet un songe fugitif et trompeur; au lieu des jouissances et des réalités enchantées, nous allons rouler dans un gouffre... Il ne fallait accorder que six mois de subsides pour nous mettre dans la même position que la Jamaïque. Ses représentans se sont dit: Nous voici dans des circonstances extraordinaires, nous voterons six mois de subsides pour salarier les troupes, mais après ce temps, nous sommes déterminés à nous ensevelir sous des ruines plutôt que de céder nos libertés. Ces inspirations héroïques ont obtenu du gouvernement anglais qui a su les apprécier, les droits que réclamaient les colons de la Jamaïque, de semblables inspirations nous assureront les mêmes avantages.» L'amendement de M. Vanfelson fut rejeté par 40, contre 27. Huit Anglais, dont quelques uns des townships de l'est, votèrent avec la majorité et huit avec la minorité, preuve assez forte de la justice des prétentions de l'assemblée. Le conseil rejeta la liste civile de six mois, ce qui amena presqu'aussitôt la prorogation des chambres, n'y ayant plus de membres suffisans pour continuer les affaires, et fit observer par lord Gosford qu'il ne voulait pas se hasarder à prédire toutes les conséquences qui résulteraient de cette conduite. Ce dénouement donna un nouvel élan à l'agitation. L'on recommença à s'assembler pour approuver la majorité de la chambre et se rallier aux associations de réforme de Québec et de Montréal. Une adresse de sept cents électeurs de Québec fut présentée à M. Papineau vers la fin de la session pour approuver sa conduite, adresse qui amena la résignation d'un des représentans de cette ville, M. Caron, parce qu'elle comportait une censure contre sa conduite opposée à celle de M. Papineau depuis les 92 résolutions. Quelques-uns attribuèrent cette démarche au mécontentement que lui causait la faveur qu'on faisait alors à M. Bedard en le nommant juge. Dans les colonies peu d'hommes sont au-dessus de pareilles faiblesses, mais pour M. Caron, ces bruits devaient être mal fondés, car sa conduite n'avait pas cessé un moment d'être uniforme et constante. Depuis quelque temps le parti libéral dans les deux Canadas avait des communications encore plus fréquentes qu'auparavant, et les chefs travaillaient activement à co-ordonner leurs mouvements. La majorité des membres de l'assemblée du Haut-Canada ae rallia même un instant au parti de M. MacKenzie ainsi que le conseil exécutif de sir Francis Bond Head. A Londres l'activité de M. Roebuck ne se lassait point. Discours dans les communes, articles dans les journaux et dans les revues,[30] pamphlets, il ne perdait pas une occasion de plaider notre cause. [Note 30: _London review_ et autres.] Cependant les ministres voyant l'effet qu'avait eu la communication des instructions tronquées de la commission, chargea lord Gosford tout en lui recommandant d'agir de concert avec sir Francis Bond Head, de réunir les chambres de nouveau pour leur en communiquer la totalité, ce qu'il fit sans changer les opinions de l'assemblée, qui déclara qu'elle voyait avec regret et une vive douleur que les vices de nos institutions politiques étaient demeurés les mêmes, qu'on maintenait le conseil législatif, qu'on ne faisait aucune réforme administrative et que les autorités exécutives et judiciaires étaient combinées en faction contre les libertés publiques. Après cette réponse peu satisfaisante on s'ajourna. C'est alors que M. Morin vint se fixer à Québec vers la fin de 1836 sous prétexte d'y pratiquer comme avocat. Aussitôt les partisans de M. Papineau crurent voir quelque tactique dans cette démarche de son disciple le plus dévoué; ils se réunirent autour de lui, ils s'organisèrent et se mirent en rapport avec les libéraux de Montréal et d'autres parties du pays, pour contrecarrer les résolutions de l'association constitutionnelle, qui parlant au nom du parti anglais, priait le roi de maintenir le conseil législatif en l'organisant de manière à tenir en échec l'influence de l'assemblée, de diviser les comtés de façon à diminuer les représentans français, de rappeler lord Gosford, et de réunir les deux Canadas. Elle s'adressait en même temps au Haut-Canada pour l'engager à favoriser ses projets, et aux Canadiens-français eux-mêmes pour leur dire qu'ils étaient trompés et opprimés par leurs meneurs. A cette époque leur perspective était la plus triste qu'on puisse imaginer. Eux qui s'étaient bercés un instant de l'espoir d'avoir de nombreux alliés, venaient de les perdre presque tous à la fois. Sir Francis Bond Head était sorti triomphant de la lutte à Toronto. Il avait dissous la dernière chambre et était parvenu à force d'adresse et d'intrigues à faire élire une majorité de torys dans la nouvelle. Sûr maintenant d'elle, il avait convoqué aussitôt la législature, et l'assemblée avait biffé des procès-verbaux de la dernière session, les résolutions de celle du Bas-Canada que M. Papineau avait envoyées à son président. En même temps Head lui avait communiqué les dépêches du bureau colonial qui approuvaient sa conduite. La politique de Downing Street était de briser la dangereuse alliance qui avait paru s'établir entre le Haut et le Bas-Canada, menacer le Bas où le danger était le plus grand, et mettre la totalité de la population en lutte une partie contre l'autre. Cette politique avait donc réussi. Dans le Haut-Canada tout marchait à merveille; et il en était de même dans les autres provinces. Le Nouveau-Brunswick avait accepté les propositions de l'Angleterre, et la Nouvelle-Ecosse, qui avait d'abord été plus ferme, avait révoqué les résolutions qu'elle avait passées contre l'administration, de sorte que la commission qui achevait ses travaux, se voyait autorisée par toutes ces défections à adopter des conclusions plus hostiles contre la seule chambre qui restait inébranlable. Le rapport de cette commission fut mis devant le parlement impérial dés le commencement de la session. Il formait un volume imprimé de plus de 400 pages folio et renfermait à peine une suggestion nouvelle. Les commissaires recommandaient séparément ou collectivement d'employer les deniers publics sans le concours des représentans; d'user de mesures coercitives pour forcer l'assemblée à se soumettre, justifiaient le conseil législatif d'avoir rejeté les six mois de subsides, et suggéraient de faire représenter la minorité en changeant la loi d'élection de manière à donner plus d'avantage à l'électeur anglais qu'à l'électeur canadien. Il fallait persister dans la demande d'une liste civile de £19,000 pour la vie du roi ou pour un terme de sept ans au moins, refuser un conseil législatif électif et le système responsable, maintenir la compagnie des terres et s'opposer à l'union des deux Canadas. Lord Gosford n'approuvait pas toutes ces suggestions, et il était d'opinion qu'il fallait libéraliser les deux conseils en y faisant entrer une forte proportion d'hommes partageant les opinions de la majorité de l'assemblée. Lord John Russell proposa une série de résolutions dans les communes, conformes aux suggestions les plus hostiles, et qui suscitèrent des débats qui durèrent trois jours, le 6, le 8 et le 9 mars 1837. Lord John Russell lui-même, M. Stanley, M. Robinson, sir George Grey, M. Gladstone et lord Howick furent les principaux orateurs en faveur du ministère, ainsi que M. Labouchère qui se trouva cette fois contre les Canadiens. MM. Leader, O'Connell, Roebuck, sir William Molesworth, le colonel Thompson et M. Hume contre. Il y eut plusieurs divisions; mais la minorité fut très faible chaque fois. La proposition de M. Leader de rendre le conseil législatif électif, ne rallia que 56 voix contre 318, et encore cette minorité tomba-t-elle à 10 lors de l'adoption finale des résolutions. Le ministre ne manqua pas de tirer parti de la défection des autres colonies. Aucune de ces colonies, dit-il, n'avance des prétentions semblables à celles du Bas-Canada, et tout présage un arrangement satisfaisant avec elles. Rendre le conseil législatif électif, serait créer une seconde chambre d'assemblée et un conseil exécutif responsable, ce qui était absolument incompatible avec les rapports qui devaient exister entre la métropole et la colonie, vain jugement d'un homme d'état qui devait être démenti si peu de temps après. Il était évident que les ministres pourraient entreprendre maintenant tout ce qu'ils voudraient contre le Bas-Canada, et qu'ils seraient appuyés. Ils en avaient fait une question de race, et avaient feint de se donner pour les protecteur de cette minorité anglaise qui avait été le fléau de l'Irlande, disait O'Connell. Ils ne faisaient d'ailleurs que rester fidèles à un principe de gouvernement bien connu surtout dans les colonies, contenir la majorité par la minorité. Le résultat des débats fut le même dans la chambre des lords, lorsque lord Brougham y présenta la pétition de l'assemblée. Cependant le bureau colonial qui savait qu'il violait un principe sacré de la constitution en ordonnant le payement des fonctionnaires sans vote de la législature, n'était pas sans inquiétude, car lord Glenelg avait écrit à lord Gosford dès le mois de mars qu'il espérait qu'il n'y avait aucun danger de commotion ou de résistance, mais que par précaution on allait probablement lui envoyer deux régimens. Ensuite craignant que cette démonstration ne fit du mal, il permit à lord Gosford de tirer du Nouveau-Brunswick les troupes dont il pourrait avoir besoin.[31] [Note 31: Dépêches de lord Glenelg à lord Gosford, 6 et 16 mars, 1837.] La sensation produite par le résultat des débats dans les deux chambres impériales, ne fut pas celle de la surprise en Canada. Les journaux qui soutenaient l'assemblée recommandèrent la fermeté et la persévérance; soutinrent que l'oppression et la tyrannie que voulait imposer l'Angleterre ne pouvaient être durables en Amérique, que le gouvernement des Etats-Unis serait bientôt forcé d'intervenir, qu'en un mot l'avenir était au peuple; qu'il fallait rester uni, qu'il fallait agiter, qu'il fallait cesser tout rapport commercial avec la métropole, qu'il fallait manufacturer soi-même les marchandises nécessaires à notre consommation, et ne rien acheter qui payât droit à la douane, afin d'épuiser le trésor, et d'obliger le gouvernement à suivre la volonté des représentans. On tint des assemblées publiques, surtout dans le district de Montréal, pour répandre les nouvelles idées économiques partout dans les villes et dans les campagnes. La _Minerve_ et le _Vindicator_ s'insurgèrent. «Pense-t-on, disait la première, qu'il nous faille succomber sous le poids de cette force, courber honteusement la tête sous le joug? Non, notre position comme peuple n'est que plus avancée, puisque les mesures de la métropole doivent contribuer à faire poursuivre avec plus d'activité que jamais cette lutte dont l'issue sera le succès des principes américains... Des protestations nouvelles, énergiques et telles qu'on ne puisse les méprendre, nous paraissent nécessaires et urgentes. La force d'inertie pour refuser toute coopération à un gouvernement qui ne veut pas respecter les principes constitutionnels et les droits inhérens d'un peuple, mais qui au contraire les rejette et les foule aux pieds; les nombreux moyens qui sont à la disposition de nos compatriotes pour tarir la source des revenus qu'on approprie sans le contrôle de la représentation du pays, ne peuvent nous être ôtés même par une loi du parlement impérial, et sont quelques unes des armes puissantes que les Canadiens ont en leurs mains et dont ils sauront se servir pour assurer leurs droits, ceux de leurs descendans et des autres colons dans quelque partie du globe qu'ils habitent.» «Un parlement étranger, s'écriait à son tour le _Vindicator_, dans lequel le peuple de cette province n'est pas, ne peut-être représenté, est décidé à disposer de nos deniers sans le consentement et contre la volonté de ceux qui en ont l'appropriation de droit; il a résolu de faire de cette province une autre Irlande.» «Qu'allons-nous faire, disait à Québec le _Canadien_, qui soutenait la minorité de la chambre avec le _Populaire_, nouveau journal établi à Montréal et rédigé par un français arrivé à point dans le pays pour soutenir le gouvernement. Allons-nous avec les débris du naufrage, essayer de nous remettre en mer et poursuivre notre route; ou bien allons-nous renoncer à notre destination en appelant la providence à notre aide, allons-nous rassembler un reste de vigueur pour tenter les hasards d'une nouvelle destinée?... Nous ne conseillons pas de prendre ce dernier parti.» Il sera encore temps d'en venir aux extrêmes lorsque nous aurons épuisé tous nos moyens de salut. Un peuple faible peut se résigner à un sort malheureux sans déshonneur; il y a une soumission honorable comme il y a une domination déshonorante.» Quant aux journaux de l'oligarchie, la persistance de l'assemblée dans le programme des 92 résolutions leur fournissait un prétexte d'exprimer sans réserve toute leur pensée; l'asservissement complet des Canadiens pouvait seul les satisfaire, et les deux Canadas devaient être réunis si cela était nécessaire pour noyer une bonne fois ce peuple français et catholique dans une majorité anglaise et protestante. Les partisans de M. Papineau ne se découragèrent pas devant l'attitude hostile du parlement impérial et de l'Angleterre. Les assemblées publiques continuaient dans les campagnes. Celle du comté de Richelieu recommanda la réunion d'une convention générale. Les Irlandais de Québec s'assemblèrent le 15 mai, pour se déclarer en faveur de la cause canadienne et approuver ce qu'avait dit O'Connell de ses compatriotes qui s'étaient ligués avec le parti anglais; c'est-à-dire qu'ils voulaient renouveler en Canada les malheurs de l'Irlande. Mais ces démonstrations ne pouvaient produire rien par elles-mêmes sur la volonté de l'Angleterre, et il y avait à craindre qu'une fois l'élan donné à l'agitation, on ne put l'arrêter lorsqu'il serait à propos de le faire. Les esprits s'échauffaient de plus en plus; si le _Populaire_ paraissait à Montréal pour les calmer, le _Libéral_ naissait à Québec pour les exciter aux mesures extrêmes. Il s'opérait un changement singulier chez plusieurs individus. Des torys devenaient tout à coup des hommes du parti le plus avancé comme si l'attente des troubles eut excité leur ambition, et s'ils n'avaient vu de chances de la satisfaire que dans le parti qui menaçait le pays d'une révolution, tandis que de chauds partisans de la chambre ne voyant pas d'issue se rapprochaient des hommes modérés. L'agitation qui commençait à devenir sérieuse dans beaucoup de comtés, finit par inquiéter le gouvernement, qui publia une proclamation dans le mois de juin, qu'on fit lire à la tête des milices, afin de mettre le peuple en garde contre les écrits et les discours propres à le séduire. Sans se laisser intimider par cet avertissement, M. Papineau entraîné par ses partisans descendit jusqu'à Kamouraska, accompagné de MM. Girouard, LaFontaine, Morin, et faisant des discours à l'Islet et à St.-Thomas où le Dr. Taché, partisan zélé, avait monté quelques têtes. A Missiskoui, à l'Assomption, à Lachenaie, à Deschambault, à l'Acadie, on protestait contre les mesures de la métropole, et le _Daily Express_ de New-York publiait une correspondance canadienne où l'on parlait d'un appel aux armes et faisait l'histoire de la révolution américaine. Un peu plus tard, on pendait le gouverneur en effigie, et des bandes d'hommes armés rôdaient dans le comté du lac des Deux-Montagnes et obligeaient la justice d'intervenir. Partout enfin on s'agitait pour appuyer ou les 92 résolutions ou le gouvernement, dont les amis s'assemblaient à leur tour pour lui promettre leur appui et s'opposer au parti du mouvement. Leurs assemblées à Québec et à Montréal furent très nombreuses, beaucoup de gens s'y étant ralliés parce qu'ils étaient convaincus qu'il était hors de question de lutter contre l'Angleterre, les colonies divisées comme elles l'étaient. Dans les Etats-Unis les journaux étaient bien partagés, et l'on pouvait être certain que le gouvernement de Washington n'interviendrait que quand la cause républicaine serait à peu près gagnée, c'est-à-dire pour enlever le prix de la victoire. C'est sur ces entrefaites qu'arriva la nouvelle que lord John Russell avait déclaré le 23 juin dans les communes, que comme il espérait que le Bas-Canada pèserait sérieusement les résolutions qu'elles avaient passées, il suspendrait le projet de loi auquel ces résolutions devaient servir de base, espérant qu'il verrait que ses demandes étaient incompatibles avec son état colonial; mais qu'il ne serait fait aucun changement organique à la constitution. C'était annoncer une nouvelle session à Québec. Lord Gosford répugnait, malgré son rapport avec les autres commissaires, aux mesures extrêmes; et quoiqu'il n'attendît aucun bien d'une dissolution, il espérait que les changemens qu'il suggérait de faire dans les deux conseils et que les ministres allaient finir par adopter, pourraient avoir un bon résultat. Il ne voulait pas croire non plus à des troubles sérieux, et il ne fit usage de l'ordre qu'il avait de faire venir des troupes du Nouveau-Brunswick que dans les derniers momens. Il pensait qu'il y avait beaucoup d'exagération dans les rapports des assemblées tenues par les partisans de M. Papineau; que les affaires pourraient marcher si les deux conseils étaient libéralisés, et que rien n'était plus erroné que de supposer que la masse des Canadiens-français fût déloyale; qu'il avait toutes les raisons de penser le contraire. Malgré les troubles qui arrivèrent cette appréciation était parfaitement juste. Le premier voeu des Canadiens était de conserver leurs usages et leur nationalité; ils ne pouvaient désirer l'annexion aux Etats-Unis parce que ç'aurait été sacrifier ces deux choses qui lui sont si chères; et c'est la conviction que l'Angleterre travaillait à les leur faire perdre qui entraîna la plupart de ceux qui prirent part ensuite à l'insurrection. Lord Gosford sentait si bien cela qu'il recommanda d'ajouter sept Canadiens au conseil législatif et neuf au conseil exécutif. Les chambres furent convoquées pour le 18 août. Lorsqu'elles s'assemblèrent, il leur dit qu'il voulait fournir une nouvelle occasion aux représentans du peuple de reconsidérer la marche qu'ils suivaient depuis quatre ans touchant les subsides, et de faire eux-mêmes les appropriations que la métropole ferait sans doute sans eux s'ils s'obtinaient dans leurs premières résolutions. Cette nouvelle tentative ne put ébranler la majorité des membres, qui vota une adresse dans laquelle elle protestait contre les recommandations contenues dans le rapport des commissaires. Cette adresse fut présentée au gouverneur le 26 août, et le parlement prorogé aussitôt après par une proclamation dont M. Papineau trouva une copie sur son siège à son retour dans la salle des séances. Ce résultat avait achevé de convaincre lord Gosford que le parti de ce chef voulait la république, et qu'il se servait de l'animosité créée chez les Canadiens par les attaques violentes et injustifiables de la minorité pour maintenir son influence.[32] [Note 32: Dépêche de lord Gosford à lord Glenelg du 2 septembre 1837.] La brusque clôture des travaux législatifs n'était pas de nature à calmer les esprits. Dans le district de Montréal surtout le peuple était en plusieurs endroits entraîné par les agitateurs. Les assemblées, les discours se succédaient sans cesse dans les villes et dans les campagnes. Le gouvernement se mit à sévir contre ceux qui prenaient part à ces procédés, et destitua en grand nombre, les magistrats et les officiers de milice. M. Papineau qui avait répondu avec hauteur au secrétaire du gouverneur qui lui demandait s'il avait pris part à l'assemblée de St.-Laurent, était du nombre. Mais cela ne faisait guère que fournir des armes aux partisans du mouvement. Les jeunes gens surtout étaient emportés. Les associations politiques étendaient leurs ramifications parmi les ouvriers pour les exciter à appuyer la majorité de la chambre. On faisait les plus grands efforts pour soulever partout le peuple, mais on excitait plutôt la curiosité du grand nombre que les passions. Loin des villes, loin de la population anglaise et du gouvernement, il vit tranquille comme s'il était au milieu de la France, et ne sent que très rarement les blessures du joug étranger. La peinture qu'on lui faisait des injustices et de l'oppression du vainqueur n'excitait que bien lentement les passions de son âme et ne laissait aucune impression durable. D'ailleurs il n'avait pas une confiance entière dans tous les hommes qui s'adressaient à lui. Il en avait vu tant accuser le gouvernement d'abus et de tyrannie et accepter les premières faveurs qu'il leur offrait, qu'il était toujours prêt à soupçonner leurs motifs et leur bonne foi, et à se mettre en garde contre leur désertion. Cependant sur quelques points il commençait à oublier sa prudence. Le comté des Deux-Montagnes était déjà fort agité depuis quelque temps. A St.-Denis et en plusieurs autres endroits on fêta les officiers de milice et les magistrats destitués; on forma des associations secrètes, et l'on commença à parler de résistance ouverte. Déjà une association de jeunes gens s'était formée à Montréal sous le nom de Fils de la liberté; elle publia un manifeste menaçant pendant que l'association constitutionnelle anglaise en publiait un dans un sens contraire. Ces associations avaient leurs agens dans les campagnes. A Québec quelques jeunes gens, avocats, notaires et autres, après avoir vainement essayé de former une organisation semblable à celle des Fils de la liberté, reçurent un envoyé secret du district de Montréal, qui les informa qu'on allait prendre les armes, et qui les détermina à en faire autant. Un d'eux, M. Cazeau, homme facile à exciter et qui acheva de se ruiner dans ces troubles, comptant sur les ouvriers de St.-Roch, prépara quelques balles qu'on eut beaucoup de peine à cacher à la police, lorsque plus tard elle fit une descente chez lui. Ce club secret avait pris M. Morin pour chef. Mais ses idées ne faisaient pas grand progrès. M. Morin s'en plaignait à ses amis de comité central des Deux-Montagnes. Il leur écrivait le 25 octobre, pour les remercier de la manière dont ils appréciaient ses efforts pour le soutien des libertés populaires et de la cause canadienne: «Ces efforts ainsi que les vôtres, auraient déjà été couronnés de succès sans l'influence que les meneurs, l'intrigue, l'ignorance et la corruption ont exercée sur ceux qui avaient une prédisposition ou qui étaient les plus exposés... Avec de la constance et du courage nous détruirons un mal éphémère, nous démasquerons l'avilissement et la corruption de nos ennemis et de quelques ci-devant prétendus amis.» M. Morin, malgré ce langage, était un homme doux, poli, d'un goût simple et studieux, ayant plutôt la suavité de manière d'un ecclésiastique, que l'ardeur emportée d'un conspirateur. On ne pouvait le charger d'un rôle qui fût plus contraire à son caractère. Ce qui faisait dire au _Canadien_; «Ce fut pour lui un jour bien malheureux que celui où il se posa chef de parti dans ce district. Tant qu'il n'eut qu'à agir sous la direction immédiate de volontés supérieures, plus habituées que lui au commandement, il vit s'accroître sa réputation d'homme habile; mais depuis il n'a fait que jouer de malheur, et prouver que s'il a les talents de l'exécution, il n'a pas encore acquis ceux de la direction.» A St.-Denis, à St.-Charles, à St.-Eustache, à Berthier, à l'Acadie, on fit les mêmes préparatifs, malgré l'apathie de la masse de la population, qui n'était nullement disposée à prendre les armes pour renverser le gouvernement de vive force. Les têtes exaltées de Montréal résolurent de s'adresser au congrès des Etats-Unis pour demander le commerce libre. Petit à petit l'on augmentait ainsi de hardiesse jusqu'à ce que l'on commençât à inquiéter les hommes paisibles, qui mirent devoir faire des démonstrations en sens contraire. Le colonel de Hertel, qui commandait un bataillon de milice de 1500 hommes dans le comté des Deux-Montagnes même, ce centre d'agitation, écrivait au gouvernement que ses soldats étaient pleins de loyauté et prêts à obéir à ses ordres au premier appel qui serait fait. Mais le grand nombre ne voyant pas de danger réel, désirait laisser le gouvernement se retirer comme il pourrait de ces difficultés. Car c'eut lui qui en était la cause en voulant maintenir un ordre de chose plein d'injustices et de distinctions nationales. Mais lorsqu'ils virent le danger devenir réel et la résistance ouverte à St.-Denis et à St-Charles, ils sortirent de leur neutralité pour appuyer le gouvernement, et les Canadiens à Québec, à Montréal, à Berthier, à la Rivière-Ouelle, à Kamouraska, à Lotbinière, à Portneuf, à Champlain, aux Trois-Rivières et dans presque tous les comtés du pays lui présentèrent des adresses et se rallièrent à lui. Jusque-là, la plupart des gens de la campagne surtout pensaient que l'agitation à Montréal finirait par s'apaiser. Mais loin de là, elle commençait à dégénérer en scènes de troubles inconnues jusqu'ici dans le pays. On donna des charivaris à quelques hommes impopulaires; on fit des menaces en differens endroits, qui fournirent un prétexte de donner des armes aux hommes fiables afin d'assurer le maintien de l'ordre, sans que ces précautions empêchassent les membres de la chambre de tenir à St.-Charles, le 23 octobre, une grande assemblée des habitans des comtés de Richelieu, St.-Hyacinthe, Rouville, Chambly et Verchères, auxquels se joignit le comté de l'Acadie et qui prirent le nom de confédération des six comtés. Il y avait une centaine miliciens sous les armes commandés par des officiers destitués. On y voyait une foule de drapeaux avec diverses inscriptions. «Vive Papineau et le système électif». «Honneur à ceux qui ont renvoyé leurs commissions ou ont été destitués». «Honte à leurs successeurs». «Nos amis du Haut-Canada». «Honneur aux braves de 1813; le pays attend encore leur secours». «Indépendance.» Le conseil législatif était représenté par une tête de mort et des os en croix. Le Dr. Nelson, de St.-Denis, fut appelé au fauteuil. Il y assistait une douzaine de membres de la chambre. MM. Papineau, Nelson, L. M. Viger, Lacoste, Côté, T. S. Brown et Girod prirent la parole. On y fit une espèce de déclaration des droits de l'homme. M. Papineau qui commençait à s'apercevoir qu'om allait plus loin qu'il était prudent de le faire, prononça un discours qui mécontenta les esprits les plus ardens. M. Chasseur qui y assistait, s'en revint à Québec tout désappointé de la timidité du chef canadien. Il recommanda du s'abstenir de prendre les armes. La seule résistance constitutionnelle et le meilleur moyen de combattre l'Angleterre, c'était de ne rien acheter d'elle,[33] opinion qui déplut au Dr. Nelson, qui s'avança et déclara que le temps d'agir était venu. Les résolutions qu'on passa servirent de base à un appel au peuple, qu'on répandit avec profusion et qui engagea l'évêque de Montréal, M. Lartigue, à lui adresser un mandement pour le mettre en garde contre ces conseils, dans lequel il recommandait, suivant la doctrine catholique, l'obéissance au pouvoir établi. «Depuis longtemps mes très chers frères, nous n'attendons parler que d'agitation, de révolte même, dans un pays toujours renommé jusqu'à présent par sa loyauté, son esprit de paix et son amour pour la religion de ses pères. On voit partout les frères s'élever contre leurs frères, les amis contre leurs amis, les citoyens contre leurs concitoyens; et la discorde, d'un bout à l'autre de ce diocèse, semble avoir brisé les liens de la charité qui unissaient entre eux les membres d'un même corps, les enfants d'une même église, du catholicisme qui est une religion d'unité. [Note 33: Le Dr. O'Callaghan m'écrivait d'Albany, le 17 juillet 1852, «If you are to blame the movement, blame then those who plotted and contrived it and who are to be held in history reaponsible for it. We, my friend, were the victims, not the couspirators, and were I on my death bed I could declare before heaven that I have no more idea of a movement or resistance when I left Montréal and went to the Richelieu river with M. Papineau, than I have now of being bishop of Québec, And I also know that M. Papineau and I secreted ourselves for some time in a farmers home in the parish of St.-Marc, lest our presence might alarm that country and be made a pretext for rashness... I saw as clearly as I now see the country was not prepared.»] «Encore une fois, nous ne vous donnerons pas notre sentiment, comme citoyen, sur cette question purement politique qui a droit ou tort entre les diverses branches du pouvoir souverain; (ce sont de ces choses que Dieu a laissées aux disputes des hommes:) mais la question morale, savoir quels sont les devoirs d'un catholique à l'égard de la puissance civile établie et constituée dans chaque état, cette question religieuse, dis-je, est de notre ressort et de notre compétence... «Ne vous laissez donc pas séduire si quelqu'un voulait vous engager à la rébellion contre le gouvernement établi, sous prétexte que vous faites partie du peuple souverain: la trop fameuse convention nationale de France, quoique forcée d'admettre la souveraineté du peuple puisqu'elle lui devait non existence, eut bien soin de condamner elle même les insurrections populaires, en insérant dans la déclaration des droits en tête de la constitution de 1795, que la souveraineté réside, non dans une partie, ni même dans la majorité du peuple, mais dans l'universalité des citoyens... Or qui oserait dire que, dans ce pays, la totalité des citoyens veut la destruction de son gouvernement...» Ce mandement eut un grand retentissement. Dans le même Temps, le _Canadien_ renouvelait ses instantes représentations sur l'absolu nécessité de se prononcer hautement contre le parti du mouvement et de la résistance, au nom de notre honneur national et de nos libertés menacées; et le clergé catholique de Montréal se mettait en rapport avec celui de Québec pour solliciter l'appui de l'exécutif dans une requête aux autorités impériales, qui aurait pour but d'obtenir le plutôt possible en faveur du peuple canadien tout ce qu'il pouvait attendre de réforme, afin d'apaiser les troubles et l'agitation. L'exécutif prenait aussi des mesures pour faire cesser cette agitation et faire respecter la loi partout. Pour donner main forte aux troupes, il arma une partie de la population anglaise de Montréal. Il organisa des corps de cavalerie, d'artillerie et d'infanterie. Il fit la même chose, à Québec en excluant soigneusement, comme à Montréal, les Canadiens quelque fussent leurs principes et malgré les offres de service d'un grand nombre de leurs notables. Il arma presque toute la population irlandaise, dont une grande partie faisait cause commune peu de temps auparavant avec les libéraux les plus exaltés, mobilité qui peut expliquer une partie des maux de l'Irlande. Six cents volontaires furent armés en quelques jours. Il manda enfin des troupes du Nouveau-Brunswick. Cependant l'excitation était trop grande dans plusieurs localités pour s'apaiser tout à coup, et se terminer sans effusion de sang si les deux partis venaient en présence. Déjà il y avait eu des troubles sérieux à Montréal. Le 7 novembre, les Fils de la liberté et les constitutionnels, ou les membres du Dorie Club comme se nommèrent les Anglais, en vinrent aux mains avec des succès divers. La maison de M. Papineau et celle du Dr. Robertson, entre autres, furent attaquées et les presses du _Vindicator_ saccagées. Les troupes furent appelées sous les armes et paradèrent dans les rues avec de l'artillerie. Un grand nombre de mandats d'arrestation furent lancés contre les chefs canadiens dans les différentes localités, dont vingt-six pour haute trahison. M. Papineau, le Dr. O'Callaghan, le Dr. Nelson étaient dans cette dernière catégorie. A Québec comme à Montréal les arrestations se firent sans difficultés. M. Morin fut du nombre; mais dans les campagnes de Montréal on résolut d'opposer de la résistance, et les officiers de la justice furent mis en fuite. Alors on les fit accompagner par des corps de troupes qui furent repoussés en plusieurs endroits, mais qui triomphèrent à la fin. Entre Chambly et Longueuil, un détachement de cavalerie fut jeté en déroute et quelques prisonniers qu'il emmenait furent élargis. Un corps de troupes commandé par le colonel Gore et composé de cinq compagnies, de soldats, d'une pièce de canon et d'un détachement de cavalerie, parti de Sorel se dirigeant sur St.-Charles, fut arrêté à St.-Denis le 22 novembre, par le Dr. Nelson, qui s'était retranché dans une grande maison de pierre. Au bruit du tocsin 800 hommes se trouvèrent réunis sous les ordres de ce chef intrépide, mais presque tous sans armes et sans munitions. On n'avait qu'environ 120 fusils bons et mauvais. On s'était muni de lances, de fourches ou de bâtons. Une partie resta pour combattre et les autres s'éloignèrent. Le succès était si incertain, que le Dr. Nelson engagea M. Papineau qui se trouvait là avec le Dr. O'Callaghan dans le moment, à se retirer pour ne pas compromettre sa vie, et par là même la cause dont il était le chef. «Ce n'est pas ici, lui dit-il, que vous serez le plus utile; nous aurons besoin de vous plus tard.» Ainsi M. Papineau qui était opposé à la prise des armes à l'assemblée des six comtés, était déjà entraîné par le torrent, et sans faire de résistance se laissait promener au milieu des insurgés pour les encourager par sa présence, sans qu'on lui permît cependant d'exposer comme les autres, sa vie au feu, malgré les reproches sévères, observa-t-il lui-même au Dr. Nelson, qu'on pourrait lui faire plus tard s'il s'éloignait dans un pareil moment.[34] [Note 34: Papineau et Nelson: Blanc et Noir. Pamphlet avec affidavits publié Montréal par les presses de l'_Avenir_ en 1818.] Les troupes en arrivant s'emparèrent des maisons voisines et se préparèrent au combat. Après avoir pris leur position, elles ouvrirent un feu d'artillerie et de mousqueterie qu'elles continuèrent pendant quelque temps. Voyant son peu d'effet, le colonel Gore ordonna au capitaine Markham de donner l'assaut à une distillerie défendue par une quinzaine de Canadiens, qui l'incommodaient beaucoup tout en protégeant les insurgés; mais après des efforts inutiles, l'attaque dut être abandonnée. Le capitaine Markham y fut grièvement blessé. Vers 2 heures, les insurgés reçurent un secours qui porta le nombre des fusils à 200 environ. Alors ils résolurent sur quelques points de prendre l'offensive, et ils réussirent à déloger et à mettre en fuite un corps de troupes qui s'était embusqué derrière une grange. Enfin après six heures de combat, les troupes furent partout obligées d'abandonner la victoire aux rebelles, qui les poursuivirent quelque temps, s'emparèrent de leur canon, de quelques blessés et d'une partie de leurs voitures et de leurs munitions. M. Ovide Perrault, membre de la chambre, fut mortellement blessé par un boulet de canon, dans le moment même qu'un autre renversait cinq hommes et jetait quelque confusion dans les rangs des Canadiens. En même temps que ce combat avait lieu, un autre corps de troupes fort de 330 hommes, 2 pièces de canon et quelques cavaliers, commandé par le colonel Wetherall, venant de Chambly, et qui devait opérer sa jonction avec celui du colonel Gore, pour attaquer réunis les insurgés à St.-Charles, où on les disait en force et retranchés, s'avançait lentement parce que les ponts sur les rivières avaient été coupés. Quoiqu'il n'eût pas trouvé le colonel Gore au lieu indiqué, il continua sa route recevant quelques coups de fusils sur plusieurs points en arrivant à St.-Charles; il atteignit les retranchemens des insurgés, le 25 novembre. Ces retranchemens formés d'arbres renversés, recouverts en terre appuyés sur la maison de M. Debartzch, qu'on avait crénelée et percée de meurtrières, formaient un parallélogramme entre la rivière et le pied d'une petite colline qui le dominait par derrière. Il était défendu par plusieurs centaines d'hommes, la plupart toujours sans armes, commandés par M. T. S. Brown, qui prit la fuite avant l'attaque. Les insurgés avaient pour toute artillerie deux pièces de canon dont ils tirèrent un coup ou deux. Le colonel Wetherall prit possession de la colline, plaça son artillerie dans les positions les plus favorables, et enveloppa le camp de ses troupes, de manière à ne laisser aucune issue aux insurgés pour échapper que la rivière. Après avoir fait ses dispositions, il donna l'ordre de l'attaque. Les rebelles répondirent avec vigueur au feu des troupes; et en jetant quelques hommes parmi des arbres qui étaient à droite, ils obligèrent le colonel Wetherall de faire appuyer les grenadiers qui étaient sur ce point par une autre compagnie. Le feu de mousqueterie durait environ depuis une heure lorsque l'artillerie ayant renversé les fragiles retranchemens qui couvraient les rebelles, et semé la confusion dans leurs rangs, ce commandant fit charger son infanterie à la bayonnette. Elle s'empara dit camp d'emblée, et massacra un grand nombre d'insurgés qui osaient se défendre encore. On ne fit qu'une trentaine de prisonniers. Le nombre des tués dépassa 100, celui des blessés fut considérable. Après cette victoire tout fut brûlé dans le camp excepté la maison de M. Debartzch, et les insurgés qui avaient pu se sauver s'étant dispersés, Wetherall retourna à Montréal par Chambly et St.-Jean, dispersant encore à la Pointe-Olivier un rassemblement qui voulut intercepter son retour. A la suite de ces deux combats, le district de Montréal fut mis sous la loi martiale, tandis que le peuple commençant enfin à se remuer partout, s'assemblait dans les comtés, dans les villes et dans les paroisses, pour protester contre l'insurrection et assurer le gouvernement de sa fidélité. M. LaFontaine et M. Leslie s'apercevant maintenant comme bien d'autres qu'on s'était trop obstiné, descendirent à Québec pour prier lord Gosford de convoquer les chambres, afin de prendre les mesures nécessaires dans les circonstances; mais il était trop tard de toute façon puisque l'assemblée aurait paru comme vaincue et le gouvernement comme vainqueur. C'était aux chefs à prévoir ce résultat, et à ne pas se mettre dans le cas de subir toutes les conséquences d'une défaite sans avoir réellement combattu; car les petits chocs qui venaient d'avoir lieu n'étaient que le fruit d'une agitation locale prolongée au-delà des bornes raisonnables, mais insuffisante pour amener un soulèvement en masse et une véritable révolution. Lord Gosford refusa. Cependant l'insurrection était vaincue sur la rive droite du St,-Laurent. Un dernier parti venant des Etats-Unis avait été pris ou dispersé à _Four Corners_, sur l'extrême frontière près du lac Champlain. Il ne restait plus qu'un point à soumettre sur la rive gauche, St.-Eustache. Depuis quelques jours il y avait beaucoup d'agitation dans le comté des Deux-Montagnes. On y avait fait des tentatives inutiles de soulèvement. Le Dr. Chénier et Armury Girod, Suisse depuis quelques années en Canada, en étaient les principaux chefs. Ils s'emparèrent des fusils et d'une pièce de canon qu'il y avait au village des Sauvages puis marchèrent avec leurs hommes sur St.-Eustache, où ils prirent le couvent de force et s'y retranchèrent. Le curé, M. Faquin, M. Scott, membre de la chambre, M. Emery Feré, voulurent vainement les persuader d'abandonner leur entreprise; leurs discours n'eurent d'influence que sur leurs suivans, auxquels M. Desèves, vicaire de St.-Eustache, lut une proclamation qu'avait publiée sir John Colborne. Vaincus par leur conseil, ils abandonnèrent tous le camp et s'en retournèrent chez eux, ne laissant qu'un jeune homme au couvent. D'autres, cependant, venant du Grand-Brûlé et d'ailleurs les remplacèrent, et pendant plusieurs jours il y eut de quatre à quinze cents hommes vivant à discrétion dans le village, mais presque tous sans armes. C'est sur ces entrefaites qu'arriva la nouvelle de l'affaire de St.-Charles et de la dispersion des rebelles dans le sud. Croyant cette occasion favorable, M. Paquin invita le Dr. Chénier au presbytère et le pressa de nouveau de renoncer à ses dangereux projets. Tous ceux qui étaient présens, ecclésiastiques et séculiers, se joignirent à lui pour lui faire les mêmes instances en lui mettant sous les yeux toute l'inutilité de son entreprise et toutes les conséquences funestes qui devaient en résulter; mais ce fut en vain. Chénier prétendit que les nouvelles de St.-Charles étaient fausses; qu'il venait d'apprendre par un courrier que les patriotes étaient vainqueurs dans le sud, et il ajouta que pour lui sa résolution était inébranlable, qu'il était déterminé à mourir les armes à la main. Malgré son opiniâtreté cependant on s'aperçut qu'il ne pouvait surmonter une profonde émotion, et que de temps en temps de grosses larmes s'échappaient de ses yeux et coulaient sur son visage malgré ses efforts pour les retenir. N'ayant pu le dissuader de son dessein, le bon curé se vit obligé de s'éloigner et d'abandonner sa maison et l'église aux rebelles. Beaucoup de familles étaient déjà parties ou partaient à tout instant pour Montréal ou pour les paroisses voisines. Le bruit s'était répandu plusieurs fois que les troupes paraissaient, et ceux qui étaient bien informés savaient que les insurgés n'étaient pas assez nombreux pour résister aux forces qu'ils allaient avoir sur les bras. En effet sir John Colborne arrivait avec deux mille hommes huit pièces de canon et une pièce à rockets. A l'aspect de cette colonne d'autant plus imposante qu'elle couvrait avec ses bagages plus de deux milles de chemin, le plus grand nombre de ceux qui composaient l'attroupement alors réuni et qui pouvait s'élever à 5 ou 600 hommes, voyant qu'ils s'étaient trompés, s'esquivèrent et laissèrent Chénier avec environ 200 à 250 hommes seulement, qui se placèrent dans l'église, dans le couvent dans le presbytère et dans les maisons voisines. Plusieurs n'avaient pas d'armes, ce dont ils se plaignirent à leur chef, qui leur répondit froidement: «Soyez tranquilles, il y en aura de tué et vous prendrez leurs fusils.» Les troupes cernèrent complètement le village en arrivant, et leur artillerie ouvrit son feu. Les insurgés y répondirent bravement tant qu'ils eurent des munitions, et obligèrent même une batterie à reculer. Après une canonnade de deux heures, les volontaires du capitaine Leclerc, le 32e régiment et les royaux s'approchèrent et ouvrirent un feu terrible, qui durait depuis quelque temps lorsque l'ordre vint de donner l'assaut. L'incendie se déclarait dans le même temps dans les édifices occupés par les rebelles. La fusillade et les flammes les obligèrent de tout abandonner, excepté l'église qui fut bientôt cornée à son tour par les troupes et par l'incendie qui approchait. Chénier voulut en vain s'y défendre encore, les flammes marchant comme un torrent, l'obligèrent d'en sortir. Il réunit alors quelques-uns de ses gens, sauta avec eux par les fenêtres et chercha à se faire jour au milieu des assaillans; mais atteint par une balle dans le cimetière, il tomba et expira presqu'immédiatement. Ce ne fut plus alors qu'une scène de carnage. On ne fit de quartier à personne, et le reste du village fut abandonné au pillage et aux flammes. Lorsqu'on les enterra, on trouva sur plusieurs des tués des balles de pierre dont ils se servaient pour tirer en guise de balles de plomb. Girod qui avait pris la fuite avant le combat, se voyant sur le point d'être pris quelques jours après par des hommes envoyés après lui, se tua d'un coup de pistolet.[35] [Note 35: Journal historique des événemens arrivés à St.-Eustache pendant la rébellion du comté des Deux-Montagnes, par un témoin oculaire. Publié dans l'_Ami du Peuple_ et le _Canadien_, en 1838.] Le combat de St.-Eustache fut le dernier livré à l'insurrection. Les troupes marchèrent alors sur St.-Benoît, qui ne fit aucune résistance, mais qui subit le sort de St.-Eustache et de St.-Denis, où on avait renvoyé une nouvelle expédition de 1100 hommes, qui malgré la soumission des habitans n'en détruisit pas moins le village pour venger la défaite du 22. L'insurrection était maintenant abattue. Les chefs étaient eu fuite ou prisonniers. M. Papineau qui s'était montré aux insurgés avant les affaires de St.-Charles et de St.-Eustache comme avant celle de St.-Denis, parvenait aux Etats-Unis avec plusieurs autres personnes compromises. Les journaux de leur parti étaient saisis ou muets, et le peuple partout soumis à l'autorité, qui continuait à recevoir de toutes parts des adresses propres à la rassurer. Le clergé fit entendre de nouveau sa voix sur les ruines qu'avait faites la tempête qui venait de passer. Les évêques de Québec et de Montréal publièrent de nouveaux mandemens, annonçant des prières en actions de grâces pour remercier Dieu du rétablissement de la paix. «Quelle misère, quelle désolation s'est répandue dans plusieurs de vos campagnes, disait l'évêque de Montréal, depuis que le fléau de la guerre civile a ravagé cet heureux et beau pays, où régnaient l'abondance et la joie avec l'ordre et la sûreté, avant que des brigands et des rebelles eussent à force de sophismes et de mensonges, égaré une partie de la population de notre diocèse! Que vous reste-t-il de leurs belles promesses...? Est-ce le voeu de la majorité du pays, qui néanmoins selon leurs principes doit régler tout dans un état? Est-ce cette volonté générale qui a dirigé les opérations militaires des insurgés? Vous trouviez-vous libres, lorsqu'on vous menaçant de toutes sortes de vexations, de l'incendie et de la perte de tous vos biens, de la mort même, si vous ne vous soumettiez à leur effrayant despotisme, ils forçaient plus de la moitié du petit nombre qui a pris les armes contre notre auguste souveraine à marcher contre ses armées victorieuses?» «De notre côté, ajoutait l'évêque de Québec, pendant les désastres dont quelques parties de cette province ont été le théâtre, nous avons à l'exemple de Moïse, conjuré le Seigneur de ne point perdre son peuple et son héritage; et aujourd'hui nous avons, ainsi que vous, le bonheur de voir que ce Dieu de bonté a écouté favorablement nos humbles prières.» Mais si le calme se rétablissait dans le Bas-Canada, le Haut était menacé à son tour de la révolte. M. W. L. MacKenzie avait levé l'étendard de l'insurrection à Navy-Island à deux milles au-dessus de la chute de Niagara, où il s'était réfugié avec un corps de mécontens et d'Américains. Dans le district de Londres quelques rebelles erraient çà et là; ils ne purent tenir cependant longtemps la campagne; un parti fut mis en déroute dans ce district même; un autre fut défait à Amherstburgh, et M. MacKenzie lui-même fut obligé plus tard d'évacuer son île après avoir subi un bombardement de plusieurs jours; de sorte que bientôt la paix se trouva rétablie dans le Haut comme dans le Bas-Canada. Il rôda bien encore il est vrai une partie de l'hiver des bandes d'Américains et de rebelles sur les frontières des deux provinces sous les ordres de MacKenzie, du Dr. Robert Nelson et autres; mais dans l'intérieur elles restèrent tranquilles, et chaque fois que ces bandes voulurent les envahir, elles furent repoussées jusqu'à ce que le gouvernement des Etats-Unis intervint et fît cesser ces déprédations en réunissant des forces suffisantes sous les ordres des généraux Scott et Brady, pour faire observer les lois de la neutralité partout. Ailleurs, dans le Nouveau-Brunswick, dans la Nouvelle-Ecosse, tout était tranquille. A la première nouvelle des troubles du Canada, le peuple s'était assemblé et avait rassuré le pouvoir. L'un des chefs du parti libéral de la Nouvelle-Ecosse, M. Howe, écrivait: «Quoique je n'éprouve aucune sympathie pour la faction officielle du Bas-Canada, et que je haïsse et méprise aussi fortement que vous, les hommes et les mesures qui dans toutes les provinces de l'Amérique Septentrionale, ont excité de l'opposition et des plaintes,... je partage jusqu'à un certain point depuis quelque temps les soupçons qui règnent, je vous l'assure, très généralement dans les colonies d'en bas, que votre parti est déterminé à précipiter à tout hasard une lutte avec la mère-patrie... Le langage des derniers numéros du _Vindicator_ ne laisse plus lieu à douter sur ce point. «Prenant donc pour établi qu'une rupture soudaine et violente du lien qui nous unit à la Grande-Bretagne est désirée par le parti Papineau en Canada, ou par une grande portion de ce parti, je puis dire avec assurance qu'au moins les sentimens des sept-huitièmes de la population des provinces d'en bas sont opposés à un pareil mouvement...» Qu'allait-il maintenant résulter de ces événemens dus à un système de gouvernement qui n'était plus en harmonie avec les idées et les progrès du pays? Car si la grande majorité du peuple était restée étrangère à cette tentative de révolution, le gouvernement dans les deux Canadas n'en avait pas moins besoin de réformes. Il ne suffisait pas d'avoir abattu la révolte, il fallait prendre des mesures pour en prévenir le retour. Malheureusement ce sont ceux qui avait le plus de droit de se plaindre qui allaient être punis, et dès ce moment l'on peut dire que l'union des deux Canadas fut fait. Déjà avant les troubles, la reine en ouvrant le parlement le 20 novembre, avait appelé l'attention des chambres sur nos affaires. M. Hume et M. Leader avaient interpellé les ministres pour leur demander quelle marche ils allaient suivre maintenant que leurs mesures avaient poussé un peuple moral, tranquille et religieux sur le bord même d'une révolution, et que le Haut-Canada faisait cause commune avec le Bas? Lord John Russell avait défendu sa conduite tout en refusant de dire ce qu'il allait faire. Il annonça qu'on avait accepté la résignation de lord Gosford, qui demandait son rappel depuis quelque temps, et que sir John Colborne, allait le remplacer temporairement. Lorsque la nouvelle des troubles arriva, quelques marchands en relation avec les nôtres, se présentèrent au bureau colonial avec M. Gould à leur tête et reçurent de lord Glenelg l'assurance que les sujets fidèles seraient protégés, et les rebelles soumis par la force des armes. Déjà les Anglais à Québec, et surtout à Montréal, s'agitaient pour demander l'union des deux Canadas. C'était l'attente de cette mesure que les ministres voyaient toujours comme inévitable dans un avenir plus ou moins éloigné, qui les avait empêchés de faire des concessions réelles au Bas-Canada. Ils ne voulaient pas laisser trop grandir cette nationalité française qui offusquait leurs préjugés, et aux bruits qui transpiraient de temps à autre, on pouvait croire que dès que le parti anglais ne pourrait plus tenir tête au parti canadien, tout appuyé qu'il était de la métropole, et que la population du Haut-Canada serait assez considérable, on réunirait les deux provinces pour mettre fin une bonne fois à la querelle de race. Lord Gosford partit de Québec à la fin de février 1838, pour l'Europe, par la voie des Etats-Unis. Le gouverneur du Haut-Canada, sir Francis Bond Head, qui avait demandé aussi son rappel, le suivit peu de temps après. Plusieurs journaux d'Angleterre blâmaient la conduite de leur ministère au sujet de nos affaires; mais il n'y avait aucun doute que la grande majorité de la nation et des chambres le soutiendrait dans tout ce qu'il voudrait entreprendre au préjudice des Canadiens-français, pour lesquels il y avait peu d'intérêt ou de sympathie. Les sentimens du Nouveau-Brunswick leur étaient aussi très hostiles comme les débats qui eurent lieu dans leur chambre le prouvèrent. Cette province était prête à soutenir la métropole, pour renverser tous leurs arrangemens sociaux. C'est une nouvelle conquête des Canadiens qu'il faut faire, s'écriait un de ces membres influens, M. Wilmot, inspiré par la gazette de Montréal. Dans le Haut-Canada, où la question de l'union avait été amenée devant les chambres, la branche représentative n'en voulait qu'à la condition que la prépondérance fût assurée aux Anglais, et que les lois et la langue française fussent abolies dans la législature et les tribunaux. Tels étaient partout les sentimens à notre égard. Tel fut aussi le résultat du mouvement de 37, dont celui de l'année suivante bien moins sérieux, ne fut que le contre coup. Ce mouvement fut prématuré et inattendu. Le peuple dans aucune partie du pays n'y était préparé. Il n'y avait que les hommes les plus engagés dans la politique, les journalistes, les partisans souvent courant alternativement d'un camp à l'autre, qui ne voyaient qu'une révolution capable de porter remède aux abus qui existaient ou de satisfaire leurs vues personnelles. Ils s'excitèrent réciproquement les uns les autres: ils se montèrent l'imagination; ils ne virent plus les choses sous leur véritable jour. Tout prit à leurs yeux une grandeur ou une petitesse exagérée. Leurs sentiment changèrent. Bientôt ceux que l'intérêt personnel seulement animait, se crurent patriotes à force de se proclamer tels, et de se mêler avec ceux qui l'étaient réellement. Mais le temps devait faire connaître les uns et les autres, car il n'y a que les hommes sincères qui subissent la conséquence de leur entraînement avec l'indépendance qui seuls donne de la noblesse à une cause. CHAPITRE III. UNION DES DEUX CANADAS. 1838-1840. Effet des troubles de 1837 en Angleterre, en France et dans les Etats-Unis.--Mesures du parlement impérial.--Débat, dans les deux chambres.--Suspension de la constitution.--Lord Durham nommé gouverneur.--Son arrivée à Québec; train royal qn'il mène.--Sa proclamation au peuple.--Il organise son conseil.--Les accusés politiques sont amnistiés ou éloignés temporairement.--M. Wakefield député secrètement vers M. Papineau, et quelques autres chefs.--Attitude des partis--Lord Durham dans le Haut-Canada.--Il y rallie la majorité à son plan d'union.--Réunion des gouverneurs des provinces du golfe à Québec--L'ordonnance d'amnistie qui exile quelques accusés à la Bermude, est désavouée en Angleterre--Lord Durham résigne son gouvernement.--Adresses qu'il reçoit et réponses. Il s'embarque pour l'Europe.--Sir John Colborne lui succède.--Une nouvelle insurrection s'organise dans la Rivière Chambly et est abandonnée.--Colborne y marche avec 7 à 8000 hommes.--Il incendie le pays.--Arrestations nombreuses.--Procès des accusés.--89 sont condamnés à mort et 13 exécutés.--47 sont exilés.--Rapport de lord Durham.--Le bill d'union introduit dans le parlement impérial.--Il est ajourné à l'année suivante.--M. Poulett Thomson gouverneur.--Il arrive à Québec--Il monte dans le Haut-Canada et y convoque les chambres. Il leur fait agréer les conditions du bill d'union, qui est enfin passé malgré les pétitions du Bas-Canada, et l'opposition du duc de Wellington et de lord Gosford.--L'union proclamée en Canada.--Remarques générales.--Population et autres renseignemens statistiques du Bas-Canada, au temps de l'union. Conclusion. MAINTENANT Qu'allait-il advenir de cette résistance inattendue et aussitôt vaincue qu'offerte? Ce que le gouvernement désirait depuis si longtemps, une occasion de réunir les deux Canadas. Quoiqu'il eût échoué en 1822, l'adresse de sa politique avait enfin amené les choses au point où il voulait pour assurer un succès complet. La précipitation de M. Papineau avança sans doute le terme; mais le bureau colonial y tendait sans cesse, et pour un oeil clairvoyant, cette tendance devait amener ses fruits, c'est-à-dire un choc plus au moins tardif; car il est dans la nature des choses d'offrir de la résistance avant de cesser d'exister ou de changer de nature. C'est une loi morale comme une loi physique. Le mensonge ne remplace pas la vérité sans combat, et la lutte constitue en morale ce que l'on appelle la conscience. Malgré leur beau langage, les ministres n'étaient pas encore assez simples pour croire que l'on prendrait au pied de la lettre ce qu'ils disaient, et ils savaient bien que les Canadiens s'opposeraient au mal réel qu'on voulait leur faire sous des prétextes spécieux et le prestige des maximes libérales les plus avancées. Les troubles qui venaient d'avoir lieu dans un pays dont les annales avaient été jusque là pures de toute révolte, firent sensation non seulement en Angleterre, mais aux Etats-Unis et en France. En Angleterre aux premières nouvelles, on prit des mesures pour envoyer des renforts de troupes. Aux Etats-Unis, le gouvernement avait de la peine à retenir les citoyens qui se portaient par centaines sous les drapeaux de MacKenzie, et qui continuèrent tout l'hiver à inquiéter le Haut-Canada. En France où le Canada était si profondément oublié, on se demandait ce que c'était, et on se rappela en effet qu'on y avait eu des frères autrefois. On tourna les yeux vers nous, et un journal républicain parlait déjà de la formation d'une légion auxiliaire, pour venir à notre aide. La gazette de France plus grave, observait: «Là encore, nous retrouvons l'Irlande opprimée, soumise au joug arbitraire de la conquête, opprimée dans ses croyances, nominalement unie, mais séparée par une choquante inégalité politique... On a cru que la conquête pouvait faire des nationalités au gré d'une diplomatie sans entrailles, que la terre pouvait se diviser comme une pièce d'étoffe et les peuples se partager comme des troupeaux; parce que l'invasion et les combats ont livré un territoire et une population au vainqueur, celui-ci s'est cru en droit de se les approprier, de leur imposer ses lois, sa religion, ses usages, son langage; de refaire par la contrainte toute l'éducation, toute l'existence d'un peuple, et de le forcer jusque dans ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes, le sanctuaire inviolable de la conscience... De quoi s'agit-il en effet à Québec et à Montréal? Du vote de l'impôt, du droit commun, de la représentation de ces principes de nationalité que les émigrans français au nord de l'Amérique ont transportés avec eux, de même qu'Enée, selon la fable, emporta avec lui ses dieux, les moeurs d'Illion et ses pénates... «Et comme pour donner au monde une marque visible de la nature de ce mouvement et de son accord avec le principe de vérité, les deux hommes que l'on voit à la tête sont un Français, Papineau, et un Irlandais, O'Callaghan, tous deux catholiques, tous deux réclamant la liberté religieuse, la liberté politique, les institutions et les lois sous lesquelles les sociétés auxquelles ils appartiennent se sont formées et développées.» Si la révolte eût été sérieuse, le gouvernement des Etats-Unis eût été entraîné, et plus tard peut-être celui de France, ce qui aurait été plus que suffisant pour assurer l'indépendance des deux Canadas. Mais comme les troubles qui venaient d'éclater, était plutôt le fruit d'une lutte politique prolongée, qu'une détermination formelle de rompre avec l'Angleterre, les chefs du mouvement ne s'étaient laissés entraîner qu'à la fin, et encore dans l'adresse des six comtés, si on faisait des menaces on parlait aussi de redressement de griefs. Cela est si vrai, que nuls préparatifs n'avaient été faits pour une insurrection. On n'avait ramassé ni armes, ni munitions, ni argent, ni rien de ce qui est nécessaire à la guerre. A St.-Denis, comme à St.-Charles, les trois quarts des hommes n'avaient pas de fusils, et l'attaque vint des troupes chargées d'appuyer des officiers civils et non pas d'eux. Néanmoins comme cela était d'un dangereux exemple, il fallait sévir sur le champ, car en pareil cas une colonie qui se révolte devient comme une nation étrangère qui déclare la guerre. La métropole entière s'arme contre elle. Dès le jour de l'ouverture des chambres impériales 16, janvier, lord John Russell annonça les mesures qu'il entendait prendre au sujet du Canada, et fit passer une adresse pour assurer la reine que le parlement était prêt à l'appuyer dans la suppression des troubles qui venaient d'y éclater, et le lendemain il présenta un bill pour en suspendre la constitution. Ce bill suscita des débats qui se renouvelèrent dans les deux chambres pendant plusieurs jours; mais une partie de l'opposition n'avait saisi l'occasion que pour faire la guerre au ministère, et non pour défendre les intérêts des Canadiens-français. C'étaient des récriminations entre les torys et les whigs, entre sir Robert Peel et lord John Russell, lord Howick, etc. M. Roebuck fut entendu devant les deux chambres, comme agent du Canada, et fit un discouru de quatre heures, devant celle des communes. Mais son influence y était alors en baisse; et d'ailleurs sa conduite n'était pas toujours prudente. Ainsi il avait assisté à une assemblée tenue à Londres, sous la présidence de M. Hume, où après avoir déclaré que la possession du Canada n'était d'aucun avantage pour l'Angleterre, attendu qu'elle donnait un prétexte pour maintenir le monopole commercial, on invitait le peuple à s'assembler dans tout le royaume, pour pétitionner le parlement et engager les ministres à renoncer à leurs mesures contre cette colonie. Agiter une pareille question pour un pareil motif à l'époque d'un mouvement insurrectionnel, c'était paraître l'encourager et augmenter les soupçons contre les Canadiens. Néanmoins lord Brougham, lord Cienelg, le due de Wellington dans la chambre des lords; lord John Russell, M. Warburton, M. Hume, M. Leader, M. Stanley, dans celle des communes, blâmèrent la conduits des ministres et leur attribuèrent les événemens qui étaient arrivés. Lord Brougham surtout fit un long et magnifique discours, dans lequel il recommanda la clémence envers les insurgés, et justifia le droit de révolte; «Lorsqu'on blâme les Canadiens avec tant de véhémence, dit-il, qui leur a appris à se révolter, je le demande? Où, dans que; pays, de quel peuple ont-il pris la leçon? Vous vous récriez contre leur révolte, quoique vous ayez pris leur argent contre leur consentement, et anéanti les droits que vous vous faisiez un mérite de leur avoir accordés. Vous énumérez leurs autres avantages; ils ne payent pas de taxes; ils reçoivent des secours considérables de ce pays; ils jouissent de précieux avantages commerciaux que nous payons cher, et vous dites: toute la dispute vient de ce que nous avons pris vingt mille louis sans le consentement de leurs représentans! Vingt mille louis sans leur consentement! Certes, ce fut pour vingt shellings qu'Hempden résista, et acquis par sa résistance, un nom immortel, pour lequel les Plantagenets et les Guelphes auraient donné tout le sang qui coulaient dans leurs veines! Si résister à l'oppression, si s'élever contre un pouvoir usurpé et défendre ses libertés attaquées, est un crime, qui sont les plus grands criminels? Qui sont-ils, si ce n'est nous-même peuple anglais? C'est nous qui avons donné l'exemple à nos frères américains. Prenons garde dr les blâmer trop durement pour l'avoir suivi! «D'ailleurs vous punissez toute une province, parce qu'elle renferme quelques paroisses mécontentes; vous châtiez même ceux qui vous ont aidés à étouffer la révolte.» La minorité contre le bill des ministres dans les communes ne fut que de 7 ou 8, la moitié des membres étant absens. Cette opposition cependant fit restreindre les pouvoirs temporaires qu'on voulait donner au gouverneur et au conseil spécial auxquels on allait abandonner l'administration du Canada pendant la suspension de la constitution et la nouvelle enquête qu'on allait faire sur les lieux. Lord Durham qu'on avait choisi pour cette double mission, en homme adroit, pour disposer favorablement les Canadiens en sa faveur, fit un discours dans la chambre des lords dans lequel après avoir annoncé qu'il ferait respecter la suprématie de l'Angleterre jusque dans la chaumière la plus reculée, il ajoutait qu'il ne reconnaîtrait aucun parti, français, anglais ou canadien; qu'il les regarderait tous du même oeil, et qu'il désirait assurer à tous une égale justice et une égale protection. Dans ces débats les ministres cachèrent leur but secret avec le plus grand soin, et montrèrent jusqu'à la fin une adresse inconcevable, qui en imposa à beaucoup de gens. Lord John Russell déclara que la couronne userait de sa prérogative pour autoriser lord Durham à faire élire dix personnes dans le Bas-Canada, vu qu'il était presqu'impossible de réunir l'ancienne chambre, et un pareil nombre dans le Haut, s'il le jugeait à propos, pour lui servir de conseil sur les affaires de la colonie, afin que la nouvelle constitution qu'on pourrait adopter ne parût pas provenir uniquement de l'autorité des ministres et du gouverneur, mais de personnes versées dans les affaires de la colonie et qui y eussent des intérêts. Lord Howick fit un long discours surtout en réponse à sir Robert Peel, dans lequel il affecta fort d'insister sur la nécessité de rendre justice aux Canadiens. Ainsi il disait: «Si je pensais que la grande masse de ce peuple fût entièrement sans amour pour ce pays, je dirais que la seule question que nous aurions à considérer, serait de voir comment une séparation finale pourrait s'effectuer sans sacrifier les intérêts des Anglais. Mais je ne pense pas que la masse des Canadiens soit hostile à l'Angleterre, par ce que leur alliance avec elle leur est plus nécessaire à eux qu'à nous; que si c'est pour leurs lois et leurs usages particuliers qu'ils combattent, entourés qu'ils sont par une population de race différente, si la protection de l'Angleterre leur était retirée, ils auraient à subir un changement beaucoup plus violent, beaucoup plus subit, beaucoup plus général que celui qui aura lieu probablement.» Il croyait que le nombre de ceux qui voulaient l'indépendance était peu considérable; que l'on avait été conduit pas à pas là où l'on en était, chacun espérant amener ses adversaires à ce qu'il voulait. Il ne désespérait point de satisfaire les deux partis; mais le système responsable était inconciliable avec les rapports qui devaient subsister entre une colonie et une métropole. Lord Howick répéta la même opinion et, comme tous les autres, évita avec soin de parler de l'union des deux Canadas. Dans tous les débats qui eurent lieu, on observa la même réserve; on ne voulut rien dire de ce que l'on avait intention de faire; on se renfermait dans des termes généraux. Sir W. Molesworth désapprouvait la suspension de la constitution; mais approuvait le choix de lord Durham. «Si la violation partielle de la constitution, ajoutait M. Grote, a déterminé les Canadiens à s'armer pour la défense de leurs droits, si lord Gosford a provoqué une révolte en adoptant quelques résolutions, quelle ne devrait pas être la conséquence d'une mesure qui suspendra la constitution et confisquera les libertés populaires?» M. Warburton se déclarait pour l'émancipation; «L'Angleterre a aidé, disait-il, à préparer la liberté en Grèce, en Pologne, dans l'Amérique du sud, en Hanovre, pourquoi vouloir exclure de ce bienfait le peuplé canadien?» Ces idées avancées ne faisaient pas sortir les ministres de leur silence. M. Ellice, qui n'était pas toujours dans leur secret, quoique leur ami, et qui n'avait pas, comme on sait, leur finesse, approuvait le choix de lord Durham, tout en recommandant de gouverner le Canada comme l'Irlande. Les lords Brougham, Ellenborough et Mansfield protestèrent contre la suspension de la constitution, parce qu'elle était devenue inutile depuis la suppression de la révolte. Lord Ellenborough leur reprocha de vouloir unir les deux Canadas, et que c'était pour cela qu'ils insistaient sur cette suspension. Lord Glenelg, dévoilé par cette apostrophe subite, désavoua hautement une pareille intention, et déclara que le gouvernement voulait seulement modifier la constitution existante, parce que l'union ne pouvait se faire que du consentement des deux provinces. On croyait pouvoir en imposer d'autant plus facilement par ce langage que les ministres affectaient dans les débats de parler des Canadiens comme d'hommes ignorans et simples, faciles à tromper, malgré les troubles récens, qui prouvaient, cependant, qu'ils savaient du moins apprécier leurs droits. Après beaucoup de petits désagrémens que l'opposition leur fit subir dans les deux chambres, et qui étaient dûs peut-être au langage mystérieux dans lequel ils s'enveloppaient en ne cessant point d'invoquer les noms de la liberté, de la justice, de la conciliation, et de s'appesantir sur les vices de la constitution canadienne, le parlement leur accorda enfin tous les pouvoirs essentiels qu'ils demandaient, et lord Durham fit ses préparatifs pour passer en Canada. Lord Durham tout radical qu'il était en politique, aimait beaucoup le luxe et la pompe. Il avait représenté la cour de Londres avec splendeur pendant son ambassade à St.-Pétersbourg, en 1833. Il voulut éclipser en Canada par un faste royal tous les gouverneurs qui l'avaient précédé. Le vaisseau de guerre qui devait l'amener, fut meublé avec magnificence. Il s'y embarqua avec une suite nombreuse de confidens, de secrétaires, d'aides de camp. Une musique fut mise à bord pour dissiper les ennuis de la traversée. Déjà un grand nombre de personnes attachées à sa mission s'était mis en route. On embarqua deux régimens des gardes et quelques hussards pour Québec. Enfin tout annonçait une magnificence inconnue dans l'Amérique du nord. On s'empara du parlement pour loger le somptueux vice-roi; ce qui était d'un mauvais augure aux yeux des hommes superstitieux pour les libertés canadiennes; c'était comme un vainqueur qui marchait sur les dépouilles de son ennemi abattu. Aussitôt que la constitution avait été suspendue par le parlement impérial, l'ordre avait été envoyé à sir John Colborne de former un conseil spécial pour expédier les affaires les plus pressantes. Ce conseil composé de 22 membres, dont 11 Canadiens, s'assembla dans le mois d'avril. La tranquillité était déjà tellement rétablie que l'on renvoyait partout dans leurs foyers les volontaires armés pendant les troubles. Quand lord Durham arriva à Québec le 27 mai, tout était dans une paix profonde. Il débarqua le 29, au bruit de l'artillerie et au milieu d'une double haie de soldats, pour se rendre au château St.-Louis, où il fit son installation et prêta les sermens ordinaires. Il voulut signaler son avènement au pouvoir par un acte de grâce en faveur des détenus politiques; mais lorsqu'il demanda les officiers de la couronne, aucun ne se trouva présent pour lui répondre. Contre l'usage les conseillers exécutifs ne furent point assermentés. Il adressa une proclamation au peuple en se servant du langage d'un homme qui se méprend complètement sur la manière avec laquelle on doit s'exprimer en Amérique, et qui veut en imposer par une affectation recherchée au peuple dont le sort est entre ses mains. «Ceux qui veulent sincèrement et consciencieusement la réforme et le perfectionnement d'institutions défectueuses, recevront de moi, disait-il, sans distinction de parti, de race ou de politique, l'appui et l'encouragement que leur patriotisme est en droit d'avoir; mais les perturbateurs du repos public, les violateurs des lois, les ennemis de la couronne et de l'empire britannique trouveront en moi un adversaire inflexible.» Et plus loin en parlant du rétablissement de la constitution, il observait: «C'est de vous peuple de l'Amérique britannique, c'est de votre conduite et de l'étendue de votre coopération avec moi qu'il dépendra principalement que cet événement soit retardé ou immédiat. J'appelle donc, de votre part, les communications les plus franches, les moins réservées. Je vous prie de me considérer comme un ami et comme un arbitre, toujours prêt à écouter vos voeux, vos plaintes et vos griefs, et bien décidé d'agir avec la plus stricte impartialité...» Or ce langage, comme on le verra, ne pouvait faire qu'en imposer au loin, car dans le pays même, il ne devait avoir aucune signification puisque tous les pouvoirs politiques étaient éteints, excepté ceux que lord Durham réunissait en sa personne. Cela était si vrai, qu'il renvoya immédiatement le conseil spécial de sir John Colborne, qui avait déjà passé trop d'ordonnances plus ou moins entachées de l'esprit du jour; qu'il fit informer les membres du conseil exécutif, cette cause première de tous les troubles, qu'il n'aurait pas besoin de leurs services pour le présent; et qu'il se nomma, pour la forme, un conseil exécutif et un conseil spécial composés de son secrétaire, M. Buller, de l'amiral Paget qui arrivait dans le port, du général Clitherow, du major général MacDonell, du colonel Charles Grey, et de diverses autres personnes de sa suite, de cinq des juges, de M. Daly, secrétaire provincial et de M. Eouth, commissaire général, qu'il prit dans le pays, parce qu'il y fallait quelqu'un qui en connût quelque chose. Il organisa ensuite diverses commissions, pour s'enquérir de l'administration des terres incultes, de l'émigration, des institutions municipales, de l'éducation. La seigneurie de Montréal, les bureaux d'hypothèques occupèrent aussi son attention. La seigneurie de Montréal lui fournit une occasion de neutraliser le clergé en lui prouvant qu'il ne lui en voulait pas à lui-même. Cette seigneurie appartenait au séminaire de St.-Sulpice, et le parti anglais cherchait depuis longtemps à la faire confisquer au profit de la couronne comme on avait déjà confisqué les biens des jésuites et des récollets. Lord Durham qui savait de quelle importance il était pour ses desseins de ne pas exciter les craintes de l'autel, saisit cette occasion pour lui prouver ses bonnes dispositions en accordant un titre inébranlable aux sulpiciens. Cet acte était très sage et très politique. Il savait que depuis M. Plessis surtout, le clergé avait séparé la cause de la religion de celle de la politique, et que s'il rassurait l'autel, il pourrait faire ensuite tout ce qu'il voudrait sans que le clergé cessât de prêcher l'obéissance au pouvoir de la couronne quel qu'il fut. Lord Durham était trop éclairé pour négliger une pareille influence. Une chose qui devait devenir extrêmement embarrassante pour son administration, extrêmement irritante pour le public, c'était le procès de ceux qui se trouvaient impliqués dans nos troubles récens. Les procès politiques sont toujours vus d'un mauvais oeil par le peuple, et les gouvernemens n'en sortent presque jamais sans y laisser une partie de leur popularité et quelque fois de leur force. Lord Durham pensant qu'il ne pourrait obtenir de jurés qui voulussent condamner les accusés, à moins de les choisir parmi leurs adversaires politiques, résolut d'adopter une grande mesure pour terminer cette question malheureuse d'un seul coup et sans discussion; cette mesure fut une amnistie générale, qu'il proclama le jour même fixé pour le couronnement de la reine Victoria. Il n'excepta que vingt-quatre prévenus, auxquels on laissa cependant la perspective de rentrer dans leurs foyers aussitôt que cela paraîtrait compatible avec la paix et la tranquillité publique, et les assassins d'un Canadien et d'un officier qui portait des dépêches dans le pays insurgé, qui avaient été tués au commencement des troubles. Ceux sur les vingt-quatre qui se trouvaient en prison, devaient être envoyés aux îles de la Bermude, et ceux qui se trouvaient à l'étranger devaient y rester jusqu'à ce qu'on pût permettre aux uns et aux autres de revenir dans le pays. Il ne pouvait adopter de moyen plus sage, ni plus humain pour sortir d'un grand embarras; mais malheureusement en en exilant quelques uns aux îles de la Bermude sans procès, il violait les lois, et aussitôt que cet acte fut connu en Angleterre, il excita un grand bruit parmi ceux qui tiennent non sans raison aux formalités de la justice, ainsi que parmi les ennemis de ses prétentions dans son pays. En Canada cette amnistie fut bien reçue, et comme lord Durham se tenait toujours dans l'ombre vis-à-vis des Canadiens sur les mesures qu'il entendait recommander à leur égard, ils aimaient à en tirer un bon augure et à se bercer d'espérances qu'entretenaient avec art les émissaires du nouveau vice-roi. Ainsi le _Canadien_ du 8 juin contenait un article d'un employé du gouverneur, M. Derbyshire, contre l'union des deux Canadas en réponse aux journaux anglais de Montréal. Dans toutes les occasions on parlait des abus crians des administrations précédentes, de l'ignorance et de la vénalité des fonctionnaires, de la modération des représentans du peuple d'avoir enduré si longtemps un pareil état de choses. Mais tout cela n'était que pour attirer la confiance, comme la proclamation dont nous avons parlé plus haut, dans laquelle lord Durham invitait tout le monde à venir épancher dans son sein ses griefs et ses douleurs. M. Wakefield fut député secrètement vers quelques-uns des meneurs canadiens. Il vit M. LaFontaine plusieurs fois à Montréal; il chercha à le persuader des bonnes intentions du gouverneur, qui nonobstant les ordres contraires de lord Glenelg, scandalisé par un procès déshonorant intenté à ce serviteur zélé, avait persisté à le retenir à son service; il était parti, disait-il, pour aller voir M. Papineau aux Etats-Unis, non comme envoyé de l'administration, mais comme ami de sir William Molesworth et de M. Leader aux noms desquels il le priait de lui donner une lettre pour le chef canadien, espérant voir résulter beaucoup de bien de cette entrevue. Il dit encore à M. Cartier, en passant à Burlington, que lord Durham, M. Buller et M. Turton étaient tous amis de ses compatriotes. Cet émissaire ne put voir cependant M. Papineau. A son retour il se trouva à des entrevues entre M. Buller et M. LaFontaine où l'on parla de l'ordonnance touchant les exilés et de la constitution. Plus tard, après le désaveu de l'ordonnance par les ministres, d'autres affidés cherchèrent à engager plusieurs Canadiens à convoquer des assemblées publiques en sa faveur sans succès.[36] Tout cela se faisait autant que possible à l'insu du parti anglais, avec lequel on tenait un autre langage. On trouve peu de faits plus honteux dans l'histoire, que la conduite de tous ces intrigans cherchant à tromper un peuple pour qu'il aille se précipiter de lui-même dans l'abîme. Après avoir cherché à surprendre la bonne foi des Canadiens sans succès, retournés en Angleterre, ils les calomnient pour appuyer le rapport que lord Durham faisait sur sa mission. Après avoir passé des heures et des jours entiers dans leur société, en se donnant pour leurs amis, ils déclarent publiquement[37] dans les journaux de Londres, qu'ils avaient été trompés et aveuglés; que les malheureux Canadiens ne méritent aucune sympathie, et qu'ils prennent cette voie pour les désabuser sur les sentimens de l'Angleterre à leur égard. Ceux qui les ont reçus avec bienveillance comme M. LaFontaine et quelques autres, sont dépréciés et peints comme des hommes d'une intelligence bornée, sans éducation, sans lumières, aveuglés par d'étroits préjugés. On rougit en exposant de pareilles bassesses. [Note 36: Lettre de M. LaFontaine au rédacteur de l'Aurore. Montréal, 17 janvier 1839.] [Note 37: Lettre de E. G. Wakefield au _London Spectator_. Londres, 22 novembre 1838.] Dans le même temps, des rapports intimes s'établissaient entre les Anglais de Montréal, qui marchaient à la tête de tous ceux du pays, et lord Durham. Il y avait bien quelque méfiance chez quelques uns d'eux; mais les hommes les plus influens paraissaient saisis de la vraie pensée du chef du gouvernement, et l'appuyaient de tout leur pouvoir. Ils le reçurent avec les plus grands honneurs lorsqu'il passa par leur ville pour se rendre dans le Haut-Canada dans le mois de juillet. Dans cette tournée, lord Durham rallia la majorité du Haut-Canada à son plan d'union après les explications qu'il donna aux chefs; il fut reçu partout de manière à le satisfaire. Mais il devait se hâter de jouir de ces honneurs, car bientôt des désagrémens plus sensibles pour lui que pour un autre, devaient appesantir dans ses mains le sceptre de sa vice royauté. Un mécontentement inexpliquable était resté dans le parlement contre sa mission. Le secret dont on l'entourait au sujet des Canadiens, semblait causer de l'inquiétude et comme de la honte. Tout était décidé d'avance dans le secret de la pensée, et cependant on feignait d'agir comme si on ignorait complètement ce qu'on allait faire. La chambre des lords surtout était blessée de ce système de déception qui entraînait après lui des actes illégaux de clémence et des actes légaux de tyrannie, comme l'étaient l'amnistie et la constitution des deux conseils composés de serviteurs stipendiés et dépendans de la couronne. Lorsque l'ordonnance du conseil spécial qui graciait les accusés politiques ou les exilait à la Bermude, fut connue en Angleterre, elle fut aussitôt déclarée illégale et contraire à l'esprit de la législation anglaise. Lord Lyndhurst dit que jamais mesure plus despotique n'avait déshonoré les fastes d'un pays civilisé. Les ministres essayèrent de défendre leur gouverneur, et déclarèrent que ce langage était imprudent au plus haut degré; que c'était trahir les intérêts du pays et les sacrifier aux intérêts de parti et à l'envie d'attaquer un individu. Lord Brougham, lord Ellenborough déclarèrent que le conseil formé par lord Durham n'était pas ce que la législature impériale avait eu en vue en autorisant la constitution d'un conseil spécial. On blâma encore l'emploi de M. Turton, qui avait subi une condamnation en Angleterre pour crime d'adultère. Lord Brougham introduisit un bill pour légaliser autant que possible i'ordonnance du conseil spécial, qui entraîna des débats dans lesquels le duc de Wellington se prononça contre la mesure de lord Durham. Les ministres se trouvaient dans le plus grand embarras. Lord Melbourne ne put s'empêcher d'avouer sa vive anxiété, vu les grands intérêts qui étaient en jeu et les conséquences qui pourraient résulter de ce qui allait être interprété d'une manière favorable pour les rebelles. Néanmoins l'ordonnance était illégale et il devait conseiller à sa Majesté de la désavouer. La nouvelle de ce désaveu solennel arriva en Canada dans le moment même que lord Durham était entouré des gouverneurs et des députés de toutes les provinces anglaises de l'est, venus à Québec pour discuter avec lui les questions qui pouvaient concerner leurs peuples. Elle le blessa au coeur et l'humilia. Il résolut sur le champ de donner sa démission, et dés ce moment il prit moins de soin à cacher ce qu'il se proposait de recommander au sujet des Canadiens. Il parla avec plus d'abondance, et déclara aux députés qui l'entouraient, qu'il était sur le point de promulguer des lois propres à assurer protection à tous ces grands intérêts britanniques qu'on avait trop négligés jusque là. A Québec, à Toronto, les Anglais s'assemblèrent et passèrent des adresses pour exprimer leur regret des discussions prématurées du parlement impérial et du départ de lord Durham, et leur pleine confiance dans ses talens et dans les mesures qu'il allait proposer pour régler toutes les difficultés. Ceux de Montréal allant plus loin, le prièrent de recommander l'union des deux Canadas. Un M. Thom, l'un des plus violens ennemis des Canadiens, que lord Durham avait d'abord voulu nommer à deux différens emplois dans le pays, et qu'il avait été forcé par l'opinion publique de placer dans les contrées sauvages du Nord-Ouest, voulait une confédération de toutes les provinces, parce qu'il y avait trop de républicains dans le Haut-Canada. Mais sa suggestion fut repoussée. Le discours qu'il prononça réveilla les craintes du _Canadien_. Ce journal qui avait jusque là soutenu l'administration, fut surpris de voir l'orateur favorisé de lord Durham déclarer que ses mesures montraient qu'il était déterminé à faire du Bas-Canada une province vraiment britannique. Déjà les amis du parti anglais s'étaient assemblés à Londres et avaient fait parvenir aux ministres l'expression de leur pleine confiance dans la politique du chef du gouvernement canadien. L'association coloniale leur avait fait part de son côté ainsi qu'au duc de Wellington et à sir Robert Peel, de son vif regret de ce qui s'était passé dans le parlement; et les negocians en rapport avec les deux Canadas avaient renouvelé leur demande de l'union. En même temps à Montréal et à Québec, on brûlait les lords Brougham, Glenelg et Melbourne en effigie, et les Canadiens de cette dernière ville s'assemblaient et passaient des résolutions pour repousser ces outrages et remercier lord Brougham et M. Leader de la part qu'ils prenaient à la défense de leurs droits dans le parlement impérial. Partout cependant le parti anglais à Londres, à Québec, à Montréal, faisait voir, par la spontanéité de ses mouvemens et la concordance de ses vues, qu'il était sûr maintenant de celles de lord Durham et que les Canadiens allaient enfin leur être sacrifiés. Pendant que le gouverneur du Haut-Canada était encore à Québec, où il était venu comme les gouverneurs de l'est, pour s'entendre sur les affaires de sa province, lord Durham annonça sa retraite au peuple dans une longue proclamation, où tout en blâmant le mystère qui avait enveloppé jusqu'ici la marche des affaires les plus importantes aux habitans des colonies, il commettait lui-même la même faute en cachant soigneusement ce qu'il allait recommander à la métropole à leur égard et en se tenant dans des termes généraux sans définition précise. Néanmoins il en dit encore plus qu'il n'avait fait jusque là, et annonça qu'il cherchait à donner au Bas-Canada un caractère tout-à-fait anglais, à lui donner au gouvernement libre et responsable, à noyer les misérables jalousies d'une petite société et les odieuses animosités d'origines dans les sentimens plus élevés d'une nationalité plus noble et plus vaste. Cela était peu rassurant pour les Canadiens pour lesquels les mots de liberté, de sentimens élevés, de nationalité plus noble et plus vaste voulaient dire anéantissement de leur langue, de leurs lois et de leur race ou ne voulait rien dire du tout, car les troubles avaient été précisément causés par le refus absolu de toutes ces choses par la métropole. Lord Durham se plaignait ensuite que sa conduite avait été exposée à une critique incessante dans le parlement impérial, dans un esprit qui annonçait une ignorance complète de l'état du pays. Le même jour il répétait ce qu'il disait dans sa proclamation dans la réponse qu'il faisait aux Anglais de Québec: «Je ne retourne pas en Angleterre par aucun sentiment de dégoût pour le traitement que j'ai personnellement éprouvé dans la chambre des lords. Si j'avais pu être influencé par de pareils motifs, je me serais rembarqué dans le vaisseau même qui m'avait amené ici; car le système de persécution parlementaire auquel je fais allusion, commença du moment que je laissai les rives d'Angleterre. «Je m'en retourne pour les raisons suivantes et ces raisons seulement. Les procédés de la chambre des lords, auxquels le ministère a acquiescé, ont privé le gouvernement de cette province de toute considération, de toute force morale. Ils l'ont réduit à un état de nullité executive, et l'ont assujetti à une branche de la législature impériale... En réalité et en effet, le gouvernement du Canada est administré maintenant par deux ou trois pairs de leurs sièges en parlement... «Dans ce nouvel état de choses, dans Cette anomalie, il ne serait ni de votre avantage, ni du mien que je restasse ici. En parlement, je puis défendre vos droits et vos voeux, et exposer ce qu'il y a d'impolitique et de cruel dans des procédés qui, en même temps qu'ils ne sont que trop attribuables à l'animosité personnelle et à l'esprit de parti, sont accompagnés d'un danger imminent pour le bien être de ces importantes colonies et la permanence de leur alliance avec l'empiré.» Il s'embarqua pour l'Europe avec sa famille le 1 novembre, en laissant les rênes du gouvernement entre les mains de sir John Colborne, et en disant aux imprimeurs anglais: «Je déplore que votre exemple patriotique n'ait pas été suivi par d'autres, (les imprimeurs canadiens)... Engagés dans la tâche coupable de fomenter d'anciens abus et d'anciens préjugés, et d'enflammer des inimitiés nationales, ils paraissent oublier la ruine et le malheur certains auxquels ils exposent une population crédule et malheureusement trop disposée à prêter l'oreille à leurs conseils insidieux. S'ils réussissent à produire ce déplorable résultat, c'est sur eux qu'on reposera là terrible responsabilité et ils mériteront les plus durs châtimens.» Pendant que ce langage mettait en défiance de plue en plus les mécontens, les réfugiés aux Etats-Unis et les Américains qui sympathisaient avec eux, et qui répandus sur la frontière du Haut et du Bas-Canada, passèrent l'été en allées et venues, en profitèrent pour organiser une invasion et un nouveau soulèvement dans les deux provinces à la fois. Ils tinrent des assemblées à Washington, à Philadelphie et ailleurs, où parut le Dr. Robert Netton, le frère de celui qui commandait les insurgés à St.-Denis, pour exciter les sympathies des Américains et obtenir des secours. Ils se réunirent à New-York, à Albany et dans quelques villes des frontières et réussirent à entraîner en multipliant les mensonges quelques Canadiens du district de Montréal. Dès avant le départ de lord Durham, l'exécutif était informé que dans la ville seule de Montréal plus de 3000 hommes s'étaient liés par des sermens secrets à prendre les armes;[38] c'était une grande exagération, mais ce rapport n'était pas complètement inexact, car au commencement de novembre, des soulèvemens partiels eurent lieu sur plusieurs points de la rivière Richelieu, à Beauharnais, à Terrebonne, à Châteauguay, à Rouville, à Varennes, à Contrecoeur, et dans quelques autres paroisses, tandis qu'un corps d'Américains et de réfugiés pénétrait en Canada sous les ordres du Dr. Nelson et prenait possession du village de Napierville. Sir John Colborne qui s'y attendait, assembla aussitôt le conseil spécial, proclama la loi martiale, arma les volontaires, fit arrêter toutes les personnes suspectes, puis marcha avec 7 à 8 mille hommes, soldats, miliciens et Sauvages venant de différens points, sur le pays insurgé où tout était déjà rentré dans l'ordre quand il y arriva. [Note 38: Lettre de sir John Colborne au marquis de Normanby, 6 mai 1839.] Les hommes qui devaient prendre part au soulèvement n'ayant point de fusil ni de munitions, s'étaient armés de piques et de bâtons. Plusieurs n'étaient dirigés, un sac seulement sur le dos, vers les points où on leur avait dit qu'ils trouveraient tout ce qui leur fallait; mais n'y trouvant rien, ils étaient presque tous rentrés dans leurs loyers ou retournés aux Etats-Unis d'où ils venaient, de sorte qu'au bout de quelques jours tout était rentré dans l'ordre avec à peine la perte de quelques hommes. Sir John Colborne n'eut qu'à promener la torche de l'incendie. Sans plux d'égard pour l'innocent que pour le coupable, il brûla tout et ne laissa que des ruines et des cendres sur son passage. Dans le Haut-Canada les Américains et les réfugiés de cette province qui s'étaient joints à eux, débarquèrent à Prescott, et prirent possession d'un moulin où ils furent obligés de se rendre au bout de quelque temps aux forces considérables qui les cernèrent. D'autres inquiétèrent la frontière tout l'hiver, attaquèrent Windsor, le Détroit et quelques autres points, mais n'exécutèrent rien de sérieux. L'oligarchie qui avait été furieuse l'année précédente de ce qu'on ne s'était pas servi de l'échafaud pour punir les rebelles, ne voulait pas être trompée cette année. Elle voulait du sang. Elle voulait aussi faire un grand effet en Angleterre. Elle s'était fait armer avec la police dans les villes; elle avait l'ait saisir toutes les armes qu'il y avait chez les armuriers. Elle fit suspendre trois juges canadiens dont deux à Québec, parce qu'ils ne voulaient pas violer la loi de l'habeas-corpus. Elle fit retrancher un grand nombre de Canadiens de la magistrature. «Pour avoir la paix, s'écriait le _Herald_, il faut que nous fassions une solitude; il faut balayer les Canadiens de la face de la terre... Dimanche au soir tout le pays en arrière de Laprairie présentait l'affreux spectacle d'une vaste nappe de flammes livides, et l'on rapporte que pas une seule maison rebelle n'a été laissée débout. Dieu sait ce que vont devenir les Canadiens qui n'ont pas péri, leurs femmes et leurs familles pendant l'hiver qui approche, puis qu'ils n'ont devant les yeux que les horreurs de la faim et du froid. Il est triste, ajoutait ce journal hypocrite qui était dans la joie du sang, il est triste de réfléchir sur les terribles conséquences de la rébellion, de la ruine irréparable d'un si grand nombre d'êtres humains qu'ils soient, innocens ou coupables. Néanmoins il faut que la suprématie des lois soit maintenue et inviolable, que l'intégrité de l'empire soit respectée et que la paix et la prospérité soient assurées aux Anglais même aux dépens de la nation canadienne entière.» Jamais Marat ne s'est servi d'un langage plus atroce. Sir John Colborne revenu de sa courte campagne, organisa sans délai des conseils de guerre, et fit commencer devant les officiera de l'armée le procès des prisonniers qu'il ramenait et des accusés qui remplissaient les prisons. Lui qui détestait les Canadiens, il ne serait pas arrêté cette fois par lord Gosford. Tous les Canadiens notables de Montréal et des campagnes, coupables ou non, avaient été arrêtés, un grand nombre sous accusation de haute trahison. A Québec, aux Trois Rivières où tout était parfaitement tranquille, les arrestations ne cessaient point non plus. Pendant ce temps là les cours martiales se hâtaient d'achever leur tâche, en procédant avec toute la rapidité possible. Elles condamnèrent quatre-vingt-neuf accusés à mort et quarante-sept à la déportation dans les îles de l'Océanie, et confisquèrent tous leurs biens. Le _Herald_ était radieux. «Nous avons vu, disait-il, le 19 novembre, la nouvelle potence faite par M. Bronsdon, et nous croyons qu'elle va être élevée aujourd'hui au devant de la nouvelle prison, de sorte que les rebelles pourront jouir d'une perspective qui ne manquera pas sans doute d'avoir l'effet de produire un sommeil profond et des songes agréables. Six ou sept pourront s'y trouver à l'aise; mais on peut y en mettre davantage dans un cas pressé.» Treize condamnés périrent sur l'échafaud aux applaudissemens de leurs ennemis accourus pour prendre part à un spectacle qui passait à leurs yeux pour un triomphe. Tous subirent leur sort avec fermeté. On ne peut lire sans être ému les dernières lettres de l'un d'eux, M. Chevalier de Lorimier, à son épouse, à ses parens, à ses amis, dans lesquelles il proteste de la sincérité de ses convictions; et il signa avant de marcher au supplice une déclaration de ses principes, qui témoigne de sa bonne foi et qui prouve le danger qu'il y a de répandre des doctrines qui peuvent entraîner des conséquences aussi désastreuses. Lorsque l'échafaud eut satisfait dans le Bas-Canada comme dans le Haut, où se passait une partie des scènes du Bas, la vengeance du vainqueur, on tourna les yeux vers l'Angleterre pour voir comment elle allait prendre les derniers événemens, et recevoir lord Durham et ses suggestions pour la pacification du pays. Déjà le duc de Wellington avait jugé du dernier soulèvement et blâmé, par ce jugement là même, la cruauté du pouvoir, dans les débats sur l'adresse en réponse au discours que la reine avait prononcé en ouvrant le parlement au commencement de 1839. «L'insurrection du Canada n'a été, dit-il, qu'une insurrection frivole et limitée à un coin du pays; mais elle a été accompagnée d'invasions et d'agressions contre les personnes et contre les propriétés des sujets de sa Majesté sur toutes les parties de la frontière des Etats-Unis par des habitans des Etats-Unis.» Déjà M. Roebuck avait publié plusieurs lettres dans les journaux de Londres pour blâmer la conduite de lord Durham, qui, en sa qualité de chef du parti radical, n'allait pas manquer cependant d'amis dans la presse pour prendre sa défense. Il s'était entouré depuis longtemps de partisans et de créatures qui vantaient en toute occasion son patriotisme et ses talens. Ils se mirent tous à louer son énergie dans sa mission et le rapport qu'il venait de présenter au gouvernement. Tous leurs coups se dirigèrent naturellement contre les Canadiens. Ce rapport excessivement long, mais écrit avec beaucoup d'art et de soin, était un plaidoyer spécieux en faveur de l'anglification, tout en donnant gain de cause aux principes que la chambre d'assemblée avait de tout temps défendus. Le séjour qu'il avait fait parmi les Canadiens avait complètement changé ses idées, disait lord Durham, sur l'influence relative des causes auxquelles on devait attribuer les maux existans. Il s'attendait à trouver une lutte entre un gouvernement et un peuple, et il avait trouvé deux nations se faisant la guerre au sein d'un seul état; non une guerre de principes, mais une guerre de race; l'une éclairée, active, entreprenante; l'autre ignorante, inerte, et soumise aveuglément à des chefs que conduisaient d'étroits préjugés; celle-ci composée de torys déguisés qui cherchaient à cacher leur hostilité à l'émigration anglaise sous l'apparence d'une guerre de principes contre le gouvernement; l'autre de vrais démocrates, d'hommes vraiment indépendans; les deux enfin toujours en présence, mais séparés en deux camps qui ne se mêlaient jamais. «Tel est, ajoutait-il, l'état lamentable et hasardeux des choses produit par le conflit de race qui divise depuis si longtemps le Bas-Canada, et qui a pris le caractère formidable et irréconciliable que je viens de dépeindre.» Après s'être étendu longuement sur cette division, sur ses causes et sur ses effets, il passe au remède pour y mettre fin. «Il y a deux modes, dit-il, de traiter un pays conquis. Le premier est de respecter les droits et la nationalité des possesseurs du territoire, de reconnaître les lois existantes et de conserver les institutions établies, de ne donner aucun encouragement à l'émigration du peuple conquérant, et sans entreprendre de changemens dans les élémens de la société, d'incorporer simplement la province sous l'autorité générale du gouvernement central. Le second est de traiter le pays conquis comme s'il était ouvert aux vainqueurs, d'encourager leur émigration, de regarder les anciens habitans comme entièrement subordonnés et de s'efforcer aussi promptement que possible d'assimiler leur caractère et leurs institutions à ceux de la grande masse de l'empire.» Dans un vieux pays ou doit suivre le premier; dans un nouveau, le second. Malheureusement la révolution américaine avait empêché l'Angleterre de suivre celui-ci en Canada, ou la nationalité des habitants avait été conservée comme moyen d'une séparation perpétuelle, et complète avec leurs voisins.[39] Aujourd'hui que les choses sont changées et qu'on n'a plus besoin d'eux, l'on peut revenir au premier. Tel est le raisonnement non pas écrit, mais impliqué du représentant de l'Angleterre à notre égard dans le rapport qu'il fait à l'Angleterre. [Note 39: Dépêche de lord Bathurst à sir J. E. Sherbrooke, 1 juillet 1816.] Quant à la véritable cause dr dissensions entre le gouvernement et la chambre d'assemblée, il justifie complètement celle-ci, en attribuant le refus d'une liste civile à sa détermination de ne pas renoncer au seul moyen de soumettre les fonctionnaires du gouvernement à quelque, responsabilité. «C'était une vaine illusion, dit-il, de s'imaginer que de simplets restrictions dans la constitution ou un système exclusif de gouvernement, induiraient un corps fort de la conscience qu'il avait avec lui l'opinion de la majorité à regarder certaines parties du revenu public comme hors de son contrôle, et à se restreindre à la simple fonction de faire des lois en restant spectateur passif ou indifférent pendant qu'on exécuterait ou qu'on éluderait ces lois et que des hommes dans les intentions ou la capacité desquels il n'avait pas la plus légère confiance conduiraient les affaires du pays. L'assemblée pouvait passer ou rejeter des lois, accorder ou refuser les subsides, mais elle n'avait aucune influence sur la nomination d'un seul serviteur de la couronne. Le conseil exécutif, les officiers judiciaires, tous les chefs de département étaient nommés sans aucun égard pour les voeux du peuple ou de ses représentant, et il ne manquait pas même d'exemples que la simple hostilité à la chambre d'assemblée fit élever les personnes les plus incompétentes aux postes d'honneur et de confiance.» C'était ainsi que les gouverneurs venaient en lutte avec les représentans, que ses conseillers regardaient comme leurs ennemis. Du reste l'entière réparation des pouvoirs législatif et exécutif est l'erreur naturelle des gouvernemens qui veulent s'affranchir du contrôle des institutions représentatives. «Depuis le commencement donc, continuait-il, jusqu'à la fin des querelles qui signalent toute l'histoire parlementaire du Bas-Canada, je regarde la conduite de l'assemblée comme une guerre constante avec l'exécutif pour obtenir les pouvoirs inhérens à un corps représentatif d'après la nature même du gouvernement représentatif.» Lord Durham ne pouvait justifier en termes plus forts la conduite de la chambre d'assemblée, et cependant après l'avoir justifiée il s'appuya de cette même conduite pour recommander l'union des deux Canadas, parce que le seul pouvoir qui puisse arrêter d'abord la désaffection actuelle et effacer plus tard les Canadiens-français, c'est celui d'une majorité loyale et anglaise. Il serait bien pour l'union de toutes les provinces de l'Amérique du Nord; mais cette union nécessiterait une centralisation qui répugne à l'esprit des populations du Nouveau-Monde. D'ailleurs il faudrait pour satisfaire ces populations, conserver les assemblées provinciales avec des pouvoirs municipaux seulement, ou encore mieux des assemblées de districts ou d'arrondissemens plus petits. Il recommanderait bien sans hésiter l'union législative de toutes ces provinces s'il s'élevait des difficultés dans les provinces inférieures, ou si le temps permettait de les consulter avant de régler la question des deux Canadas; mais si elles se remuent plus tard on pourra les noyer dans une union qui les mettra en minorité. En attendant il recommande l'union des deux Canadas seuls, en donnant à chacun le même nombre de membres, des municipalités électives pour les affaires locales, un conseil législatif mieux composé, un bon système d'administration pour les terres, l'abandon de tous les revenus de la couronne moins celui des terres à la législature pour une liste civile suffisante, la responsabilité de tous les officiers du gouvernement à la législature excepté le gouverneur et son secrétaire, l'indépendance des juges, et enfin des ministres responsables placés à la tête des différens départemens de l'exécutif et tenus de commander la majorité dans les chambres. Tel est le plan auquel lord Durham s'est arrêté, et qu'il soumet à la métropole comme le plus propre entre tous ceux qu'on lui a suggérés pour rétablir l'ordre, l'harmonie et la paix. Il y en a qui voulait frapper les Canadiens en masse d'ostracisme, et les priver comme Français du droit de vote et d'éligibilité. D'autres proposaient une union législative des deux Canadas ou de toutes les provinces avec une seule législature, en diminuant le nombre des membres canadiens à un chiffre nominal. D'autres encore proposaient une union fédérale. Lord Durham dit qu'à son arrivée à Québec il penchait fortement en faveur de ce dernier plan, et que ce fut avec ce projet en vue qu'il discuta une mesure qui embrassait toutes les colonies avec les députations des provinces inférieures, avec les corps publics et avec les hommes marquans du Canada, qu'il avait mandés à Québec; que tout en conciliant les Français du Bas-Canada en leur laissant le gouvernement de leur propre province et leur propre législation intérieure, il aurait assuré la protection des intérêts britanniques au moyen du gouvernement général, et la transition graduelle de toutes les provinces en une seule société homogène; mais qu'après quelque séjour dans le pays et la consultation du parti anglais il avait été obligé de changer d'opinion et de croire que l'époque de l'anglification graduelle était passée. Ses recommandations furent adoptées par les ministres. L'association coloniale de Londres n'était pas satisfaite cependant du sacrifice des Canadiens. Elle voulait les priver de tout droit politique en leur ôtant jusqu'à celui de voter aux élections, et s'opposait au système responsable. Mais lord Durham et les ministres repoussèrent ces prétentions, et lord Melbourne présenta au parlement le 4 mai 1839, un message de la reine pour recommander l'union. Cette mesure fut retardée par la résignation du ministère à l'occasion d'une loi qui concernait la Jamaïque, au sujet de laquelle il s'était trouvé dans une majorité si faible qu'il n'osa plus compter sur l'appui des chambres. Néanmoins les difficultés s'arrangèrent; lord John Russell resta au pouvoir, et après quelque discussion dans le mois de juin, il introduisit enfin son bill pour unir les deux Canadas; après sa deuxième lecture et l'adhésion de sir Robert Peel et de M. Hume, ce bill fut ajourné à la session suivante, afin d'avoir le temps d'aplanir dans l'intervalle certaines difficultés qui se présentaient. L'existence du conseil spécial fut prolongée, et M. Poulett Thomson, membre des communes et réformateur radical, fut envoyé comme gouverneur à Québec pour les faire disparaître. Il arriva dans cette ville dans le mois d'octobre, et partit presqu'immédiatement pour Montréal et le Haut-Canada. Il entra à Toronto à la fin de novembre, et ouvrit les chambres le 3 du mois suivant. Sa mission principale était de leur faire adopter les bases du rapport de lord Durham, qui ne s'accordaient pas avec les résolutions de l'assemblée de cette province, qui portaient que le siège du gouvernement serait dans le Haut-Canada, que les trois comtés inférieurs du district de Québec seraient annexés au Nouveau-Brunswick, que les représentans du Bas-Canada seraient moins nombreux que ceux du Haut, qu'après 1845, les comtés en seigneuries ne fussent plus représentés au parlement, que la langue française fut abolie, et que la dette du Haut-Canada, qui dépassait un million, fut payée par les deux provinces réunies, le Bas-Canada n'ayant pas de dette, et de se procurer des informations sur lesquelles les ministres pussent soumettre au parlement une mesure plus parfaite que le bill présenté aux communes. Il devait les convaincre que les ministres étaient eux-mêmes persuadés de l'opportunité de leur projet, et dissoudre l'assemblée si elle ne recevait pas ses ouvertures dans un esprit convenable; faire rapport des collèges électoraux, et nommer, s'il le jugeait à propos, un certain nombre de personnes influentes pour préparer les conditions de l'union.[40] [Note 40: Dépêche de lord John Russell, à M. C. P. Thomson, 7 septembre 1839.] Dans une dépêche Subséquente, lord John Russell argumentant contre le principe du système responsable dans les colonies, citait quelques faite survenus dans le Bas-Canada, où s'était élevée d'abord la demande d'un pareil système, et représentait M. Papineau et la majorité de la chambre comme des rebelles. Les chambres furent saisies de la question dès le commencement de la session. Les débats se prolongèrent, mais le gouvernement l'emporta à la fin, et la mesure fut approuvée dans la forme à peu prés que l'Angleterre désirait. Il est inutile de dire que le conseil spécial du Bas-Canada, nommé par la couronne, l'approuva dans tout son esprit. Trois membres seulement votèrent contre, MM. Neilson, Cuthbert et Quesnel.[41] Quant aux Canadiens qu'on ne consulta pas, ils protestèrent dans le district de Québec et des Trois-Rivières avec tout le clergé catholique. 40,000 signatures couvrirent les pétitions de ces deux districts au parlement impérial, contre lesquelles le gouverneur mit lord John Russell en garde, en lui mandant que le nombre des signatures n'était pas si considérable qu'on s'y attendait; que l'assemblée des Anglais qui avait eu lieu à Québec en faveur de l'union exprimait les sentimens de la très grande majorité de la population fidèle à l'Angleterre; que le clergé se méprenait sur cette mesure, et qu'il désirait au fond la continuation du conseil spécial quoiqu'il demandât le rétablissement de la constitution de 91. [Note 41: Le gouverneur fit prier M. Neilson de venir le voir pour le consulter sur les affaires du pays, surtout sur l'union. Sur ce dernier point, M. Neilson lui dit que cette mesure mécontenterait un grand nombre de citoyens et en satisferait peu, puis qu'elle avait pour objet d'opprimer les Canadiens. Le gouverneur le voyant continuer sur ce ton, lui dit: «Vous être donc contre l'union. Oui, répondit M. Neilson. Alors nous ne pourrons pas nous accorder, répliqua l'agent proconsulaire.» Je tiens ceci de M. Neilson lui-même.] L'approbation donnée par les chambres du Haut-Canada et le conseil spécial du Bas, rassura pleinement le ministère, qui poussa sa mesure avec toute la vitesse possible. Les communes l'adoptèrent presque sans débat, M. Hume votant pour et M. O'Connell contre. La langue anglaise fut reconnue comme seule langue parlementaire. La mesure éprouva plus d'opposition dans la chambre des lords, où lord Gosford, le duc de Wellington, et plusieurs outres membres votèrent contre et protestèrent, lord Ellenborough parce que le bill était fondé sur une double erreur, celle d'une défiance indue contre la population française et celle d'une confiance indue dans toute la population d'origine britannique; parce que les changemens apportés à la représentation du Bas-Canada étaient injustes dans leur caractère, ayant pour objet d'augmenter indirectement encore plus la disproportion entre la représentation de la population anglaise et celle de la population française...; parce que si l'on voulait priver les Canadiens-français d'un gouvernement représentatif, il valait mieux le faire d'une manière ouverte et franche, que de chercher à établir un système permanent de gouvernement sur une base que le monde entier s'accorderait à qualifier de fraude électorale. Ce n'était pas dans l'Amérique du Nord qu'on pouvait en imposer aux hommes par un faux semblant de gouvernement représentatif, ou leur faire accroire qu'ils n'étaient qu'en minorité de votes lorsqu'ils étaient de fait défranchisés; parceque l'union entre les deux provinces était imposée à l'une par défiance contre sa loyauté, sans son consentement et à des conditions qu'elle devait juger injustes, et acceptée par l'autre en considération d'avantagea fiscaux et de l'ascendance législative. Lord Melbourne insista sur la nécessité d'apaiser l'esprit de mécontentement qui avait éclaté dans les deux Canadas; il fit observer que c'étaient de pareils mécontentemens qui avaient amené autrefois l'indépendance des Etats-Unis, événement qui ne serait pas arrivé s'ils avaient été mieux liés à la métropole. Les divisions intestines avaient été la principale cause qui avait fait perdre à l'Angleterre en 1450, le beau territoire qu'elle possédait en France et qu'elle tenait de ses princes normands, et dans le dernier siècle ses anciennes colonies. Le duc de Wellington lui répondit qu'il ne fallait pas tant se presser; qu'il fallait attendre de meilleures informations; qu'il fallait attendre que le peuple eut repris ses sens, dans une province après une insurrection, dans l'autre après une rébellion, et que dans les Etats-Unis il y eût moins de disposition à encourager l'une et l'autre. Il fallait réfléchir avant de former une législature de trois ou quatre différentes nations et de gens d'une douzaine de religions. Il se plaignit de la manière avec laquelle on avait obtenu le consentement du Haut-Canada. On s'était assuré du concours du parti tory en publiant la dépêche de lord John Russell au sujet des emplois, et de l'appui du parti républicain en supprimant une autre de ses dépêches qui aurait déplu aux partisans du gouvernement responsable. Lord Brougham émit convaincu que lorsque le Canada se séparerait de l'Angleterre, ce qui devait arriver tôt ou tard, ce serait par suite de la manière avec laquelle la mesure de l'union était emportée, et cette séparation se ferait dans des circonstances d'autant plus regrettables que les deux partis se quitteraient ennemis. Lord Gosford ne leva ensuite; son langage devait avoir d'autant plus de poids qu'il avait résidé dans le pays, qu'il en avait ou l'administration entre les mains et qu'il en connaissait les partis, les sentimens et les tendances. «Je regarde, dit-il, l'union comme une expérience très dangereuse, et comme une mesure injuste et arbitraire en elle-même. Si, comme je le crois, ceux qui l'appuyent le font parce qu'ils sont convaincus que la population française est en état de résistance organisée au régime britannique, jamais ils ne furent dans une plus grande erreur. Pour ma part, je ne crois pas que dans aucune de nos colonies, sa Majesté ait un peuple qui, par inclination autant que par intérêt, ait plus de désir de rester sur un pied d'amitié et d'alliance avec l'Angleterre. Je n'ignore pas les fausses représentations que l'on a répandues avec trop d'activité dans ce pays, mais je ne crains pas de déclarer, malgré tout ce que l'on peut prétendre au contraire, que ce que je dis ici est fondé sur la vérité et peut-être pleinement prouvé. On a beaucoup parlé de ce qu'on appelle la révolte récente; ce sont là des mots qui sonnent bien haut, et qui sont fort utiles aux intérêts de ceux qui leur donnent cours. Mais si je nuis disposé à réprouver toute espèce de soulèvement et de troubles, je dois également reconnaître qu'il n'est que juste de regarder de plus prés au véritable état des choses avant de stigmatiser les événemens qui ont eu lieu en termes qui doivent produire des préjugés très forts et très funestes contre ceux contre qui on les dirige. La partie du Bas-Canada agitée par les troubles, n'embrassa jamais qu'une petite section du district de Montréal sur la rivière Richelieu. Maintenant quel était son état politique avant les troubles? Elle était déchirée par les divisions les plus violentes et les plus haineuses, fruit d'élections contestées avec acharnement; l'esprit de parti, comme c'est le cas en semblables circonstances, était monté au plus haut degré d'exaspération, et contribua beaucoup à ce qui est arrivé. A l'appui de mon assertion, je puis citer un fait très concluant. Le seul endroit au nord du St.-Laurent où il y ait eu des troubles, est le comté des Deux-Montagnes. Eh bien! ce comté se trouvait justement sous le rapport de la violence des luttes électorales dans le même cas que les environs de la rivière Richelieu. Il y a, et il y a eu une certaine partie de la population anglaise, principalement à Montréal et dans les environs, à laquelle tous les hommes libéraux et indépendans ne peuvent qu'être hostiles, et dont les actes et la conduite ont été caractérisée par un esprit de domination au préjudice de toute la population d'origine française; elle a toujours aspiré à posséder la domination et le patronage du pays. C'est à elle qu'il faut principalement attribuer les troubles et les animosités qui viennent d'avoir lieu. A l'appui de ce que j'avance, je n'ai qu'à rappeler à vos seigneuries une de ses premières démarches peu de temps après mon arrivée en Canada. A une assemblée qu'elle avait convoquée, il fut résolu de lever un corps militaire sous le nom de _British Rifle Legion_, ou quelque nom semblable, et une de ses règles était que les membres de ce corps éliraient leurs officiers. Je pris la première occasion de faire, d'une manière amicale, des remontrances contre un pareil procédé; mais ce fut en vain. Je fus obligé de les abattre par une proclamation, après m'être assuré, en consultant les hommes de loi de la couronne, que leur conduite était illégale et inconstitutionnelle. Une section intéressée et violente du parti mercantile voulait en persévérant dans ses fausses représentations, faire appuyer ses desseins par ses amis en Angleterre; et ce sont ces fausses représentations, ainsi répandues, qui ont amené les maux qui sont malheureusement arrivés. Tant qu'on encouragera ce parti ou qu'on l'appuiera en aucune façon, la méfiance et le mécontentement régneront. Je suis heureux cependant de pouvoir dire que ces remarques ne s'appliquent qu'à une petite portion de la population britannique, fixée principalement aux environs de Montréal, et à quelques partisans à Québec. Bien des Anglais ont souvent, et dans les termes les plus énergiques, réprouvé la violence de ceux dont je parle. Il est aussi un fait curieux, c'est que lorsque les troubles éclatèrent aucune des populaces, car je puis presque les appeler ainsi, qui y ont pris part, n'était commandée par des Canadiens-français. A St.-Denis, c'était un Anglais, M. Wilfred Nelson; à St.-Charles, un M. Brown, moitié Anglais, moitié citoyen américain; à St.-Benoit, un Suisse, qui agissaient comme chefs. Les troubles, comme je l'ai déjà dit, éclatèrent dans une partie seulement du district de Montréal. Dans le reste de ce district, dans les quatre autres districts du Bas-Canada, Gaspé, St.-François, Québec et les Trois-Rivières, tout demeura tranquille, et les autorités civiles y conservèrent toute leur force. Les troubles furent complètement supprimés dans l'espace de trois semaines; il me fut envoyé des adresses de toutes parts pour réprouver la conduite et la violence de quelques hommes égarés, poussés par des gens mal intentionnés et désespérés, et pour me déclarer leur détermination d'appuyer le gouvernement. La paix et la tranquillité étaient rétablies dans toute la province du Bas-Canada avant mon départ. Mais cela ne faisait pas le compte du parti qui voulait écraser la population française. «Convaincu de l'exactitude de ce que je dis, je ne puis m'empêcher de regarder l'union des deux provinces que comme un acte des plus injustes et des plus tyranniques, proposé pour priver la province inférieure de sa constitution, sous prétexte d'actes de quelques hommes mal intentionnés, et la livrer, en noyant la population française, à ceux qui, sans cause, lui ont montré tant de haine; car ce bill doit la noyer. Vous donnez à 3 ou 400,000 habitans la même représentation qu'au Bas-Canada, qui a une population d'au moins 700,000; et ensuite vous imposez la dette de la province supérieure, qui est, dit-on, d'un million, à une province qui n'a presque aucune dette. Peut-il y avoir rien de plus arbitraire et de plus déraisonnable? En vérité, la légalité d'un tel procédé peut être mise en question; car, j'apprends qu'aucune partie de la dette contractée par la province supérieure n'a été sanctionnée par le gouvernement de ce pays, je dois déclarer de nouveau que ma conviction est que tout cela vient d'une intrigue mercantile.[42] Je dis que la population française désire vivre sous la protection et dans l'alliance anglaise, et que la très grande majorité des habitans des deux Canadas est opposée à l'union... Je ne puis donc consentir à une mesure fondée, comme je le crois consciencieusement, sur de fausses informations et sur l'injustice. Tant que je vivrai, j'espère que je ne donnerai jamais ma sanction à une injure semblable à celle qui est sous la considération de vos seigneuries. J'ai dit ce que je crois fermement être la vérité, et ce qui pourrait être appuyé du témoignage de tout esprit calme dans les Canadas.» [Note 42: De la maison Baring, à laquelle était due une grande partie de cette dette.] Nous donnons une grande partie du discours de ce gouverneur pour faire mieux apprécier la politique du bureau colonial. L'aristocratie anglaise ne vota pour la mesure qu'à contrecoeur, parce que le parti mercantile, qui a eu une grande influence dans tous les temps sur la politique des colonies, le demandait. Le Haut-Canada devait un million à la maison Baring et se trouvait à la veille d'être incapable de faire face à ses engagemens. Cette maison puissante fit tous ses efforts pour engager le parlement à consentir à l'union afin d'assurer sa créance. Beaucoup de marchands, de capitalistes et peut-être de membres du parlement y étaient intéressés. Devant tous ces motifs personnels ajoutés aux préjugés nationaux, la cause des Canadiens-français devait succomber. Dans l'acte d'union il est expressément stipulé qu'après les frais de perception payés, la première charte sur le revenu du Canada sera l'intérêt de la dette publique due au moment de l'union. Le salaire du clergé et la liste civile ne viennent qu'après. L'acte d'union adopté par les deux chambres mit fin, en recevant la sanction royale, à l'acte de 91, passé pour soustraire à la domination des Canadiens-français, la petite population anglaise, du Haut-Canada, et révoquée plus tard pour mettre ces mêmes Canadiens sous la domination de la population anglaise, devenue ou devenant plus nombreuse. A l'époque où se consommait ce grand acte d'injustice à notre préjudice, la population, le commerce, l'agriculture, l'industrie avaient fait d'immenses progrès dans le pays. La population que nous avons estimée à 125,000 âmes à peu prés lors de l'introduction de la constitution de 91, s'était redoublée cinq fois depuis. Les dissensions politiques n'avaient pas empêché chacun de remplir sa tâche avec son activité ordinaire. En Amérique le mouvement des choses entraîne toutes les théories avec lui, tous les systèmes des métropoles. Tout n'y assied sur des bases immenses qui n'ont pour ainsi dire de limites que les limites du continent lui-même. En Europe le propriétaire est au sommet de la pyramide sociale; en Amérique il est où il doit être pour le bonheur et la paix de ceux qui la composent, à la base. En 1844, où s'est fait le recensement le plus rapproché de l'union, la population du Bas-Canada était de 691,000 âmes, dont 524,000 Canadiens-français, 156,000 Anglais et étrangers, et 673,000 catholiques. Il y avait 76,000 propriétaires et 113,000 maisons, d'où l'on peut conclure que chaque famille a sa maison et que presque toutes les familles sont propriétaires. Les productions agricoles s'élevèrent à 925,000 minots de blé, à 1,195,000 minots d'orge, à 333,000 minots de seigle, à 7,239,000 minots d'avoine, à 1,219,000 minots de pois, à 141,000 minots de blé-d'inde, à 375,000 minots de blé sarrasin, à 9,918,000, de pommes de terre. Les érablières produisirent 2,272,000 livres de sucre. On comptait 7,898 ruches d'abeilles, 470,000 têtes de bétail, 147,000 chevaux, 198,000 cochons et 603,000 moutons dont la toison donnait 1,211,000 livres de laine. Les animaux devaient être en proportion de l'agriculture, mais cette proportion est plus petite dans les pays froids que dans les pays chauds. L'hiver sera toujours un grand obstacle à l'élévation des bestiaux dans le Bas-Canada, parce qu'il faut les nourrir à l'étable près de six mois de l'année. Il sortit des métiers domestiques 747,000 verges de drap du pays, 858,000 verges de toile de fil et de coton, 655,000 verges de flanelle et de droguet. L'industrie faisait rouler 422 moulins à farine, 153 à gruau, 911 à scie, 14 à l'huile de lin, 153 à fouler, 169 à carder, 469 à battre, 8 à papier et 24 à cloux, etc. 69 fonderies mêlaient leurs noires vapeurs au bruit de ces grands élémens de progrès et de richesses. Il y avait encore 36 distilleries, 30 brasseries, 540 manufactures de potasse et 86 autres de différens genres, que faisaient marcher le vent, l'eau, la vapeur ou la force animale. Maintenant au dessus de ces puissances physiques et matérielles il y avait 64 collèges ou écoles supérieures et 1569 écoles élémentaires, qui répandaient les lumières sur 57,000 enfans au bruit des forêts qu'on abattait et des chantiers qu'on ouvrait partout pour agrandir le champ des nouvelles Sidons modernes, dans ce continent sorti à peine du sein des ondes et des mains de Christophe Colomb et de Jacques Cartier. La rigueur du climat de Québec ne peut rien pour dompter l'énergie productive des enfans du St.-Laurent. C'est au milieu des frimats qui emprisonnent les ondes qu'ils construisent ces nombreux vaisseaux qui doivent sillonner les mers du globe, et qu'ils préparent ces bois qui doivent servir à abriter les peuples de l'Europe et des tropiques. 2090 ouvriers construisirent à Québec seul dans l'hiver de 1840, 33 navires jaugeant ensemble 18,000 tonneaux; et 1175 navires jaugeant 384,000 tonneaux venant d'Europe et d'ailleurs, étaient arrivés dans le cours de l'été précédent dans le port de cette ville commerçante. Enfin en 1840, la totalité du revenu du Bas-Canada monta à £184,000, et la dépense à £143,000. Aujourd'hui à l'aide de quelques modifications dans nos lois fiscales, le revenu des deux Canadas unis a presque triplé; il excède £800,000. Nous allons terminer ici notre récit. L'union des deux Canadas doit former une des grandes époques de nos annales coloniales. Nous l'avons peut-être amené trop près des temps présens; mais nous y avons été forcé par l'enchaînement des événemens, qui seraient restés sans signification bien précise sans la conclusion qui nous les explique en expliquant la pensée de la métropole. Si en retraçant ces événemens, nous avons pu blesser les susceptibilités des hommes, des races, du pouvoir ou des partis qui ont exercé de l'influence sur notre patrie, nous dirons comme M. Thiers, nous l'avons fait sans haine, plaignant l'erreur, révérant la vertu, admirant la grandeur, tâchant de saisir les profonds desseins de la providence dans le sort qu'elle nous réserve, et les respectant dès que nous croyons les avoir saisis. CONCLUSION. Nous avons donné l'histoire de quelques émigrans français venus pour fixer les destinées de leur postérité à l'extrémité septentrionale de l'Amérique du Nord. Détachés comme quelques feuilles d'un arbre, le vent les a jetés dans un monde nouveau pour être battus de mille tempêtes, tempêtes de la barbarie, tempêtes de l'avidité du négoce, tempêtes de la décadence d'une ancienne monarchie, tempêtes de la conquête étrangère. A peine quelques milles âmes lorsque ce dernier désastre leur est arrivé, ils ne doivent pas en vouloir trop à leur ancienne mère-patrie, car la perte de la noble colonie du Canada fut une des causes déterminantes de la révolution, et l'univers sait quelle vengeance cette nation polie et fière a exercé sur tous ceux qui avaient la main de près ou de loin au timon de l'état qui nous abandonnait au moment du danger. Malgré toutes les tourmentes passées déjà sur le Canada, quelques centaines de colons français; car nous craindrions d'exagérer en disant quelques milliers, avaient atteint le chiffre fort peu important en Europe de 60,000 âmes environ au jour de la conquête. Aujourd'hui après 90 ans, ce chiffre atteint 700,000,[43] et cet arbre s'est accru de lui-même, sans secours étranger, dans sa propre foi religieuse, dans sa propre nationalité. Pendant 150 ans il a lutté contre les colonies anglaises trente à quarante fois plus nombreuses sans broncher d'un pas, et le contenu de cette histoire nous dit comment il s'acquittait de son devoir sur le champ de bataille. [Note 43: Le recensement de cette année porte la population canadienne française à 695,943 âmes.] Quoique peu riche et peu opulent, ce peuple a montré qu'il avait conservé quelque chose de la grande nation dont il tire son origine. Depuis la conquête sans se laisser distraire par les philosophes ou les rhéteurs sur les droits de l'homme et autres thèses qui amusent le peuple des grandes villes, il a fondé sa politique sur sa propre conservation, la seule base d'une politique recevable par un peuple. Il n'était pas assez nombreux pour prétendre ouvrir une voie nouvelle aux sociétés, ou se mettre à la tête d'un mouvement quelconque à travers le monde. Il s'est resserré en lui-même, il a rallié tous ses enfans autour de lui, et a toujours craint de perdre un usage, une pensée, un préjugé de ses pères malgré les sarcasmes de ses voisins. Le résultat c'est que jusqu'à ce jour, il a conservé sa religion, sa langue, et bien plus un pied à terre à l'Angleterre dans l'Amérique du Nord en 1775 et en 1812. Ce résultat quoique funeste à la république des Etats-Unis, à ce qu'il aurait paru au premier abord, n'a peut-être pas eu les mauvaises suites qu'on aurait pu en appréhender. Le drapeau royal anglais flottant sur la citadelle de Québec a obligé la jeune république d'être grave, de se conduire avec prudence, de ne marcher en avant que graduellement, et non pas de s'élancer comme une cavale sauvage dans le désert. La conséquence, disons-nous, c'est que la république des Etats-Unis est devenue grande, puissante et un exemple pour le monde. Les Canadiens sont aujourd'hui un peuple de cultivateurs dans un climat rude et sévère. Il n'a point en cette qualité les manières élégantes et fastueuses des populations méridionales, et ce langage qui semble sortir de cette nature légère et intarissable qu'on ne connaît point dans les hautes latitudes de notre globe. Mais il a de la gravité, du caractère et de la persévérance. Il l'a montré depuis qu'il est en Amérique, et nous sommes convaincu que ceux qui liront son histoire avec justice et bonne foi, avoueront qu'il s'est montré digne des deux grandes nations aux destinées desquelles son sort s'est trouvé ou se trouve encore lié. Au reste, il n'aurait pu être autrement sans démentir son origine. Normand, Breton, Tourangeau, Poitevin, il descend de cette noble race qui marchait à la suite de Guillaume le conquérant, et dont l'esprit enraciné ensuite en Angleterre, a fait de cette petite île une des premières nations du monde; il vient de cette France qui marche à la tête de la civilisation européenne depuis la chute de l'empire romain, et qui dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, se fait toujours respecter; qui sous ses Charlemagne comme sous ses Napoléon ose appeler toutes les nations coalisées dans des combats de géans; il vient surtout de cette vendée normande, bretonne, angevine dont le monde respectera toujours le dévouement sans bornes pour les objets de ses sympathies royales et religieuses, et dont le courage admirable couvrira éternellement de gloire le drapeau qu'il avait levé au milieu de la révolution française. Que les Canadiens soient fidèles à eux mêmes; qu'ils soient sages et persévérans, qu'ils ne se laissent point emporter par le brillant des nouveautés sociales ou politiques. Ils ne sont pas assez forts pour se donner carrière sur ce point. C'est aux grands peuples à essayer les nouvelles théories. Ils peuvent se donner des libertés dans leurs orbites assez spacieuses. Pour nous, une partie de notre force vient de nos traditions; ne nous en éloignons ou ne les changeons que graduellement. Nous trouverons dans l'histoire de notre métropole, dans l'histoire de l'Angleterre elle-même de bons exemples à suivre. Si l'Angleterre est grande aujourd'hui, elle a eu de terribles tempêtes à passer, la conquête étrangère à maîtriser, les guerres religieuses à apaiser et bien d'autres traverses. Sans vouloir prétendre à une pareille destinée, notre sagesse et notre ferme union adouciront beaucoup les difficultés de notre situation, et en excitant leur intérêt rendront notre cause plus sainte aux yeux des nations. SOMMAIRES. LIVRE TREIZIEME. CHAPITRE I. CONSTITUTION DE 91.--1792-1800. Etablissement d'un gouvernement représentatif.--Réunion de la législature.--Le parti anglais veut abolir l'usage de la langue française; vives discussions à ce sujet.--Les Canadiens l'emportent.--La discussion est renouvelée lors de la considération des règles pour la régie intérieure de la chambre.--Violens débats; discours de M. Bédard et autres.--Les anglificateurs sont encore défaits.--Travaux de la session; projets de loi pour les pauvres, les chemins et les écoles.--Biens des Jésuites.--Subsides--Justice--Prorogation des chambres; discours de sir Alured Clarke.--Lord Dorchester.--Il convoque les chambres.--Organisation de la milice.--Comptes publics.--Judicature.--Suspension de la loi de l'habeas corpus.--Association générale pour le soutien du gouvernement. Troisième session.--Revenus et dépenses.--Fixation des charges; rentes seigneuriales.--Voies publiques.--Monnaies.--Lord Dorchester remplacé par le général Prescott.--Session de 97.--Défection de MM. De Bonne et de Lotbinière.--Traité de commerce avec les Etats-Unis.--Emissaires français.--Les pouvoirs de l'exécutif sont rendus presque absolus; ses terreurs.--Exécution de M. Law.--Sessions de 98 et 99.--Amélioration du régime des prisons.--Impôts, revenus publics.--Querelles entre le gouverneur et son conseil au sujet de la régie des terres.--Il est rappelé avec le juge Osgoode.--Sir Robert Shore Milnes convoque les chambres en 1800.--Nouvelle allusion aux principes de la révolution française; motif de cette politique.--Proposition d'exclure le nommé Bouc de l'assemblée.--Le gouvernement s'empare des biens des Jésuites. CHAPITRE II. ADMINISTRATION DE SIR JAMES CRAIG.--1801-1811. Elections de 1800.--Institution royale.--Principe de la taxation.--La nationalité canadienne.--Etablissement du Canadien.--Affaire de la Chesapeake.--Situation de nos relations avec les Etats-Unis.--Premières difficultés avec cette république.--Arrivée de sir James Craig en Canada.--Ordre militaire.--Proclamation politique.--Ouverture des chambres.--Projet de loi pour exclure les juges de l'assemblée.--M. Bedard et autres officiers de milice cassés.--Ministère responsable--Dissolution du Parlement.--Discours insultant de Craig.--Les idées du Canadien sur la constitution et la responsabilité ministérielle.--Subsides.--Agent à Londres.--Exclusion des juges de la chambre.--Dissolution subite du parlement.--Saisie du Canadien et emprisonnement de M. Bedard, Taschereau et Blanchet.--Proclamation du gouverneur.--Election.--Ouverture des chambres.--Elargissement des prisonniers.--Affaires religieuses.--Entrevues de sir James Craig et de M. Plessis au sujet de l'église catholique.--Nomination des curés par le gouvernement.--Fin de l'administration de Craig. LIVRE QUATORZIÈME. CHAPITRE I. GUERRE DE 1812. Sir George Prévost; sa politique.--Situation des rapports entre l'Angleterre et les Etats-Unis.--Premières hostilités sur mer.--Le parti de la guerre l'emporte à Washington--La guerre est déclarée.--L'Angleterre adopte un système défense.--Forces des Etats-Unis.--Organisation de la défense du Canada.--Zèle du clergé catholique.--M. Plessis travaille à faire reconnaître officiellement le catholicisme par le gouvernement.--Mission secrète de John Henry aux Etats-Unis et son résultat.--Mouvement des forces américaines.--La général Hull envahit le Canada et puis se retire.--Divers escarmouches et combats.--Le général Brock fait prisonnier le général Hull avec ses soldats.--Van Rensalaer envahit le Canada.--Combat de Queenston; mort du général Brock.--Défaite de l'ennemi.--Nouvelle et inutile invasion du Canada par le général Smith.--Le général Dearborn fait mine d'attaquer le Bas-Canada, puisse retire.--Evénemens sur mer.--Session du parlement.--Il élève les droits de douane pour faire face aux dépenses de la guerre. CHAPITRE II. CONTINUATION DE LA GUERRE.--PAIX DE 1815. CAMPAGNES DE 1813-1814. Campagne de 1813--Opérations sur les lacs Erié, Ontario et Champlain.--Combats de French town et du fort Meigs.--Attaque de Sandusky.--Combat naval de Put-in-Bay.--Bataille de Thames.--Destruction des Criques.--Prise de Toronto.--Le colonel Harvey surprend les Américains à Burlington.--Black Rock est brûlé--Batailles de Chrystlers Farm et de Châteauguay.--Retraite des armées américaines.--Surprise du fort Niagara. Lewiston, Manchester brûlés.--Opérations sur mer.--Travaux du parlement à Québec.--Le juge Sewell accusé va se justifier à Londres.--Il suggère l'union de toutes les colonies.--Campagne de 1814.--Combats de Lacolle, Chippawa, Lundy's Lane.--Attaque du fort Erié.--Défaite de Drummond.--Expédition de Plattsburgh.--Attaque des côtes des Etats-Unis.--Washington pris et le capitole brûlé.--Bataille de la Nouvelle-Orléans.--Cessation des hostilités.--Traité de Gand.--Réunion des chambres.--Sir G. Prévost accusé pour sa conduite à Plattsburgh, remet les rênes du gouvernement et passe en Angleterre,--Sa mort.--Réhabilitation de sa mémoire. LIVRE QUINZIÈME. CHAPITRE I. QUESTION DES SUBSIDES.--1816-1822. Les dissensions entre la chambre et l'exécutif recommencent après la guerre.--Union des colonies anglaises.--Le général Drummond.--Abus dans le bureau des terres et des postes.--Rejet des accusations contre les juges Sewell et Monk.--Dissolution du parlement.--Sir John Coape Sherbrooke gouverneur.--Il transmet aux ministres un tableau de l'état des esprits en Canada.--Instructions qu'il reçoit.--Le clergé catholique: M. Plessis.--Le juge Sewell.--MM. Uniacke et Marshall.--Situation des finances.--Leur confusion.--Dépenses faites sans appropriation.--Instructions de lord Bathurst.--Droit de voter les subsides.--Le juge Toucher accusé.--Le duc de Richmond remplace Sherbrooke.--Reprise de la question des finances.--Liste civile augmentée demandée pour la vie du roi--Elle est refusée.--Le juge Bedard accusé.--Mort soudaine du duc de Richmond--Dissolution du parlement.--Le comte de Dalhousie gouverneur.--M. Plessis à Londres.--Ses entrevues avec lord Bathurst.--Les discussions sur la question des finances continuent.--M. Papineau nommé au conseil exécutif.--Refus des subsides.--Division dans le conseil législatif.--Partage des droits de douane avec le Haut-Canada. CHAPITRE II PREMIER PROJET D'UNION.--- 1823-1827. L'union des deux Canadas désirée par les Anglais de Montréal.--Ellice est leur agent.--Histoire de la fortune de ce marchand--Le bill d'union amené secrètement devant le parlement impérial.--Parker donne l'alarme.--Sir James Macintosh et sir Francis Burdett avertis arrêtent le bill dans la chambre des communes.--Nature de ce bill.--Il est ajourné.--Sensation que la nouvelle de son introduction dans le parlement fait dans les deux Canadas.--Pétitions contre: MM. Papineau et Neilson députés à Londres. Habile mémoire qu'ils présentent au gouvernement.--Les ministres abandonnent la mesure.--Paroles d'Ellice à M. Papineau.--Appréciation d'Ellice par sir James Macintosh.--Opinion de sir Francis Burdett sur l'union.--Entrevues de M. Papineau avec lord Bathurst.--Opinion des hommes d'état sur la durée de l'union des Etats-Unis.--Montant de la défalcation de Caldwell.--Affaires religieuses.--Lord Dalhousie passe en Angleterre et revient à Québec.--Refus des subsides.--Discours insultant de ce gouverneur en prorogeant le parlement. CHAPITRE III. Crise de 1827.--1827-1828. Nouvelle crise.--Adresse de M. Papineau et d'une partie des membres de la chambre à leurs commettans en réponse au discours prononcé par le gouverneur en ajournant la session.--Assemblées publiques.--Destitutions dans la milice.--La presse.--Elections.--Réunion du parlement.--Le gouverneur désapprouve le choix de M. Papineau comme président de l'assemblée.--Le parlement est prorogé.--Adresses des partisans de lord Dalhousie au roi.--Assemblées publiques dans toutes les parties du pays.--Adresses au roi et aux deux chambres du parlement impérial.--M. Waller rédacteur du Spectateur arrêté deux fois.--MM. Neilson, Viger et Cuvillier députés à Londres avec les adresses des Canadiens.--M. Gale avec celles du parti opposé.--Affaires du Canada devant le parlement impérial. Discours de MM. Huskisson, Labouchère, sir James Macintosh, Hume, Wilmot, Stanley dans les communes.--Les adresses sont renvoyées à un comité.--Rapport du comité.--M. Huskisson est remplacé dans le ministère des colonies par sir George Murray.--Le rapport du comité n'est ni rejeté ni adopté--Sir George Murray annonce aux députés canadiens qu'on va prendre des mesures pour faire cesser les difficultés.--Sir James Kempt remplace lord Dalhousie eu Canada. LIVRE SEIZIÈME. CHAPITRE I. LES 92 RÉSOLUTIONS.--1829-1834. Espoir trompeur que le rapport du comité de la chambre des communes fait naître en Canada.--Instructions de sir James Kempt.--La presse canadienne devient plus modérée.--Ouverture des chambres.--Décision des ministres sur la question des subsides et autres points mineurs.--Les espérances de l'assemblée s'évanouissent.--Résolutions qu'elle adopte.--Nouvelles adresses à l'Angleterre.--Travaux de la session.--Session de 1830.--Réponse des ministres aux dernières adresses.--Résolutions sur les ordonnances de milice et les subsides.--Conseils législatif et exécutif.--Opinion de sir James Kempt à leur sujet.--Sensation qu'elle produit.--Assemblée de St.-Charles.--Sir James Kempt, qui a demandé son rappel, est remplacé par lord Aylmer.--Le procureur-général Stuart suspendu.--Concessions et réformes proposées par lord Goderich.--Appel nominal de la chambre.--Elles sont refusées.--Faute de l'assemblée en cette occasion.--Lord Aylmer très affecté.--Les juges Kerr et Fletcher accusés.--Le Parlement impérial change l'acte constitutionnel pour abandonner tous les revenus du Canada au contrôle de sa législature.--Session de 1831-2.--Nouvelles dépêches de lord Goderich.--Indépendance des juges.--Terres de la couronne et réserves du clergé.--Bureau des postes.--Fin de la session.--Regret de lord Aylmer de voir les concessions de lord Goderich si mal accueillies.--Emeute du 21 mai à Montréal.--Le choléra en Canada: ses terribles ravages.--Assemblée des Canadiens à St.-Charles, des Anglais à Montréal.--Réponse des ministres touchant le juge Kerr et l'indépendance des juges.--Retour des ministres à une politique rétrograde.--Adresse au roi pour le prier de rendre le conseil législatif électif.--Résolutions contre l'annexion de Montréal au Haut-Canada.--Le procureur-général Stuart et le juge Kerr destitués.--Adresse du conseil législatif au roi.--Double vote de son président.--Townships de l'est.--Session de 1834.--Dépêches de lord Stanley sur divers sujets.--Considération de l'état de la province.--Les 92 résolutions.--Lord Aylmer accusé.--Adresse du conseil législatif.--Prorogation. CHAPITRE II LES TROUBLES DE 1837.--1835-1837. Effet des 92 résolutions en Angleterre.--Une partie des townships de l'est se rallie à la chambre d'assemblée.--Comité nommé dans les communes sur nos affaires.--Débats.--Une partie du ministère anglais résigne.--M. Stanley est remplacé aux colonies par M. Rice et plus tard par lord Aberdeen.--Comités de district en Canada.--Nouvelles pétitions--Lettre de M. Roebuck.--Nouveaux débats dans la chambre des communes--Dissolution du parlement canadien.--Associations constitutionnelles.--Rapprochement entre les libéraux du Haut et du Bas-Canada.--Le parlement s'assemble à Québec.--Nouvelle adresse à l'Angleterre.--Une nouvelle section de la majorité se détache de M. Papineau.--Dépêches de lord Aberdeen.--Ministère de sir Robert Peel.--Trois commissaires envoyés en Canada.--Lord Gosford remplace lord Aylmer.--Chambre des lords. Ouverture du parlement canadien.--Discours de lord Gosford.--La chambre persiste dans la voie qu'elle a prise, en votant 6 mois de subsides qui sont refusés.--Le parlement est prorogé et convoqué de nouveau.--Les autres colonies qui devaient faire cause commune avec le Bas-Canada l'abandonnent et acceptent les propositions de l'Angleterre.--Rapport des commissaires.--La conduite du ministère approuvée.--Les assemblées continuent en Canada.--Langage des journaux.--Agitation dans les campagnes.--Bandes d'hommes armés.--M. Papineau descend jusqu'à Kamouraska.--Opinion réelle de la masse des habitans.--Nouvelle session du parlement aussi inutile que les autres.--Nouvelle adresse au parlement impérial.--Magistrats et officiers de milice destitués.--Associations secrètes à Québec et à Montréal, où l'on résoud de prendre les armes.--Démonstrations en faveur du gouvernement.--Assemblée des six comtés.--Mandement de l'évêque de Montréal.--Le gouvernement fait des armemens.--Troubles à Montréal.--Mandats d'arrestation lancés.--Les troupes battues à St.-Denis; victorieuses à St.-Charles.--La loi martiale proclamée.--Plusieurs membres invitent inutilement le gouverneur à réunir immédiatement les chambres.--Affaire de St.-Eustache,--L'insurrection supprimée.--Troubles dans le Haut-Canada.--Résignation de lord Gosford.--Débats dans les communes.--Les ministres promettent de soumettre l'insurrection par les armes. CHAPITRE III. UNION DES DEUX CANADAS.--1838-1840. Effet des troubles de 1837 en Angleterre, en France et dans les Etats-Unis.--Mesures du parlement impérial.--Débats dans les deux chambres.--Suspension de la constitution.--Lord Durham nommé gouverneur.--Son arrivée à Québec; train royal qu'il mène.--Sa proclamation au peuple.--Il organise son conseil.--Les accusés politiques sont amnistiés ou éloignés temporairement.--M. Wakefield député secrètement vers M. Papineau, et quelques autres chefs.--Attitude des partis.--Lord Durham dans le Haut-Canada.--Il y rallie la majorité à son plan d'union.--Réunion des gouverneurs des provinces du golfe à Québec.--L'ordonnance d'amnistie qui exile quelques accusés à la Bermude, est désavouée en Angleterre.--Lord Durham résigne son gouvernement.--Adresses qu'il reçoit et ses réponses. Il s'embarque pour l'Europe.--Sir John Colborne lui succède.--Une nouvelle insurrection s'organise dans la Rivière Chambly et est abandonnée.--Colborne y marche avec 7 à 8000 hommes.--Il incendie le pays.--Arrestations nombreuses.--Procès des accusés.--89 sont condamnés à mort et 13 exécutés.--47 sont exilés.--Rapport de lord Durham.--Le bill d'union introduit dans le parlement impérial.--Il est ajourné à l'année suivante.--M. Poulett Thomson gouverneur.--Il arrive à Québec.--Il monte dans le Haut-Canada et y convoque les chambres. Il leur fait agréer les conditions du bill d'union, qui est enfin passé malgré les pétitions du Bas-Canada et l'opposition du duc de Wellington et de lord Gosford.--L'union proclamée en Canada.--Remarques générales--Population et autres renseignemens statistiques du Bas-Canada au temps de l'union. Conclusion. [Fin de l'_Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours_ (tome quatrième) par François-Xavier Garneau]