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Titre: La chaîne d'or
Auteur: Le May, Pamphile (1837-1918)
Date de la première publication: 1879
Lieu et date de l'édition utilisée comme modèle pour ce livre électronique: Québec: C. Darveau, 1879 (première édition)
Date de la première publication sur Project Gutenberg Canada: 28 avril 2008
Date de la dernière mise à jour: 28 avril 2008
Livre électronique de Project Gutenberg Canada no 110

Ce livre électronique a été créé par: Rénald Lévesque, à partir d'un fichier PDF obtenu de La Bibliothèque Nationale du Québec



L.-P. LeMay


LA

CHAINE D'OR

POÈME


Se vend au bénéfice des Conférences françaises
de la Société de St-Vincent de Paul de Québec


QUÉBEC
TYPOGRAPHIE DE C. DARVEAU
82 et 84, rue de la Montagne


1879



LA CHAINE D'OR



Ce que je conte est vrai. Ce n'est pas une histoire

Comme on en fait souvent et qu'on doit ne pas croire.

Au reste en ces temps durs il surgit bien des maux.

Tant de bras vigoureux demeurent en repos

Et qui travailleraient s'ils avaient de l'ouvrage!

Oui, l'on souffre partout. Puis il faut du courage

Pour redire les maux de l'humble pauvreté,

Comme, pour les guérir, il faut la charité,

La charité du Christ qui va courbant la tête,

Et que rien ici-bas ne rebute ou n'arrête.

J'étais donc, l'autre jour, au bureau. J'écrivais.

Et, le front dans la main, écrivant, je rêvais

Au passé qui n'est plus, au présent qui s'envole,

A l'avenir, ce grand problème qui désole

Ceux qui n'aiment pas Dieu, ceux qui n'ont pas la foi.

Jean Dumanoir entra. Marchant tout droit à moi:


--Comment te portes-tu? dit-il.


Et sa main blanche

Serre la mienne alors dans une étreinte franche.


--Dieu merci, répondis-je, on se porte assez bien;

Mais l'on vieillit toujours et l'on n'y gagne rien.


Il sourit d'un air triste en approchant un siège.


Nous nous étions connus autrefois au collége,

Et nous étions amis. Alors assez souvent,

Dans les beaux jours d'automne, à l'époque où le vent

Avec un bruit plaintif traîne les feuilles mortes,

Nous marchions, en causant choses de toutes sortes,

Sous les ormes touffus qui protégent la cour.

Mais nous aimions surtout à parler de l'amour,

Car il était sensible, et moi, j'étais poète.

Nous perdîmes ainsi des jours que je regrette,

Je l'avoue à cette heure où je suis sans orgueil.

Si c'était à refaire.... On est loin de l'écueil,

Disons qu'on ferait mieux: il est aisé de dire.


Ainsi l'on oubliait Mélibée et Tytire

Pour songer au village où l'on avait quitté--

Dans les pleurs, pensait-on--quelque jeune beauté.

Jean rêvait une femme adorable et fidèle,

Belle comme Didon, amoureuse comme elle--

Un peu moins peut-être--et le plus beau des séjours,

Un séjour dans les champs pour y filer ses jours.

Je rêvais aussi moi de semblables délices;

Je rends grâces aux cieux qui me furent propices.


Jean quitta de bonne heure Horace et Lucien,

Et le vieux séminaire où plus d'un doux lien,

Comme un charme inconnu, nous ramène sans cesse.

Après un long repos il entra dans la presse

Pour rédiger l'annonce et l'humble fait divers.

Ensuite il fut commis, puis, marchand. Les revers,

Qui ne sont épargnés souvent qu'à la sottise,

L'atteignirent bientôt. Ce fut une surprise

Pour les riches prêteurs qui perdaient leur argent;

Ce fut pour lui la honte! Il reprit indigent,

Pour nourrir sa famille, un emploi que j'ignore.


Mais je reviens au fait. Si je digresse encore

Sois indulgent, lecteur, et ne murmure pas.

Mon récit n'est pas long, mais il est triste, hélas!

Jean me dit:


--Le Seigneur t'a fait digne d'envie:

Un emploi magnifique, et pour toute la vie!

Des livres! ces amis aux coeurs toujours ouverts

Qui nous font oublier que le monde est pervers.

De l'argent! et jamais cette peur qui fend l'âme,

De voir mourir de faim ses enfants et sa femme!

Non, tu ne fus pas, toi, marqué d'un sceau fatal!...


Il s'animait; son oeil prit l'éclat du métal.


--Es-tu donc malheureux, Jean Dumanoir, lui dis-je?


--Moi? bah! laissons cela: voilà que je t'afflige

Voulant t'être agréable et te féliciter....

Mais on voit tant de maux qu'on peut bien s'irriter.


--S'irriter? allons-donc! est-ce là le remède?


--Non! on courbe le front, on prie, on intercède,

On demande du bois et du pain s'il vous plaît,

Et l'on baise la main qui nous donne un soufflet!...

On commit bien cela, ça s'enseigne à l'école.


Il se leva de suite après cette parole.


--Attends un peu, lui dis-je, il faut encor causer.

Ouvre mes vieux bouquins, cela va t'amuser

Pendant que je termine une dernière lettre.


--C'est bien, je t'attendrai si tu veux le permettre.


--Je t'en prie.


Aussitôt il s'en alla plus loin,

Avec un in-quarto, se cacher dans un coin.


Alors entra sans bruit, marchant d'un pas timide,

Une enfant de dix ans. Son oeil était humide.

Le rayon qu'il jetait en se levant sur vous

Valait une prière adressée à genoux.

Elle avait les terreurs d'une biche farouche;

Et l'on ne voyait pas s'échapper de sa bouche

Le sourire si doux chez les enfants heureux.

Elle eut ôté jolie avec ses blonds cheveux

Et son chapeau de feutre appuyé sur l'oreille,

Si sa joue eut gardé quelque teinte vermeille;

Mais elle était, hélas! livide à faire peur.


Approche, mon enfant, lui dis-je avec douceur;

Que veux-tu?


--Je venais vous offrir une chaîne.


--Une chaîne? Et pourquoi?


--Nous sommes dans la gêne;

L'hiver arrive vite, et chez nous il fait froid.


A ton air souffreteux, pauvre enfant, l'on te croit.

Comment te nommes-tu?


--Bernadette.


--Et ton père?


--Mon père? Excusez-moi, monsieur; maman espère

Qu'on trouvera bientôt quelque place pour lui.

Et que nul ne saura ce qu'on souffre aujourd'hui.


--Il est donc sans emploi?


--Les places sont bien rares,

Et les riches, monsieur, sont quelquefois avares.


--Prends garde d'être injuste à force de souffrir.

Que de pleurs à sécher, d'indigents à nourrir,

Chère enfant, en ces jours de détresse où nous sommes!

Et puis Dieu vient à nous quand s'éloignent les hommes.


Bernadette inclina la tête sur son sein;

Je vis deux pleurs tomber sur sa petite main,

Et je craignis un peu d'avoir été sévère.

Enfants, n'êtes-vous pas les anges de la terre?

Pourquoi vous contrister? Mais je repris encor,

Et d'un ton caressant:


--La chaîne est-elle d'or?


--Oui, monsieur, regardez.


Sa voix était tremblante:

C'était l'espoir, sans doute. Elle ne fut pas lente

A me faire admirer le précieux bijou.


--Ma mère ne veut plus la porter à son cou,

Dit-elle en soupirant.


Cette chaîne était belle.


--Ta mère veut la vendre? Et qu'en demande-t-elle?


--Rien, monsieur.


Un sanglot vint étrangler sa voix.


--C'est pour avoir du pain, c'est pour avoir du bois!

Ajouta-t-elle ensuite en joignant ses doigts maigres.


J'entendis rire alors des enfants tout allègres,

Et cela me fit mal. Je cachai mon émoi.


--As-tu dîné? repris-je,


--Aujourd'hui? non, pas moi,...

Ni les autres non plus, excepté la petite.


--La petite?


--Oui, monsieur; son nom est Marguerite.

Elle a quatorze mois et commence à marcher.

Elle dîne toujours car je vais lui chercher,

Lorsque le soir arrive et qu'il fait un peu sombre,

Le pain qu'on jette aux chiens en des endroits sans nombre.


--Et ta mère? et ton père?


--Eux, il n'ont jamais faim.

Ils le disent, toujours, en nous donnant le pain.


--C'est le premier objet que tu cherches à vendre?


--C'est le dernier, monsieur; si vous voulez le prendre.


--Non, garde-le. Vois-tu? c'est encore un espoir.

Mais reçois cette obole et dînez tous ce soir.


--Merci! merci, monsieur! dit-elle.


Et sa paupière

S'emplit à ce moment d'une ardente lumière;

Et sur sa pâle joue, et sur son front pensif

Parut, dans un rayon, un bonheur fugitif.

Elle s'en retournait. Il me vint une idée:

La coupe des chagrins n'est pas encor vidée

Pour cette pauvre enfant et ses parents honteux,

Si j'allais voir quelqu'un et demander pour eux?


--Donne ta chaîne d'or, dis-je à la jeune fille.


--Oui, la voici, monsieur.


--Elle est lourde, elle brille,

Pensais-je en la faisant rebondir dans ma main.


Mon ami Jean lisait je ne sais quel bouquin;

Je m'approche de lui, le touche sur l'épaule:


--Veux-tu faire une aumône?


--Une aumône? Mon rôle,

Me répond-il, hélas! serait d'en recevoir.


Je crus qu'il plaisantait. Je ne pouvais le voir,

Incliné sur son livre et tout à sa lecture,

Il n'avait pas vers moi retourné sa figure.


--Achète pour ta femme un bijou précieux,

Repris-je, lui mettant la chaîne sous les yeux.


--D'où vient cela? fit-il, bondissant sur sa chaise.


--On garde le secret, mon cher, ne t'en déplaise.


--Voilà, quand on est pauvre, à quoi l'on est réduit,

Et, quand tout est vendu, l'on meurt dans un réduit!


--Tu connais cette chaîne, et tu sais quelle dame?...


Il m'arrête soudain, se reprend:


--Sur mon âme,

Ajoute-t-il alors, je ne sais rien du tout.

Je ne sais que cela: la misère est partout....

Mais cette chaîne, toi, combien l'a-tu payée?


Cette dernière phrase elle fut bégayée.


--Elle n'est pas à moi, mon brave Dumanoir.


--Non! A qui donc alors? Il faudrait le savoir.


--A quelques nobles gens, honteux de leurs misères;

Qui vont mourir de faim au milieu de leurs frères,

Plutôt que mendier,


Jean dit: C'est vrai cela.....

Mais qui donc t'a remis cette chaîne?


--Voilà,

C'est une pauvre enfant qui m'attend à ma porte...

Moi je n'achète point d'objets de cette sort

Du moins en pareil cas. Je n'ai jamais goûté

Ce commode moyen de faire charité.


--Si j'avais, repart-il, quelques sous dans ma bourse,

Je les donnerais bien à l'enfant sans ressource....


Il fouillait son gousset. D'un ton rauque et fiévreux

Il ajoute:


--Rien! rien! que je suis malheureux!


Or, comme il prononçait cette triste parole,

La petite survint. Une crainte frivole

De ses jeunes esprits, je le crois, s'emparait.

Je tardais à venir et le temps lui durait.

Elle ne savait pas si j'étais bien honnête,

Et de sa chaîne d'or pouvait être inquiète.


--Que je suis malheureux! disait Jean, se levant.


Et son regard tomba sur la naïve enfant

Qui venait de sourire en me voyant près d'elle.

L'enfant s'arrête alors comme un oiseau dont l'aile

Se brise tout à coup en volant dans les cieux.

Elle porte sur nous un regard anxieux

Et puis courbe la tête. On voit frémir sa lèvre:


--O mon père! dit-elle.


Et lui, l'oeil plein de fièvre,

La bouche frémissant et le front en sueurs,

Il la prend dans ses bras et l'inonde de pleurs.



II


L'airain des vieux clochers avait sonné six heures;

Et déjà les remparts, les arbres, les demeures,

Comme dans un manteau, se drapaient dans la nuit.

Je sortis. Il neigeait, et la neige avec bruit

Tourbillonnait dans l'air et fouettait les fenêtres.

En marchant je songeais à tous ces pauvres êtres

Qui grelottent, serrés contre un foyer sans feu,

Et que semble oublier la charité de Dieu.


Je marchais à grands pas comme c'est ma coutume.

De loin, à la clarté du fanal qui s'allume,

Je vois, dans le brouillard, un jeune couple heureux

S'avancer en riant sur le trottoir poudreux.

Au bras du cavalier, comme une vigne au chêne,

La femme est suspendue; et ses cheveux d'ébène,

D'un turban de velours s'échappant à demi,

Effleurent, parfumés, les lèvres de l'ami.

Deux jeunes amoureux ont cent choses à dire;

Bien gaiement ils causaient; et leurs éclats de rire

Comme les blancs flocons s'éparpillaient au vent,

Je souffrais, leur bonheur me parut insolent.

Pourtant ne faut-il pas que la jeunesse chante?

Le monde est ainsi fait: Près d'une âme méchante

Une âme pure exhale un parfum de vertu;

Près d'un riche superbe un pauvre est demi-nu:

Un bouton s'ouvre encor près d'une fleur qui tombe,

Et le berceau sourit à côté de la tombe!


En songeant à ces faits qui troublent la raison,

J'arrivai sur le seuil d'une haute maison.


--C'est bien ici! me dis-je.


Alors, dans les ténèbre

Le marteau me parut frapper des coups funèbres.

Une enfant descendit deux ou trois escaliers

Et se hâta d'ouvrir. De ses méchants souliers

Ses pieds mignons sortaient rougis par la froidure.

Ses dents claquaient bien dru. Libre, sa chevelure

Protégeait son épaule en la voilant un peu.

Elle souffrait. Hélas! tout souffrait en ce lieu!


--Vous êtes le docteur!... Montez, monsieur, dit-elle.

Papa ne vous suit point?


Et, tenant sa chandelle,

Afin d'éclairer mieux elle monta devant.


--Je suis le médecin, dis-tu, ma pauvre enfant?

Tu te trompes.


--Montez quand même. Tout à l'heure

Le médecin viendra dans notre humble demeure.


--Qui donc, chère petite, est malade chez vous?


--Ma mère, monsieur.


--Ah!


Alors un chant bien doux,

Un chant triste et dolent vint frapper mon oreille.


--On n'entend pas partout, dis-je, une voix pareille;

Qui chante donc ainsi?


La petite pleurait.


--Mais dans cette maison, à ce qu'il me paraît,

Tout n'est pas désolé, me disais-je en moi-même.


La porte s'ouvre alors, puis une femme blême

M'apparaît aussitôt dans un méchant fauteuil.

Je m'arrête, surpris, un instant sur le seuil,

Car c'est elle qui chante. Elle se tait de suite

Et veut, dans sa frayeur, je crois, prendre la fuite,

Mais sur son siège dur elle retombe. Non,

Je ne saurais conter quel étrange rayon

Jaillit en ce moment de sa morne paupière,

Et comme elle reprit une attitude fière!

Malgré son front livide, elle était belle encor

Avec sa robe blanche, avec sa chaîne d'or

Dont, les brillants anneaux flottaient sur sa poitrine.

Elle étendit vers moi sa main osseuse et fine:


--Venez-vous en ce lieu chercher de la pitié?

Me dit-elle soudain. Au nom de l'amitié

Venez-vous demander qu'on songe à la détresse,

Qu'on ranime les coeurs qui sont dans la tristesse?

.................................................

Se couche-t-on chez vous quelquefois sans souper,

Et voit-on au chevet les spectres se grouper?

.................................................

Je vous ferai l'aumône. Aimez la Providence,

Et du bien qu'on vous donne usez avec prudence,

Car après le soleil on voit monter la nuit,

Le bonheur passe vite et la douleur le suit!

.................................................

J'ai de l'or; je suis riche--Elle montrait sa chaîne--

Mes enfants n'ont jamais, monsieur, connu la gêne,

Et, s'ils souffrent un peu, c'est de me voir souffrir.


Bernadette pleurait. L'enfant qui vint ouvrir,

Vous le pensiez sans doute, était ma Bernadette.

La pauvre femme, alors, se relève et rejette

Sur son cou grêle et blanc ses boucles de cheveux.

Quelques enfants jouaient et se croyaient heureux.


--Venez ici, dit-elle. Et sa parole tremble.


Eux, dans une autre pièce ils se sauvent ensemble.

Marguerite, pourtant, tombant à chaque pas,

S'avance vers sa mère et tend ses petits bras.

Et sa mère la prend, sur ses genoux l'a couche,

La couvre de ses mains afin qu'on ne la touche,

Et se met à chanter comme pour l'endormir.

Ah! j'aurais aimé mieux entendre alors gémir,

Dans son mortel chagrin, la pauvre malheureuse!

Cela m'eut touché moins. C'est une chose affreuse

Que de rire ou chanter à force de douleurs!

De ma main j'essuyais mes paupières en pleurs;

Je n'avais jamais vu de détresse aussi forte.

Et j'étais là, debout, toujours près de la porte,

N'osant aller plus loin, ne pouvant pas parler

Et tenté de m'enfuir ou de m'agenouiller.

Comme moi Bernadette aussi semblait attendre.


Enfin sur l'escalier des pas se font entendre

Et Dumanoir arrive avec le médecin.

Nos mains se pressent:


--Jean, dis-moi dans quel dessein

Tu me cachais ainsi ta misère profonde:

Doutais-tu de mon coeur ou craignais-tu le monde?


Il secoua la tête et ne répondit rien;

Mais je vis dans ses yeux deux pleurs brûlants.


--Eh bien!

Demandai-je au docteur, comment est la malade?


Avant qu'il répondit:


--Il faut que je m'évade,

Car depuis quinze jours l'on me tient en prison,

Dit la femme en délire, et cela sans raison.

Mes enfants avaient faim; nous étions sans ressources;

Je me suis mise alors à faire quelques courses

En mendiant du pain, en mendiant des sous,

Et tous m'ont refusée! Alors moi, voyez-vous,

J'ai volé, quelque part, en passant, je suppose,

Un morceau de pain blanc, rien qu'un, pas autre chose,

Et voilà que de suite on m'a mise au cachot!...


Le reste se perdit dans un amer sanglot.

Les enfants, tour à tour sortis de leur cachette,

Ecoutaient étonnés. D'une façon discrète

Le médecin me dit:


--Non, je n'ai plus d'espoir.


Deux semaines après, un jeudi, vers le soir,

J'allai m'agenouiller, un peu mélancolique,

Sur les dalles de bois de l'humble basilique.

Devant le tabernacle, avec humilité,

Quelques chrétiens priaient le Dieu de charité.

Sous les vastes arceaux flottaient d'étranges ombres;

Et, comme l'oeil d'un ange, au fond des voûtes sombres

La lampe d'or veillait.


Une enfant à l'air doux

A l'autel de Marie était seule à genoux.

Une grande douleur semblait remplir son âme,

Et ses yeux suppliants invoquaient Notre Dame.

Sur des tables de marbre, en face de l'autel,

Des cierges et des fleurs faisaient monter au ciel,

Les premiers, les rayons de leurs paisibles flammes,

Les secondes, l'encens de leurs chastes dictames.

Et l'enfant se leva. Je ne sais quel émoi

Paraissait l'agiter dans sa naïve foi.

Elle était, ce soir-là, toute de noir vêtue.

Son regard se suspend à la blanche statue

De la mère de Dieu pleurant près de la croix,

Elle prie ardemment et sa pieuse voix,

Comme un écho sacré du ciel est entendue.

Elle ouvre le balustre et se trouve rendue

Près des tables de marbre où brillent fleurs et feux

De nouveau vers la Vierge elle lève les yeux,

Et dépose, en tremblant sous la clarté sereine,

Près des vases de fleurs, une brillante chaîne.


En voyant Bernadette offrir sa chaîne d'or

La Mère des douleurs parut sourire encor.


Quelques jours ont passé. Près d'un feu qui pétille

Dumanoir entouré de sa jeune famille,

Pleure silencieux. Le vent perce les toits.

Un petit mendiant, se soufflant dans les doigts,

Vient, pour l'amour de Dieu, demander l'assistance.

Dans la maison en deuil reparaît quelqu'aisance:

Bernadette a touché le Seigneur par sa foi,

Et son père, un matin, a trouvé de l'emploi.


--Donne, fit Dumanoir, donne à chaque misère!

Donne, ma Bernadette, afin qu'une autre mère,

En ces jours de malheur, ne meure pas de faim!...


L'enfant au petit pauvre apporta tout un pain.



[Fin de La chaîne d'or par Pamphile Le May]