* Livre électronique de Project Gutenberg Canada * Le présent livre électronique est rendu accessible gratuitement et avec quelques restrictions seulement. Ces restrictions ne s'appliquent que si [1] vous apportez des modifications au livre électronique (et que ces modifications portent sur le contenu et le sens du texte, pas simplement sur la mise en page) ou [2] vous employez ce livre électronique à des fins commerciales. Si l'une de ces conditions s'applique, veuillez consulter gutenberg.ca/links/licencefr.html avant de continuer. Ce texte est dans le domaine public au Canada, mais pourrait être couvert par le droit d'auteur dans certains pays. Si vous ne vivez pas au Canada, renseignez-vous sur les lois concernant le droit d'auteur. DANS LE CAS OÙ LE LIVRE EST COUVERT PAR LE DROIT D'AUTEUR DANS VOTRE PAYS, NE LE TÉLÉCHARGEZ PAS ET NE REDISTRIBUEZ PAS CE FICHIER. Titre: Essai de Physiognomonie Auteur: Töpffer, Rodolphe (1799-1846) Date de la première publication: 1845 Lieu et date de l'édition utilisée comme modèle pour ce livre électronique: Genève: 1845 Date de la première publication sur Project Gutenberg Canada: 18 juin 2012 Date de la dernière mise à jour: 18 juin 2012 Livre électronique de Project Gutenberg Canada no 957 Ce livre électronique a été créé par Rénald Lévesque à partir d'images généreusement fournies par Google Books Essai de Physiognomonie Par R. T. Genève 1845 [Illustration: couverture.] Erratum..... Lire dans le courant de l'ouvrage Physiognomonie et physiognomonique à la place de Physiognomie et physiognomique. NOTE DU TRANSCRIPTEUR Ce livre a été imprimé sous la forme d'un fac-similé du manuscrit de l'auteur. Il ne s'agit pas là d'une simple fantaisie, mais, comme l'explique l'auteur, d'une démonstration de ce procédé d'impression qui a l'avantage de ne pas requérir l'assistance d'un graveur pour la reproduction des illustrations. Nous avons donc décidé de reproduire ce fac-similé, dans la version HTML. Si le lecteur éprouve quelque difficulté à déchiffrer l'écriture de l'auteur, il aura avantage à consulter, dans une fenêtre parallèle, la version texte qui, elle, est reproduite en caractères d'imprimerie. A noter que la version texte a été quelque peu modifiée pour se conformer aux normes de PGC, mais nous avons conservé la pagination en bas de page pour faciliter le repérage. Chapitre premier L'on peut écrire des histoires avec des chapitres, des lignes, des mots; c'est de la littérature proprement dite. L'on peut écrire des histoires avec des successions de scènes représentées graphiquement: c'est de la littérature en estampes. L'on peut aussi ne faire ni l'un ni l'autre, et c'est quelquefois le mieux. La littérature en estampes a ses avantages propres: elle admet avec la richesse des détails, une extrême concision relative. Car, deux volumes, écrits par Richardson lui-même, équivaudraient difficilement pour dire avec autant de puissances les mêmes choses, à ces dix ou douze planches d'Hogarth qui, sous le titre de _Un mariage à la mode_, nous font assister à la triste destinée et à la misérable fin d'un dissipateur. Elle a aussi cet avantage propre, d'être d'instruction en quelque sorte, et, partant, d'une extrême clarté relative. Car tous les volumes d'ailleurs estimables que l'on a écrits pour l'instruction morale du peuple ou des enfants n'équivalent pas, pour dire avec autant de puissance les mêmes choses, à cette vingtaine de planches d'Hogarth qui, sous le titre de _Histoire du bon et du mauvais apprenti_, nous font assister au double spectacle du vice paresseux et de l'honnêteté laborieuse accomplissant par leur seule force propre des destinées si diverses. Aussi Hogarth est-il moins un habile artiste, qu'un moraliste admirable, profond, pratique et populaire. Chapitre deuxième A ces causes, la littérature en estampes dont la critique ne s'occupe pas et dont les doctes se doutent peu, est extrêmement agissantes, 1. à toutes les époques, et plus peut-être que l'autre; car, outre qu'il y a bien plus de gens qui regardent qu'il n'y a de gens qui lisent, elle agit principalement sur les enfants et sur le peuple, c'est-à-dire sur les deux classes de personnes qu'il est le plus aisé de pervertir et qu'il serait le plus désirable de moraliser. Avec une bonne littérature en estampes, on réparerait presque, et à mesure, le mal que font dans les classes inférieures de la société tant de livres moralement vicieux et délétères; c'est-à-dire que du Hogarth, par exemple, y serait l'antidote victorieux du Sand, du Balzac, ou encore du Sue, trois moralistes assurément, et qui se piquent de l'être, mais vicieux et délétères aussi. En effet avec ses avantages propres de plus grande concision et de plus grande clarté relative, la littérature en estampes, toutes choses égales d'ailleurs, battrait l'autre par cette raison qu'elle s'adresserait avec plus de vivacité à un plus grand nombre d'esprits, et par cette raison aussi, que, dans toute lutte, celui qui frappe d'emblée l'emporte sur celui qui parle par chapitres. La parodie, que l'on tente quelquefois sous différentes formes, et que l'on peut tenter en estampes aussi, n'est pas cette arme dont nous disons ici que, bien maniée, elle serait victorieuse. La parodie en effet fane ou déconsidère ce qu'elle traduit en charges piquantes, et si à la vérité elle est heureuse à faire toucher du doigt les fautes d'art, je ne sache point qu'elle recule devant le travestissement des caractères les plus grands, des passions les plus nobles ou des actions les plus vertueuses. Elle n'est pas nécessairement méchante, elle est souvent spirituelle, mais c'est une rieuse de profession, et qui ne sait que le rire appliqué à toutes choses indifféremment est le plus gai, mais le plus niais aussi, et pas le moins à redouter de tous les scepticismes. L'antidote d'un roman qui attaque au profit des liaisons illégitimes la Sainte chasteté du mariage, ce n'est pas une parodie de ce roman, c'est un autre roman en estampes 2. qui accepte la thèse du premier pour en traduire aux yeux avec une verve sérieuse qui n'exclut pas le comique, les conséquences choquantes pour le bon sens, absurdes pour la raison, pernicieuses pour le coeur détestables pour l'individu et pour la société. Par malheur, Hogarth est encore unique de son ordre et dans son genre. Par malheur encore, cette alliance qu'il faut ici du moraliste et du dessinateur, est bien rare à retrouver. Par malheur enfin, les grands artistes qui seraient les mieux qualifiés par la portée de leur esprit et par celle de leur talent pour inventer et pour exécuter à la fois cette littérature travaillent pour l'art et non pour la morale, pour les expositions, et non pour le bon gros public, y compris le peuple et les enfants. Chapitre troisième. Faire de la littérature en estampes, ce n'est pas se constituer l'ouvrier d'une donnée, pour en tirer, et jusqu'à la lie souvent, tout ce qu'elle comporte. Ce n'est pas mettre au service d'une fantaisie uniquement grotesque un crayon naturellement bouffon. Ce n'est pas non plus mettre en scène un proverbe ou en représentation un calembour; c'est inventer réellement un drame quelconque dont les parties coordonnées à un dessein aboutissent à faire un tout; c'est, bon ou mauvais, grave ou léger, fou ou sérieux, avoir fait un livre, et non pas seulement tracé un bon mot ou mis un refrain en couplets. Mais il y a livres et livres, et les plus profonds, les plus dignes d'admiration à cause des belles choses qu'ils contiennent, ne sont pas toujours les plus feuilletés par le plus grand nombre. De très médiocre, à la condition qu'ils soient sains en eux-mêmes et attachants pour le gros des esprits, exercent souvent une action plus étendue et, en ceci, plus salutaire. C'est pourquoi il nous paraît qu'avec quelque talent d'imitation graphique, uni à quelque élévation morale, des homme d'ailleurs fort 3. peu distingués pourraient exercer une très utile influence en pratiquant la littérature en estampes. Et la preuve qu'il n'est pas besoin d'un gros bagage de savoir ou d'habileté pour pratiquer la littérature en estampes, c'est ce qu'il nous est advenu à nous-même; puisque sans posséder réellement aucun savoir acquis d'imitation graphique, et sans d'ailleurs nous être préoccupé primitivement d'autre chose que de donner, pour notre propre amusement, une sorte de réalité aux plus fous caprices de notre fantaisie. Il en est résulté des sortes de petits livres appelés _M. Jabot, M. Crépin_, ou _M. un tel_ que le bon gros public a adoptés tels quels, bien amicalement. Que si ces petits livres, dont un ou deux seulement s'attaquent à des travers ou taquinent des extravagances à la mode, eussent au contraire tous mis en lumière une pensée utilement morale, n'est-il pas vrai qu'ils auraient atteint bien des lecteurs que ne vont pas chercher ces pensées là dans les sermons, tandis qu'ils ne les rencontrent guère dans les romans? Quoi qu'il en soit, c'est en dessinant ces petits livres sans savoir dessiner, et en brusquant par conséquent l'imitation graphique des personnages qui y figurent au point qu'ils sont le plus souvent absurdes de membres, de traits ou de stature sans cesser pour cela d'exprimer que bien que mal ce qu'ils doivent exprimer, qu'il nous est advenu de recueillir quelques observations physiognomiques dont nous voulons faire non pas un grand système de plus, mais un petit livre encore. Ce qui nous y convie surtout, c'est l'attrayant avantage que présente le procédé autographique dans une matière où il s'agit avant tout de pouvoir s'expliquer par des exemples graphiques qui n'ont de valeur qu'autant qu'ils sont tracés directement par la plume même de l'écrivain, et au fur et à mesure qu'ils sont nécessaires. Au surplus, et pour le dire en passant, dès qu'il est question de littérature en estampes, c'est-à-dire d'une série 4. de croquis où la correction ne compte pour rien et où, au contraire, la clarté de l'idée, cursivement, élémentairement exprimée, compte pour tout, rien n'est comparable en célérité, en commodité, en économie au procédé autographique qui n'exige ni le concours intermédiaire d'un graveur, ni que l'on dessine à l'envers pour que l'image imprimée se retrouve à l'endroit, ni que l'on attende plus d'une heure avant que le dessin décalqué sur la pierre soit devenu gravure et prêt à donner mille, deux mille exemplaires. Pour plus de vitesse et moins d'embarras, nous n'avons jamais employé, nous, que le procédé tel quel et bien grossier encore qui sert à imprimer des factures et des circulaires, mais nous l'avons suffisamment pratiqué pour être bien convaincu qu'il serait susceptible d'être perfectionné indéfiniment et jusqu'au point de donner des résultats équivalents à ceux de l'eau forte étayée de pointe sèche et de burin. Chapitre quatrième Si, au point de vue qui nous occupe, le procédé autographique présente des avantages incontestables, le procédé du simple trait graphique en présente de tout aussi manifestes. En effet, bien qu'il soit un moyen d'imitation entièrement conventionnel, en ce sens qu'il n'existe pas dans la nature et qu'il disparaît dans l'imitation complète d'un objet, le trait graphique n'en est pas moins un procédé qui suffit, et au-delà, à toutes les exigences de l'expression, comme à toutes celles de la clarté. Sur ce dernier rapport, en particulier celui de la clarté, cette vive simplicité qu'il comporte, contribue à en rendre le sens plus lumineux et d'une acception plus faciles pour le commun des esprits. Ceci vient de ce qu'il ne donne de l'objet que ses caractères essentiels, en supprimant ceux qui sont accessoires, de telle sorte, par exemple, qu'un petit enfant dénotera imparfaitement dans tel 5. tableau traité selon toutes les conditions d'un art complexe et avancé la figure d'un homme, d'un animal ou d'un objet, ne manquera jamais de la reconnaître immédiatement si, extraite de là au moyen du simple trait graphique elle s'offre ainsi à ses regards dénudée d'accessoires et réduite à ses caractères essentiels. [Illustration.] Voici un homme, un oison, une charrette, voici surtout un âne, car c'est un animal à quatre pattes, à la longues oreilles, à grosse panse, et nul ne saurait s'y tromper; mais colorez, achevez cet âne; que par ses teintes il se confonde plus ou moins avec des teintes analogues; que par ses formes il se combine avec d'autres formes ainsi qu'il peut arriver dans un tableau, déjà cet âne ne sera plus, pour le petit enfant du moins, de compréhension aussi intuitive qu'il l'est, réduit même à ces termes, c'est-à-dire fait de quelques traits pas trop bien alignés. [Illustration.] Que si je romps la forme d'ensemble, la clarté demeure la même, car outre que les caractères principaux demeurent la rupture, à cause aussi de sa simplicité graphique, ne distrait pas de l'objet principal, et l'oeil le moins exercé supplée les lacunes du contour par leurs détails, tandis que d'autre part ils uniformiseraient par leurs tons de grise écorce, s'harmonisant avec la panse grise. 6. Un autre avantage du trait graphique, c'est la liberté entière qu'il laisse quant au choix des traits à indiquer, liberté que ne permet plus une imitation plus achevée. Que je veuille dans une tête exprimer l'effroi hébété (nos. 1), l'humeur désagréable et pointue, la stupeur, la curiosité niaise et indiscrète [illustration] tout ensemble (nos. 2, 3, 5) je me borne aux signes graphiques qui expriment ces affections en les dégageant de tous les autres qui s'y associeraient ou qui en distrairaient dans une imitation plus complète. Ceci surtout permet à des malhabiles d'indiquer pas trop mal des sentiments et des passions, en ce que c'est un secours pour leur faiblesse de n'avoir à exprimer qu'une chose à la fois par un moyen qui devient puissant en raison même de ce qu'il est isolé. Et notez le bien, le regard le moins exercé supplée les lacunes d'imitations, avec une facilité et une vérité surtout qui tournent entièrement à l'avantage du dessinateur. [Illustration.] Voilà, et des têtes, et un monsieur et une dame, qui présentent au plus haut degré des traits rompus, des discontinuités de contour pas mal négligées, et néanmoins tandis que, pour le dessinateur, ce sont là tout autant de formes abrégées qui dissimulent avantageusement son ânerie en fait de dessin correct et terminé, sans nuire beaucoup à la vie, à l'expression ou au mouvement de sa figure, ce sont pour le regardant, tout autant de blancs que son esprit peuple, remplit, achève d'habitude, sans effort et avec fidélité. Ceci conduirait à juger qu'en fait de dessin vif, croqué, rapide, il y a tout à gagner à être âne, et, sans que nous osions affirmer une chose si étrange 7. d'une manière absolue, nous irons pourtant jusqu'à dire, qu'en fait de croquis courants destinés à mettre en lumière une idée vive et nette, le sentiment qui trouve est plus heureux que savoir qui imite; que la brusquerie qui fait violence aux formes tout en enjambant les détails sert mieux la verve que l'habileté circonspecte qui courtise les formes en se marquant dans les détails, qu'enfin dans les sujets plaisants surtout, ou de folle fantaisie, une ânerie audacieuse qui saute un peu brutalement sur l'idée qu'elle a en vue, au risque d'omettre quelques traits et de briser quelques formes a le plus souvent mieux atteint le but qu'un talent plus exercé, mais plus timide, qui s'y dirige lentement au travers de tous les méandres d'une exécution élégante et d'une imitation fidèle. Et au surplus, ceci explique pourquoi dans ces sortes de sujets, les Anglais l'emportent sur le Français: c'est qu'ils sont en général dessinateurs bien moins corrects et bien moins scrupuleux. A cette cause donc, traitant de haut et sans grand égard les forme, ils atteignent dans leurs croquis de publicité courante à une vigueur de gaîté bouffonne et de verve humouristique, à laquelle ne s'élève pas communément le crayon très spirituel, mais trop strict et correct, même dans le bouffon, même dans l'excentrique, des Français. Cette facilité qu'offre le trait graphique de supprimer certains traits d'imitation qui ne vont pas à l'objet, pour ne faire usage que de ceux qui y sont essentiels, le fait ressembler par là au langage écrit ou parlé, qui a pour propriété, de pouvoir avec bien plus de facilité encore, dans une description ou dans un récit, supprime des parties entières des tableaux décrits ou des événements narrés, pour n'en donner que les traits seulement qui sont expressifs et qui concourent à l'objet. En d'autres termes, ce trait graphique, en raison même de ce que le sens y est clair, sans que l'imitation y soit complète, admet, demande des dispenses énormes d'accessoires et de détails, en telle sorte que, tandis que dans une peinture achevée, le moindre discontinuité d'imitation fait tache et lacune à la fois, dans le trait graphique, au contraire, des discontinuités monstrueuses ne 8. font ni tache ni lacune, alors même qu'elles ne sont par, comme il arrive bien souvent, l'heureux emploi d'une concision permise par le procédé et voulues par l'auteur. Enfin, et pour en finir avec le trait graphique, il est incomparablement avantageux lorsque, comme dans une histoire suivie, il sert à tracer des croquis cursif qui ne demandent qu'à être vivement accusés, et qui, en tant que chaînons d'une série, n'y figurent souvent que comme rappels d'idées, comme symboles, comme figures de rhétorique éparses dans le discours et non pas comme chapitres intégrants du sujet. Ainsi, et par exemple, nous nous souvenons d'avoir vu dans une histoire en estampes, non pas seulement ce symbole-ci [Illustration] revenant à plusieurs reprises pour exprimer les orages d'une éducation paternelle un peu brutale; non pas cet autre [Illustration] seulement revenant aussi à plusieurs reprises pour exprimer que le héros du livre est un aliboron qui change constamment de métier, mais aussi de véritables hyperboles exécutées graphiquement de manière à avoir presque la portée des hyperboles écrites ou parlées. Je vais les transcrire. Dans la première il s'agit de ce même aliboron qui, devenu marchand de vins, reçoit la visite de quelques amis politique qui lui aident à faire faillite, et c'est la rapide efficacité du moyen employé sur laquelle porte l'hyperbole. Dans la seconde, il s'agit du même aliboron encore, qui devient commis voyageur, va d'étage en étage proposer l'achat d'une métaphysique pittoresque, a l'hyperbole porte à la fois sur la multiplicité et sur l'importunité obséquieuse de [un quart de page blanche.] 9. Quoi qu'il en soit de l'excellence et des propriétés du trait graphique pour qui veut pratiquer la littérature en estampes d'une manière commode, économique et populaire, il est évident que l'on ne peut pas se hasarder à faire figurer des personnages dans le moindre petit visage dessiné au trait, sans posséder jusqu'à un certain point des connaissances pratiques de physiognomie, c'est-à-dire sans savoir par le menu quels sont les moyens qu'il faut employer pour donner aux physionomies l'expression quelconque que réclame le rôle qu'on leur assigne dans une action donnée. Ce qu'il y a de curieux, c'est que, ces connaissances pratiques de physiognomie, il est possible de les acquérir jusqu'à un certain degré, sans avoir jamais en réalité étudié la figure, la tête, la bosse et encore moins ces yeux, ces oreilles, ces nez, qui sont dans les écoles, l'agréable exercice par lequel on fait passer les dessinateurs en herbe. Bien plus, nous posons en fait, qu'un homme qui vivrait tout à fait reclus, mais qui serait observateur et persévérant, pourrait arriver par lui-même et sans autre secours que ce lui d'essais milles fois répétés, à posséder bientôt tout ce qu'il faut de savoir physiognomique pour créer à volonté des figures, des têtes, tant mal dessinées que l'on voudra, mais ayant, à ne pouvoir s'y tromper, une expression déterminée. Deux fait que nous allons exposer deviendront l'explication toute simple de cette assertion au premier abord un peu étrange. Le premier de ces faits, qu'il ne faut jamais perdre de vue dans cette matière, c'est que toute tête humaine, aussi mal, aussi puérilement dessinée qu'on la suppose, a nécessairement et par le seul fait qu'elle a été tracée, une expression quelconque parfaitement déterminée. Cela étant, et cela étant indépendamment de tout savoir, de tout art, de toute étude, il en résulte immédiatement pour celui qui y attache son attention ou sa curiosité, la possibilité de reconnaître à quel signes tient que cette tête a cette expression déterminée. Que 10. s'il se borne pourtant à les y rechercher abstraitement, il risquera d'employer bien du temps à les trouver d'une manière imparfaite et douteuse. Mais ce n'est pas là en effet la marche naturelle en ces choses. Au lieu de méditer, on trace une nouvelle figure: tout aussitôt les analogies demeurent, tandis que les différences se marquent, et l'on est sur la voie de comprendre, à une très grande exactitude près, par quelles inflexions du trait, la première tête se trouvait avoir une expression de bêtise, tandis que la seconde se trouve avoir une expression de dureté. Voici un exemple, et pour le rendre plus probant, j'emprunte aux petits garçons d'école leur manière. [Illustration.] Voici bien, on ne peut le nier, la tête humaine aussi élémentaire que possible, aussi puérilement fruste qu'on peut le désirer. Eh bien, qu'est-ce qui frappe dans cette figure? C'est que, ne pouvant pas ne pas avoir une expression, elle en a une en effet; c'est celle d'un particulier stupide, balbutiant et d'ailleurs pas trop mécontent de son sort. Dire d'emblée à quoi tient ici cette expression, n'est pas très aisé; mais le trouver par comparaison, c'est chose facile pour quiconque y applique sa curiosité. Car faisant une nouvelle tête [illustration] je trouve qu'elle est moins stupide, moins balbutiante, douée sinon d'esprit, du moins de quelque capacité d'attention, et je remarque bien aisément que cela tient principalement à ce que j'ai avancé la lèvre inférieure, diminué l'écartement des paupières et approché l'oeil du nez. Que si je multiplie les têtes, afin de multiplier les comparaisons, [illustration] voilà déjà un commencement de connaissances physiognomiques acquises indépendamment de toute étude d'après nature, d'après la bosse, ou d'après des nez, des yeux et des oreilles. Car pour chacune de ces têtes je puis renouveler la recherche que j'ai faite sur la seconde comparée à la première; sans compter qu'à les contempler ainsi alignées, je découvre d'emblée que leur caractère commun de bêtise tient au trait le plus analogue qu'elles aient entre elles, à savoir la forme de l'oeil et la place qu'il occupe. Le second fait, c'est que les signes graphiques au moyen desquels on peut produire 11. toutes les expressions si variées et si complexes de la figure humaine, se trouvent être au fond très peu nombreux, et que par conséquent les procédés d'expression sont puissants, non pas par leur multiplicité, mais par les faciles et innombrables modifications qu'on leur fait subir. Un profil n'a qu'une narine qui s'exprime ainsi [Illustration], et ce seul signe, suivant qu'on le modifie, suffit déjà pour évoquer une foule d'affections: [Illustration] car voilà des nez que, en tant que nez sont déjà ou calmes, ou mélancoliques, ou malins, ou chagrins ou agacés, ou d'une humeur à faire pester madame et la servante. Une bouche pareillement n'est que ceci [illustration] et voici des bouches [illustration] qui, autrement tracées, expriment certes des nuances ou même des oppositions d'expression. Il résulte de là qu'avec un peu de tâtonnement les signes d'expression sont bientôt appris, et qu'une fois appris, ici comme précédemment, c'est de la comparaison si facile des différences ou des nuances d'expression que leurs modifications engendrent, que naît, pour tout homme qui y applique sa curiosité, la faculté de pouvoir à coup sur et à volonté infuser dans une tête donnée une expression voulue. Nous n'avons pas connu quant à nous d'autre méthode pour acquérir cette faculté; c'est pourquoi, sans la conseiller comme supérieure, et sans la recommander comme unique, nous nous bornons à l'affirmer comme possible. Les chapitres suivants seront le fruit des observations que nous avons recueillies en les pratiquant, mais avant que nous procédions à les écrire, encore quelques profils, ne fût-ce que pour ne pas laisser disjoints ces malheureux nez et ces pauvres bouches qui viennent de servir pour notre démonstration. [Illustration.] Chapitre sixième. Du reste, si cette méthode n'est pas supérieure, elle est du moins très amusante, car, s'essayer sans cesse, (et à temps perdu pour en avoir moins de regrets) à tracer des figures humaines qui ont toujours et nécessairement une expression déterminée, et une expression 12. quelquefois bien plus vive ou bien plus comique que l'on n'avait pu s'y attendre, c'est évidemment récréatif. Après tout, ces visages vivent, parlent, rient, pleurent; tels sont bonnes gens tels maussades, tels insupportables, et voici tout à l'heure sur la page une société avec laquelle vous êtes en rapport, de façon que vos sympathies et vos antipathies sont en jeu. Pour nous, nous avons toujours préféré ces partners-là à des partners de whist ou de piquet. [Illustration.] Parmi ces partners on en voit qui ont du bon assez, de l'intelligence de quoi, ou encore une niaise fatuité parfaitement suffisante pour les rendre en tout temps satisfaits d'eux-mêmes et contents de leur destinée, et on les laisse tels quels. L'on en voit aussi [illustration.] de qui l'oeil, le nez, la bouche ou quelque autre trait signale quelque défaut ou quelque vice qui menace leur bonheur ou celui de leurs proches, et l'on cède au désir de les [illustration] en débarrasser. Presque toujours aussi parmi ces partners, l'on en découvre qui, mis en rapport les uns avec les autres peuvent donner lieu à une scène plaisante, alors on les assemble, on les complète, on trouve la scène qui a précédé celle-là, on invente celle qui doit suivre et l'on est sur la voie de composer une histoire en estampe. [Illustration.] Ainsi il est clair que lorsque la plume a donné [illustration] comme ci-contre une bonne maman qui réconforte son garçon chéri, c'est que ce garçon chéri vient de recevoir quelque correction de son papa ci-contre, et l'on est libre alors de poursuivre le tableau des avantages d'une éducation première dans laquelle l'enfant a été sans cesse rudoyé d'une part, pansé de l'autre. 13. En effet, c'est ainsi bien souvent que procède l'invention, qui, dans les arts aussi bien qu'ailleurs est tantôt analytique, c'est-à-dire s'élevant des parties à l'ensemble, tantôt synthétique, c'est-à-dire descendant de l'ensemble aux parties. Seulement, le trait graphique, à cause de sa rapide commodité, de ses riches indications, de ses hasards heureux et imprévus, est admirablement fécondant pour l'invention. L'on pourrait dire qu'à lui tout seul il met à la voile et souffle dans les voiles. Ce qui nous donna un jour l'idée de faire toute l'histoire d'un monsieur Crépin, ce fut d'avoir trouvé d'un bond de [illustration] plume tout à fait hasardé, la figure ci-contre. Ohé! nous dîmes-nous, voici décidément un particulier un et indivisible, pas agréable à voir, pas fait non plus pour réussir rien qu'en se montrant, et d'une intelligence plus droite qu'ouverte, mais d'ailleurs assez bon homme, doué de quelque sens, et qui serait ferme s'il pouvait être asses confiant dans ses lumières, ou assez libre dans ses démarches. Du reste, père de famille assurément, et je parie que sa femme le contrarie! ... Nous essayâmes, et effectivement sa femme le contrariait dans l'éducation de ses onze enfants; s'éprenant tout à tour de tous les sots instituteurs, de toutes les folles méthodes, de tous les phrénologues de passage. De là toute une épopée issue bien moins d'une idée préconçue que de ce type trouvé par hasard. Type dirigeant au surplus, et régulateur éminemment; car imagine-t-on que toute autre destinée, que toutes autres vicissitudes, se seraient également bien appropriées à cette figure-là? Point du tout. Mr. Crépin [illustration] très bien marié à une femme aimable sensée, [illustration] qui, ou bien le domine, ou bien en est dominée entièrement; Mr. Crépin élevant sans beaucoup de tapage, de contrariétés et d'infructueux essais onze garçons sans moins, est un homme impossible, tout comme, taillé ainsi qu'il l'est, il est impossible que l'instituteur Fadet ne soit pas un sot avantageux, et le Docteur Craniose un charlatan bavard, un colporteur de fadaises systématisées, un professeur parasite, un donneur de cours affichés au coin des rues, à cinq francs par tête et la première leçon gratuite. 14. Chapitre septième. Toutefois, et c'est le moment de le dire puisque le docteur Craniose nous y fait songer, si la phrénologie, en localisant les facultés au cerveau pour leur assigner à chacune une place matérielle qui, plus ou moins étendue ou proéminente, est la mesure donnée de l'intelligence ou de la moralité d'un individu, est en cela un système entaché au premier chef de matérialisme, la physiognomie qui prétend conclure des formes et des traits du visage aux facultés intellectuelles ou morales d'un individu, pourrait paraître à quelques esprits entachée au second chef de matérialisme, ou du moins y frayant la route. Deux mots sur ce sujet qui est pourtant bien grave pour être touché seulement, dans cet opuscule. Si la phrénologie est matérialiste en principe, parce que, au lieu de laisser à l'âme son intègre et indépendante unité, première garantie de son immatérialité, elle en localise les facultés dans le cerveau, qui n'est plus alors que l'instrument de lui-même. Mais dans la physiognomie, rien de semblable absolument; l'on n'y localise rien, l'on n'y touche ni à l'indépendante unité de l'âme, ni par conséquent à son immatérialité. Bien plus, sans l'âme telle quelle, siège unique des facultés et moteur exclusif des affections la physiognomie n'a pas de sens, parce qu'elle devient aussitôt un effet sans cause. En effet la physionomie humaine ne saurait être empreinte d'une expression, qu'autant que l'âme l'y empreint. Supprimez l'âme, cette expression n'a plus ni cause, ni règle, ni mesure. Ou bien prétendrait-on imposer d'office à celui que pose des règles physiognomiques la stupidité de croire que tel homme est fatalement malicieux, parce que sa narine affecte une certaine forme, plutôt que de croire avec tout le monde, que cet homme, pour n'avoir pas réprimé un penchant malicieux a vu son nez tourner au nasus ad uncus d'Horace? En vérité il faudrait alors s'abstenir de tousser, crainte de passer pour poitrinaire; ou de regarder avec plaisir un beau visage, crainte de passer our un homme sans moeurs. Notre second mot, le voici. La phrénologie, soit parce que en raison même des faits mystérieux dont elle s'occupe, elle manque de base certaine, soit parce que, comme système psychologique, elle repose sur des 15. principes faux, n'a pu parvenir à aucun résultat direct et certain, à aucune application utile, avantageuse, ou seulement réalisable; de telle sorte que tandis que par une dangereuse anticipation, l'on s'est empressé de l'ériger en système, elle en est réduite, encore à l'heure qu'il est, à n'être pas même un recueil de faits rigoureusement établis, ou en d'autres termes, pas même un commencement de science véritable. La physiognomie au contraire, soit parce que en raison même des faits patents dont elle s'occupe, elle repose sur une base parfaitement certaine, soit parce qu'elle n'étudie en effet que des phénomènes qui ont pour point de départ l'âme une, libre et immatérielle, est parvenue théoriquement et pratiquement, sous la plume des observateurs et sous le crayon des artistes à une foule de résultats directs et certains, à une multitude d'applications réalisables, avantageuses ou utiles. Depuis qu'il y a des arts graphiques, plastiques, des arts en un mot qui emploient pour procédé l'imitation directe, et pour procédé de premier ordre l'expression de la figure humaine, il y a une physiognomie réelle, fondée sur des principes certains, et conduisant à des résultats assurés. Profonde, subtile, mystérieuse, objet souvent des plus hardies divinations du génie dans les hauts échelons de l'art, elle devient, dans ses échelons inférieurs, positive, pratique, assemblage de règles et presque de procédés aussi aisés à connaître que faciles à vérifier. Et si je puis, moi, tracer à mon gré telle tête qui exprimera ou le vice ou l'honnêteté, ou l'abjection ou la noblesse, ou la joie ou l'affliction, ou la finesse ou la dureté, de façon à ce que vous ne vous y puissiez pas tromper, il faut bien de toute nécessité que ce soit en vertu de règles certaines que j'obtiens à coup sûr un résultat annoncé d'avance. Aussi, après avoir ainsi distingué nettement et dans son principe et dans ses résultats, la Physiognomie de la Phrénologie, nous allons procéder, non pas à forger un système nouveau de Physiognomie, mais à poser les principes de la matière, à faire surgir de quelques expériences imaginées à cet effet certains résultats généraux, et à limiter d'un côté pour l'étendre de l'autre, la sphère de la science physiognomique. Tout en tâchant d'être aussi bref que possible, nous n'avancerons que la preuve en main, c'est-à-dire en nous appuyant 16. à chaque pas sur des exemples graphiques. Chapitre huitième La première distinction que l'on est conduit à faire en Physiognomie, c'est que les lignes d'expression qu'il est à la portée du dessinateur de saisir par le trait graphique, sont de deux sortes; les permanents, et les non-permanents. Les signes permanents sont ceux qui expriment les habitudes en effet permanentes de l'âme, celles que nous embrassons sous le terme général de caractère; et des habitudes permanentes aussi de pensée, d'activité, des puissances, celles que nous embrassons sous le terme général d'intelligence. Les signes non permanents sont ceux qui expriment tous les mouvements et toutes les agitations temporaires ou occasionnelles de l'âme, comme le rire, la colère, la tristesse, le mépris, l'étonnement etc. et que nous embrassons sous le terme général d'affections. Voilà une distinction qui est à la base de toute Physiognomie; mais à cette distinction se rattache déjà une observation de fait qui est non seulement bien curieuse, mais de toute importance dans la matière. C'est que si, d'une part, et comme nous le verrons en son lieu, les signes non permanents sont toujours, soit qu'on les considère dans leur ensemble, soit qu'on les considère isolément, les indices invariables et infaillibles de toute une expression donnée, rire, pleurs, épouvante ou autre chose; d'autre part, les signes permanents au contraire ne sont, en tant qu'indices de l'intelligence et du caractère, que des indices variables et toujours faillibles. Ainsi, si, considérant signes permanents l'on isole dans une même tête le front, l'oeil, le nez, par exemple, ou la bouche, le menton, l'occiput, il est impossible de conclure de la vue de ces signes partiels à la signification des signes dans leur ensemble, ou en d'autres termes, à la mesure d'intelligence et de moralité du sujet. Prenons un exemple. En fait de signes d'expression morale ou appartenant au caractère, il en est un, les lèvres, qui est important, et l'on dit généralement avec raison que des lèvres extrêmement menues et pincées sont un signe de malice ou même 17. d'insensibilité, tandis qu'au rebours de très grosses lèvres passent pour un signe de débonnaireté ou même de faiblesse. Eh bien, il est aisé de montrer que la valeur de ce critère n'a rien d'absolu, car voici quelques têtes, dont les unes, qui ont [illustration] toutes les lèvres menues et pincées, sont loin d'avoir toutes de la malice ou de l'insensibilité ou proportion; dont les autres, qui ont toutes les lèvres énormes, sont loin pareillement d'offrir de la faiblesse et surtout de débonnaireté. Que s'il s'agit maintenant d'intelligence et non plus de moralité, voici un exemple plus saillant encore. Il est admis généralement qu'un grand et vaste front est un caractère principal de capacité intellectuelle, or voici de grands et vastes fronts qui n'appartiennent [illustration] pas, que je sache, à de hautes notabilités intellectuelles. Inversement il est généralement admis qu'un front petit et écrasé est un critère principal d'incapacité intellectuelle. Or voici une série de particulier qui, avec des fronts [illustration] comparativement petits et écrasés, ont de l'esprit, du sens, de la finesse et en somme de l'intelligence, vingt fois, cent fois plus que nos vastes fronts de ci-dessus. Ces exemples qu'il vous serait aisé de multiplier indéfiniment, suffisent, ce semble pour mettre en lumière que, en fait de signes physiognomiques permanents, l'on ne peut pas conclure de la portée en tout, d'un signe partiel d'expression, à l'expression de l'ensemble; mais nous allons plus 18. loin, et nous dirons que, dans l'ensemble même de ces signes, l'on ne peut pas conclure avec certitude à la mesure d'intelligence et de moralité du sujet. Un fait qui est d'observation commune fait déjà pressentir la vérité de cette assertion: c'est que, à chaque instant dans la vie ordinaire, nous somme appelés à réformer des erreurs physiognomiques qui proviennent de cette faillibilité des signes permanents. Combien de visages ont d'abord excité notre défiance, qui appartenaient à des hommes dignes de toute notre estime, ou ont d'abord subjugué notre sympathie, qui appartenaient à des hommes indignes de notre confiance? Combien de fois nous avons trouvé l'intelligence, la portée, le génie même chez des têtes qui d'abord nous avaient pronostiqué presque l'inverse; et combien de fois, la sottise, la niaiserie, la stupidité même, chez des visages qui d'abord vous avaient semblé présager du sens, de l'esprit, ou même quelque portée? Mais ce que l'observation commune fait déjà pressentir à cet égard, la moindre étude des phénomènes physiognomiques le démontre. En effet, une fois reconnue la signification sinon certaine, du moins probable, plausible ou reçue des signes permanents considérés isolément, l'on a bientôt reconnu pareillement que ces signes se combinent habituellement dans la tête humaine, de la façon à la fois la plus complexe et la plus inextricable. Ainsi l'on y rencontre, tantôt des contraires, comme bonté et méchanceté, qui se neutralisent; tantôt des différents qui s'harmonisent comme finesse et étourderie; tantôt des opposés que s'accordent comme ruse et stupidité; tantôt des fâcheux dans leur ensemble sur lesquels prévaut un heureux, ou des heureux qu'équilibre, qu'efface un fâcheux; tout comme si en effet l'unité indépendante de l'âme, le moi intime et affranchi, bien loin qu'il se laissât localiser dans aucun trait particulier du visage, les dominât au contraire tous par son unité essentielle; tout comme si, au lieu des se manifester jamais exclusivement dans aucune partie spéciale de ce qui en est pourtant le symbole le plus direct et le plus transparent, à savoir la face humaine, et demeurât au contraire essentiellement insaisissable. Ceci trouvera sa démonstration graphique au chap. 10e, en sorte que, sans y insister d'avantage pour le moment, je vais poursuivre le cours de mes remarques sur les signes permanents. 19. Quand même les signes permanents ne sont que des signes probables et faillibles de la mesure de l'intelligence et de moralité, l'art les combine dans le dessin graphique de manière à leur donner une clarté parfaitement suffisante pour son objet. Néanmoins, ce qui est à remarquer ici, c'est qu'il a plus de puissance par les signes négatifs que par les signes positifs; c'est-à-dire que l'on fabrique ordinairement une tête intellectuellement et moralement bonne, encore plus par exclusion des signes de faiblesse intellectuelles ou de vice moral, que par admission et accumulation des signes positivement significatifs des facultés inverses. Voici, par exemple, une tête moyenne [illustration] sous le rapport des qualités d'intelligence et de caractère, eh bien, y ajouter beaucoup dans ce sens est très malaisé. Il faut déjà pour cela quitter les règles pour opérer de génie; il faut surtout s'écarter d'avantage du type humain général pour entrer dans le type individuel; il faut enfin mélanger au calme de la régularité, non pas des laideurs sans doutes, mais des signes heurtés, énergiques, des ruptures de symétrie. Et c'est bien pour cela que les têtes des hommes de génie, peu belles en général au point de vue de la régularité des traits, frappent néanmoins, ou attachent, par des contrastes de force et de finesse, par des saillies étranges, par des désaccords harmonieux ou par des accidents sublimes. C'est que le génie a pour compagnes en effet la vigueur active, l'énergie puissante, la passion tumultueuse. Car s'il s'agit exclusivement d'une haute élévation morale, alors il est vrai de dire qu'elle s'allie à la calme régularité de traits beaux en eux-mêmes; comme si, dans ce cas là, le visage n'avait plus à refléter que la religieuse paix, d'une âme victorieuse par l'amour, humble par la piété, douce par la tendresse, mélancolique par la compassion et souriante par la charité. L'idéal humainement possible d'une tête pareille, les grands maîtres l'ont réalisé quelquefois dans la tête du Christ. La remarque que nous venons de faire au sujet des signes physiognomiques permanents constate déjà une opposition fondamentale entre la physiognomie et la phrénologie; mais en voici une autre qui établit non moins manifestement la distance qu'il y a entre ces deux sciences et les résultats tout contraires auxquels elles arrivent. La 20. phrénologie que n'observe que le cerveau se flatte de tout expliquer sinon par ses proéminences, du moins par sa conformation, et, en réalité, elle n'explique rien, puisqu'elle n'est pas encore arrivée à un seul résultat certain. La physiognomie, au contraire, qui ne s'occupe nullement du cerveau d'une manière directe, peut prouver à qui le voudra, non seulement que la forme extérieure du cerveau n'implique rien de certain ni d'absolu quant aux facultés intellectuelles et morales, mais.... mais.... je vais provoquer un cri de surprise et d'incrédulité, que la forme de la bouche et du menton semble impliquer à cet égard infiniment davantage. En effet, nous avons déjà vu qu'avec toutes les formes du cerveau, si inclinées qu'on les suppose, on peut encore trouver dans une tête une très bonne moyenne d'intelligence ou de caractère. Voir pour ceci nos exemples, page 18; mais nous défions qu'on puisse trouver une moyenne aussi élevée, quelle que soit d'ailleurs la forme du cerveau, dans une tête qui unit à une certaine conformation de la bouche, un menton démesurément long ou prodigieusement fuyant. En voici la preuve graphique [illustration] car tous, ou presque tous ces particuliers-là ont des cerveaux, des fronts, d'Apollon du Belvédère, et tous en même temps sont presqu'aussi imparfaitement doués sous le rapport moral que sous le rapport intellectuel; un ou deux mangeraient du foin, si on leur en présentait. Or qu'a donc affaire la pensée, l'intelligence, le caractère, avec la bouche, avec le menton; et n'est-ce pas là un fait qui tend à montrer combien est faux le point de départ de tout psychologie exclusivement physiologique; combien est bâtarde cette méthode d'analogie qui, en fait d'angle facial en particulier conclut du chien au singe, du singe 21. au nègre, du nègre au blanc. Oui, si les facultés sont localisables, c'est-à-dire si l'âme est matérielle en quelque degré, sa nature peut être modifiée par des accidents de forme visible, et il y a lieu d'arguer du chien à l'homme. Mais si elle est immatérielle, qu'importent à sa nature les choses de forme, et n'est-elle pas aussi commodément et largement logée dans un point que dans un monde. Au surplus, sans attacher d'ailleurs trop d'importance à cette dernière observation, concluons d'une manière générale, en ce qui concerne les signes permanents d'intelligence et de caractères, que d'une part ils varient avec chaque tête; que d'autre part, aucun d'eux considéré isolément n'est un critère absolu et certain, tandis que, considérés dans leur ensemble, ils sont des indices généraux, tout au plus probable, et jamais infaillibles. Les signes non permanents, c'est-à-dire qui, dans la tête humaine correspondent aux mouvements ou aux agitations temporaires et occasionnels de l'âme, comme le rire, la peur, la colère, etc présentent des caractères absolument inverses de ceux que nous venons de reconnaître dans les signes permanents; à savoir que, d'une part, ces signes sont invariables, j'entends les mêmes pour toutes les têtes humaines ou une expression donnée; que d'autre part, de chacun d'eux considéré isolément, il est possible de conclure à toutes les autre, ou, en d'autres termes d'une partie d'expression à l'ensemble de l'expression. Divisant maintenant ces deux chefs, je dis quant ou premier, et à prendre l'exemple le plus simple, qu'il est impossible en fait que mille personnes, que cent mille personnes qui rient n'aient pas toutes les yeux, les narines, les coins de bouche relevés à leurs extrémités: tout comme il est impossible en fait que cent mille, que deux cent milles personnes pleurent pitoyablement, sans que leurs yeux, leurs narines, leurs coins de bouche soient tombants à leurs extrémités. Voici Jean-qui-rit: [illustration] Voici Jean-qui-pleure, et il est trop juste qu'il s'y prenne tout au rebours: [illustration] Et c'est sur ce principe qu'est fondée la plaisanterie graphique d'Héraclite et de 22. Démocrite, l'un qui riait, l'autre qui pleurait toujours, figurés dans le même visage, [illustration] lequel étant retourné présente pour expression des pleurs tout justement les mêmes traits que, dans le sens inverse forment l'expression du rire. Quant au second chef, à savoir que, quant aux signes permanents, il est possible de conclure avec certitude de l'un d'eux considéré isolément à tous les autres ou d'une partie de l'expression à l'ensemble de l'expression. C'est évidemment une conséquence du premier, mais pour lui donner l'éclaircissement d'un exemple nous tracerons [illustration] cette série de yeux qui, non seulement rient déjà pas mal par eux-mêmes, mais qui sont en outre l'indice infaillible que les particuliers auxquels ils appartiennent rient à coeur joie; tout comme les suivants sont l'indice non moins infaillible que les infortunés à qui ils appartiennent sont pour le quart d'heure aussi peu que possible en train de rire. [Illustration.] Chapitre neuvième. Par le trait graphique, l'on dispose d'un double ordre de signes, les permanents et les non permanents; c'est déjà là une grande ressource, mais on la féconde encore, en combinant mutuellement ensemble, dans un but d'expression donnée, ces deux ordres de signes. Ainsi, pour renforcer à la fois et rendre plus comique l'expression de la peur, par exemple, aux signes non permanents [illustration] de la peur, j'adjoindrai les signes permanents de faiblesse d'esprit et de niaiserie, comme ici par exemple aussi, où le menton est d'une jolie longueur, et l'ensemble du crâne mesquinement étriqué. De même, pour ajouter [illustration] à l'expression de colère, j'ôterai des signes permanents ceux qui en tempéreraient la brutalité comme seraient un front élevé et un ensemble de contours doux et émoussés. Mais voici un cas qui se présente souvent, et sur lequel nous appelons l'attention du lecteur. Comme nous l'avons dit, une tête humaine, une fois tracée, ne peut pas ne pas avoir une expression déterminée; c'est là une loi et non pas une remarque. Or, cette loi est vraie alors même que, contre toute 23. permission, l'on s'avise d'introduire dans la disposition des traits des irrégularités arbitraires, des caprices non autorisés par la nature, des impossibilités même qu'elle semble proscrire. Ainsi, reprenant mes deux termes de Jean qui pleure et de Jean qui rit, je vais les combiner arbitrairement de deux manières inverses, mettant dans un visage des yeux et un nez qui rient [illustration] avec une bouche qui pleure, et dans un autre visage [illustration] une bouche qui rit avec un nez et des yeux qui pleurent, et j'aurai les deux particuliers que voici. Qu'en résulte-t-il? Certes ce n'est pas un non sens d'expression, mais au contraire une expression claire et déterminée. Seulement et c'est là une chose curieuse, l'expression, au lieu d'être, comme dans le cas des rires ou des pleurs temporaire et occasionnelle, est redevenue permanente, et l'on a, d'une part, un homme désagréable, pointu, hargneux; de l'autre un pitoyable assez gai, ou un gai pas mal pitoyable, chez lequel la contradiction des deux termes s'équilibre ou plutôt se résout en une expression très notoire de niaiserie point mystérieuse du tout. Ceci vient confirmer d'une manière remarquable cette autre loi que nous avons posée au sujet de l'invariabilité et de l'infaillibilité des signes non permanents; car voici que ces signes, plutôt que de se prêter à aucune altération de signification lorsqu'on les amalgame d'une façon arbitraire, changent immédiatement de nature et deviennent par ce seul fait signes permanents, c'est-à-dire expressifs d'intelligence et de caractère, et, à ce titre, variables et faillibles. Toutefois, si l'art, même alors qu'il produit des combinaisons de signes entièrement arbitraires, n'arrive pas néanmoins à des non sens d'expression, cela vient de ce que si à la vérité il fait en cela plus ou autrement que la nature, tout en ne la copiant pas, il imite pourtant son exemple. La nature en effet offre constamment des types de visages dans lesquels se remarquent des discordances autres peut-être, mais absolument analogues à celle, par exemple, que nous venons de produire en amalgamant dans un même visage Jean qui pleure et Jean qui rit. L'art des déguisements de physionomie au moyen d'un seul trait changé, le nez, par exemple, pour ce que c'est le trait le plus saillie, 24. et à cette cause le plus aisé à ajouter, serait une application directe de la science physiognomique. Si la science avait que faire dans un art tout de gaie folie, ou d'ailleurs les heureux hasards servent encore mieux que les plus justes calculs mais ce que nous pouvons entrevoir en passant, c'est que les nez postiches ne font en général une révolution si drôle dans une physionomie donnée; qu'en ceci qu'ils y introduisent d'ordinaire et presque nécessairement quelque discordance analogue à l'amalgame de Jean qui pleure et de Jean qui rit, et engendrant les mêmes résultats. Nous pouvons entrevoir aussi pourquoi le déguisement partiel de la physionomie, au moyen d'un seul trait fortement changé est d'ordinaire aussi, et presque nécessairement, plus comique que se même déguisement opéré sur tous les traits, comme il arrive lorsqu'on se sert d'un masque au lieu de se servir d'un simple nez postiche. Il en va de même dans la caricature soit grotesque, soit bouffonne, soit surtout comique; c'est-à-dire que c'est de combinaisons de traits tout à fait arbitraires et factices que naissent le plus souvent les types de physionomie les plus drôles, parce que, outre quelque mystère amusant, ils offrent dans une même face, ou des contrastes ou des alliances d'expression, comiques par eux-mêmes. Je vais en donner quelques exemples. [Illustration.] Les deux premiers particuliers combinent un haut visage qui appartient à la colère, avec un bas de visage serein et même riant, le troisième, attention légèrement inquiète et laborieuse, avec insouciance niaise et contente. Le quatrième [illustration] surprise peureuse avec sécurité sans nuage. Le cinquième, esprit chagrin, avec esprit dispos. Le sixième dégoût colère, avec flegme glacé. Le septième enfin, mélancolie douce avec humeur dure. Et pour se convaincre de la réalité de ces combinaisons l'on n'a qu'à marquer tour à tour le haut et le bas du visage en prenant pour ligne d'intersection le dessous du nez. Le type Crépin, si nous osons le citer encore, appartient à cette catégorie de figures. Le haut a de l'humeur, le bas de la bêtise et la lèvre du jugement, 25. et c'est pour cela apparemment que Mr. Crépin est un homme incomplet qui, sensé dans ses intentions, incertain dans ses moyens, chagrin dans ses procédés, n'éleva pas sans beaucoup de peine ses onze enfants. Chapitre dixième Je vais reprendre dans ce chapitre, ce que nous avons appelé les signes permanents, ceux qui marquent, non pas les affections occasionnelles, mais l'intelligence et le caractère. Pour arriver à quelques résultats par l'étude de ces signes, il faut prendre une même tête, à son état calme et d'habitude, puis en conservant toujours semblables certaines parties de cette même tête, faire varier les autres; l'on voit alors ce qu'il faut conclure de ces variations. A cet effet, j'ai découpé un patron dont je suivrai constamment le contour pour les portions de tête que nous voudrons avoir semblables, et que j'abandonnerai [illustration] constamment pour les parties que nous voudrons faire varier. Voici ce patron tel quel. Il est incomplet sans doute, mais suffisant pour notre objet, quand d'ailleurs il est avantageux de n'embarrasser la démonstration d'aucun élément qui ne lui soit pas essentiel. Je vais prendre d'abord le haut du visage jusqu'au nez inclusivement, tout en conservant d'ailleurs le contour entier du cerveau, et je ferai varier le bas seulement. [Illustration.] Ce qui me frappe dans cette série, c'est que, quant à ce qui concerne les facultés intellectuelle, je les modifie, ou je transforme ou je le diminue à mon gré, ce qui me frappe encore, c'est que, quant aux facultés morales, il en va exactement de même; d'où je suis porté à conclure, conformément au reste à ce que nous a déjà signalé une épreuve faite plus haut, que le bas du visage contient à ces deux égards, facultés intellectuelles et facultés morales, des éléments plus indicatifs que n'en contient le haut du visage. 26. Je vais prendre maintenant au patron le bas du visage, et je ferai varier le haut mais ici, pour que la variation soit complète, et pour que les contours puissent se rapporter, je suis obligé de supprimer la partie supérieure du cerveau. [Illustration.] Ce qui me frappe, dans cette série, c'est que les mêmes résultats se font apercevoir mais avec une intensité moindre, évidemment; car toutes ces têtes, quoique certainement différentes d'intelligence et de caractère, n'offrent ni en modifications, ni en transformations, ni en diminution des facultés intellectuelles et morales des écartements aussi grands et aussi complets que celles de la série précédente, et en particulier la similitude des bouches, maintenant chez toutes, en dépit des diversités très considérables de nez, d'oeil, de sourcils, et surtout de front, de crâne et d'occiput, une similitude de bonté intelligente et de modération sensée. D'où je suis porté à conclure par contre épreuve que le bas du visage contient, physiognomiquement parlant plus d'éléments indicatifs des facultés intellectuelles et morales que n'en contient le haut du visage. Je prends maintenant le milieu du visage, à savoir le nez y compris la narine, plus toute la lèvre supérieure, et je vais varier tout le reste. [Illustration.] Ces têtes, comme on le voit, sont modifiables à volonté et en plus et en moins de telle sorte qu'elles peuvent ou dépasser ou n'égaler pas le patron, quant aux deux ordres de facultés dont nous nous occupons. D'où je conclus à la faiblesse relatives des signes permanents du milieu quant à l'expression intellectuelle et morale. 27. Je vais maintenant dans une première série prendre tout le patron moins l'oeil, que je ferai seul varier de forme et de position; puis dans une seconde série, je prendrai tout le patron plus l'oeil, moins le sourcil que je ferai seul varier pareillement. [Illustration.] Ces deux séries et tout particulièrement celle des sourcils démontrent que l'oeil et le sourcil, dans leurs diversités de forme et de position, sont des critères plus importants encore que le front et le haut du visage, quant aux facultés intellectuelles. En effet, toutes les figures sont moralement, sinon semblables, du moins analogues, tandis qu'elles sont intellectuellement inégales, c'est-à-dire diverses quant à l'étendue, la pénétration, la profondeur et encore l'élévation de pensée. Ajoutons pourtant qu'elles ne sont moralement analogues qu'autant que peuvent être analogues des facultés morales, c'est-à-dire l'un seulement des deux termes, quand l'autre terme, à savoir les facultés intellectuelles, varie. Car s'il est un cas auquel s'applique ce mot de l'Abbé St. Réal, que, dans des choses d'ailleurs semblables, ce quelles ont de différent change beaucoup ce qu'elles ont de semblable, c'est bien évidemment celui-ci. En effet, comment est-il possible, par exemple, que les facultés morales, ou bonnes, ou mauvaises ne soient pas dans l'un comme dans l'autre sens plus intenses avec un degré plus grand d'intelligence; et ne voit-on pas en effet tous les jours les hommes éminents par leur vertu, comme les hommes éminents par leur scélératesse, avoir point-ci de commun, à savoir une intelligence supérieure? Mais nous touchons ici au fait qui renverse et qui renversera toujours 28. tous les efforts tentés en faveur d'une localisation des facultés, comme il prouve victorieusement en faveur de l'unité immatérielle de l'âme. En effet s'il est d'observation commune et irréfragable, que plus d'intelligence comporte, toutes choses égales d'ailleurs une vertu plus éminente ou une scélératesse plus hardie, ou bien, par voie de localisation vous serez obligé de loger dans le même espace des forces de l'âme qui sont si évidemment diverses, et vous aurez fait une chose absurde, au point de vue de votre principe; ou bien vous les logerez dans deux espaces différents, et vous aurez fait une chose absurde pareillement, au point de vue de leur liaison, qui est si intime, que nous ne la concevons à la source, c'est-à-dire dans l'âme elle-même, que comme une parité. Les parités dans la diversité, les diversités dans la parité, voilà en effet le grand problème psychologique, qui ne trouve sa solution que dans l'unité immatérielle de l'âme. Mais n'oublions pas qu'il nous reste encore à faire varier la narine, tout le reste demeurant invariable et conforme au patron. [Illustration.] Chose curieuse, je trouve, en considérant cette série, que la narine est un signe peu indicatif des facultés intellectuelles, et, au contraire, un signe plutôt indicatif des facultés morales, sauf la même restriction que ci-dessus; à savoir que les facultés morales réagissent sur les facultés intellectuelles, en telle sorte que si un homme est en général très emporté, par exemple, il est par cela même et en général aussi peu réfléchi. Toutefois il est à remarquer en passant, que la réaction en ce sens, bien que réelle, est moins évidente qu'elle ne l'est dans le sens inverse, et que si, par exemple, beaucoup de finesse correspond à beaucoup de prudence, beaucoup de prudence ne correspond pas nécessairement à beaucoup de finesse. Il y a plus, la constitution de l'âme humaine, et ceci par une vue de la Providence qu'on saurait trop admirer et bénir, est 29. telle que l'indépendance de toutes les facultés morales les plus dignes de respect et d'amour y est assurée, c'est-à-dire que l'on peut voir, et que l'on voit en effet tous les jours des homme d'une grande nullité intellectuelle, des simples même, doués de facultés morales, non seulement estimables et nobles: d'honneur, de probité, de bienfaisance, de patience, de résignation; non seulement développés au point de faire envie à de bien plus intelligents qui ne les ont pas au même degré, mais persistantes, fermes, solides et victorieuses à la longue des assauts incessants de l'intérêt, de l'égoïsme, du mauvais exemple ou des mauvais conseils. Pour moi, je ne songe jamais à ce fait remarquable, sans me rallier avec une plus grande confiance encore à ces paroles qui semblent étranges ou profondes, paradoxales ou sublimes, selon qu'on en écoute le son, ou que l'on en pénètre le sens: Heureux les pauvres en esprit, car le royaume de Dieu leur appartient! Sans doute la psychologie chrétienne n'est pas sans mystère pour nos faibles yeux, mais dans tout ce qu'elle leur découvre, elle jette avec profusion la lumière. Il résulte de l'expérience que nous venons de tenter sur les signes permanents du visage, c'est-à-dire sur ceux qui sont exclusivement indicatifs d'intelligence et de caractère pour chaque tête en particulier, que ces signes, incroyablement variables dans leurs modifications propres, et dans leur nuances d'état, premièrement ne sont en fait jamais identiques dans deux têtes données; secondement qu'ils n'offrent jamais, ni considérés isolément, ni considérés dans leur ensemble, un critère infaillible ou seulement certain des facultés tant intellectuelles que morales, mais seulement des probabilités qui encore n'ont une valeur fortement approximative, que dans les cas extrêmes de force et surtout de faiblesse tant intellectuelle que morale. Il en résulte conséquemment aussi, que dans les points où elle considère les mêmes parties de la face humaine que la phrénologie, comme dans ceux où elle en considère de différentes, la Physiognomie rejette toutes localisation des facultés, comme tout critère absolu et fatal tiré des signes qu'elle envisage. 30. Ceci n'empêche pas néanmoins que l'art, dans les combinaisons qu'il fait de ces lignes entre eux et avec d'autres, n'arrive à produire à volonté des expressions d'intelligence et de caractère suffisamment claires et déterminées pour son objet. Mais parce que l'art fait là son métier légitime d'enchanteur habile ou de trompeur amusant, il ne faut pas s'autoriser de ses jeux pour étayer des systèmes qui sont quelquefois aussi pernicieux, philosophiquement parlant, qu'ils sont hasardés, et c'est pourquoi nous avons cru devoir insister sur les points qui nous ont occupé dans ce chapitre. Chapitre onzième Je vais maintenant parler des signes non permanents d'expression; de ceux-là seulement, bien entendu, qui, susceptibles d'être saisis par un profil, sont par cela même accessibles au procédé du trait graphique. Voici d'abord l'énumération de ces signes. Ce sont d'abord tous les signes permanents eux-mêmes, dès que, en se modifiant sous l'empire d'une affection quelconque, les deviennent par ce fait même des signes d'expression occasionnelle et temporaire. Ainsi le front, le nez, la bouche, la narine, le menton, l'oeil et ses dépendances, dès qu'ils sortent de l'état normal pour y rentrer plus tard, deviennent tour à tour des signes non permanents et, au fond, ce sont là les plus nombreux. Ainsi encore, prenant le patron pour modèle d'une tête [illustration] à l'état normal, si, en vue d'une expression donnée je fronce le sourcil, je grandis l'ouverture de l'oeil, je relève la narine, j'abaisse le coin de la bouche. Sourcil, oeil, narine, bouche, qui n'étaient que signes permanents dans la première de ces deux figures, sont devenus signes non permanents dans la seconde. Mais outre ces signes qui ne sont encore que des signes permanents transformés, il en d'autres qui surgissant dans tous les cas d'affections vives, pour s'effacer et disparaître aussitôt que ces affections ont cessé, 31. et ces signes sont des plissures ou à la joue, ou aux coins de la bouche et des yeux, ou aux tempes et au front. Sans ces signes, l'expression des affections temporaires et occasionnelles, par le trait graphique, serait singulièrement appauvrie, avec eux elle manifeste toute sorte de sentiments et de passions. [Illustration.] Car suivant qu'on écarte, qu'on fronce, qu'on multiplie, qu'on courbe, ou qu'on incline ces plissures en différents sens, toutes les nuances d'affections viennent tout à tour se peindre sur la physionomie graphiquement tracée, pour en être la vie, le mouvement, l'accuituation en quelque sorte. A la vérité plusieurs de ces plissures se retrouvent sur beaucoup de têtes à l'état normal, comme les rides entre autres sur le front des vieillards, ou comme les plis aux coins des yeux chez bien des personnes; et en outre lorsqu'on dessine, on peut les ajouter arbitrairement à une tête qui est à l'état normal, sans avoir pour cela un non sens d'expression; c'est ce que je fais ci-contre sur le patron. [Illustration.] Mais alors, conformément à la loi que nous avons vue le vérifier plus haut, ces plissures, plutôt que de se prêter, en tant que signes non permanents, à aucune altération arbitraire de signification, deviennent aussitôt des signes permanents, c'est-à-dire qu'ils cessent immédiatement d'avoir une valeur d'expression occasionnelle. Il n'entre pas dans mon objet d'exposer en détail les règles physiognomiques au moyen desquelles on produira à volonté telle ou telle expression occasionnelle, bien que ce soit ici justement la partie de la science physiognomique qui, en raison même de la signification rigoureuse et invariable des signes non permanents est le plus susceptible d'être formulée en règles pratiques, et presque en procédés. Car outre notre répugnance pour tout ce qui tend à introduire les engins de règle et de procédé dans les choses d'art, de sentiment ou d'ingénieuse verve, il se trouve que c'est déjà cette partie de la Physiognomie qui a été traitée le plus souvent en vue de la pratique dans des ouvrages auxquels il est loisible à 32. chacun de recourir. Je terminerai donc ce chapitre sur les signes permanents, par une seule observation que voici. Comme on a pu le remarquer à l'occasion de la plupart des têtes qui m'ont servi d'exemple dans cet essai, si les moyens graphiques d'expression que j'y ai employés sont puissants, ils sont grossiers en ceci qu'ils donnent une valeur relative trop grande. Surtout dans des figures aussi petites, à des traits qui sont comparativement bien moins saillants, et bien plus finement amincis dans la nature. De là deux conséquences: La première, c'est qu'il devient plus difficile d'imprimer l'expression par le trait graphique à des visages ou purs de traits, ou seulement jeunes et à plus forte raison enfantins, parce que les plissures, en même temps qu'elles expriment, elles altèrent et vieillissent. Unt tête d'enfant ne les supporte pas. La seconde conséquence, est que c'est en effet un inconvénient de la méthode que nous avons exposée plus haut, et qui consiste à procéder expérimentalement et par comparaison des signes graphiques d'expression, indépendamment des études de figure proprement dite, que de faire négliger les éléments physiognomiques de jeunesse et de beauté, pour faire incliner vers ceux qui sont expressifs en effet, mais à la condition d'être changés. Peu importe toutefois cet inconvénient, si d'ailleurs l'on n'applique la charge expressive qu'aux choses où elle convient, avec gaîté, avec débonnaireté même, et par conséquent en se gardant avec soin de dériver vers la charge personnelle qui est, en matière graphique, le pendant de la moquerie, du persiflage, de l'épigramme, trois armes dont l'usage est bien rarement légitime, et dont il est presque toujours loyal de s'interdire l'emploi. Chapitre douzième et dernier Nous avons cru, en traitant des signes permanents d'expression qu'ils sont de leur nature, incertains et faillibles. Par ce côté là donc, il y a à retrancher sur la valeur et sur la portée qui ont été ordinairement attribuées à ces signes physiognomiques. En revanche, nous somme d'avis qu'il faut faire entrer dans les signes physiognomiques des choses qui sont en dehors de la face et même de la tête humaine, et de pure conformation. 33. Par ce côté-là donc, il y a lieu à ajouter à l'étendue ordinairement admise des signes physiognomiques. Sans vouloir traiter au long ce sujet, nous allons en discerner sommairement les parties, et apporter quelques exemples graphiques en faveur de l'assertion qu'on vient de lire. A envisager, non plus la face humaine, mais le corps tout entier et ses membres l'on y retrouve, dans le point de vue qui nous occupe ici, la même distinction de signes permanents et de signes non permanents d'expression. Les non permanents, dont je ne m'occupe pas, sont le port en tant que variable, le geste, l'attitude. Les permanents sont la conformation, et pour connaître la valeur de ce signe, recourons d'emblée au patron. Voici trois têtes semblables, dont je ferai varier seulement les abords. [Illustration.] Ce que je remarque dans cette série, c'est que l'expression soit intellectuelle, soit morale d'une même tête, a varié de valeur avec les variations du buste, et indépendamment de tout geste et de toute attitude. En effet la première de ces figures est devenue inférieure en fermeté tant intellectuelle que morale à la seconde qui a gagné aussi en force et en pénétration, tandis que la troisième perd de nouveau sinon en force et en fermeté du moins en pénétration sûre et intelligente. D'où je conclus en me bornant d'ailleurs à cette indication décisive, [illustration] que la conformation est un signe physiognomique indirect qui a assez de valeur par lui-même pour faire varier d'une manière très sensible les signes physiognomiques directs, c'est-à-dire appartenant à la face humaine. Voilà quelle est la valeur absolue du signe de conformation. Maintenant pour apprécier sa valeur comparative, je reprends ici mes trois bustes et j'y ajuste des têtes différentes, 34. pour voir si au moyen des signes d'expression de la face, en les opposant aux signes d'expression de ces bustes, je pourrai diminuer ou détruire la valeur de ceux-ci. Car je trouve, qu'au rebours de la série précédente celui qui avait le moins de fermeté en le plus et que celui qui en avait le plus, en a le moins. D'où je conclus que les signes permanents de conformation sont infiniment inférieurs aux signes permanents du visage, quant à l'indication des facultés tant intellectuelles que morales, mais en même temps, et qu'on l'observe bien, ils sont loin d'être nuls, puisque encore est-il que, dans ma seconde série, je puis doubler l'expression de fermeté de ma figure No. 1, rien qu'en lui donnant le buste de mon No. 2 ou encore la panse de mon No. 3. Sa conformation est le dernier signe physiognomique que nous examinerons dans cet essai, quand même quelques auteurs se laissant entraîner par l'esprit de système, ont assigné à quelques autres signes une valeur exagérée. Ainsi, c'est Savater, si nous ne nous trompons pas, qui a donné à entendre de l'écriture ce que Buffon dit du style, à savoir qu'elle est l'homme; ou en d'autres termes, que de la même manière que l'on conclut du style aux facultés intellectuelles et morales d'un écrivain, de l'écriture aussi l'on peut conclure à tout ou partie de l'intelligence et du caractère de celui qui l'a tracée. Mais les principes généraux que nous avons établis, nous mettent sur la voie de conclure désormais avec certitude que cette opinion de Savater n'est ni juste dans son exagération, ni nulle dans son principe, puisque de la valeur déjà si inférieure des signes indirects de conformation, comparés aux signes directs du visage, et pourtant très appréciables encore, il est conséquent de conclure à la valeur de plus en plus inférieure, et pourtant jamais tout à fait nulle, des signes qui sont encore plus indirects. Et puisque le mot de Buffon vient de nous remettre en mémoire un autre ordre de signes bien autrement sûrs et bien autrement élevés que ceux dont nous nous sommes occupé dans cet opuscule, nous le terminerons en disant qu'une seule page d'un homme en état d'écrire sur un sujet donné, par cela suit qu'elle est une émanation directe de sa pensée, est un critère infiniment et sans comparaison plus certain des facultés intellectuelles de morales de cet homme, que ne peuvent l'être tous les signes physiognomiques de sa figure examinée un à un, ou pris tous ensemble. Fin. 35. SOMMAIRE INDICATIF DES Sujets traités dans chacun des chapitres de cet essai. Chapitre premier. -- Avantages propres de la littérature en estampes. Chapitre deuxième. -- Suite et distinction d'avec la parodie. Chapitre troisième. -- Comment la littérature en estampes peut être cultivée indépendamment d'une culture avancée des arts du dessin. Avantages du procédé autographique. Chapitre quatrième. -- Avantages et propriété du trait graphique. Chapitre cinquième. -- D'une méthode qui conduit à des connaissances physiognomiques suffisantes, indépendamment de l'étude du dessin. Chapitre sixième. -- Suite, et où cette méthode conduit. Chapitre septième. -- Distinction quant aux principes et quant aux résultats entre la Phrénologie et la Physiognomie. Chapitre huitième. -- Deux ordres de signes d'expression dans la tête humaine. Les permanents et les non permanents. Chapitre neuvième. -- De la combinaison des signes d'expression. Chapitre dixième. -- Des signes permanents d'expression. Chapitre onzième. -- Des signes non permanents d'expression. Chapitre douzième. -- Des signes physiognomiques de conformation, et conclusion de cet essai. Fin du sommaire des chapitres. Autographié chez Schmidt à Genève 1845 36. [Illustration: couverture arrière.] [Fin de Essai de Physiognomonie, par Rodolphe Töpffer]