* Livre électronique de Project Gutenberg Canada * Le présent livre électronique est rendu accessible gratuitement et avec quelques restrictions seulement. Ces restrictions ne s'appliquent que si [1] vous apportez des modifications au livre électronique (et que ces modifications portent sur le contenu et le sens du texte, pas simplement sur la mise en page) ou [2] vous employez ce livre électronique à des fins commerciales. Si l'une de ces conditions s'applique, veuillez consulter gutenberg.ca/links/licencefr.html avant de continuer. Ce texte est dans le domaine public au Canada, mais pourrait être couvert par le droit d'auteur dans certains pays. Si vous ne vivez pas au Canada, renseignez-vous sur les lois concernant le droit d'auteur. DANS LE CAS OÙ LE LIVRE EST COUVERT PAR LE DROIT D'AUTEUR DANS VOTRE PAYS, NE LE TÉLÉCHARGEZ PAS ET NE REDISTRIBUEZ PAS CE FICHIER. Titre: Mr. Crépin [Histoire de Mr. Crépin] Auteur: Töpffer, Rodolphe (1799-1846) Date de la première publication: 1837 Lieu et date de l'édition utilisée comme modèle pour ce livre électronique: Paris, vers 1868 Date de la première publication sur Project Gutenberg Canada: 15 juillet 2012 Date de la dernière mise à jour: 15 juillet 2012 Livre électronique de Project Gutenberg Canada no 964 Ce livre électronique a été créé par Rénald Lévesque à partir d'images généreusement fournies par Google Books Mr. CRÉPIN Préface Ci-derrière commence l'histoire véritable de Monsieur Crépin, et comme quoi il n'éleva pas ses onze fils sans bien des vicissitudes provenant de la supériorité des méthodes de la tâterie phrénologique, et des engouemens de Madame son épouse. A la dite histoire sont annexés les circonstances et le sort final de Craniose, Bonichon, Fadet, et l'emplâtre de madame Pécrin, avec son sort final aussi. Va, petit livre, et choisis ton monde, car aux choses folles, qui ne rit pas baille, qui ne se livre pas, résiste, qui raisonne se méprend, et qui veut rester grave, en est maître. (2.) [Illustration.] De retour de son voyage, Mr. Crépin éprouve le plaisir de serrer sa famille dans ses bras. (3.) [Illustration.] Les enfans de Mr. Crépin témoignent à leur père toute leur filiale allégresse. (4.) [Illustration: diptyque.] Monsieur Crépin assiste aux jeux de ses enfans. Monsieur Crépin assiste au repas de ses enfans. (5.) [Illustration.] L'Instituteur des jeunes Crépin est présenté à Monsieur leur père. (6.) [Illustration.] Monsieur Crépin assiste à la promenade du soir dont l'Instituteur lui explique les propriétés dans son systême. (7.) [Illustration.] Monsieur Crépin assiste à la couchée dont l'Instituteur lui explique les propriétés et l'organisation dans son systême. (8.) [Illustration: triptyque.] Mr. Crépin se trouve un peu fatigué de cette première journée. L'Instituteur lui explique comment dans son systême, il procède du général au particulier. Madame Crépin ajoute sur le systême de l'Instituteur quelques particularités que celui-ci avait omises par modestie. Mr. Crépin ne ferme pas l'oeil de toute la nuit. (9.) [Illustration.] De grand matin, Mr. Crépin assiste aux soins de propreté, dont l'instituteur lui explique la portée hygiénique et morale, dans son systême. (10.) [Illustration: triptyque.] Pendant que les jeunes Crépin font un devoir, Mr. Crépin demande où est l'instruction. L'Instituteur répond que tous commencent à procéder très-bien du général au particulier. Ayant fait venir Joseph, l'Instituteur lui demande où est Besançon. Joseph répond instantanément que Besançon est dans l'ensemble des choses, qui comprend l'Univers, qui comprend le monde, qui comprend les quatre parties du monde, qui comprennent l'Europe, où se trouve Besançon. Mr. Crépin ayant appelé Léopold, lui demande lui-même, combien coûteront huit livres de Saindoux, à cinq florins la livre? Léopold répond instantanément que le Saindoux est dans l'ensemble des choses, qui comprend l'univers, qui comprend les trois règnes, qui comprennent le règne animal, qui comprend le cochon qui comprend le Saindoux. (11.) [Illustration: triptyque.] Mr. Crépin trouve son fils Léopold peu avancé sur l'arithmétique. L'Instituteur lui explique que dans son systême, l'arithmétique est la dernière chose que Léopold saura, parce qu'il doit auparavant savoir l'Algèbre, qu'il ne commencera qu'après avoir préalablement approfondi la quantité en général. Mr. Crépin expose pourquoi le systême lui semble absurde; Madame Crépin rétorque comme quoi il est admirable. L'Instituteur s'en rapporte entièrement à Madame qui seule en a suivi les applications et les succès vraiment étonnans. L'affaire s'échauffant, Madame Crépin prend mal, et Monsieur Crépin argumente vivement. L'Instituteur le traite de stupide, incapable de saisir une méthode, et de comprendre un systême. (12.) [Illustration: diptyque.] Mr. Crépin ayant intimé à l'Instituteur l'ordre de sortir sur le champ de chez lui, l'Instituteur se retranche derrière le mobilier, et y proclame énergiquement la supériorité, l'efficacité et l'antériorité de son systême. Les jeunes Crépin accourent au bruit et croyant que Mr. Crépin a reçu un coup de chaise, escaladent l'Instituteur et procèdent contre lui du général au particulier. (13.) [Illustration: diptyque.] Après quoi, les jeunes Crépin étant revenus, et retrouvant madame leur mère saine et sauve, lui sautent au cou pour lui en témoigner toute leur joie. L'Instituteur laissé dans un fossé, y soutient envers et contre tous la supériorité et l'antériorité de son systême. (14.) [Illustration: diptyque.] Pour venger son systême méconnu, l'Instituteur casse les vitres de la ferme. Le Garde champêtre ayant paru, l'Instituteur proclame à la face du Ciel que ni la force brutale, ni la violence stupide, ni une soldatesque effrénée n'auront la moindre action sur ses convictions intimes. (15.) [Illustration: diptyque.] La commune étant accourue au bruit, l'Instituteur se réfugie sur un poirier d'où il proclame que les fureurs d'une populace imbécille ne pourront pas davantage sur ses convictions intimes. La branche ayant cassé, l'Instituteur tombe sur le Marguillier, et l'oblige à confesser la supériorité et l'antériorité de son systême, pendant que la commune s'enfuit à toutes jambes. (16.) [Illustration: diptyque.] Après quoi l'Instituteur échappe comme il peut aux chiens de garde. Cependant monsieur Crépin, déjà fort embarrassé de l'éducation de ses enfans, reçoit comme il peut les reproches de Madame Crépin, qui regrette un systême qu'elle avait compris. (17.) [Illustration.] Monsieur Crépin ayant demandé un Instituteur, par les petites affiches, plusieurs viennent se présenter chez lui. (18.) [Illustration: diptyque.] Monsieur Crépin ayant choisi un Instituteur qui lui plaît, madame Crépin lui en propose un qui lui plairait davantage. Mr. Crépin déjà fort embarrassé de l'éducation des ses enfans, est contrarié par les propos de Mde. Crépin qui lui reproche d'avoir chassé un homme d'esprit pour prendre une bête. (19.) [Illustration.] Monsieur Crépin, par manière de conciliation, engage les deux Instituteurs, et leur assigne à chacun un local particulier. (20.) [Illustration: diptyque.] Mr. Bonichon met aussitôt les Crépin cadets à sa méthode qui consiste à étudier la physique dans les Aventures de Télémaque, à la manière Jacotot. Mr. Fadet met aussitôt les Crépin aînés à sa méthode qui consiste à tout réduire en nombres fractionnaires, selon un systême dont il est l'inventeur. (21.) [Illustration: diptyque.] Le soir venu, les deux Instituteurs se promènent dans la grande allée, et sont d'accord sur ce point que leur prédécesseur n'y entendait rien. Les Crépin cadets ayant mis toute la cuisine en physique Mr. Crépin reçoit les plaintes de sa cuisinière. (22.) [Illustration: diptyque.] Les Crépins aînés mettant tout le salon en nombres fractionnaires, Madame en augure avec délices qu'ils entreront tous à l'École polytechnique. Madame Crépin complimente Mr. Fadet, Fadet en prend occasion de développer sa théorie tant sous le rapport interne, que sous le rapport externe ou extérieur. (23.) [Illustration: diptyque.] Cependant la cuisinière verse un pot d'eau grasse sur Bonichon pour lui apprendre à physiquer sa cuisine. Mr. Bonichon porte plainte. Mr. Crépin donnant tort à la cuisinière, est contrarié par Madame Crépin qui donne tort à l'Instituteur. (24.) [Illustration: diptyque.] Pendant que Mr. Bonichon va changer de linge, Mr Fadet donne raison à Madame Crépin, et prouve que le mal vient de la méthode vicieuse de son confrère. Entendant cela Bonichon revient sur ses pas pour défendre sa méthode, et foudroie d'un sorite et de deux dilemmes la cuisinière que donne raison à Mr. Fadet et à Me. Crépin. (25.) [Illustration: diptyque.] L'affaire s'échauffant, Madame Crépin s'évanouit, et Mr. Crépin, qui donne raison à Bonichon, retient les jeunes Crépin dans leur chambre. La cuisinière ayant été chercher sa lèchefrite délivre Mr. Fadet et expulse Bonichon de la maison, à perpétuité. (26.) [Illustration: triptyque.] Bonichon s'enfuit à travers champs en exhalant sa rage. Bonichon reste trois jours dans les bois se nourrissant de fruits sauvages. Bonichon réfléchissant qu'il n'a jamais réussi à rien a des idées noires en considérant un abîme sans fond. (27.) [Illustration: diptyque.] Se méfiant de lui-même, Bonichon regagne la plaine avant la nuit. Arrivé dans la plaine, Bonichon obtient par la protection secrète de Monsieur Crépin une place de sous-douanier. (28.) [Illustration: diptyque.] Fadet qui a beaucoup souffert, reçoit les félicitations de ses jeunes élèves pendant que Mr. Crépin est vivement sollicité par sa femme et par sa cuisinière de lui confier l'éducation de tous ses enfans. Fadet enchanté attribue son triomphe à la supériorité de sa méthode. Mr. Crépin le prie de laisser là sa méthode et de donner des bonnes manières à ses enfans. (29.) [Illustration: diptyque.] Fadet ayant fait acheter aux jeunes Crépin un lorgnon et un chapeau, leur enseigne les règles de l'urbanité française. Comment, en écoutant un supérieur, on fléchit légèrement le dos, et on marque l'empressement avec la jambe gauche. (30.) [Illustration: triptyque.] Comment, interpellé par un inférieur, on marque la distance sociale en retournant seulement le buste pour lorgner ce que demande cet individu. Comment, à un homme qui vous insulte on se borne à présenter avec calme sa carte d'adresse. Comment, si un supérieur éternue, on s'incline légèrement, en simulant un souhait du bras gauche. (31.) [Illustration: triptyque.] Comment si une incongruité quelconque se fait apercevoir, on feint d'admirer le paysage, ou l'on suppose avoir entendu un petit bruit dans la rue. Comment, dans une société légère et spirituelle, on se pose pour causer spectacles, casinos et en général les superfluités à la mode. Comment on se lève en partant d'un éclat de rire à un trait d'esprit échappé à un supérieur. (32.) [Illustration: triptyque.] Comment on se subordonne avec convenance à la maîtresse de la maison. Comment on prend congé. Les jeunes Crépins, en se subordonnant avec convenance à Madame leur mère lui causent une admiration mélangée d'un doux attendrissement. (33.) [Illustration.] Monsieur Crépin ayant fait par mégarde un calembourg, tous les jeunes Crépins se lèvent en partant d'un grand éclat de rire. (34.) [Illustration.] Monsieur Crépin ayant éternué dans la soupe, les jeunes Crépin courent aussitôt vers la fenêtre, pour feindre d'admirer le paysage. (35.) [Illustration: diptyque.] A la promenade du soir, Fadet fait remarquer à Mr. Crépin, combien sa famille a gagné en urbanité française. Au retour les jeunes Crépin, passant auprès d'une vigne, y entrent deux à deux. (36.) [Illustration.] Interpellés par le garde champêtre, les jeunes Crépin retournent seulement le buste pour lorgner ce que demande cet individu. (37.) [Illustration.] Le garde champêtre s'emportant en insultes, les jeunes Crépin se bornent à lui présenter avec calme leur carte d'adresse. (38.) [Illustration: diptyque.] Pour s'assurer de l'amende le garde champêtre enfile d'un coup de sabre les onze chapeaux et s'enfuit. N'ayant plus leur chapeau, les jeunes Crépin jettent leur lorgnon et perdent leur tenue, et font de mauvaises manières en retournant chez eux. (39.) [Illustration: diptyque.] L'autorité civile arrive avec une plainte et demande des dommages et intérêts. Mr. Crépin s'emporte contre Fadet à qui il reproche de corrompre le naturel bien né des ses enfans. Mr. Crépin continuant à s'emporter, Fadet admire et déplore en même temps la stupidité d'un pareil homme. (40.) [Illustration: diptyque.] Mr. Crépin s'emporte contre sa femme qui intercède en faveur d'un systême qu'elle avait compris, et déclare qu'il chasse Fadet à l'instant même. A ce mot insultant Fadet présente avec calme sa carte d'adresse et Made. Crépin s'évanouit. (41.) [Illustration: triptyque.] L'Autorité s'impatientant, Fadet déclare qu'il se rend caution et otage de l'urbanité française de ses jeunes élèves, et se rend volontairement en prison. Fadet en prison jette sur le papier quelques quatrains sur sa captivité. Fadet refusant une grossière nourriture maigrit assez pour pouvoir, au bout de quelques jours passer à travers les barreaux. (42.) [Illustration: triptyque.] Fadet ayant poussé du pied la guérite, emprisonne la force armée, et s'enfuit. Fadet va se cacher dans le comble de la maison Crépin, où la cuisinière lui apporte un bouillon. Ayant levé quelques tuiles, Fadet lorgne la beauté du paysage. (43.) [Illustration: triptyque.] Fadet réfléchissant qu'il n'a jamais réussi à rien, est préservé de toute idée sinistre par des idées avantageuses. Après un mois passé dans le comble, Fadet obtient par la protection secrète de Mr. Crépin une place de teneur de livres dans une maison de cravates en crinoline, imperméables. Cependant Mr. Crépin, fort embarrassé de l'éducation de ses enfans, conjure Madame Crépin de se désévanouir. (44.) [Illustration: triptyque.] L'évanouissement se prolongeant, Monsieur Crépin envoie en toute hâte Léopold chercher le Docteur. Le Docteur s'étant trompé de nom va chez madame Pécrin à qui il ordonne un emplâtre de neuf pouces sur les reins. Le Docteur ne venant pas, Mr. Crépin se rend chez celui-ci qui lui apprend qu'il en sort, et que l'ordonnance est déjà chez le pharmacien. (45.) [Illustration: triptyque.] Monsieur Crépin court chez le pharmacien qui lui remet l'emplâtre de Mme. Pécrin. Le picotement de l'emplâtre désévanouit Madame Crépin au bout d'un petit nombre d'heures. A la promenade du soir, Madame Crépin perd son emplâtre. (46.) [Illustration: triptyque.] L'emplâtre est ramassé par Jean Chiffon. Qui la vend pour cinq sous à Grenétar l'Écrivain public. Qui la vend pour vingt sous à Gagnepain, l'Épicier frater. (47.) [Illustration: diptyque.] Qui le vend pour trente sous à Bonichon qui s'en fait du bien. Cependant Monsieur Crépin étant déjà très perplexe, quant à l'éducation de ses enfans, est très contrarié par la visite d'un phrénologue célèbre qui lui est recommandé. (48.) [Illustration: diptyque.] Le Phrénologue ayant été prié à diner, tâte, en passant, la cuisinière, et lui reconnaît la bosse des bonnes sauces et des coulis succulens, si elle s'applique bien. Mr. Crépin étant survenu, prend à part Mr. Craniose, et le prie qu'il ait à s'abstenir de toute phrénologie dans sa maison. (49.) [Illustration.] Le repas est fort gai, mais ce qui contrarie Mr. Crépin, c'est que sa femme raffole de la phrénologie, et meurt d'envie d'être tâtée. (50.) [Illustration: diptyque.] Au dessert, Mr. Crépin prend à part Mme Crépin et la prie de ne pas attirer la conversation sur ce sujet. Madame Crépin n'y pouvant plus tenir engage Mr. Craniose à démontrer sur une bouteille, rien que pour voir. Monsieur Crépin s'y oppose vivement, en déclarant que la phrénologie est une science immorale et matérialiste. (51.) [Illustration: diptyque.] Mr. Craniose est charmé d'entendre parler ainsi, afin d'avoir l'occasion de détruire des préventions aussi honorables qu'injustes. «La phrénologie, Monsieur, la phrénologie est au contraire une science éminemment spiritualiste; en effet, réduisant tout à l'organisation et à la matière, elle laisse l'âme absolument en dehors de ses investigations. Donc, ne s'occupant pas de l'âme, elle est loin de l'attaquer.» Madame Crépin donne raison à Mr. à Mr Craniose. Passant ensuite aux applications les plus élémentaires de cette science sublime à la législation, à l'éducation, à la religion, à la morale, à l'hygiène, à l'anthropologie, à la polygamie, à l'ontologie;... etc., etc. Mr. Craniose recule en entrevoyant l'avenir qui attend les Sociétés!!!! (52.) [Illustration.] Passant ensuite à la preuve démonstrative, Mr. Craniose déballe sa collection et démontre que la phrénologie s'appuis sur des faits, que ces faits sont des bosses, que ces bosses indique le vol dans les têtes qui ont appartenu à un voleur, le meurtre dans les crânes qui ont appartenu à un meurtrier, et le savoir dans les crânes qui ont appartenu à un savant. (53.) [Illustration: diptyque.] Madame Crépin n'y pouvant plus tenir, exige de son mari qu'il lui permette de se laisser tâter. Mr. Craniose, tâtant sans rien dire, Mr. Crépin lit dans son expression. (54.) [Illustration: diptyque.] Mr. Craniose ayant poussé un cri de découverte, Mr. Crépin pousse un cri involontaire. L'opération terminée, Mr. Craniose, malgré les instances de Mde. Crépin déclare qu'il n'a rien dit, et qu'il ne dira rien. (55.) [Illustration: diptyque.] Alors Madame Crépin supplie son mari de se faire tâter. Madame Crépin ordonne, exige, et menace de se r'évanouir. (56.) [Illustration: diptyque.] Mr. Crépin se livre en protestant. Mr. Craniose, du premier coup, déclare que c'est là un des plus curieux crânes qu'il ait rencontrés, une conquête pour la science. Passant à l'analyse détaillée, Mr. Craniose trouve dans ce crâne-là des montagnes de sagesse, mais malheureusement une petite bosse de préventions portée sur une petite bosse de préjugés qui tend à disparaître sous une bosse de scientivité que l'on sent croître. Il y trouve, en second lieu un rudiment d'hommicidité qui a été étouffé par un mamelon d'humanitivité, enté lui-même sur une petite colline de paternitivité. Il y trouve en troisième lieu une légère bosse d'entêtement qui combat une bosse de faiblesse, et, entre deux, une bosse de jugement qui combat l'une par l'autre. Il y trouve en quatrième lieu, un monticule de religiosité qui a écrasé deux tertres voltairiens. Il y trouve enfin les bosses d'un époux aimable, dévoué, soumis, digne en un mot de la compagne accomplie à laquelle il a associé son sort. (57.) [Illustration: diptyque.] Monsieur Crépin est moins irrité, et Madame Crépin toujours plus ravie de cette phrénologie. Craniose donne communication à ses hôtes d'un grand projet de Société qu'il se propose de soumettre à l'approbation du gouvernement. Cette société sera fondée sur les bosses. A la religion, à la morale et aux lois, Craniose substitue le Grand Tâteur. Le Grand Tâteur tâte tous les citoyens (58.) [Illustration: diptyque.] qui ont atteint l'âge de quinze an et les répartit selon leurs bosses. Ceux qui ont la bosse de la limonade, il les fait ténandiers; la bosse du pain de sucre, épiciers; la bosse du dos et coin, relieurs; la bosse de L'hémistiche, poètes; la bosse du bleu de prusse, peintres; la bosse du bois de réguelisse, droguistes; du ventilateur, fumistes; de la roue de rencontre, horlogers; et ainsi de suite. Après cela, mettant à part tous ceux qui ont la bosse du vol, du meurtre, de la strangulation, de la pendaison, du suicide, de l'asphyxie par charbon ou autrement, il les déporte pour coloniser les contrées lointaines et sauvages. De cette façon Craniose obtient une société admirablement organisée, où tout procédant de la bosse, qui procède du Grand Tâteur, les lois, la morale, et la religion deviennent superflus; les lois, parce qu'il n'y a plus de crimes; la morale, parce que chacun suit sa bosse, la religion, parce qu'il n'en est plus question. Madame Crépin trouve le systême admirable, et se réjouit d'en être; Monsieur Crépin déclare qu'une pareille société serait aussi méprisable qu'impossible. (59.) [Illustration: diptyque.] Pendant que Mr. Crépin est sorti pour quelques instans, Madame Crépin supplie Craniose de faire le Grand Tâteur à l'égard de Léopold. Craniose est enchanté des bosses et monticules de l'enfant, qu'il augure digne, en un mot, de la mère accomplie à laquelle il doit le jour. Il lui trouve en outre, la bosse des saillies et de la calembourgivité, entrée sur la bosse de l'esprit de répartie, le tout annonçant un homme d'infiniment d'esprit. Ayant la bosse des saillies; Léopold commence par faire une cabriole qui renverse la collection. Ce qui simplifie singulièrement les bosses de plusieurs gredins célèbres. (60.) [Illustration: diptyque.] Monsieur Crépin revient au bruit, demandant quel est ce vacarme. Léopold, ayant l'esprit de répartie, lui répart: Papa, c'est un vacarme, Si vous avez de l'alarme Prenez de l'eau des Carmes. Pendant que Mr. Crépin est sorti pour morigéner Léopold, Me. Crépin fait tâter Gustave. Mr. Craniose, qui a de l'humeur, lui trouve la bosse d'un sot moineau. (61.) [Illustration: triptyque.] Mr. Crépin revient. Étant sot moineau, Gustave s'en prévaut pour sauter sur le dos de son papa, en fourrant ses pieds dans ses poches. Pendant que Mr. Crépin est sorti pour morigéner Gustave, Mde. Crépin fait tâter Samuel. Craniose lui trouve la bosse des langues. Samuel qui déteste le latin se met à pleurer. Made. Crépin demande pour lui une autre bosse. (62.) [Illustration: triptyque.] Mr. Crépin étant revenu, et trouvant Samuel rétif et pleurard, ne conçoit rien au dérangement moral de ses enfans, et en impute la cause à Fadet qui a gâté leur naturel bien né. Made. Crépin fait tâter Nicolas. Craniose lui montre la bosse de la capacité universelle, sur la tête de Nicolas. Mr. Crépin découvrant qu'on tâte ses fils se fâche tout rouge contre la phrénologie, pendant que Made. Crépin se livre à une joie bien naturelle. (63.) [Illustration.] L'affaire s'échauffant, Monsieur Crépin jette tous les crânes par la fenêtre, et Me. Crépin s'évanouit. (64.) [Illustration.] Les jeunes Crépin qui se trouvaient dans le jardin, font aussitôt une partie de quilles. (65.) [Illustration: diptyque.] Craniose étant descendu pour reprendre ses crânes de gredins est repoussé avec perte. Craniose se réfugie dans la loge du chien et les jeunes Crépin continuent leur partie. (66.) [Illustration: diptyque.] Craniose, rongé de puces, fait rhabiller ses crânes de gredins chez un raccommodeur de fayence, qui tire parti des meilleurs morceaux et jette le reste. Craniose passe une nuit détestable. (67.) [Illustration: diptyque.] Ayant emballé sa collection, Craniose va le lendemain prendre une place dans la diligence de Bruxelles. La diligence étant arrivée à la frontière Bonichon recule d'horreur à la vue des effets du Phrénologue Craniose. (68.) [Illustration: diptyque.] En passant à Berg-op-Zoom, Craniose achète d'un enterreur de morts des crânes de gredins. Arrivé à Bruxelles Craniose donne un cours public de phrénologie. Il s'attache à détruire les préventions honorables, puis il passe aux applications élémentaires. (69.) [Illustration: diptyque.] Puis, passant à la preuve démonstrative, Craniose montre que la Phrénologie s'appuis sur des faits, et que ces faits sont des bosses de gredins. Puis, ayant développé sa théorie du Grand Tâteur, Craniose recule en entrevoyant l'avenir qui attend les sociétés. (70.) [Illustration: diptyque.] Cependant Mr. Crépin déjà fort embarrassé de l'éducation de ses enfans, est encore contrarié par Mde. Crépin qui, ayant repris ses sens, lui reproche vivement de l'avoir privée d'un systême qu'elle avait compris. Mr. Crépin renonce au systême des Instituteurs à domicile, et visite des institutions, pour y placer ses enfans. Monsieur Gribouille lui explique sa méthode où tous les élèves remportent des prix, parce qu'elle est fondée sur l'émulation. (71.) [Illustration: diptyque.] Mr. Crépin visite les dortoirs qui sont vastes, spacieux et bien aérés, suivant Gribouille. Madame Crépin trouve que çà ressemble trop à la décoration des petites Danaïdes. Gribouille explique la nourriture qui est saine, simple et abondante, conformément au prospectus. Des haricots le matin, des haricots le soir. Tous les jeudis du vin trempé. Tous les dimanches, un ragoût à la sauce, composé de viandes variées et servies en menus morceaux. (72.) [Illustration: diptyque.] Gribouille explique les récréations qui ont lieu dans un local champêtre vaste, bien aéré, et voisin d'un cours d'eau, conformément au prospectus. Tous les jours, durant une heure, les élèves se livrent dans ce local à divers exercices, s'y promènent au grand air, où s'y reposent à l'ombre des arbres, sous la surveillance des pions. Gribouille explique les soins de propreté. Tous les matins, au point du jour, deux cens élèves, disposés deux à deux, et sous la conduite d'un pion, défilent sous ce jet frais et abondant. Gribouille prie d'observer qu'aucune institution dans le pays ne jouit d'un jet semblable. (73.) [Illustration: diptyque.] Gribouille explique les soins d'hygiène. Conformément au prospectus, tous les élèves, sous la surveillance des pions, sont purgés mensuellement à l'infirmerie qui est vaste, bien aérée, et voisine aussi d'un cours d'eau. Mr. Crépin visite un Institut-modèle, où il retrouve le premier instituteur de ses enfans qui enseigne en procédant du général au particulier. (74.) [Illustration: diptyque.] Mr. Crépin visite l'Institution Farcet, où la méthode est d'instruire en amusant. Dans ce moment, c'est la leçon d'histoire, où le maître fait danser la pyrrhique à deux petits Macédoniens en carton. Mr. Crépin visite l'Institution Parpaillazzi, où la méthode est de faire autrement qu'ailleurs. (75.) [Illustration: triptyque.] Mr. Crépin visite l'Institution Bonnefoi, où la méthode est de faire comme on peut et pour le mieux. Les fils Crépin entrent dans l'Institution Bonnefoi où, classés, d'après leur force, ils occupent le dernier banc. Madame Crépin communique à Mr. Crépin une iniquité révoltante; son fils Nicola lui écrit que malgré sa capacité universelle, Mr. Bonnefoi l'a placé le dernier de la classe. (76.) [Illustration: triptyque.] D'autre part, Mr. Bonnefoi écrit à Mr. Crépin qu'il a à réprimer dans son fils Léopold (celui qui a la bosse de la répartivité) un grand penchant à l'impertinence. Mr. Crépin reçoit de Mr. Bonnefoi une note pour trois cents florins de vitres et pots cassés par Gustave, (celui qui a la bosse de sot moineau.) Mr. Bonnefoi se plaignant de l'intarissable babil de Samuel (celui qui a la bosse des langues) Made. Crépin s'emporte contre l'Institution, et veut que ses fils en soient retirés à l'instant même. (77.) [Illustration: triptyque.] Mr. Crépin s'y opposant formellement, Madame Crépin a une crise. Mr. Crépin se promène en long et en large, en attendant que la crise soit passée. Madame Crépin revient à elle pour déclarer qu'elle mourra si on ne lui rend Fadet, Craniose, Farcet, Gribouille et les systêmes qu'elle avait compris. (78.) [Illustration: diptyque.] L'affaire s'échauffant, Mr. Crépin se retire précipitamment dans son cabinet, d'où il déclare que Mr. Bonnefoi lui semble préférable, et que ses enfans y resteront. Cependant, Bonichon donne la chasse à un chien tout chargé d'horlogerie et de bijouterie. (79.) [Illustration: diptyque.] Mort de Bonichon. Le contrebandier lui tire dessus pour délivrer son chien. Cependant Craniose continue à professer publiquement dans la contré, de façon que ses idées s'y répandent dans le public. (80.) [Illustration: diptyque.] Le contrebandier ayant été arrêté est jugé par la Cour d'Assises. L'Accusateur public s'appuyant sur les preuves de l'instruction, et sur les aveux du contrebandier, flétrit un crime inspiré par la plus basse cupidité, et commis avec l'ignoble lâcheté du guet-à-pens.... Il demande que la victime et la Société soient vengées! (81.) [Illustration.] L'Avocat convient que les apparences sont contre son client. Il le suppose même coupable. Mais il se demande s'il n'est pas des hommes que la fatalité de leur organisation pousse au crime par une pente inévitable. Il se demandes si, de nos jours, lorsque la science portant ses investigations jusque dans le replis les plus cachés du cerveau y a découvert et analysé avec toute la sûreté de son scalpel la cause fatale et première des passions et des forfaits, il est bien permis à la société de punir des crimes obligatoires, comme s'ils était des forfaits volontaires! Pour lui, il a visité, dans la prison, son infortuné client, et dès le premier aspect, il fut frappé des signes de férocité native que présentait ce crâne aplati à sa sommité et développé sur ses flancs, comme celui de la hyène ou du Jaguar. (Ki, un des Jurés demande à son voisin, ce que c'est que le Jaguar; son voisin, lui répond que c'est une sorte de Caïman.) Immolerez-vous, continue l'avocat, dans un chaleureux mouvement, immolerez-vous celui qui, en dehors de toute moralité, a tué par appétit, par instinct, par obéissance aux lois d'une nature marâtre envers lui! Non; vous ne l'immolerez pas! Mais il y a plus; la science, Messieurs, la science prouve aussi que la vie de l'homme est inviolable, que nul n'a le droit de l'ôter à son semblable; irez-vous méconnaissant cette doctrine de haute civilisation, vous rendre complices en quelque sorte, du crime de l'accusé... à une vie, ajouter la perte, l'irréparable perte, d'une autre vie, à un cadavre, ajouter un cadavre, à une tombe, une tombe!! Non, Jurés, vous ne le ferez pas... J'en ai pour garants ces lumières par lesquelles vous surpassez vos pères, ces lumières aujourd'hui concentrées tout particulièrement dans cette classe moyenne à laquelle vous faites l'honneur d'appartenir! L'Avocat se rassied et reçoit les félicitations des ses collègues. (82.) [Illustration.] Après la plaidoirie et les répliques, le Jury se retire pour délibérer. Sur les quinze Jurés, huit qui ont suivi le cours de Craniose et vu des bosses de gredins trouvent la défense bien forte, et sept autres qui ont ouï parler de l'abolition de la peine de mort, ne la jugent pas faible. Mr. Péclot affirme avoir reconnu sur tête de l'accusé la même bosse que le professeur Craniose signalait sur le crâne d'un tueur de quatre vingt neuf. Mr. Bonhomme affirme avoir fait la même observation, et de plus... la même observation. (83.) [Illustration.] Le Jury rentre en Cour, et son chef porte au président qui en donne lecture, la réponse du Jury conçue en ces termes: Non, l'accusé n'est pas coupable. Le contrebandier est aussitôt remis en liberté. (84.) [Illustration: diptyque.] Madame Crépin boudant depuis trois mois, Mr. Crépin entre un jeudi dans sa chambre, pour lui communiquer de meilleures nouvelles. Mr. Bonnefoi écrit que tous les enfans ont fait des progrès, excepté Nicolas qui compte trop sur sa capacité universelle. Les idées de Craniose étant devenues populaires, jusque dans les campagnes, on y rencontre des pères tâtant leurs fils et des oncles leurs neveux. (85.) [Illustration: triptyque.] Mais à mesure que les idées de Craniose deviennent populaires, elles deviennent moins à la mode parmi le beau monde. Craniose n'a plus de souscripteurs à ses cours, bien qu'il se ruine en affiches. Au bout de deux ans, Mr. Bonnefoi écrit à Mr. Crépin que dix de ses fils sont maintenant en état d'entrer au collège, et de suivre l'instruction publique, ce qui vaut toujours mieux. Il gardera Nicolas jusqu'à ce qu'il soit revenu de sa capacité. Déjà dans une grande gêne, Craniose en est réduit à composer un livre pour vivre. (86.) [Illustration: triptyque.] Au bout de onze mois Craniose meurt de misère un jeudi matin, au septième étage. Il laisse un testament olographe, par lequel il lègue sa théorie au monde, et son crâne à la science. Nul ne réclamant la succession Craniose est porté en terre, et avec lui, ses trente six crânes de gredins. Au bout de cinq ans Fadet meurt un samedi matin, pour avoir trop serré sa crinoline imperméable. (87.) [Illustration.] Les fils de Mr Crépin après avoir achevé leurs études, embrassent diverses carrières et s'y comportent tous honorablement. Au bout de quelques années, Mr. Crépin profitant d'un moment où tous ses fils sont auprès de lui donne un diner à Mr. Bonnefoi. Au dessert, s'étant levé, Mr. Crépin porte ce toast: Rien de si commun que les méthodes, rien de plus rare que la conscience. Buvons, messieurs, à Mr. Bonnefoi, dont les soins, les lumières et la patience vous ont mis dans la voie du travail et de l'honnêteté. (88.) [Fin de Mr. Crépin, par Rodolphe Töpffer]