* Livre électronique de Project Gutenberg Canada * Le présent livre électronique est rendu accessible gratuitement et avec quelques restrictions seulement. Ces restrictions ne s'appliquent que si [1] vous apportez des modifications au livre électronique (et que ces modifications portent sur le contenu et le sens du texte, pas simplement sur la mise en page) ou [2] vous employez ce livre électronique à des fins commerciales. Si l'une de ces conditions s'applique, veuillez consulter gutenberg.ca/links/licencefr.html avant de continuer. Ce texte est dans le domaine public au Canada, mais pourrait être couvert par le droit d'auteur dans certains pays. Si vous ne vivez pas au Canada, renseignez-vous sur les lois concernant le droit d'auteur. DANS LE CAS OÙ LE LIVRE EST COUVERT PAR LE DROIT D'AUTEUR DANS VOTRE PAYS, NE LE TÉLÉCHARGEZ PAS ET NE REDISTRIBUEZ PAS CE FICHIER. Titre: La fin du monde par un témoin oculaire Auteur: Paradis, Pierre-Paul (1841-1912) Date de la première publication: 1895 Lieu et date de l'édition utilisée comme modèle pour ce livre électronique: Chicoutimi: Imp. "Progrès du Saguenay", 1895 (première édition) Date de la première publication sur Project Gutenberg Canada: 29 novembre 2008 Date de la dernière mise à jour: 29 novembre 2008 Livre électronique de Project Gutenberg Canada no 209 Ce livre électronique a été créé par: Rénald Lévesque, à partir d'images généreusement fournies par la Bibliothèque nationale du Québec LA FIN DU MONDE PAR UN TEMOIN OCULAIRE P.-P. PARADIS CHICOUTIMI Imp. «Progrès du Saguenay.» 1895 -------- PROLOGUE -------- Lecteurs, en vous servant ce poème indigeste Je ne m'attarde pas par un long manifeste A quêter à genoux votre indulgent pardon: Je n'écris pas pour ceux à qui le sort est bon, Mais pour tous ceux à qui la vie est un supplice: En abrégeant leurs jours, je leur rends un service. Ainsi, pas de critique. Il faut que vous sachiez Que je n'écrirais plus, si vous me reprochiez Un style abominable, un vers dur et difforme Qui pèche par le fond ainsi que par la forme, Ou si vous prétendiez que le bannissement Peut seul d'un tel forfait me punir dignement. Ma muse, je l'admets est loin d'être élégante; Cependant, mon humeur sera très arrogante Si le critique veut exterminer mes vers: J'ôte et tourne, en ce cas, mon capot à l'envers Et je me fais maçon quoique déjà sur l'âge. En crépissant des murs, étage après étage, J'atteindrai les sommets et l'immortalité, Narguant là le critique et sa sévérité; Et poursuivant là-haut le cours de mes conquêtes Je m'empare à l'instant des vents et des tempêtes Pour les lancer sur vous, critiques entêtés, Ennemis indiscrets des médiocrités. Ne m'infligez donc pas de pareilles défaites. Ah! si vous compreniez tout le mal que vous faites En brisant un auteur qui fait ses premiers sauts Pour enfourcher Pégase avec ses oripeaux! Je le sais, je ne suis qu'un rustique poëte; Ma lyre est paysanne, et son habit de fête D'étoffe du pays teint de sombres couleurs Attire la critique et non pas les flatteurs. FIN DU PROLOGUE LA FIN DU MONDE ---- C'était par une nuit où d'horribles éclairs, Sillonnant le ciel noir, déchiraient les ténèbres. J'allais seul cheminant, quand soudain dans les airs Je crus ouïr tout près d'étranges bruits funèbres. * Est-ce une illusion? ou serait-ce un cyclone? Me dis-je, croyant voir une noire colonne S'avançant sous l'éclair. Le vent siffle soudain, la poussière m'aveugle; L'affreux nuage crève; une trombe qui beugle Me lance droit dans l'air. * La singulière trombe, en semant des désastres, Dans un noir tourbillon m'enleva dans les astres En des mondes vieillis. J'y vis, m'en croira-t-on l'horrible fin du monde Avec son ciel de sang. Ah! quelle horreur profonde Quels sanglots et quels cris! * «C'est un rêve, dit-on; cela n'est pus croyable; «Car tout sera détruit en ce jour effroyable, «Et vous êtes vivant. «Dans les astres peut-on voir un monde qui tombe? «Il n'existe là-haut nul berceau, nulle tombe; «C'est un rêve effrayant.» * Hélas! peut-on rêver quand sur soi le ciel croule: Le songe aime le calme et non le flot qui roule. Rêver sous de tels bruits! Puisqu'on croit qu'un Venus il existe des mondes, Ces mondes par la mort, mort aux ailes immondes, Fourraient être détruits. * La distance à Vénus est incommensurable. Jamais je n'eusse pu voir l'étoile admirable Sans l'électricité, Parvenu sur la nue un courant électrique Donna, de tels élans au tourbillon magique Qu'en l'astre il m'a porté. * Oh! je respire encor, mais je suis presque chauve J'ai le cerveau brisé, comme si quelque fauve En eut fait des lambeaux. Si sans parler je vais dormir au cimetière, Qui pourra dérober au secret de ma bière Ces récits tout nouveaux. * Ce fait encore un coup est extraordinaire; Pourtant j'aime bien mieux en parler que me taire Et soulager mon coeur. Si chaque homme une fois doit prendre la parole, Pourquoi vous conterais-je une histoire frivole Un récit sans couleur. Non, Vénus ne fut pas une planète vaine, Son sein a pu nourrir une nature humaine, Des hommes comme nous. Ce fut un univers avec des monts, des plaines; De temples, de palais ses villes étaient pleines, Et d'arbres aux fruits doux. * Quand je pense en mon coeur à son heure dernière Je frémis malgré moi d'horreur involontaire Et je verse des pleurs Je tremble au souvenir de cette fin terrible; En faire un plein récit, hélas! est impossible: J'abrège ces horreurs. * Le temps allait finir sa course séculaire. La sombre éternité, s'avançait sans mystère, Et sous sa brise, hélas! frissonnait l'univers Comme un duvet d'oiseau sous le vent des hivers. Déjà la fin des temps, ce spectre au front livide, S'abattait sur Vénus comme une hyène avide, Et noyait sa beauté dans son sang et ses pleurs. Que n'ai-je pu mourir avant tous ses malheurs. Fatalement jeté par cette trombe étrange Sur cet astre brillant, un bonheur sans mélange Berça d'abord mes jours les couronnant de fleurs. Quel ne fut pas mon trouble en voyant ces horreurs! Oh! fin des temps, disais-je, éloigne tes ruines, Tes effrois sans pitié, tes guerres intestines, Eloigne, éloigne-toi; car j'ai peur du trépas; Epargne au moins Vénus où j'ai fixé mes pas. Elle était inflexible, et déjà sur les mondes Dieu gravait son empire en des lettres profondes Que tout l'eau de la mer ne pouvait effacer. Hélas! la fin des temps venait de commencer: Ce n'étaient que malheurs et que guerres sanglantes, Ainsi qu'on voit des mers les vagues mugissantes Qui s'enflent sous les vents; tel l'orgueil des esprits Sur le monde semait d'innombrables débris. Le soleil obscurci n'éclairait la nature Que par des jets sanglants rougissant la verdure; Des tonnerres affreux, d'horribles tremblements Faisaient sécher d'effroi tous les êtres vivants. Hélas! ces jours tout pleins d'horreurs inénarrables Qui devaient châtier les humains si coupables, Succédaient à des jours si brillants et si beaux Que le monde ébloui croyait que les flambeaux Des premiers jours du monde éclairaient la nature, Quand dans l'Eden si beau Dieu mit sa créature. Avant d'attrister tout de ses derniers reflets L'astre du jour voulait briller comme jamais: Et tout resplendissait, les bois et les prairies, Et jusqu'aux croix de bois sur les tombes flétries. Ce contraste allait rendre, hélas! bien plus affreux Les malheurs qui devaient suivre ces jours heureux. Le monde, avant d'entrer dans les jours de colère, S'enivrait de plaisir et d'amour éphémère Sans nul pressentiment des suprêmes malheurs, Prêt du gouffre voilant ses flots dévastateurs L'abondance étalait sa gerbe si féconde Dans l'arôme des fleurs et d'une paix profonde Rien ne venait voiler l'éclatant horizon. Les plaisirs les plus doux doraient chaque saison; Tout respirait l'amour sur cette étoile blonde: Le ciel semblait chanter pour endormir le monde Comme à Noël jadis cet immortel duo Chanté de siècle en siècle autour du saint berceau. («Car sur Vénus, un jour comme sur notre terre, «Le Verbe se fit homme, ineffable mystère «Comme ici bas, là haut il connut les douleurs «Et versa tout son sang pour sauver les pécheurs.») Et le vent pacifié retenait son haleine Pour combler les souhaits de cette paix humaine. Plus de guerre là-haut entre les éléments; Plus d'éclairs, plus de vents, plus de flots écumants. Quelquefois seulement une légère ondée Rafraîchissait les fleurs, la moisson fécondée. Alors le ciel prenait un merveilleux décor: Le soleil y roulait comme une boule d'or; Kt ses rayons semblaient semer des perles fines Partout où l'on voyait s'étendre les bruines Ce spectacle à la fois si splendide et si grand M'a jeté bien des fois dans le ravissement. «O beau ciel azuré de Vénus endormie, «Te voir et puis mourir! Oh! trombe mon amie «Tu ne te doutais pas dans ta folle fureur «Que tu me conduisais dans l'astre du bonheur. «Que ce ciel est brillant, que ces roses sont belles «Les roses d'ici bas sont laides auprès d'elles «Tes jardins, tes palais, tes temples sans rival, «Tes fêtes, tout m'enivre.... Oh! divin carnaval «Ne cesse donc jamais! dore ma destinée; «Vivre un siècle en ton sein me paraît qu'une année.» Ainsi je m'exclamais dans ma folle candeur Quand soudain s'entrouvrit le gouffre du malheur. * Dans un bourg peu peuplé, près d'un rivage sombre Vivait un solitaire. On vénérait son ombre! Tous ceux qui l'approchaient le craignaient comme un dieu. Cette homme paraissait austère et studieux. Il avait le port noble, une haute stature; Ses cheveux descendaient plus bas que sa ceinture; Et son oeil qui flambait sous un sourcil voûté N'ôtait rien à sa grande et sauvage beauté. Sa démarche était grave et son air vénérable. On le croyait prophète et presqu'invulnérable. Hypocrite au début, prestidigitateur, Il charmait les humains par cet art enchanteur. Mais il avait pour Dieu cette haine implacable Qui fait bondir Satan dans son antre effroyable. En parlant de Jésus, l'affreux blasphémateur Disait: «Cet homme là fut un grand imposteur; «Il faut tuer son culte, abattre cette fée «Qu'on appelle l'Eglise, et la mettre en fumée.» Bientôt, laissant son bourg, il courut les cités. Les peuples pour le voir venaient de tous côtés. Son aspect, ses discours, ses faciles maximes, Ses miracles surtout, faisaient tant de victimes, Que bientôt, de partout, de l'aurore au couchant, Des nuages d'erreurs montèrent lentement Vers le ciel où toujours l'astre du jour s'allume: Comme on voit quelquefois une trompeuse brume Cacher aux voyageurs le but de leur chemin On perdre en des récifs le vaisseau du marin. En vain l'on vit des rois défendre l'évangile: Rien n'arrêta l'élan de ce trompeur habile. Son règne s'étendit comme un nuage noir Quand un sombre ouragan éclate sur le soir Et déchaîne les vents et l'éclair et la foudre: Les temples renversés, leurs murs réduits en poudre, Les rochers démolis, les arbres en éclats Font songer aux débris qui suivent les combats. Telle sur l'univers fut sa marche sanglante. Sa fureur satanique, et son âme méchante Bannissaient de partout l'amour du Créateur, Kt les peuples ingrats reniaient leur Sauveur. Comme à Jérusalem, quand jadis les ténèbres Etendirent au loin leurs voiles si funèbres, Ou vit le peuple juif en son aveuglement Préférer Barabbas au Roi du firmament, De même dans ces jours les peuples en démence Criaient: voilà notre homme; honni qui mal y pense. Hélas! moi-même alors par crainte et sot esprit Je préférais cet homme, et c'était l'antéchrist. * Le temps s'assombrissait au souffle du vampire Qui retenait Vénus alors sous son empire; Le soleil en son orbe éteignait ses rayons, Et ne mûrissait plus les utiles moissons. Alors se produisit une crise profonde. La famine, étendit son aile aride, immonde En bien des lieux divers. Des femmes, des vieillards, Assiégeant les dépôts, tombaient sous les poignards D'agents salariés pour défendre les vivres Et qui frappaient, hélas! sans remords, étant ivres. La guerre était partout; la désolation, L'anxiété, planaient sur chaque nation. On entendait partout des plaintes menaçantes. La faim faisaient pleurer dans leurs couches berçantes Les tout petits enfants dans leurs langes pressés Qui ne pouvaient trouver aux seins stérilisés Le lait des premiers mois, leur seule nourriture. Le crime s'étendait sur toute la nature; Le pillage et le meurtre, et toutes les horreurs Se donnèrent la main dans ces jours pleins d'erreurs. La discorde régnait dans toutes les familles. Les prêtres, poursuivis par un peuple en guenilles Qui craignait d'être esclave et se faisait tyran, Furent partout proscrits dans l'espace d'un an. Oh malédiction; cette étoile si blonde, Naguère si brillante, était un astre immonde, Un enfer suspendu dans le centre des airs, Où seul régnait le crime avec ses maux divers. * O toi! divinité, maîtresse des tempêtes, Etre mystérieux qui plane sur nos têtes, Guide moi, je t'implore en ce récit plaintif. Sur la mer où je vogue, hélas! plus d'un récif Peut briser ma nacelle et flétrir ma mémoire; Guide moi vers le port: je chanterai ta gloire Partout où sous les cieux le soleil aura lui. A toi divinité, je me livre aujourd'hui; Je soumets mon esprit à ton esprit céleste. Que ton souffle m'anime, et qu'il se manifeste Dans le sombre récit de ces calamités Pour mieux nous convertir de nos iniquités. * Septembre avait jauni les côteaux et les plaines Pour la dernière fois. Car depuis des semaines Le firmament était en ébullition. Des cyclones affreux détruisaient la moisson; L'atmosphère avait pris une teinte plus rouge. Le riche en son palais, l'indigent dans son bouge Interrogeaient le ciel avec anxiété. Ces ouragans affreux, ce ciel ensanglanté; Le grondement des mers; la rumeur singulière Qu'on entendait parfois dans chaque cimetière Remplissaient les humains de terreur et d'effroi. Il était vraiment propre à jeter dans l'émoi, Ce murmure confus, ce grand bruit d'outre tombe! Sous le gazon qui tremble et s'élève et retombe Sur le funèbre lit, tombeau des nations, On eût dit le réveil des générations. Tout annonçait, hélas! les derniers jours du monde. Les peuples cependant sur ce volcan qui gronde Bâtissaient des cités et des chemins de fer, Essayant de jouir encore en cet enfer, Et noyant leur effroi dans le sein de l'ivresse. Mais voici qu'arrivait le grand jour de détresse Où dans l'éternité tout allait s'engloutir Comme en un grand naufrage où l'on voit tout périr. * Ce fut un vendredi: Non jamais ma mémoire, Même au fond d'un abîme, au centre de la terre N'en perdra plus jamais l'horrible souvenir. La veille de ce jour où tout devait finir, Un ami célébrait de tristes fiançailles. Les noces de ce temps semblaient des funérailles, Tant les malheurs planant sur le monde attristé Assombrissaient les fronts sous l'âpre anxiété. Nul prêtre en ce temps là pour bénir l'hyménée; Nul rayon pour dorer, sacrer la destinée. La jeune mariée, il me semble la voir, Plus belle que le jour paraissait sans espoir. Au bras de son époux qui lui jura constance, Promettant de l'aimer comme en une romance, Elle répondit: oui; promit que sa beauté N'aimerait que lui seul jusqu'à l'éternité. La noce fut sans bruit. Comme en un cimetière Chaque tombe, envoyant son ombré à la poussière, Projette aussi l'effroi dans les coeurs des mortels; Ainsi dans tous les coeurs en ces jours solennels La mort jetait une ombre énorme, inexorable, Et changeait chaque bruit en crainte inexprimable. Une chaleur atroce, énervante et sans air, Sous un ciel rouge et sombre où serpentait l'éclair Régnait depuis deux jours. Le soir l'inquiétude El l'effroi redoubla malgré la lassitude. Tout à coup vers minuit un homme entre en courant; Il m'attire à l'écart, et d'un air suppliant Il me dit: «prévenez tout le monde au plus vite; «Le ciel prend un aspect effroyable, insolite; «Vous savez la fureur des derniers ouragans. «J'ai vu périr, hélas! ma femme et mes enfants. «On entend d'affreux bruits monter des cimetières: «Je crois que celles-ci sont les horreurs dernières. «En tout cas, croyez-moi, c'est infailliblement «L'annonce d'un cyclone ou d'un grand tremblement. «Contre l'affreux cyclone on se met dans les caves. «Nous vivons dans des temps bien tristes et bien graves. «Avertissez les gens. Quel éclair effrayant! «Tenez regarder donc, reprit-il en tremblant, «Tout le monde qui court vers le seuil de la porte. «La mariée en pleurs plus pâle qu'une morte «Vient de s'évanouir; venez, venez dehors; «Il faut être prudent; ne disons rien alors.» Sur le seuil on put voir l'effroyable atmosphère Nous empoignant déjà comme un aigle en sa serre; On eût dit que le temps lui-même épouvanté Venait d'apercevoir l'immense éternité. * Quand le globe est frappé par un affreux cyclone, Bien avant d'éclater, le nuage au loin tonne Et prend à l'horizon un aspect menaçant. La rebord du ciel noir paraît frangé de sang; Le calme devient plat, mais l'ouragan h'avance; Chacun vers son foyer avec effroi s'élance; L'écho devient sonore; un silence imposant Règne alors dans les airs pendant quelque moment; Un poids lourd pose aussi sur tout ce qui respire; Tout se tait, nulle brise au dehors ne soupire; Et la nuit est profonde; une intense chaleur Se fait sentir et jette une morne stupeur. --Soudain l'éclair aveugle, et fait tomber la foudre; L'épouvantable éclat a-t-il tout mis en poudre? Les autres éléments, le vent, la grêle alors Renversent les maisons, tuant, jetant dehors Les femmes, les enfants, qui fuient fondant en larmes: Tout est dans la stupeur, tout est dans les alarmes Hélas! ce n'est que l'ombre auprès du grand tableau Que le temps promettait dans son aspect nouveau. Le ciel couleur de sang du couchant à l'aurore Terrifiait, et pourtant n'éclatait pas encore. Mais ses éclairs étaient d'un éclat si perçant Que l'oeil épouvanté fuyait le firmament. Ce qui rendait surtout leurs lueurs effrayantes, C'était cette couronne en épines sanglantes Qu'on voyait sur la nue ensanglantant les cieux Quand l'éclair déchirait l'ombre en brisant les yeux. Soudain on entendit un tonnerre effroyable; On eut dit que le ciel sous ce choc formidable Allait tomber sur nous. Ah! grand Dieu quel effroi! Les glaces, les vitraux, de la cave au beffroi Tombaient avec fracas. «O ciel! criait la foule, «Qu'allons-nous devenir? Le firmament s'écroule!» Hélas on ne voyait que les commencements; On n'était qu'au début des épouvantements. Absents, ce cherchez pas à revoir vos demeures; Et toi, femme éplorée, hélas! en vain tu pleures: Nul n'essuiera tes yeux; car les gémissements Vont bientôt égaler l'horreur des éléments. Le jour ne parut plus sur la face du monde; Les tonnerres, les vents, le ciel, l'enfer et l'onde Conjurés contre nous tonnaient avec fureur. Tout était confondu dans cet affreux malheur, Et les bêtes des bois laissant là leurs tanières Pour s'unir aux humains dans leurs terreurs dernières Mêlaient leurs cris plaintifs aux immenses clameurs. Cependant, sous l'éclat des sinistres lueurs, Où se déroule, hélas! ce drame sans exemple, Les prêtres consternés sortaient de chaque temple Chantant, le Christ en main, le _Parce Domine_. Et cet hymne semblait sous ce ciel déchaîné Un râle d'agonie au milieu d'un abîme. Nul alors n'insulta l'adorable victime; Dans cette affreuse nuit, la consternation Arrêta dans son cours la persécution. Mais il était écrit qu'à cette heure effroyable Dieu ne serait pour nous qu'un maître inexorable. Car dans le même instant un grondement lointain Qui s'approchait, ainsi qu'un grand bruit souterrain Couvrirent les fracas de l'horrible tempête. Ainsi qu'un flot balance un esquif sur sa crête, De même on ressentit les affreux tremblements Ebranlant l'univers jusqu'en ses fondements. Les temples s'écroulaient, leurs clochers et leurs dômes Volaient en mille éclats, blessant, tuant les hommes, Quelle plume pourrait décrire tout l'effroi Qu'inspirait ce spectacle. Ah! j'ai vu près de moi Des cratères sans fond d'où le souffre et les flammes Sortaient en bouillonnant. J'y vis tomber des femmes. J'ai vu des hommes nus, à demi calcinés, Se tenant à des pins presque déracinés, Rouler dans ces enfers. Quel affreux cataclysme! Los astres éclataient! «Dieu du christianisme! S'écrièrent soudain les peuples éperdus. Un spectacle inouï fit pleurer les élus. Ces nations sans moeurs naguères si payennes, En voyant des malheurs les mesures si pleines, Se frappaient la poitrine et tombaient à genoux, S'écriant: doux Jésus, ayez pitié de nous! Ces cris et cas sanglots et ce ciel qui s'abîme; De la religion la constance sublime, Qui pleurait sur le peuple implorant l'Eternel Les innombrables mains s'élevant vers le ciel; Ces bras nus décharnés, flétris par la misère, Implorant le pardon au milieu du tonnerre; Tout cela toucha Dieu d'une immense pitié. Il abrégea ces maux que je narre à moitié, Fit descendre des feux qui brûlèrent le monde, Purifièrent tout, les airs, le sol et l'onde, Précipitant ainsi ce grand événement. Qui devait précéder le dernier jugement. Les cris des malheureux sous la flamme brûlante, La peur que me faisait cette lueur sanglante Me firent avec foi crier vers le Seigneur, Et je le suppliai d'abréger mon malheur. Le sol trembla soudain: une horrible crevasse S'entr'ouvrit sous mes pieds, et bien loin dans l'espace Je fus lancé tout droit par un volcan nouveau. Puis un ange parut si ravissant, si beau Qu'il éclipsait au loin tout foyer de lumière: Il semblait commander à la nature entière. Il me dit ne crains rien; car je te veux du bien Et suis ton protecteur, ton bon ange gardien. Il dit; et doucement il me prit sur son aile Avec les tendres soins d'une âme maternelle Et vint rapidement me porter ici-bas. Je croyais sûrement revenir du trépas. * Trois ans se sont passés depuis ce fait étrange, Mais j'y crois être encore: que je boive ou je mange, Que je sois en public ou bien que je sois seul Sur moi ce souvenir pèse comme un linceul. Mille cris déchirants poursuivent mes oreilles; Je crois entendre encore les clameurs sans pareilles D'un monde tout entier expirant dans le feu. J'ai le cerveau rempli de ces cris: Oh! mon Dieu! La nuit je suis hanté de visions horribles. Ah! triste fin des temps, scènes indescriptibles Où la foudre et les vents, et l'affreux bruit des flots Couvraient à peine, hélas! les cris et les sanglots. FIN [Fin de _La fin du monde par un témoin oculaire_ par Pierre-Paul Paradis]