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Titre: Essais poétiquesCe livre électronique a été créé par: Rénald Lévesque
Nous tenons à remercier la Bibliothèque nationale du Québec d'avoir offert en ligne les images de l'édition imprimée sur laquelle nous avons fondé ce livre électronique.
QUÉBEC
G. E. DESBARATS, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
Les uns m'ont dit: «Ne faites plus de vers; renoncez à la poésie: vous perdez votre avenir et vous vous préparez bien des déboires: vous n'êtes pas riche, et ce n'est pas en rimant que vous ferez entrer l'aisance à votre foyer.» Les autres, à leur tour, m'ont dit aussi: «Chacun doit faire profiter le talent que le bon Dieu lui a confié. Vous avez quelques-unes des qualités qui font les poètes, cultivez la poésie et charmez nos loisirs; le reste vous viendra comme par surcroît.»--
Qui donc avait raison? Les uns et les autres jusqu'à un certain point, mais surtout les premiers: du moins aujourd'hui je suis forcé de le croire. Et je n'ai pas suivi leurs conseils! Mais est-ce bien ma faute, à moi, si je suis sous l'empire du dieu ou du démon de la poésie? Depuis mon enfance je n'ai fait que rêver! Puis-je laisser sans regrets aujourd'hui les régions mystérieuses où mon esprit s'est plu à demeurer, pour me plonger, corps et âme, dans les choses purement matérielles? Puis-je imposer silence à cette voix impérieuse et ravissante qui s'élève dans mon âme, et qui me dicte des paroles que je ne puis saisir qu'à demi, et dont, hélas! je ne puis rendre qu'imparfaitement la douceur et la mélodie? Oh! il m'en coûtera de descendre à la vie réelle; de travailler depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher pour gagner un morceau de pain; de couper les ailes à mon imagination, cette délicieuse folle du logis! Et cependant il faudra probablement faire cela; car la misère est à ma porte, et je ne suis pas seul de ma famille au monde.
Ah! si je n'avais qu'à pourvoir à mes besoins, non je ne vous abandonnerais pus, charmantes rêveries, contemplations suaves et mystérieuses! Je passerais encore des heures debout, les bras croisés sur la poitrine, écoutant le bruissement ineffable et magique des feuilles sous les agaceries du vent; regardant couler sous les aunes verts les vagues limpides des petits ruisseaux; admirant l'éclat et la richesse des nuages que le soleil, à son coucher, borde d'une frange d'or, ou inonde tout entiers de lueurs inouïes; cherchant à deviner quelque chose de la mystérieuse puissance, de la bonté incompréhensible de Celui par qui tout vit, tout s'anime, tout tressaille et palpite; demandant à l'étoile sereine et à tous les mondes étonnants que la main du Créateur a jetés dans l'espace, comme une poussière d'étincelles, leurs mystères et leurs secrets! Peu m'importerait que mon pain fut blanc ou noir! mon habit tout neuf ou râpé! je rêverais toujours! je chanterais toujours! Mais je me dois à ma famille: il me faut travailler pour la soutenir.
Est-ce donc que je dis adieu, à la poésie dès le commencement de ma carrière? Peut-être: je n'ose me l'avouer, et cependant je crois le pressentir. L'avenir m'effraie: il me paraît bien sombre et gros d'orage. Comme la cigale de la fable j'ai peut-être trop chanté dans la belle saison; et les fourmis bienveillantes, qui m'ont donné de sages conseils, que je n'ai pas suivis, me fermeront la porte au nez en se moquant de moi.
Que de fois, dans un moment d'angoisse et presque de désespoir, j'ai porté envie aux fils des autres paysans, mes amis et mes camarades d'enfance! Plus robustes et plus forts que moi, ils n'ont d'autres soucis que de faire une bonne journée de travail, et, le soir, ils reviennent un peu fatigués, peut-être, mais l'esprit en repos, le coeur gai et satisfait. Peu de choses suffisent à leur bonheur: Ils ne sont pas le jouet de leur imagination; ils ne sont pas enchaînés, comme par enchantement, sur le bord d'un ruisseau, devant une fleur, un arbre, un insecte! Ils ne passent point une partie de leurs nuits à écouter le bourdonnement du feu dans la porte du poêle, ou du vent dans la cheminée: ils ne voient rien là qui puisse les dédommager de la perte d'une heure de sommeil; et le sommeil leur est plus profitable.
Que de fois j'ai regretté de ne m'être pas accoutumé aux travaux des champs! que de fois j'aurais voulu n'avoir jamais fait de vers! Et pourtant suis-je coupable? C'est si doux de rêver, de s'élever par la pensée. Et qu'est-ce que l'homme sans la pensée? Qu'est-ce que l'homme qui travaille du matin au soir, comme le mulet, et qui laisse son esprit s'abrutir, s'identifier, en quelque sorte, avec la matière dont il s'occupe sans cesse? Quelle jouissance a-t-il de plus que l'animal dont il se sert pour labourer son champ?
Il en est toutefois qui travaillent des bras et de l'intelligence; qui se délassent de leurs labeurs en lisant ou en pensant; qui savent même méditer en travaillant: ceux-là sont des hommes dignes d'envie; ils sont les favoris de la Providence. Mais autre chose encore est d'élever de temps à autre, en se livrant aux travaux manuels, son esprit vers les choses supérieures, vers les mondes inconnus, vers ce ciel étonnant et magnifique qui se déroule sur nos têtes; et autre chose de mettre de l'ordre dans ses pensées; de châtier ses expressions, de polir ses phrases et de les soumettre au rhythme, à la mesure et à la mélodie du vers. On peut être penseur et laboureur ou artisan en même temps; mais il est difficile d'être écrivain. Car celui qui revient à sa maison, le soir, après avoir fait de rudes travaux dans la journée, n'est guère disposé aux rêveries: il ne sent pas beaucoup la flamme poétique se réveiller dans son âme; et si son imagination veut prendre son essor, elle retombe bientôt sur le sol durci, car elle est enchaînée en quelque sorte au corps fatigué ou souffrant qui la rappelle sans cesse auprès de lui. Alors s'il s'échappe un cri du coeur, c'est un cri de peine, une plainte amère, quelquefois une malédiction. L'âme se plaint et s'indigne d'être captive; elle se sent faite pour une autre destinée; ce corps dont elle partage la souffrance lui devient odieux et à charge; elle voudrait s'en débarrasser: elle envie le sort des riches; elle trouve injuste la part de ceux qui ont des biens et qui n'ont point d'intelligence, ou qui, s'ils en ont, la laisse se flétrir et se perdre dans la paresse et dans l'oisiveté!
Non, ceux qui écrivent des livres ne sont pas obligés de travailler de leurs mains, du matin au soir, pour subvenir aux besoins de leur famille. Quelques-uns peuvent être pauvres; mais ceux-là n'ont point de famille à soutenir, et ils aiment mieux manger leur pain sec et boire de l'eau froide que de renoncer au travail de l'intelligence: et ils ont raison.
Ceux pour qui le chemin de la vie n'est pas tout semé de roses; ceux qui sont nés sous un modeste toit, au milieu des champs, qui connaissent les privations et les labeurs; ceux qui souffrent, qui sont rejetés par le monde, et qui se plaisent aux idées de tristesse, et qui se réfugient dans la solitude de leur coeur pour attendre, en pleurant, le jour de la délivrance, ceux-là trouveront quelque charme à la lecture de mes poésies. Ils trouveront peut-être un adoucissement à leur peine, un délassement de leur travail, un baume qui calmera la douleur de leur blessure.
Les riches et lès heureux n'aiment guère d'ordinaire les plaintes et les gémissements de ceux que l'infortune poursuit de ses rigueurs: les tableaux sombres et pénibles troublent leur félicité; la pensée de la mort leur donne le vertige: qu'ils me pardonnent, ceux-là, d'avoir moins cherché à leur plaire. Ils ont tant de moyens dp se procurer des jouissances et d'embellir leur vie!
Ce n'est pas l'espérance d'un gain pécuniaire qui m'a amené à publier ce livre. L'exemple de mon ami et confrère! eu poésie, M. Fréchette, est là pour m'avertir. C'est un joli petit recueil de vers que «Mes Loisirs;» cependant l'auteur a-t-il rencontré les déboursés qu'il a faits pour le publier?
Je sais bien que dans notre jeune pays on n'est guère épris de la lecture, ce pain de l'intelligence; et si l'on veut lire un livre on l'emprunte de son ami plutôt que d'en offrir le prix au malheureux qui a sué sang et eau pour l'écrire.
Toutefois je dois avouer que les pièces de vers que j'ai publiées ont été accueillies avec bien de la faveur: quelquefois même avec une indulgence et une sympathie étonnantes. Mais, Dieu merci, j'ai eu le soin de ne pas m'aveugler trop profondément; et j'ai reconnu plusieurs défauts dans un bon nombre de mes vers, et j'ai remis mon ouvrage sur le métier, selon le précepte du grand critique, et l'ai repoli de nouveau.
La moitié du livre que je publie aujourd'hui se compose de morceaux inédits. Évangéline, voilà surtout l'ouvrage avec lequel je me présente devant le monde littéraire. Evangéline, un charmant poème de Longfellow, que j'ai voulu faire passer dans notre belle langue, et auquel j'ai voulu donner asile sous notre heureux ciel du Canada. J'ai eu bien des difficultés à vaincre, et je n'ai peut-être pas été aussi heureux dans la lutte que si j'avais été un vieil athlète; mais je demande grâce pour les défauts et les imperfections de style qui pourraient blesser une oreille délicate, et la bienveillance, dont on a toujours usé à mon égard, ne me sera pas refusée, j'en ai la certitude, maintenant, que j'en ai plus besoin, et que j'y ai peut-être plus de droit.
Puissé-je avoir servi mon pays en faisant ce travail! Puisse mon livre faire rejaillir un reflet de gloire sur mon cher Canada! c'est ce que j'envie par-dessus tout!
Sainte Emmélie de Lotbinière--
Juillet, 1865.
Note du transcripteur: Par souci d'éviter au lecteur des répétitions désagréables, nous avons retranché de cette édition les poèmes qu'on peut trouver ailleurs dans notre collection. Les titres ont été conservés, et le lecteur pourra y trouver une référence aux autres ouvrages. |
Note du transcripteur: Cette traduction du poème de Longfellow fait déjà partie de la collection PGC, comme livre séparé. |
I
O vous qui m'avez dit: «Ne laisse point ton chaume,
«Ni tes bois ni tes prés en fleurs:
«La gloire te sourit; mais ce n'est qu'un fantôme
«Paré de brillantes couleurs:
«Aux branches de l'ormeau suspend ta faible lyre,
«Car nul ne voudra t'écouter:
«Laisse chanter l'oiseau; l'homme souffre et soupire:
«L'homme n'est pas fait pour chanter.»
--Non, vous ne savez pas que ce feu qui me ronge
Est une étincelle des cieux!
Que cette rêverie où mon âme se plonge
Est un travail mystérieux!
Non, vous ne savez pas qu'une amère souffrance
Pèse sur mon coeur sans pitié!
Que je ne veux du ciel que la douce espérance,
Et du monde, que l'amitié!
Arrêtez dans son cours le frais ruisseau qui coule
En murmurant dans la forêt!
Empêchez les ébats du pétrel sur la houle
Ou du grillon sur le guérêt!
Et mes cris de douleur, et mes chants d'allégresse
Ne monteront plus vers les cieux!
Et ce luth frémissant sous ma main qui le presse
Demeurera silencieux!
Mais laissez-moi chanter si ma voix a des charmes
Et peut distraire vos ennuis!
Recueillez, goutte à goutte, en m'oubliant, les larmes
Que mes yeux versent dans les nuits!
Recueillez, dans vos coeurs, mes accents de tristesse
Quand ma douleur s'éveille un peu,
Et les humbles accords, qu'en mes heures d'ivresse
J'ose moduler pour mon Dieu!
II
Rivage où je soupire
Courbant mon front souffrant,
Brise dont je respire
Le dictame enivrant,
Feuille qui tourbillonnes,
Dans la pourpre du soir,
Etoile qui rayonnes
Comme un riche ostensoir,
Vous publiez sans cesse,
Du Dieu qui vous a faits,
La suprême sagesse
Et les divins bienfaits!
Quand sa voix vous appelle
Vous savez l'écouter,
Et son nom que j'épelle
Vous savez le chanter!
Seigneur, dans la nature
Tout soupire pour toi!
Ton humble créature
Bénit ta sainte loi!
Seul l'homme dans la l'ange
Dont ta main l'a pétri,
Traîne sa face d'ange
Et son coeur tout flétri!
Avec le pré qui fume
Déchiré par le soc,
Et le flocon d'écume
Qui va blanchir le roc,
Et le nuage sombre
Que fendent les éclairs,
Les atomes sans nombre
Qui flottent dans les airs;
Avec le vent qui pleure
En berçant le roseau;
Avec l'arbre qu'effleure
Le gai petit oiseau;
Avec le flot de moire
Qui murmure et s'en va,
Je veux dire ta gloire,
Eternel Jéhova!
Votre froideur m'étonne,
O Mortels aveuglés!...
Soufflez, brises d'automne,
Sur nos plaines soufflez!
Si l'homme, dans ses fêtes,
Chante ses voluptés,
Sa gloire et ses conquêtes....
Pour Dieu, brises, chantez!
III
Gronde, éclate, ô foudre!
Et réduis en poudre,
Le chêne orgueilleux!
Déchire la nue,
La montagne nue,
Le roc sourcilleux!
Que ta voix sublime,
Au profond abîme,
A l'altière cime
Dise du Seigneur
La magnificence!
Chante en son honneur,
Chante sa puissance,
Grande voix des mers!
Que les flots amers,
Battus des orages,
Aux échos sauvages
Des lointains rivages
Content son amour!
Que l'airain sonore,
Dans les tours que dore
Le rayon d'aurore
Chante et vibre encore!
Que dans son séjour
De mousse et de feuille,
Dès le point du jour
L'oiseau se recueille,
Jette, radieux,
Ses notes limpides,
Ses trilles rapides,
Ses cris glorieux!
Que le vent qui passe
Traînant, dans l'espace,
La feuille des bois;
Que l'insecte qui rase,
De son aile de gaze,
La coupe que je bois;
Qu'une voix éternelle,
Immense, solennelle,
Retentisse en tout lieu;
Qu'ici-bas tout s'unisse,
Tout proclame et bénisse
Le nom sacré de Dieu!
IV
C'est ce nom ravissant que la vive alouette,
Voltigeant sur la grève d'or,
Redit aux flots d'azur, dans le cri qu'elle jette,
Suspend et recommence encor!
C'est ce nom ravissant que, dans la solitude
Des bois sans feuilles, sans oiseaux,
L'âme rêveuse entend avec inquiétude,
Croyant ouïr le bruit des eaux!
C'est ce nom que l'écho, de colline en colline,
Va répétant avec amour,
Alors que, vers le soir, chaque rameau s'incline,
Comme lassé du poids du jour!
C'est encore ce nom que murmure et proclame
Le météore qui s'enfuit,
Secouant, dans le ciel, sa crinière de flamme,
Parmi les ombres de la nuit!
Et quand tout l'univers, dans un concert sublime,
Se plaît à bénir son auteur;
Et quand, autour de lui, tout palpite et s'anime
Au nom du sage Créateur,
L'homme, plus insensible, et fier de la puissance
Dont il s'affuble en ce bas lieu,
L'homme reste sans voix et sans reconnaissance,
Lui, l'oeuvre d'amour de son Dieu!
Mais, Seigneur, l'homme est faible, et jamais sa malice
Ne put égaler ta bonté.
Souvent sa main tremblante, en prenant le calice,
Sans ton secours avait compté;
Souvent ses pas perdus dans les sentiers du monde
Ne suivent point la vérité,
Et sa bouche, au hasard, jette un blasphème immonde
Que son coeur n'a point médité.
Mais quelle mélodie, enivrante, inconnue,
Flotte mollement dans les airs?
Quel son plus ravissant vint jamais de la nue!...
Sur l'aile du vent des déserts!
Est-ce un écho du ciel que tour à tour répètent
Le val ombreux et le coteau?
Ou le chant matinal des oiseaux qui s'apprêtent
A saluer un jour nouveau?...
Là-bas, sur le sentier qui monte la colline,
Une veuve prie en marchant;
Là-bas, dans le lieu saint, une pauvre orpheline
Môle des larmes à son chant;
Et de son chapelet un pieux solitaire
Dévide les vieux grains bénis......
Tous les anges du ciel aux anges de la terre,
Pour louer Dieu sont réunis!
(Traduit de Longfellow.)
Lorsque les feux du jour commencent à s'éteindre,
Que de son aile noire, au loin, la nuit vient ceindre,
Les lacs aux flots d'azur, et les bois et les champs,
Le tumulte se tait, le travail se repose,--
L'oiseau vole à son nid, le zéphyr, à la rose....
C'est aussi l'heure des enfants!
Dans la chambre, là-haut, j'entends un bruit étrange,
Et plus d'un pied mignon qui soudain se dérange
Et froisse, en trottinant, les dessins du tapis;
J'entends le son plus sourd d'une porte qu'on pousse,
Et des petites voix, l'une humble, l'autre douce,
Qui bruissent comme des épis.
De l'étude où je suis, ma lampe qui scintille
Me laisse apercevoir une forme gentille
Qui descend l'escalier au fond du corridor:
C'est ma chère Allégra, ma petite rieuse;
Alice est avec elle, et fait la sérieuse;
Et puis Edithe aux cheveux d'or!
Elles se parlent bas d'un ton plein de mystère...
L'une à l'autre, aussitôt, fait signe de se taire...
La joie éclate bien dans leurs regards coquins!
C'est, sans doute, un complot qu'en secret l'on machine...
Il me vient des soupçons!... On veut, je le devine,
Me surprendre sur mes bouquins!
Et la troupe enfantine avec ardeur s'élance,
Par trois portes où j'ai négligé la défense,
Et franchit vaillamment mes superbes remparts!
Le succès l'encourage! elle monte à son aise
Sur les bras, le dossier de mon antique chaise!...
Je suis cerné de toutes parts!
Pour se tenir sur moi l'une à l'autre s'appuie:
Leurs baisers sur mon front tombent comme une pluie:
Elles m'ont fortement enchaîné dans leurs bras!
Je suis, comme autrefois, cet évêque célèbre
Captif aux bords du Rhin, ou peut-être de l'Ebre,
Dans la tour magique des Rats.
Mais croyez-vous vraiment, adorables canailles,
Parce que vous voilà dans mes vieilles murailles,
Que de vos grands yeux Meus, moi, je vais avoir
Je vous retiens ici, mes charmantes guerrières!
Vous ne sortirez plus! Vous êtes prisonnières,
Et prisonnières dans mon coeur!
Inutile pour vous de faire les rétives,
Vous êtes bien à moi, vous êtes mes captives!
Ma victoire m'inspire une juste fierté!
Jusqu'à ce que mon coeur que la tristesse mine
S'en retourne en poussière, et soit une ruine
Vous n'aurez plus la liberté!
Les vapeurs du matin, légères et limpides,
Ondulent mollement le long des Laurentides,
Comme des nuages d'encens.
Au murmure des flots caressant le rivage,
Les oiseaux matineux, cachés dans le feuillage,
Mêlent de suaves accents.
La nature, au réveil, chante une hymne plaintive,
Dont les accords touchants font retentir la rive
Du Saint-Laurent aux vagues d'or;
Glissant, comme une feuille au souffle de l'automne,
Sur le flot qui module un refrain monotone,
Une barque prend son essor.
Vogue! vogue! faible nacelle!
Devant toi la mer étincelle
Des premiers feux du jour nouveau!
Berce! berce ta voile blanche
Qui se relève et qui se penche,
Comme pour se mirer dans l'eau;
Tandis que je reste au rivage,
Au pied du vieux chêne sauvage
Où je viens rêver si souvent!
Où, quand le monde me rejette,
L'écho fidèle, au moins, répète
Mes notes qu'emporte le vent.
Et que m'importe la louange
Des hommes dont l'amitié change
Comme le feuillage des bois!
S'il faut chanter, ma lyre est prête;
Vers mon Dieu, si je suis poète,
J'élèverai ma faible voix.
C'est lui qui fait naître l'aurore!
C'est lui que la nature adore
Dans son sublime chant d'amour!
Il nous sourit, et l'humble hommage
Que lui présente le jeune âge,
Est toujours payé de retour.
C'est lui qui recueille nos larmes!
C'est lui qui dispense les charmes
Dont se revêtent les saisons!
C'est lui qui dit aux fleurs de naître,
Au brillant soleil de paraître,
Pour venir dorer nos moissons!
C'est lui qui donne aux nuits leurs voiles
Ornés de brillantes étoiles
Qui tremblent dans les flots luisants;
Qui verse les molles ondées
Dans nos campagnes fécondées
Par les sueurs des paysans!
Il parle, et le monde s'agite,
Le soleil se lève plus vite,
Et tout adore sa splendeur!
Il parle, et tout l'univers tremble,
Et les astres volent, ensemble,
En se racontant sa grandeur!
Dans ma misère il me visite,
Quand tour à tour chacun m'évite,
M'abandonnant seul à l'ennui.
Quand m'échappe une plainte amère,
Il me dit: «Pauvre enfant, espère,
C'est moi qui serai ton appui.»
Quand l'amertume nous inonde,
Qu'il n'est plus d'amis en ce monde,
Seul il ne se retire pas,
Quand nous chancelons dans la voie,
Du haut du ciel il nous envoie
Un ange qui soutient nos pas.
Note du transcripteur: Voir le livre «Reflets d'antan» de la collection PGC. |
Tout le monde sait que la vallée du Saint-Laurent aujourd'hui si riante et si belle avec ses maisons blanches, ses prairies vertes, ses moissons et ses vergers, était, il y a trois siècles, la retraite sauvage des enfants des bois; que notre patrie, notre beau ciel étaient la patrie et le ciel des Algonquins, des Abénakis, des Hurons et de bien d'autres tribus sauvages. Tout le monde sait aussi qu'il ne reste plus guère de trace de ces nations guerrières que nos pères ont vaincues avec la croix ou qui se sont détruites entre elles: quelques Iroquois doux et paisibles au Sault Sainte-Marie; quelques cabanes d'Abénakis sur les bords de la rivière Bécancourt; à Lorette, le petit village des Hurons. Les descendants des braves guerriers Hurons ne se sont pas éloignés de la ville de Champlain sous les murs de laquelle leurs pères vinrent chercher un abri contre la férocité de leurs ennemis! Cependant ils vivent pauvres et délaissés comme s'ils n'avaient pas droit à la compassion de leurs maîtres, eux ces rois d'autrefois, ces alliés fidèles, ces victimes innocentes! Ils avaient quelques biens, mais on les leur ravit en 1797 pour en faire un domaine public. Ils avaient une église vieille d'un siècle et demi environ, et ils l'aimaient beaucoup, et chaque dimanche ils venaient y chanter dans la langue de leurs aïeux, les louanges du Grand Esprit; mais un incendie désastreux la réduisit en cendres il y a deux ans...................................................
Quelques hommes pleins de zèle et de charité, touchés de l'état de désolation où se trouvent ces pauvres sauvages, ont entrepris d'éveiller les coeurs et l'attention des riches et des puissants, et de faire sortir le temple de ces ruines.
L'un de ces hommes toujours prêts à mettre la main à une bonne oeuvre m'a prié d'apporter aussi moi mon obole--une petite pierre à l'édifice--et cette obole qu'il demandait et que peut donner le poète oublié de la fortune, la voici.
I
Quand de sombres forêts recouvraient nos rivages,
Et qu'au milieu du jour les animaux sauvages
Vers le fleuve accouraient pour se désaltérer;
Quand le soleil levant ne venait point dorer
Les blés d'un laboureur ni la croix d'une église;
Que l'illustre Cartier, de ses hardis vaisseaux
N'était pas descendu sur la terre promise
Qu'il voyait, au-delà des eaux.
Un grand peuple régnait sur ces fertiles plaines
Où nos pères, jadis, ont taillé leurs domaines:
Un peuple de chasseurs, une tribu de rois!
Barbare et valeureux, libre et fier de ses droits,
Ce peuple infortuné que la guerre décime;
Qui défend ses forêts dont nous sommes jaloux;
Qui reste notre ami, bien que notre victime;
Ce peuple est encor parmi nous!
Là-bas, sur les hauteurs, au pied des Laurentides,
S'élève, solitaire, un modeste hameau;
La rivière Saint-Charle, avec ses eaux limpides
Que voile, en maints endroits, l'ombre d'un jeune ormeau,
Caresse, en murmurant, le seuil de ce village,
Et, quand elle le quitte, on dirait que de rage,
Sur son lit de cailloux, elle s'agite et fuit.
Comme un daim effaré qu'une meute poursuit,
Dans un gouffre profond qui tout à coup s'entrouvre,
L'onde vertigineuse arrive avec fureur,
Rebondit sur le roc, le déchire et le couvre
De flots d'écume et de vapeur.
Le village est paisible et son aspect est triste.
Des enfants basanés à l'oeil noir et mutin
Y suivent, pas à pas, chaque nouveau touriste,
Pour lui vendre un panier qu'ils ont fait le matin,
Ou, pour avoir un sou, tendent une main sale,
D'autres un peu plus grands, d'une fierté royale,
Armés d'un arc de frêne et d'un léger carquois,
Semblent chercher encor le féroce Iroquois;
Car ces petits enfants au visage de cuivre
Ont appris de l'aïeul à détester ce nom;
Et c'est dans ce hameau que nous voyons survivre
Le descendant du fier Huron!
Naguère une chapelle à l'antique façade,
Donnant un air joyeux à la pauvre bourgade,
Elevait vers le ciel la croix de son clocher.
Les Hurons à la messe arrivaient le dimanche
Avec leurs SOULIERS MOUS et leur chemise blanche.
Les femmes, comme ailleurs, promptes à s'approcher
De la maison de Dieu dès qu'elle était ouverte,
Revêtaient, ce jour-là, leur plus belle couverte.
Bientôt un chant pieux montait vers le Seigneur
Avec les flots d'encens et la voix du Pasteur.
Et sous la blanche voûte, avec une foi vive,
Les sauvages chantaient, dans leur langue naïve,
Les louanges d'un Dieu qu'en leur aveuglement
Blasphémèrent, jadis, leurs barbares ancêtres,
Alors qu'ils parcouraient ces rivages en maîtres.
Et ce n'étaient qu'an pied de l'autel, seulement,
Que ces fiers rejetons d'une race héroïque
Voyaient de leur passé le souvenir magique,
S'effacer, comme une ombre, auprès de la grandeur
Du culte saint qui fut leur seul consolateur.
II
Mais, hélas! aujourd'hui le béni sanctuaire
N'est qu'un mur délabré!
Le sauvage n'a plus son temple tutélaire,
Son refuge sacré!
Il erre, sombre et triste, au milieu des ruines
Que l'herbe vient couvrir,
Cherchant de quel forfait les vengeances divines
Ont voulu le punir!
Il n'entend plus la voix de sa joyeuse cloche
Annonçant, tour à tour,
Que déjà du repos l'heure calme s'approche
Ou qu'enfin il est jour!
Il n'entend plus jamais les chants des brunes vierges
Elevant, vers le ciel,
Une âme toute en feu comme les pâles cierges
Qui brûlaient sur l'autel!
Le dimanche, autrefois, c'était fête au village:
Aujourd'hui tout est deuil!
De son humble maison le timide sauvage
Ne laisse plus le seuil!
Son coeur se refroidit et sa vertu chancelle
Sous le vent du malheur,
Comme on voit chanceler une frôle nacelle
Sur la mer en fureur!
Et l'on dit que le soir, lorsque d'épaisses ombres
Enveloppent ce lieu,
On voit passer souvent, au milieu des décombres
De la maison de Dieu,
Une l'orme suave, agile, et plus exquise
Que les plus douces fleurs;
Elle paraît s'asseoir sur une pierre grise
Et répandre des pleurs.
Et plus loin, sur le bord de la belle cascade,
Quand on approche un peu,
On voit un spectre nain qui sautille et gambade,
Et, de ses yeux de feu
Regarde fixement, riant avec malice,
Le saint temple détruit;
Puis, soudain, il s'élance au fond du précipice
Dès qu'une étoile luit.
Et l'on croit, au hameau, que cette forme exquise,
Ce fantôme brillant
Qui visite, la nuit, les restes de l'église
Et s'assied en pleurant,
C'est l'ange à qui le ciel a confié la garde
Du village Huron,
Et que le spectre affreux qui rit et le regarde
Est un méchant démon.
III
Qui donc sera vainqueur dans cette lutte étrange
Entre l'Esprit céleste et le spectre maudit?
Le sourire du nain ou la larme de l'ange?
Ecoutez ce qu'un jour une femme entendit,
Une jeune Huronne allait seule, en silence,
Pleurant son bien-aimé qui tardait à venir.
Sous un feuillage épais que la brise balance
Elle vient s'arrêter pour mieux se souvenir.
Comme un saule rompu son front pâle s'incline;
Ses regards enivrés commencent à languir!
Tout flotte vaguement!... le jour au loin décline!...
Elle entend des accords qui la font tressaillir:
«C'est en vain que tu veux, démon de la vengeance,
«A ce peuple ravir sa plus chère espérance
«Et le germe sacré de sa vieille croyance!
«De ses débris fumants le temple sortira!
«Au dessus du hameau la croix de fer luira!
«Et sur le saint parvis le sauvage prîra!
«Et la vierge Huronne ira dans la prairie
«Cueillir, comme autrefois, la fleur la moins flétrie
» Pour orner, chaque jour, l'image de Marie!
«Car la vierge est pieuse avec simplicité:
«Et sur ces bords heureux la douce charité
«Auprès de l'indigence a toujours habité.»
Et ce chant prophétique était comme un dictame
Pour le coeur affligé de cette jeune femme!
Elle vit aussitôt l'ange tout radieux
Essuyer sa paupière et remonter aux cieux!
Sur la chute elle vit le petit nain immonde
Grincer des dents, rugir et s'enfoncer dans l'onde!
Elle vit s'élever, au milieu du hameau,
Sur les cendres du temple, un beau temple nouveau!
Que ton rêve était doux, jeune fille Huronne!
Ce temple que tu vis que le ciel te le donne!
La Patrie outragée
Demande des vengeurs:
La lutte est engagée:
Aux armes, Voltigeurs!
De victoire en victoire,
Braves, justes, pieux,
Montons jusqu'à la gloire
Où dorment nos aïeux!
Défendons nos campagnes,
Nos murs demi-broyés!
Défendons nos compagnes!
Défendons nos foyers!
Notre langue chérie!
Notre religion!
Défendons notre vie,
Nous sommes nation!...
Nous n'avons d'autres maîtres
Que nos antiques lois!
Malheur! aux peuples traîtres
Qui méprisent nos droits!
Les sillons de nos plaines,
Nos bois et nos ruisseaux,
Pour leurs phalanges vaines,
Deviendront des tombeaux!
Guerre aux desseins perfides
De nos fiers ennemis!
Montrons-nous intrépides
Puis au devoir soumis.
Devenus plus terribles
A l'heure du danger
Ah! soyons invincibles,
Et sachons nous venger!
Ecoutez le tonnerre
De nos boulets d'airain:
De notre chant de guerre
C'est le joyeux refrain.
Au bruit de la mitraille
Voyez-nous accourir.
Venez à la bataille
Nous voir vaincre ou mourir!
Quoi! nous serions esclaves
D'un vil peuple étranger!
Non! brisons les entraves
Dont il veut nous charger!
L'assistance divine.
Ne nous manquera pas:
En main la carabine.
Vite! doublons le pas!
Note du transcripteur: Voir le livre «Les épis» de la collection PGC. |
Salut! salut! belle contrée!
Je te connais à mes transports!
Dans mes rêves tu t'es montrée,
Quand j'ai pleuré loin de tes bords.
L'étranger m'offrit un asile,
De l'or et des amis joyeux,
Mais j'aimais mieux le champ fertile
Et le foyer de mes aïeux!
Dans le lointain je vois paraître
Ma chaumière sur le coteau!
Le peuplier que j'ai vu naître
L'ombrage d'un épais rameau!
Souvent, en ses heures amères,
A genoux sous l'arbre tremblant,
Ma mère offrit pleurs et prières
Pour le retour de son enfant.
Je m'en souviens: sur ce rivage,
Je venais rêver vers la nuit:
J'aimais à voir l'oiseau sauvage
Dormant sur le bord de son nid:
Mon oeil suivait la faible lame
Que traçait un léger canot;
J'écoutais le bruit de la rame
Et le chant du gai matelot.
C'est dans ces bois, dans ces prairies
Que je courais petit enfant;
Le front orné de fleurs chéries
Au seuil j'arrivais triomphant.
Et si quelque peine légère
Venait troubler mon jeune coeur
Dans les bras de ma tendre mère
J'allais oublier ma douleur!
I
La neige a couronné nos collines brumeuses,
De la campagne, au loin, l'uniforme blancheur
Se déroule pareille aux vagues écumeuses
Où l'on voit se bercer des voiles de pêcheur.
Au fond de la forêt on entend de la hache
Les coups retentissants, sinistres, réguliers,
Puis on entend gémir le grand pin qui s'arrache,
Et tombe en écrasant un rival à ses pieds.
L'hiver au front pelé comme un maigre squelette,
Tout couvert de frimas, s'assied à notre seuil:
Brisant ses blancs festons sur ses pas il les jette,
Comme on jette un drap blanc sur un sombre cercueil.
A la voûte des bois il ôte ses trophées
Comme un Crique aux vaincus ôte la peau du front!
Comme, au clair de la lune, un diable avec des fées
Otent leurs noirs manteaux quand ils dansent en rond.
Dans les plaines en deuil sa main de glace enchaîne
Les lèvres du ruisseau qui voudrait soupirer:
Elle suspend au tronc de l'érable et du chêne
Des rubans que le vent se plaît à déchirer.
Dans le ciel désolé comme une âme coupable
Le nuage ressemble à l'aile d'un lutin.
A peine d'un souris le soleil est capable,
Et le soir long et morne est proche du matin.
Pour le pauvre, l'hiver c'est un lit de souffrance
Où l'on voit se rouler de poignantes douleurs;
Mais l'hiver, pour l'heureux, c'est un roi qui s'avance,
En traînant après lui des guirlandes de fleurs.
LA PLAINTE DU MAUVAIS PAUVRE.
II
--«Pendant que chez le riche un grand foyer pétille,
Déployant ses rayons comme un soleil d'été;
Pendant que dans la nuit, la lampe d'or scintille,
Comme l'oeil d'une vierge, au plafond tout sculpté.
«En vain j'attise, moi, ma froide cheminée,
Je ne puis réchauffer mes membres engourdis!...
N'aurai-je donc jamais une autre destinée?...
Malheur! je ne crois plus ni Dieu, ni Paradis!...
«Ou Dieu n'est qu'un tyran. Je travaille sans trêve
Pour un morceau de pain, pour un morceau de bois!...
Quel bien ai-je aujourd'hui? Chaque jour qui se lève
A ma longue misère apporte un nouveau poids!
«Et, sous ce toit de chaume, une pierre est mon siège:
Cette paille est mon lit, et ma table est sans pain!
Je n'ai pour me garder des rigueurs de la neige
Que ces méchants souliers, que cet habit vilain!
«Le riche lève-t-il des mains vides de crimes
Vers ce Dieu sans pitié qui rit de ma douleur?
Le riche aide le ciel à faire des victimes,
Et le ciel, en retour, le, garde du malheur,
«Pourquoi n'être point mort dès le sein de ma mère?
Pourquoi dans le néant n'être point rejeté?
Dieu cruel, le tourment de ma vie éphémère
Etait-il nécessaire à ta félicité?
«Je ne crois pas en Dieu, je me plais à le dire;
Un Dieu pourrait-il donc avoir un coeur de fer?
S'il existe qu'il frappe, et qu'à l'instant j'expire...
Nous nous réchaufferons au feu de son enfer!»
III
Arrête, malheureux! Blasphémateur, arrête!
Ne te ris pas ainsi de la Divinité.
Sa main brandit la foudre au-dessus de ta tête;
Et sous tes pieds maudits s'ouvre l'éternité!
Dans les plages de feu de la zone torride,
Sous un soleil ardent, au plomb fondu pareil,
Un homme au front de cuivre, en sa rage stupide,
Ferme les yeux et dit: «Il n'est point de soleil.»
Ainsi, jetant au ciel un blasphème exécrable,
Tu voudrais de ton Dieu douter quelques instants;
Mais sa voix t'étourdit; sa présence t'accable;
Tu frémis, malgré toi, de tes voeux impudents.
Pour prétendre au bonheur qu'as-tu fait dans la vie?
As-tu gravis le roc où monte la vertu?
As-tu prié le Dieu que ta bouche injurie
Pour qu'il fit reverdir ton courage abattu?
As-tu jusqu'à la lie épuisé le calice
A tes lèvres offert par la main du malheur?
As-tu, d'un pied vaillant, broyé le front du vice?
As-tu, d'un coeur soumis, accepté la douleur?
Au temps qui coule et fuit comme l'urne du fleuve
Tu demandes en vain paix ou félicité;
La poussière où tu gis est le temps de l'épreuve:
La couronne ou la peine est dans l'éternité.
Malheur à l'indigent dont la sombre détresse
Ne cherche de secours que dans l'iniquité!
Malheur au riche, aussi, dont l'infâme maîtresse
Reçoit la pièce d'or due à la pauvreté!
LE CANTIQUE DU BON PAUVRE.
IV
Quand la feuille d'ormeau tapisse la vallée,
Que l'enfant ne suit plus la solitaire allée
Pour prendre un papillon;
Que les champs, sous la faux, ont vu tomber leurs gerbes;
Que l'insecte prudent trottine sous les herbes
Et se cache au sillon;
Seigneur, j'espère en toi, car l'heure qui s'avance,
Sur son aile glacée apporte la souffrance
Au seuil de l'indigent;
Seigneur, j'espère en toi, car sur l'homme qui pleure
Tu reposes toujours, de ta Sainte Demeure,
Un regard indulgent.
Comme un champ que l'automne a noyé dans sa brume
Mon coeur est, en ces jours, noyé dans l'amertume,
Mon coeur toujours soumis!
Après elle traînant sa lamentable escorte
La Misère, en haillons, s'est assise à ma porte,
Je suis de ses amis!...
Que le riche demeure à l'abri des orages;
Que la froide saison réserve ses outrages
Pour tous ceux qui n'ont rien;
Que chaque heure qui tombe apporte à l'indigence
Un pénible regret, une amère souffrance,
Si Dieu le veut, c'est bien.
Quand la neige a jeté son manteau sur la plaine,
L'oiseau ne trouve plus ni le ver, ni la graine
Qui devait le nourrir,
Cesse-t-il donc alors sa romance charmante?
Vole-t-il, emporté sur une aile traînante,
A son nid pour mourir?
La main du Créateur s'étend et le protège:
Il s'envole au rivage où l'hiver et sa neige
Ne vont jamais s'asseoir.
Et lorsque les beaux jours raniment la nature;
Que les bois et les champs reprennent leur parure,
Il revient, nous revoir.
Celui dont le regard veille sur tous les êtres,
Qui nourrit l'araignée au coin de mes fenêtres,
Le grillon au foyer,
Pourrait-il, en voyant son enfant sur la terre
Elever, vers le ciel, un coeur pur et sincère,
Ne pas s'apitoyer?
Si la vie, à mes yeux, n'offre guère de charmes,
Si je mange mon pain détrempé de mes larmes,
Mon âme est dans la paix.
Quand à mon Crucifix mes regards se suspendent,
Des soucis dévorants, des douleurs qui m'attendent
Je ne crains plus le faix.
Chaque saison qui fuit, chaque nouvelle année
Nous disent que bientôt l'on verra terminée
Notre course en ce lieu:
Et le riche et le pauvre attendront, en poussière,
Le redoutable jour où luira toute entière
La justice de Dieu.
PENDANT UNE SOIRÉE D'ORAGE
Les ombres de la nuit planent sur notre tête,
Et l'oeil cherche une étoile en vain;
On entend, au dehors, le bruit de la tempête
Qui déchire le ciel d'airain.
Le roseau se tourmente, et, sur sa vieille souche,
En criant le chêne se tord
Comme le moribond qui se tord sur sa couche
Devant le spectre de la mort.
La pluie, avec fureur, bat l'humble toit de mousse
Où je viens me réfugier;
Et puis, de temps en temps, une affreuse secousse
L'ébranle en le faisant crier.
Le vent fait des soupirs monotones, funèbres,
Comme les soupirs d'un damné;
Nul oiseau n'a de voix, hors l'oiseau des ténèbres
Qui crie et se cache étonné.
On entend quelquefois le pavé solitaire
Retentir sous le bruit des pas;
Puis soudain, de nouveau, tout commence à se taire:
L'ouragan seul ne se tait pas.
Quand toute lu nature autour de moi s'agite
Dans ces rudes convulsions,
Je me plais à rêver, et mon âme palpite
Sous le poids des émotions.
J'aime le vent qui pleure en brisant les feuillages,
Les cris d'effroi des matelots;
J'aime le Saint-Laurent qui jette à ses rivages
La blanche écume de ses flots;
J'aime l'éclair brûlant qui déchire la nue
Et brille comme un feu d'enfer;
J'aime l'ombre des nuits, la forêt toute nue
Comme aux jours sombres de l'hiver.
Ces objets de tristesse ont un puissant langage;
Ils sont pour moi sans nulle horreur;
Ils sont un souvenir, une fidèle image
Qui parlent à mon pauvre coeur.
Chaque flot qui gémit, chaque feuille qui tombe
En s'en allant nous jette un mot.
C'est une voix qui dit: «L'homme est près de sa tombe:
«Il vient et disparaît bientôt»
Les arbres dépouillés que ronge la vieillesse,
Les champs que l'automne a jaunis
Ont eu leur doux éclat, leur brillante jeunesse...
Déjà leurs beaux jours sont finis!
Aux baisers du printemps j'ai vu les fleurs naissantes
Livrer leur sein voluptueux;
J'ai vu du jeune oiseau les ailes frémissantes
Prendre un essor impétueux;
J'ai vu, comme des mers, nos fertiles campagnes
Bercer leurs flots de blonds épis;
J'ai vu la marguerite émaillant nos montagnes
De sa neige et de ses rubis.
Quelques jours ont passé... sous leur fatale empreinte
Le feuillage s'est desséché,
Avant qu'on la cueillit la rose s'est éteinte,
Le lis, pour mourir, s'est penché..
L'oiseau ne chante plus au sommet des tourelles;
L'épis est tombé sous la faux;
La bise s'est levée; et, de blanches dentelles
Le givre a garni les rameaux;
Et j'ai dit dans mon coeur: tout ce qui nous enchante
S'enfuit avec rapidité!...
Dans ce monde d'exil, l'un pleure, l'autre chante,
En marchant vers l'éternité.
Heureux qui se souvient que la vie est rapide
Comme la flèche de l'archer,
Le souris de l'aurore, ou la vague limpide
Qui se brise sur le rocher!
Il n'est point captivé comme les fous du monde
Par mille funestes attraits;
Il ne s'enivre point à cette coupe immonde
Où l'on boit la mort à longs traits.
Il laisse à l'insensé qui s'attache à la terre
Son plaisir fade et passager;
Au milieu du tumulte il marche solitaire
Comme sur un sol étranger.
Et son regard s'attache à la céleste rive
Où lui sourit le vrai bonheur:
Le chemin du tombeau par lequel on arrive
N'est point pour lui semé d'horreur.
Le proscrit oublieux qui se souvient à peine
Des lieux qui furent son berceau,
Amasse sur sa tête et l'opprobre et la haine
Qui veilleront sur son tombeau.
Et l'homme est un proscrit dans la terre des larmes,
L'homme qui gémit tout le jour!
Et loin de sa patrie, au milieu des alarmes,
Il veut prolonger son séjour!...
Les frivoles douceurs dont il est tant avide
Sont-elles donc un si grand bien?
Ne sent-il pas toujours que sa pauvre âme est vide,
Que tout ce qui finit n'est rien?
J'aime la fin du jour, l'écueil où l'eau se brise,
La pâle lampe qui s'éteint;
J'aime le frêle esquif emporté par la brise,
La jeune fleur qui se déteint!
Je lis dans ces objets dont mon âme est ravie
Un doux présage de mon sort:
Aujourd'hui promené sur le char de la vie,
Demain sur celui de la mort!
Gloire à Dieu! gloire à Dieu! Car lui seul est mon maître!
A lui seul tout hommage est dû!
Je vois de toutes parts sa puissance apparaître
Dans ce monde où je suis perdu!
Du sein de sa splendeur il voit dans la poussière
L'insecte qui bénit son nom;
Il sourit à ma peine, il entend ma prière,
Il m'offre un généreux pardon.
Sa sagesse reluit, sa grandeur se révèle
Dans ces flots d'astres radieux,
Poussière de soleils qui s'échappe et ruisselle
De ses pas quand il marche aux cieux.
Que son bras me soutienne ou bien que sa justice
Me laisse ici-bas sans appui,
J'adore sa clémence ou bois l'amer calice
En m'écriant: Honneur à Lui!
AUX LES ÉLÈVES DU PETIT SÉMINAIRE
Refrain
Vive la vacance!
Oh! gai!
Vive la vacance!
Grands comme petits, chantons
L'ère qui commence!
L'ivresse que nous sentons
N'est pas la démence:
Nous sommes en liberté,
Redisons avec gaîté:
Vive, etc., etc.
Pour apprendre nos leçons
Plus de violence!
Vieux livres, nous vous laissons
Dormir en silence....
Personne n'étudiera;
Pour toute tâche on dira:
Vive, etc., etc.
Jamais de punition,
Jamais de défense......
La folle distraction
N'est plus une offense:
Nous avons de doux loisirs
Et cueillons mille plaisirs!
Vive, etc., etc.
Au lit bien tard nous restons:
Quelle jouissance!
De la cloche les tintons
Seraient sans puissance:
Amoureux de l'oreiller,
Rien ne peut nous éveiller!
Vive, etc., etc.
Ou si le brillant soleil,
Avec insolence,
Vient troubler notre sommeil,
Heureux d'indolence,
Nous tirons les grands rideaux
Et nous lui tournons le dos.
Vive, etc., etc.
Et puis à chaque repas
Nous faisons bombance;
Nous nous vengeons sur les plats
Des jours d'abstinence:
A toute heure, sans danger,
Nous pouvons boire et manger.
Vive, etc., etc.
Dans un bocage, le soir,
Nous menons la danse;
Ou nous allons nous asseoir
Sur une herbe dense:
Et lorsque la nuit s'étend
Nous rentrons en répétant:
Vive, etc., etc.
Voyez-vous, c'est qu'au printemps
De notre existence
Noirs savons jouir du temps,
Et sans résistance
Nous le laissons s'écouler,
Sans cesser de roucouler
Vive la vacance!
Oh! gai!
Vive la vacance!
A MADAME EUGÈNE PHILIPPE DORION
L'étoile au ciel s'allume:
Il fait sombre dehors:
L'étoile au ciel s'allume;
Sur ton bon lit de plume,
Dors, petit enfant, dors!
Dors bien jusqu'à l'aurore:
Tous les petits oiseaux
S'en vont dormir encore
Là-bas dans les roseaux,
Entends-tu la fontaine,
Quand tu verses des pleurs,
Entends-tu la fontaine
Qui chante dans la plaine
Pour endormir les fleurs?
Nous autres pauvres hommes,
La douce paix nous fuit!
Et souvent des fantômes
Nous poursuivent la nuit!
Ton sommeil est tranquille,
Ton réveil sans effroi;
Ton sommeil est tranquille,
Quand la lampe d'argile
S'éteint à la paroi.
Ton esprit vole encore
Après les papillons
Que tu vis à l'aurore
Jouer sur les sillons.
Un enfant qui repose
Dans son berceau d'osier,
Un enfant qui repose
Est un bouton de rose
Au milieu d'un rosier.
L'ange qui te ressemble
Vient près de ton berceau,
Et dans un rêve, ensemble,
Vous jouez au cerceau.
Et ta mère se lève
Pour voir ton doux sommeil,
Et ta mère se lève
Pour deviner ton rêve,
Ton rêve si vermeil!
Et son baiser effleure
Ta lèvre avec amour:
On dirait qu'elle pleure
Et sourit tour à tour.
Si ton front se dérange
Sur ton doux oreiller,
Si ton front se dérange,
Elle dit à ton ange:
«Ne va pas l'éveiller!...
«Mais rafraîchis sa joue
Chaude de mon baiser;
Ouvre ton aile et joue
Longtemps pour l'amuser.»
L'étoile au ciel s'allume:
Il fait sombre dehors:
L'étoile au ciel s'allume:
Sur ton bon lit de plume,
Dors, petit enfant, dors!
L'ENFANT.
Oh! j'aime la nouvelle année!
C'est une fée à l'oeil d'azur,
Dont la lèvre n'est point fanée,
Et dont le coeur est encor pur.
Dès l'aurore elle nous apporte,
Sans bruit et sans nous éveiller,
De beaux hochets de toute sorte,
Qu'on trouve sous notre oreiller!
On dit qu'elle use de largesse
Envers la veuve et l'indigent,
Et qu'elle a des fruits de sagesse
Dans une corbeille d'argent.
Mère, au petit enfant qui pleure
Est-ce qu'elle en donne en passant?
Faut-il qu'il dorme de bonne heure
Et qu'il soit bien obéissant?
LE JEUNE HOMME.
Un an s'est envolé, mais un autre se lève!...
Amis, sachons en profiter!
Oublions le passé! Le passé n'est qu'un rêve!
Il ne faut point le regretter.
Oh! la vie est charmante! Epuisons, sans attendre,
La coupe des riants plaisirs!
Enivrons-nous encor d'un regard doux et tendre
Qui sait caresser nos désirs!
Un an s'est envolé, mais un autre se lève!...
Pour nous il n'a point de tombeau!
N'allons point rappeler le moment qui s'achève
Lorsque le présent est si beau!
Assez tôt les chagrins, la débile vieillesse
Nous mettront des rides au front:
Savourons nos beaux jours! Egayons la jeunesse!
Bientôt, hélas! ils finiront.
Un an s'est envolé, mais un autre se lève!...
Oh! qu'il soit pur! qu'il soit serein!
Peut-être apporte-t-il, celui-là, quelque trêve
Aux larmes du pauvre orphelin.
Près de lui l'on sourit, l'on s'amuse et folâtre,
Sans regrets comme sans ennui,...
Triste et seul, comme hier, il s'assied près de l'âtre
Pour pleurer encore aujourd'hui!
Un an s'est envolé, mais un autre se lève!...
Comme un flot vient après un flot,
Impétueux ou calme, expirer sur la grève
Qui tremble aux cris du matelot.
Bien vite nous fuyons le berceau du jeune âge!
Et les fleurs qu'au bord du chemin
Nous cueillons, chaque jour, pour charmer le voyage,
Se flétrissent dans notre main!
LE VIEILLARD.
Venez tous, mes enfants, que mes mains vous bénissent!
Un nouvel an commence, et mes cheveux blanchissent!...
Comme vous, autrefois, j'étais jeune et léger;
J'avais au fond du coeur de belles espérances;
J'ignorais les ennuis, j'ignorais les souffrances;
Et je ne croyais point qu'ainsi tout dût changer!
Venez tous, mes enfants, que mes mains vous bénissent!
Un nouvel an commence, et mes cheveux blanchissent...
Je trouvais que les jours étaient lents à venir:
J'aurais voulu, mon Dieu! les voir tomber plus vite.
Comme vous je courais au jeu qui vous invite:
J'oubliais le passé pour croire à l'avenir!
Venez tous, mes enfants, que mes mains vous bénissent!
Un nouvel an commence, et mes cheveux blanchissent!...
Je vois bien quelle était, en ce temps, mon erreur:
Et si je retournais aux sources de la vie!...
Mais j'arrive au banquet où la mort me convie!...
A mon âge on n'a plus qu'une vaine terreur!
Venez tous, mes enfants, que mes mains vous bénissent!
Un nouvel an commence, et mes cheveux blanchissent!...
Maintenant ma voix tremble et je suis sans amour:
Le long de mon sentier je m'en vais solitaire:
Mon front pâle et ridé s'incline vers la terre:
Et je cherche ma vie, et ne trouve qu'un jour!
Venez tous, mes enfants, que mes mains vous bénissent!
Un nouvel an commence, et mes cheveux blanchissent!...
Mais il est, toutefois, un grand bonheur pour nous,
Pour nous, pauvres vieillards que la tombe réclame,
Qui rêvons, tout le jour, assis devant la flamme......
Oh! c'est de vous bénir, mes enfants, à genoux!
Venez tous, mes enfants, que mes mains vous bénissent!
Un nouvel an commence, et mes cheveux blanchissent!...
Plus loin que le nuage
A la frange d'azur,
Dont l'inconstante image
Roule au fond du lac pur;
Plus loin que ce beau voile
Aux replis radieux
Où scintille l'étoile
Cette perle des cieux,
Le choeur brillant des anges,
Adorant le Seigneur,
Célèbre ses louanges
Et chante en son honneur;
Lui porte la prière
Qu'on lui fait chaque jour,
Les pleurs, de la misère,
Et les chants de l'amour!
Dans ce choeur qui proclame
Du Très-Haut les douceurs,
Deux esprits tout de flamme
Furent ici vos soeurs.
Elles étaient gentilles
Comme le fruit naissant
Que le long des charmilles
Vous cueillez en passant.
Deux anges de leurs ailes
Protégeaient leur berceau,
Comme deux fleurs nouvelles
Couvrent un nid d'oiseau.
Mais un jour ils leur dirent:
«Venez loin de ce lieu.»
Et toutes deux sourirent
Et volèrent à Dieu.
Et notre pauvre mère
Prit le deuil et gémit.
Sa peine fut amère
Mais sa foi se soumit.
Elle pria sans cesse,
Sans cesse avec amour.
Dieu calma sa tristesse...
Et vous vîtes le jour.
I
O vous qui sous vos pieds foulez cette poussière
Teinte du noble sang des preux,
Reportez un moment vos regards en arrière;
Songez à ces temps moins heureux
Où la guerre troublait nos paisibles campagnes;
Où les mères pleuraient leur sort;
Où des rives du fleuve au pied de nos montagnes
Retentissait un cri de mort!
II
Alors, bouillants d'ardeur, mille héros naquirent
Pour sauver nos biens et nos lois.
Le combat fut pour eux une fête: ils vainquirent!...
Mais ce fut la dernière fois!
Sanglant, humilié, le drapeau de la France
Dût repasser les vastes mers:
Le Canadien pleura sa dernière espérance
Et ses regrets furent amers!
III
Mais il demeura grand dans sa longue infortune;
Devant son Maître il resta grand
Comme le chêne altier que l'orage importune
Et qui se courbe en murmurant.
Et, souvent il crut voir, sous le charme d'un rêve,
Un drapeau blanc semé de lys
Revenir de ces lieux où le soleil se lève
Et flotter sur son beau pays:
IV
Or voici que le vent du midi, sur son aile,
Nous apporte d'étranges sons:
D'un triomphe sacré c'est la voix solennelle
Après la clameur des canons.
Et ces bruits merveilleux de combat, de conquête,
Font tressaillir, dans leur cercueil,
Les mânes des guerriers qu'un brillant jour de fête
Rappelle au monde avec orgueil.
V
O France, après longtemps, sous le ciel d'Amérique
On revoit tes fiers étendards!
Devant tes escadrons du superbe Mexique
Croulent soudain les hauts remparts!
Tu redonnes la paix et tu rends sa couronne
Au peuple qui gît dans les fers;
Ton glaive étincelant l'ait trembler sur son trône
Le Monarque injuste ou pervers.
VI
Dans leur tombe d'un siècle entendez-vous encore
Frémir les cendres des héros?
C'est pour vous saluer, blonds enfants de l'aurore,
Que tressaillent ces nobles os!
C'est pour vous saluer, vous dont le nom s'envole,
D'astres en astres, jusqu'au ciel!
Vous qui, le front orné d'une même auréole,
Expirez sur le même autel!
VII
Levez-vous! levez-vous, immortelles phalanges
Qu'un jour de gloire a vu tomber!
Après cent ans de deuil à vos funèbres langes
Le monde peut vous dérober!
Levez-vous et voyez! Nos forêts et nos terres
Ne nourrissent plus d'ennemis!
Ceux que vous combattiez sont devenus nos frères:
La même loi nous a soumis!
VIII
Et qui donc oserait nous ravir l'héritage
Qu'un jour vous nous avez cédé?
Qui pourrait nous chasser du fertile rivage
Que votre sang a fécondé?
Il verrait celui-là qu'un peuple qu'on opprime
Se réveille toujours puissant!
Et, poursuivi sans trêve, il laverait son crime,
Son crime atroce dans son sang!
IX
Des soldats valeureux qui jadis le vengèrent
Notre peuple s'est souvenu;
A leurs petits enfants les vieillards racontèrent,
Quel labeur ils ont soutenu;
Et la reconnaissance, au champ de la victoire,
A buriné leur souvenir
Sur un bronze orgueilleux qui redira leur gloire
Dans les siècles de l'avenir!
Louise avait quinze ans. Sa lèvre était pâlie,
Et dans son jeune coeur l'amertume régnait;
Et dans ses grands yeux bleus pleins de mélancolie,
Comme dans un miroir, son âme se peignait.
Sa taille était légère ainsi qu'un tendre saule,
Ses cheveux ondoyants, son air doux et rêveur;
Une écharpe de lin cachait mal son épaule,
Et déjà ses pieds nus méprisaient la douleur.
Elle allait mendiant: et pieuse et naïve,
Quand au seuil d'un heureux un refus l'accueillait,
Etouffant sa douleur elle chantait, plaintive,
Ces douloureux refrains que l'écho recueillait:
«Sous ma misère je succombe!
J'ai faim et ma voix faible tombe!...
J'aurai pour asile demain
La tombe......
Oh! donnez un morceau de pain.....
J'ai faim!
Je connus un jour l'opulence,
Et je secourus l'indigence;
Jamais je fis au malheureux
D'offense,
Et j'invoquai souvent pour eux
Les cieux,
Dans son nid, parmi le feuillage,
Le jeune oiseau gaiement ramage
Pour se nourrir il a le grain
Sauvage,
Et moi je demande du pain
En vain!
Dieu garde la fleur éphémère:
En sa grande bonté j'espère:
Il est toujours de l'orphelin
Le père,
Et dans le ciel à son chagrin
Met fin!»
Un jour des plus affreux que l'hiver nous apporte
Elle chantait au seuil d'un avare cruel;
Le riche, en blasphémant, lui refusa sa porte,
Mais alors le bon Dieu la fit entrer au ciel.
Regarde, ô saint Patron, regarde.
Agenouillé dans le saint lieu,
Ce jeune peuple qui craint Dieu
Et qui se confie à ta garde!
Veille sur lui,
Sois son appui:
Et de sa prière naïve
De sa foi confiante et vive
A l'Eternel
Porte le tribut solennel,
Que des accords nouveaux, sous les voûtes sacrées,
Comme un écho du ciel, résonnent en ce jour!
Que nos fleuves, nos bois, nos plaines diaprées
Chantent au saint, Patron un cantique d'amour!
Que nos accents s'unissent
Aux gazouillements des oiseaux,
Aux feuillages qui bruissent,
Aux doux murmures des ruisseaux!
Qu'ils soient une prière
Qui monte vers les cieux
Pareille à la lumière
D'un matin radieux!
Glorieux protecteur de nos rives paisibles,
Heureux ou malheureux nous recourons à toi:
Remplis nos coeurs d'amour, rends nos bras invincibles,
Fais briller sur nos pas le flambeau de la Foi!
Chantez vieillards pieux dont la course s'achève!
Jeune homme plein d'espoir, dis un chant de bonheur!
O fils du Saint-Laurent, votre concert s'élève,
Comme un parfum béni, jusqu'aux pieds du Seigneur!
Paisible laboureur venu de ta prairie,
A genoux dans le Temple en priant tu diras:
«O ma religion, ô ma chère patrie,
«J'ai pour t'aimer un coeur, pour te défendre un bras!»
Amis, si la victoire,
A fait nos pères immortels,
C'est qu'au sein de la gloire
Ils priaient au pied des autels.
Ah! marchons sur les traces
De nos nobles aïeux,
Ils ont cédé leurs places
A des fils dignes d'eux!
Seigneur, verse toujours dans nos riantes plaines,
Ta céleste rosée et tes douces faveurs!
Que l'humble paysan voit ses granges bien pleines,
Que le pauvre à son pain trouve plus de saveurs!
Regarde! ô saint Patron, regarde,
Agenouillé dans le saint lieu,
Ce jeune peuple qui craint Dieu
Et qui se confie à sa garde!
Veille sur lui,
Sois son appui:
De sa foi confiante et vive,
Et de sa prière naïve
A l'Eternel
Porte le tribut solennel.
A MA MÈRE.
Ainsi qu'une lampe rêveuse
Eclaire faiblement une sombre cloison,
Le jour n'éclairait plus le bord de l'horizon
Que d'une lumière douteuse.
Dans les bois, dans les prés, au vallon, au coteau
Le silence était grand comme dans un tombeau;
Seulement, en roulant ses ondes,
Le Saint-Laurent, parfois, jetait de longs sanglots;
Et, dans leurs cavernes profondes,
Pour répondre à ces bruits s'éveillaient les échos.
Mais voici que des voix subites
Parmi des sons brillants s'élèvent du saint lieu.
Au pied d'un saint tableau de la mère de Dieu
Ainsi chantaient d'humbles Lévites:
«Prête l'oreille à notre voix,
«Adoucis notre peine amère,
«O toi que nous donna pour mère
«Ton divin Jésus sur la croix.
«A toi gloire, amour et louanges,
«O la plus belle fleur des cieux!
«Les luths et les harpes des anges
«Chantent ton nom mélodieux.
«Méditant son sublime ouvrage
«L'adorable Divinité
«A contempler ta douce image
«Se plut de toute éternité.
«C'est par toi que Dieu nous éclaire
«Comme, dans la nuit, le soleil
«Par la lune humble et solitaire,
«Nous verse son éclat vermeil.
«L'encens suave à tes pieds fume:
«Enivré des chastes ardeurs
«Que ton divin sourire allume,
«Tout le ciel chante tes grandeurs.
«Veille pour nous, brillante Etoile,
«Comme la lampe du saint lieu:
«Ton regard fait tomber le voile
«Qui nous dérobe notre Dieu!
«Veille, ô toi par qui l'on espère,
«Comme auprès de son nouveau-né,
«Avec souci la jeune mère
«Veille quand la nuit a sonné.
«Dans ce monde nos tendres mères
«Nous entourent de mille soins;
«Elles pleurent sur nos misères,
«Elles préviennent nos besoins;
«Mais on dit, ô bonne maîtresse,
«Que tes soins sont plus généreux;
«Que nulle mère ne s'empresse
«Comme toi de nous rendre heureux.
«Adoucis notre peine amère,
«Prête l'oreille à notre voix,
«O toi que nous donna pour mère
«Ton divin Jésus sur la croix.»
LÉGENDE.
Chez nous le Saint-Laurent, reculant son rivage.
S'en vient, au fond d'une anse à l'aspect fort sauvage,
Lécher le pied d'un grand coteau.
Des arbres, du gazon, des réseaux de fougères.
Fleurissant au soleil, de leurs ombres légères,
Le voilent comme d'un manteau.
Parfois, lorsque la nuit, dans un morue silence,
Ouvre une aile plus noire, et longtemps se balance
Sur notre paisible hameau,
On croit entendre, auprès, un vent léger qui brame
Et le bruit cadencé d'une flexible rame
Qui plonge et replonge dans l'eau.
On croit entendre encore une voix plus amère,
Comme le chant plaintif de quelque jeune mère
Sur le tombeau de son enfant;
Et puis un cri sinistre éclate sur la rive,
Comme un cri de hibou lorsque le jour arrive,
Ou comme un arbre qui se fend.
Or, voici ce qu'un jour me raconta Jean-Pierre
Dont la cendre, là-bas, repose au cimetière,
Sous la garde d'une humble croix.
A vous qui de l'amante êtes le vrai modèle
J'offre ce court récit: que votre amour fidèle
Le croie ainsi que je le crois.
II
«Sur ces bords souriants que le fleuve submerge,
Jadis, près de sa mère, une pieuse vierge
Coulait des jours heureux.
Léonard, le pêcheur de la côte voisine,
Faisait rêver son coeur. Souvent, sur la colline,
On les voyait tous deux.
«Mais un autre adorait cette enfant douce et belle:
François était son nom. Il nourrissait pour elle
Une coupable ardeur;
Et toujours dédaigné, n'ayant plus d'espérance,
Il tramait, dans son âme, une noire vengeance,
En feignant la candeur.
«Un matin, tous les bois agitaient leur ramure,
Et la brise du jour commençait son murmure,
L'oiseau, ses chants d'espoir;
Sur les toits du hameau serpentait la fumée,
La fleur berçait au vent sa coupe parfumée,
Comme un riche encensoir;
«Les perles du ruisseau scintillaient dans la plaine
Et les iris d'azur, penchés sur la fontaine,
Se miraient tour à tour;
Déployant, gracieux, ses deux ailes de soie,
Le léger papillon volait, dansait de joie
Dans un rayon de jour;
«Sur les bancs de gazon de cette âpre colline
Qu'un frais ruisseau va ceindre et qu'un bosquet domine,
Clémence vint s'asseoir,
Et d'une voix émue, à la plaine sauvage,
Elle redit ces mots que le vent du rivage
Chante encor chaque soir:
«Que fais-tu loin de moi, toi que mon âme adore?
«De la vive alouette, à la rive sonore,
«J'entends vibrer la voix!
«Que fais-tu loin de moi pendant que je t'appelle?
«Les nids chantent partout, et l'aurore ruisselle
«Sur la mousse des bois!
«Je t'attends, Léonard, sur la verte colline,
«A l'heure où le roseau se réveille et s'incline
«Pour saluer le jour!
«Le Zéphire embaumé qui promène la nue,
«Et le chantre des bois, lorsque je suis venue,
«N'étaient point de retour!
«J'ai bravé, pour venir, l'ombre qui m'intimide,
«Et j'ai mouillé mon pied sur la pelouse humide
«Des larmes de la nuit!
«Pour venir j'ai trompé ton rival implacable:
«J'ai fui le fier François dont le regard m'accable
«Et partout me poursuit!
«Ah! pendant que j'attends, agitée, inquiète,
«Sur la branche fleurie, au dessus de ma tête,
«L'oiseau dit son bonheur!
«Les heures, lentement, emportent ma souffrance;
«Avec l'ombre qui fuit s'en va mon espérance,
«Et la paix de mon coeur!
«Hâte-toi, Léonard, le bonheur qui se lève,
«Bientôt, dans le passé, ne semble plus qu'un rêve
«Qui ne peut revenir!
«Viens redire à mon coeur une tendre parole!
«Viens t'asseoir près de moi: ton regard me console...
«J'ai peur de l'avenir!...
«L'onde qui retentit en tombant goutte à goutte;
«L'insecte aux ailes d'or qui sillonne sa route
«Dans la pourpre des cieux;
«La lampe solitaire avec sa pâle flamme,
«Quand je suis loin de toi, ne charment pas mon âme,
«N'enchantent pas mes yeux!
«Mais qu'entends-je tout près?... Les feuillages palpitent!...
«Sous les bois frémissants des pas se précipitent!...
«Léonard, est-ce toi?
«Viens-tu jouir encor du réveil de la terre?
«Rien ne trouble le coeur en ce lieu solitaire,
«Et... Mon Dieu! sauvez-moi!...»
Elle avait vu François brandir, sous la bruyère,
Un poignard tout sanglant dans sa main meurtrière...
Devinant son dessein,
Elle voulut s'enfuir; mais le fer homicide,
Du sang de son amant encore tout humide,
Se plongea dans son sein.
Et depuis on entend, au milieu du silence,
Quand il fait noir au ciel, que la nuit se balance
Sur notre paisible hameau,
Ce cri sinistre et bref, ce vent léger qui brame,
Et ce bruit cadencé d'une flexible rame
Qui plonge et replonge dans l'eau.
Note 1: Le Richelieu, ici, n'est pas la rivière Richelieu, mais un endroit du fleuve qui se trouve en haut du Platon. Le courant y est très rapide et le chenal resserré entre des bancs de roches.
Ce n'est pas aujourd'hui que je descendais ainsi le Richelieu à bord d'un de ces bateaux légers qui courent sur les côtes du grand fleuve, butinant comme des abeilles; mais qu'importe un jour ou un an dans le passé? Jamais je n'oublierai les émotions que je ressentis en voyant prier ces pieux matelots pendant que le bateau glissait comme une flèche le long des rochers sonores où les vagues se tordaient comme des serpents. Je demandai si c'était la coutume parmi les marins de réciter les litanies de la Ste. Vierge en passant le Richelieu. Le mousse, qui était en même temps le second me répondit: «C'est une coutume assez fidèlement observée même par ceux qui ne prient point en d'autres temps, car voyez-vous, le danger rend dévot; cependant, ajouta-t-il, en riant d'un rire narquois, on ne prie ainsi que lorsque le bateau est bien chargé.»
Vois-tu, près de la ville,
Dans cette anse tranquille,
Ce superbe bateau,
Avec sa longue chaîne
Et son beau mât de chêne
Plus haut que le coteau?
Sur la vergue sa voile,
De la plus blanche toile,
Est roulée avec soin.
Et la brise déploie
Son pavillon de soie
Qu'on reconnaît de loin.
Ce matin, à l'aurore,
Il sillonnait encore,
Incliné sur le flanc,
La petite rivière
Où ma vieille chaumière
Mire son toit tout blanc.
Mais le vent favorable
Fit courir sur le sable
Un sillon murmurant,
Le bateau, voile ouverte,
Entra dans l'urne verte
Du vaste Saint-Laurent.
Sur le gaillard d'arrière
Assis avec mon frère
Vieux marin de vingt ans,
Les yeux vers le rivage,
J'écoutais le ramage
Du vent dans les haubans.
Oh! que j'aimais la brise
Et l'onde verte ou grise
Modulant des accords!
Voix tendres, angéliques,
Hymnes et saints cantiques
Que répétaient les bords.
Ces brises qui frémissent,
Ces vagues qui gémissent
Et s'en vont tour à tour,
C'est l'homme qui soupire,
Qui chante, pleure, expire
Et passe sans retour?
Près d'un roc qu'il évite
Le bateau glisse vite
Et vogue en plein milieu:
«A genoux!» dit mon frère,
«A genoux! téméraire:
«Voici le Richelieu!»
Et le fleuve, en écume
Comme un volcan qui fume,
Bouillonnait sur recueil.
Un bruit sourd et sublime
S'élevait de l'abîme
Comme d'un noir cercueil.
Et, pour prier la Vierge,
Sur le pont de la berge
Nous étions à genoux.
Chaque parole sainte
Semblait chasser la crainte
Et l'écueil loin de nous.
Mon âme était émue
Comme un flot où remue
Quelque rayon des cieux;
Ma voix était tremblante,
Une larme brûlante
S'échappait de mes yeux.
Touchant et saint usage
D'un peuple heureux et sage
Sois cher aux matelots,
Tant que l'écueil perfide
Du Saint-Laurent limpide
Tourmentera les flots!
Le soleil descendait derrière les montagnes,
Et l'Orient devenait noir:
Quelques rayons encor, glissant sur les campagnes,
Se mêlaient aux ombres du soir.
J'étais seul et pleurais ma dernière espérance.
Bientôt un doigt mystérieux
Vint fermer ma paupière et jeter, en silence,
Un sombre voile sur mes yeux.
Et par delà les mers, sur un lointain rivage,
Je vis une femme à genoux:
La pâleur de la faim déparait son visage;
Elle tendait ses mains vers nous.
Et les flots qui passaient répétaient sa prière;
Et ses accents étaient plaintifs
Comme le bruit du vent à travers la bruyère,
Comme le bruit sourd des récifs!
Cette femme à genoux, hélas! c'était la France,
La France chère à nos aïeux!...
Elle versait des pleurs en voyant la souffrance
De ses enfants laborieux!...
Et, près de moi, je vis, au même instant, un ange
Venu du céleste séjour:
L'empreinte de ses pas laissait un baume étrange,
Ses yeux brillaient comme le jour.
Il allait empressé, demandant une obole,
A chaque seuil, au nom de Dieu.
Riche ou pauvre, touché de sa douce parole,
Pour l'indigent donnait un peu.
«Regardez, disait-il, regardez sur la rive
«La femme qui vous tend les bras:
«Vos pères l'aimaient bien! Quand un malheur arrive,
«Enfants, ne soyez point ingrats!
«Mais laissez-vous toucher par l'auguste infortune
«De ceux que frappe le Seigneur.
«Malheur à celui-là qu'une larme importune,
«Et qui s'aveugle en sort bonheur!
«Tout finit ici-bas! et les jours de la vie
«Sont tour à tour ombre et clarté;
«Et peut-être, demain, porterez-vous envie
«Au pauvre aujourd'hui rejeté!
«Ecoutez les soupirs d'un enfant qui s'éveille
«Et qui demande un peu de pain!
«Il n'a pas souvenir d'avoir mangé la veille!
«Il pleure! il pleure! et c'est en vain!
«Ecoutez les sanglots d'une mère encor jeune
«Qui tient, contre son sein tari,
«Le fruit de ses amours qu'un cruel et long jeûne
«A déjà pour jamais flétri!
«Enfants du Saint-Laurent, c'est la voix de la France
«Qui vous demande du secours!
«Si jadis elle n'eut pour vous qu'indifférence,
«Vengez-vous en l'aimant toujours.
«Quand la sombre Tamise, un jour, vous dit sa peine,
«Vous ne fûtes point oublieux...
«Vous verriez sans regrets, sur les bords de la Seine,
«Souffrir les fils de vos aïeux!...
«Vous, riches citadins, qui n'avez rien à craindre
«De l'approche du lendemain;
«Vous qui n'avez jamais aperçu, sans le plaindre,
«Le pauvre sur votre chemin,
«Femmes, donnez un sou pour l'ouvrier qui tombe
«En demandant quelque travail!
«Oh! vendez, s'il le faut, pour lui fermer là tombe,
«Vos bijoux d'or et votre émail!
«Donnez! et le Seigneur qui voit le sacrifice,
«Mères, fécondera vos flancs!
«Donnez! et vos enfants feront votre délice;
«Ils béniront vos cheveux blancs.
«Donnez pour que le champ, à l'automne, se noie
«Sous les flots d'or de la moisson!
«Donnez pour que toujours une divine joie
«Habite dans votre maison!
«Donnez! et quand viendra cette heure de mystère
«Où l'on voit s'ouvrir le tombeau,
«Vous laisserez sans peine, et, la vie, et la terre,
«Pour un autre monde plus beau!
«Donnez! car ici-bas ce qu'au pauvre l'on donne
«Est un bien qui n'est point perdu!
«Donnez! afin qu'un jour le bon Dieu vous pardonne
«Et qu'au ciel tout vous soit rendu!»
Ainsi disait cet ange. Et puis chaque parole
Semblait être une perle d'or.
Son front se couronna d'une vive auréole;
Vers l'étoile il prit son essor.
Une vapeur légère, une brume odorante
A mes yeux le cacha longtemps.
Et je fus éveillé par la cloche vibrante
Qui sonnait la fuite du temps.
Vieux beffroi du village,
Eveille le rivage
Par ton chant solennel;
Un ange de la terre
Remonte avec mystère
Aux pieds de l'Eternel!
De la coupe de vie
Sa lèvre, avec envie,
N'effleura que le bord,
Et détournant la tête.
Agitée, inquiète,
Elle pria d'abord,
Comme dans la ramée.
La fontaine embaumée
Par les fleurs d'alentour,
Epanche, étincelantes,
Ses vagues sous les plantes
Qui chantent tour à tour;
Ainsi, de son enfance
Les heures d'innocence
S'écoulaient ici-bas;
Et les longues tempêtes
Qui tonnent sur nos têtes
Ne la menaçaient pas.
Sa vertu, forte et neuve,
Comme une fleur qu'abreuve
La brume du matin,
A l'âme maternelle
Paraissait vive et belle,
Comme un phare lointain.
Mais comme la pervenche,
Ou l'épis qui se penche
Et tombe sans mûrir,
Au matin de son âge,
Son beau front, sans nuage,
S'est penché pour mourir!
Et pour jamais son âme,
Sur un rayon de flamme,
Fuyant ce triste lieu,
Vola parmi les anges,
Pour chanter les louanges,
Les louanges de Dieu...!
Vieux beffroi du village,
Eveille le rivage
Par ton chant solennel;
Un ange de la terre
Remonte avec mystère,
Aux pieds de l'Eternel!
Sur le riant rivage où s'endort l'onde pure,
Au pied d'un peuplier où la brise murmure
A l'approche du soir,
Un vieillard au front chauve et sillonné de rides,
Aux lèvres sans souris, tremblantes et livides,
Vient quelquefois s'asseoir.
Sa fille à ses côtés, sur l'herbe molle et dense,
Aussi pure qu'un lis, l'oeil brillant d'innocence,
Lui parle sur les cieux:
A ses jours d'amertume elle donne des charmes,
Elle essuie, en priant, les douloureuses larmes
Qui tombent de ses yeux,
Thérèse n'est plus jeune, et son âme naïve
Pour son Dieu seulement d'une tendresse vive
Garda la douce ardeur:
Jamais pour le jeune homme elle n'eut un sourire;
Dans son humble regard en vain l'on voudrait lire
Le secret de son coeur.
Le vieillard ne voit plus le soleil qui se lève,
Ni la vapeur des monts qu'un frais zéphyr enlève,
Ni les champs diaprés!
Il ne voit point, non plus, l'épi qui se balance,
Les bois mystérieux ni l'oiseau qui s'élance
Vers les cieux empourprés!
Car le doigt du Seigneur a touché sa paupière.
Comme une lampe éteinte est resté sans lumière
Son orbite profond.
Et les hommes ont dit: «Voyez le misérable
Qui nous trompa longtemps par sa ruse exécrable,
Comme Dieu le confond!»
Mais l'Aveugle est en paix et garde le silence
Pendant qu'on le poursuit, le provoque et lui lance
Des traits envenimés;
Il ne refuse point, dans sa triste infortune,
De supporter la haine et l'ardente rancune
D'ennemis animés.
Et quand la mâle voix de la cloche sonore
A bénir le Seigneur, au lever de l'aurore,
Invite le mortel,
L'Aveugle, tous les jours, au temple solitaire
S'en vient à pas tremblants, égrener son rosaire
Au pied du saint autel.
La nuit couvrait nos paisibles campagnes
D'un voile épais,
Et les échos des bleuâtres montagnes
Dormaient en paix,
Quand, tout à coup, une voix aussi tendre
Qu'un chant des flots,
Dans le silence, au loin, se fit entendre,
Disant ces mots;
«Bonne Madone, éloigne tout orage,
Tu le peux bien!
Tu vois aller l'espoir de mon vieil âge,
Mon seul soutien.
Pour acheter le pain noir à sa mère
Qu'il aime tant,
Comme il s'expose, hélas! à la miser»
Le pauvre enfant!
«Un frais zéphyr enflait la blanche voile
De son bateau:
Je le suivis des yeux tant que l'étoile
Trembla dans l'eau.
Son aviron se plongeait en cadence
Dans les flots bleus;
De temps en temps il tournait en silence
Vers moi ses yeux!
«A la clarté d'une lune frivole
Je pouvais voir
Glisser sur l'eau, comme un oiseau qui vole,
Son canot noir!...
Mais, sous le vent, l'orme penche la tête
Avec grand bruit,
Et le ciel noir présage la tempête
Pour cette nuit!
«Si je voyais de sa rame cassée
Quelques morceaux...
Ou bien sa voile à peine rapiécée,
Toute en lambeaux,
Par là tempête à la grève poussées
Demain matin!...
Ah! bonne vierge, éloigne ces pensées
Et ce destin!
«Que son canot soit guidé par la brise
Loin de l'écueil:
Qu'il n'aille point là-bas où l'onde brise,
C'est le cercueil
De son vieux père.... O Dieu! je m'en rappelle
Encore bien!
J'aurais voulu, dans cette heure cruelle,
Qu'il fut le mien!
«Ah! ne fais pas que je sois la première
Qui prie en vain!
Bonne Madone, écoute ma prière,
Et que demain
Mon cher Léon, sur sa barque légère,
Et sans malheurs,
Vienne aborder à la rive où sa mère
L'attend en pleurs!
«Mais cependant si tu voulais entendre
«Mes derniers voeux!...
«Que cette nuit Léon n'ose point tendre
«Ses filets neufs....
«J'aimerais mieux manger sec, ô ma reine,
«Notre pain noir,
«Et qu'il revint, pour adoucir ma peine,
«Même ce soir!»
Ainsi disait, comme un vent qui soupire,
La douce voix;
Elle tomba comme des sons de lyre
Au fond des bois.
Le vent brisa le voile de nuage,
L'étoile luit,
Et le pêcheur revint à son rivage
Pendant la nuit.
A MON AMI L. H. FRÉCHETTE.
Le jour vient de s'éteindre;
Mais son dernier rayon
N'a pas fini de teindre
D'or et de vermillon
La frange du nuage
Qui court dans le ciel bleu
Pour rendre son hommage,
Son hommage à son Dieu.
Viens sur la rive
Où l'onde vive
Traîne le sable d'or;
Viens au bocage
Voilé d'ombrage,
Dans le feuillage
La brise joue encor.
Lorsque le jour s'élance
Dans un ciel radieux,
Ou que le soir balance
Son vol silencieux,
Dans l'immense nature,
Pour louer l'Eternel,
Tout chante, tout murmure
Un hymne solennel.
Vois, sous les voiles
Semés d'étoiles
De la paisible nuit,
L'oiseau roucoule,
Le ruisseau coule,
Et le vent roule
Le feuillage avec bruit.
Sur la verte colline
D'où la brume descend,
A son saint nom s'incline.
Le chêne frémissant;
La limpide fontaine
Fait murmurer ses eaux
Et la forêt lointaine
Ses verdissants arceaux.
Le fleuve sombre
Penche dans l'ombre
Son urne de saphyr,
Et la nacelle
Légère et frêle
Ouvre son aile
Au souffle du zéphyr.
Souriante et coquette,
A travers la forêt,
Là-bas la lune jette
Un regard indiscret;
Parsemant la clairière
De paillettes d'argent,
Sa tremblante lumière
Nous caresse en passant.
Gentille et pure,
Dans la verdure,
Sourit la jeune fleur;
De sa corolle
Sur l'aile molle
Du vent s'envoie
Une suave odeur.
Le matelot fredonne,
Pour calmer son ennui,
Un chant à la Madone
Dont l'oeil veille sur lui.
De sa flexible rame
Un vieux pêcheur pensif
Bat l'écumeuse lame
Qui berce son esquif.
De chaque feuille
Le vent recueille
Un son mystérieux;
Dans la prairie
Toute fleurie
L'insecte crie
Sous le gazon soyeux.
Et la mouche luisante,
Dans son vol inconstant,
Par sa robe éclatante
Trahie à chaque instant,
Paraît comme une étoile
Qui s'échappe des cieux
Et glisse sur le voile
Des vals silencieux.
De tige en tige,
Au loin voltige
Le papillon de nuit,
Ou sur la rose,
A l'aube éclose,
Il se repose
Un moment et s'enfuit.
A genoux sur la terre,
Au pied du peuplier,
Près de sa jeune mère
Un enfant va prier.
Le nuage qui passe
Et les globes de feu
Qui roulent dans l'espace
Lui parlent de son Dieu.
Toute la terre,
Avec mystère
Rend hommage au Seigneur!
Eclairs, orages,
Vents et nuages,
Fleurs et feuillages,
Tout chante en son honneur!
Et nous de notre Père
Admirons les bienfaits:
En Lui notre âme espère:
A Lui gloire à jamais!
Que l'odorante brise,
Que la nuit, que le jour,
Que tout l'univers dise:
A Dieu louange, amour!
A travers les rameaux d'une forêt aride
Les vents faisaient entendre un plaintif sifflement;
La neige, en tourbillons, tombait d'un ciel livide,
Et les ombres du soir montaient au firmament.
Au bord de la forêt était une chaumière
Au toit garni d'écorce, obscure et triste à voir:
Le jour, quatre carreaux lui donnaient la lumière,
Et la lueur du poêle était sa lampe au soir.
Une femme encor jeune et dont un pâle voile
De tristesse et de peine éclipsait la beauté,
Etait assise seule à la porte du poêle,
Et filait sa quenouille avec anxiété.
Auprès d'elle un enfant, sur un grabat de mousse,
Doucement s'endormait en priant le bon Dieu.
Ernest avait dix ans: sa parole était douce;
Il était le meilleur des enfants de ce lieu.
Et puis, de temps en temps, la solitaire femme
Regardait une croix pendant aux murs noircis:
Alors un long soupir s'échappait de son âme,
Et sur sa main tombait son front plein de soucis.
De temps en temps aussi sa paupière baissée
Laissait rouler des pleurs, pleurs, hélas! superflus!
Elle n'espérait point. D'une voix oppressée
Elle disait: Seigneur, il ne reviendra plus!
Et comme elle priait, unissant sa prière
Aux longs mugissements des vents impétueux,
Un homme vint frapper à la pauvre chaumière.
Il entra s'appuyant sur un bâton noueux.
Elle trembla de peur ainsi qu'une colombe
A l'aspect imprévu d'un avide vautour,
--«Femme,» dit l'étranger, «de fatigue je tombe:
«Puis-je ici du matin attendre le retour?»
Elle lui répondit: «Le Seigneur me préserve
«De rester insensible à la voix du malheur!
«Voyageur, assieds-loi; que Jésus nous conserve!
«Qu'il te donne la paix et calme ma douleur!»
L'étranger près du feu vint s'asseoir sans attendre;
De sa robuste épaule un grand manteau pendait,
Son oeil, couleur du ciel, était brillant mais tendre,
Sur son large estomac sa barbe descendait
--«Femme, votre douleur est-elle sans remède?
«Votre coeur abattu ne peut-il espérer?
«Au temps, vous le savez, toute amertume cède,
«Et la mort vient bientôt du deuil nous retirer.»
--«Hélas!» reprit ta femme, eu versant une larme.
«J'ai connu le bonheur et j'ai béni mon sort;
«Mais pour moi, maintenant, le jour n'a plus de charme;
«Je n'aime plus la vie et pourtant crains la mort!
«Par mon travail, pourtant, j'éloigne la misère,
«Et mon petit Ernest est si beau, si vermeil!...
«Cet ange, il ne sait pas les larmes que sa mère
«Verse pendant qu'il dort d'un paisible sommeil!
«Le pauvre enfant n'a point souvenir de son père,
«Car il avait encor pour berceau mes genoux
«Quand ce père chéri sur la rive étrangère,
«Pour recueillir de l'or, s'en alla loin de nous.
«Qu'avions-nous donc besoin de ces richesses vaines,
«Nous nous aimions tous deux et c'était le bonheur?
«Souvent la pauvreté voit des heures sereines,
«Et l'or ne guérit point les blessures du coeur!
«Ah! si je le voyais avant que de descendre
«Dans le sombre tombeau que m'ouvrent les ennuis!
«Mais le ciel à mes voeux refuse de se rendre,
«Et les jours ont pour moi plus d'ombres que les nuits!»
Elle disait ainsi les chagrins de sa vie,
Et des larmes tombaient des yeux de l'inconnu;
Il se jette soudain dans ses bras, et s'écrie:
«Emma, console-toi, ton époux est venu!»
Lorsque les ombres s'évaporent
A l'horizon que ses feux dorent
Le soleil reparaît toujours!
Les fleuves qui portent leurs ondes
A travers nos plaines fécondes
Ne s'arrêtent point dans leurs cours!
Mais l'homme, faible créature,
Et pourtant roi de la nature,
L'homme passe et ne paraît plus!
Il se dissipe comme une ombre!
Ses amertumes sont sans nombre
Et ses plaintes sont superflus!
Pareille à la feuille sans sève
Que la bise d'automne enlève
Au bois par son souffle agité,
Sa fragile nacelle arrive,
D'orage en orage, à la rive
De la terrible éternité!
Pourquoi donc quand un jour expire,
Qu'une aube neuve vient sourire,
Hélas! pourquoi donc chantons-nous?
Sur la tombe à peine fermée
Où dort une personne aimée
Il faudrait prier à genoux!
Et qui sait si nous verrons naître
La fleur qui sous notre fenêtre
N'attend qu'un bienfaisant rayon?
Qui sait si nous pourrons entendre,
A demi caché sous la cendre,
Le mélancolique grillon?
Plus d'un qui, d'ivresse en ivresse,
Croyait atteindre la vieillesse
N'a pas marché tout son chemin!
Plus d'un qu'on crut digne d'envie
A vu la coupe de la vie
Tomber, tout à coup, de sa main!
Le temps fuit promptement!... n'importe!
Il faut chanter puisqu'il emporte
Et nos regrets et nos douleurs!
Il faut chanter puisqu'il efface,
Dans notre paupière, la trace
Qu'ont faite, un jour, de tristes pleurs!
C'est hier, je crois, à l'aurore,
(Hier, car mon luth vibre encore)
Que je chantais un nouvel an,
Et déjà cet an périssable
Disparaît comme un grain de sable
Dans l'abîme de l'océan!
Qu'est-ce donc que la vie, ô mon Dieu? Rien qu'un songe!
Un jour semé d'orage et de coup de soleil!
Un sommeil plein de trouble où notre âme se plonge
En attendant la mort, son radieux réveil!
L'ange du Tout-Puissant s'armera de son glaive
Car le sang de l'agneau ne défend aucun seuil,
Et plusieurs d'entre nous de cet an qui se lève
Devront attendre, hélas! la fin dans le cercueil!
Chantons, pourtant, chantons le temps qui reste à vivre!
Chantons avec les voix qui murmurent dans l'air!
Avec les rameaux secs qui craquent sous le givre!
Avec les tourbillons que soulève l'hiver!
Chantons avec l'oiseau dans la forêt altière!
Chantons dans le bonheur, dans le deuil et l'ennui!
Chantons le Dieu qui verse, ainsi qu'une poussière,
Les siècles devant Lui!
Salut! à toi, riante aurore
D'un nouvel an qui vient d'éclore
A la parole du Seigneur!
Tout sourit à ton arrivée!
La plainte meurt inachevée
Sur les lèvres de la douleur.
Qu'apportes-tu, nouvelle année?
Viens-tu de roses couronnée
Comme la Vierge des amours?
Ta main tient-elle le calice,
Ou bien la coupe de délice
Où devront s'abreuver nos jours?
Viens-tu, de mille appâts suivie,
Donner à notre pauvre vie
De nouvelles illusions?
Ou viens-tu comme un léger rêve,
Qui nous enivre, et qui s'achève
En amères déceptions?
Au pauvre enfant pur comme un ange
Dont le bonheur est sans mélange
D'amertume ni de regrets;
Qui rit aux baisers de sa mère,
Murmure le nom de son père,
Apportes-tu de beaux jouets?
As-tu, pour la folle jeunesse,
Une coupe pleine d'ivresse,
Pleine d'espérance et d'amours?
As-tu quelque limpide étoile
Pour l'éclairer? Un large voile
Pour jeter sur ses mauvais jours?
Ou, sur ton aile diaphane,
Pour le jeune coeur qui se fane
Au souffle de l'iniquité,
As-tu quelques rayons de grâce,
Un souvenir que rien n'efface
Du droit chemin qu'il a quitté?
As-tu quelque douce espérance,
Quelque baume pour la souffrance,
De tout malheureux qui périt?
Un appui pour la pauvre veuve?
Pour l'orpheline qui s'abreuve
De pleurs aujourd'hui que tout rit?
Viens-tu, comme un nuage sombre
Dont on regarde flotter l'ombre
Sur les champs émaillés de fleurs,
Nous apporter ces longs orages
Qui sèment au loin leurs ravages,
Sillonnent et brisent nos coeurs?
Viens-tu tracer un nouveau ride
Sur le front pensif et livide
De l'homme qui vit malheureux?
Briser la main qui le protège,
Et mêler des rayons de neige,
A l'ébène de ses cheveux?
Pour voguer avec nous sur l'onde,
L'onde inconstante de ce monde,
Parmi les écueils furieux,
Viens-tu redonner à notre âme
Un ami, ce divin dictame
Qui se cueille au jardin des cieux?
Hélas! Nos rapides années
Ressemblent aux feuilles fanées
Que les vents roulent au vallon!
On les cueillit pour une fête,
On en couronna notre tête,
Puis on les foula du talon.
Pourquoi cette gaîté si vive
Quand la nouvelle année arrive
Et nous éloigne du berceau?
Sommes-nous las de cette vie?
Regardons-nous avec envie
Ceux qui dorment dans le tombeau?
Non! Non! faibles enfants des hommes,
Ces pensers, comme des fantômes,
Troubleraient nos esprits peureux!
Non! Non! il est si doux de vivre
Quand l'espérance nous enivre,
Même quand on est malheureux!
Chaque nouvel an nous enchante,
Comme l'oeil d'une vierge aimante,
Comme le soupir de son coeur.
Nous tressaillons quand il se lève,
Car nous avons cru, dans un rêve,
Qu'il nous apportait le bonheur!
Bonheur!... illusion futile!
Songe trompeur! ombre fragile
Qui fuit quand on croit la tenir!
Hélas! l'attendrons-nous sans cesse
Du temps qui passe avec vitesse,
Qui passe et ne peut revenir!
LÉGENDE SICILIENNE.
Traduit de Longfellow.
La Saint-Jean approchait. Le soir de la vigile,
Le superbe Robert souverain de Sicile,
Frère du pape Urbain et du puissant Valmond,
Affectant pour l'Eglise un respect bien profond,
Vint, suivant la coutume, en pompeux équipages,
A l'office de Vêpre; et chevaliers et pages
A genoux contre lui, priaient avec ferveur
Pendant qu'il écoutait le chant sacré du choeur.
Or les prêtres, debout au fond de la chapelle,
Dirent Magnificat d'une voix solennelle;
Et le chant alterné des sublimes versets
Fit retentir la nef que de ses doux reflets
Un beau soleil couchant illuminait encore.
Et le roi fut frappé d'une strophe sonore
Qui retentit soudain comme le bruit des flots.
Il fit attention et put saisir ces mots:
Deposuit potentes de sede, et exaltavit humiles!
Alors, avec lenteur mais avec arrogance,
Levant son front royal, au prêtre qui s'avance
Il dit: «Explique-moi ce singulier refrain.»
Le prêtre lui répond avec un air serein:
«Son bras a renversé les puissants de leur siège,
«Elevé le mortel que l'infortune assiège!»
En entendant cela, le monarque, surpris,
Murmure avec colère et d'un ton de mépris:
--«C'est bien heureux pour vous que les clercs et les prêtres
«Comprennent seuls ces mots séditieux et traîtres,
«Et que dans toute église-on les chante en latin!
«Mais que peuples et clercs tiennent bien pour certain
«Que nul pouvoir ne peut me descendre du trône!»
Et bercé doucement par le chant monotone
Qui roule cadencé sous l'antique plafond,
Il tombe, tout à coup, dans un sommeil profond.
Quand il se réveilla la nuit était venue.
Il était seul. L'église était déserte et nue;
Et pas une lueur n'éclairait le vitreau.
La lampe de l'autel, sur le sombre carreau,
Laissait seule flotter quelques rayons funèbres.
Il se lève étonné, plonge dans les ténèbres
Un regard où la rage est mêlée à l'effroi,
D'une main incertaine effleurant la paroi,
Il cherche pour sortir la porte accoutumée:
Mais il la trouve, hélas! soigneusement fermée.
C'est en vain qu'il appelle et qu'il jure par Dieu,
Personne ne l'entend en dehors du saint lieu;
Et ses cris redoublés font tressaillir, les dalles
Comme des prêtres morts qui riraient dans les stalles!
Cependant ses clameurs ont enfin réveillé
Le pieux sacristain qui court, tout effrayé,
Pensant que des voleurs ont envahi l'église;
Et sa lampe qu'agite une légère brise,
Dans chaque angle lui montre un fantôme qui fuit:
--«Qui va là? Répondez. D'où provient tout ce bruit?»
Dit-il, mais d'une voix que la frayeur altère.
Le roi Robert répond, enflammé de colère:
--«Pourquoi cette demande? Ouvre; c'est moi, le roi!...
«Ouvre donc; as-tu peur? Je te le dis, c'est moi!»
--«C'est quelque vagabond dans un état d'ivresse:
«Puisse Dieu le punir de sa scélératesse!»
Grommela, tout ému, le pauvre sacristain:
Puis la porte roula sur ses vieux gonds d'airain.
Un homme alors parut marchant d'un pas rapide,
Sans chapeau, sans habit, presque nu, l'oeil livide;
Il ne dit pas un mot en franchissant le seuil:
Ne tourna point son front que relevait l'orgueil;
Mais il glissa sans bruit, à travers la nuit sombre,
Comme un spectre lugubre, et disparut dans l'ombre.
De ses habits royaux tristement dépouillé;
Recouvert à demi d'un haillon tout souillé,
Le frère de Valmond empereur d'Allemagne
Et du grand pape Urbain souverain de Romagne,
Robert roi de Sicile arrive à son palais,
Renverse avec fureur les timides valets
Que le bruit fait partout venir sur son passage:
La honte et le dépit sont peints sur son visage:
Il entre dans la cour; il monte l'escalier,
Et le flambeau qui brille au-dessus du palier
Fait reluire son front d'une pâleur affreuse:
Sans écouter les cris d'une foule nombreuse,
Dans les longs corridors il s'élance en courant.
Rien ne peut l'arrêter, et d'un bond il se rend
Au salon des banquets que la lumière inonde
Et qu'il trouve rempli de plaisirs et de monde.
Là sur son trône d'or il voit un roi nouveau
Qui porte sa couronne et son royal manteau.
Ce roi ressemble en tout à Robert de Sicile:
Même voix, mêmes traits et même abord facile,
Mais avec un rayon de céleste clarté:
C'était un ange. Et, bien que sa mâle beauté
Remplit l'appartement d'une lumière étrange,
Personne ne croyait que ce roi fut un ange.
Après quelques instants d'une morne stupeur
Le monarque sans trône est saisi de fureur,
Et sur l'ange impassible il fixe un oeil de flamme;
Mais l'ange, souriant du trouble de son âme,
Lui dit: «Quel est ton nom? Que viens-tu faire ici?»
Robert, plus furieux, feint de sourire aussi,
Mais d'un souris moqueur et rempli de malice:
--«Tu veux savoir mon nom, homme plein d'artifice?
«Je suis Robert! et toi, tu n'es qu'un imposteur!
«Je réclame mon trône et de toi n'ai point peur!»
La foule, en entendant ces atroces injures,
Fit retentir, au loin, de menaçants murmures;
Et les grands de la cour, pour punir l'insolent,
Tirèrent du fourreau le glaive étincelant
Mais l'ange, reprenant aussitôt la parole,
En le raillant lui dit sur un ton bénévole:
--«Non, tu n'es pas le roi; tu n'es que son bouffon.
«Tu porteras demain le collet en feston,
«Les grelots éveillés et le chapeau conique;
«Tu prendras des leçons d'un vieux singe comique:
«A tous mes serviteurs tu devras le respect,
«Et tu seras soumis au plus humble valet.»
C'est en vain que Robert jure, prie et menace,
On est sourd à ses cris; il ne trouve point grâce.
On le pousse, en riant, au bas des escaliers;
Un groupe jovial de petits écuyers
Court au-devant de lui se moquant de ses larmes;
Puis, au moment qu'il sort, les soldats, sous les armes,
Par un rire éclatant font défaillir son coeur.
Alors on applaudit, et puis un cri moqueur:
«Vive le roi!» s'élève au milieu de la foule,
Et d'échos en échos sous les toits ce cri roule.
Quand les premiers reflets du matin radieux
Avec l'odeur des prés montèrent vers les cieux,
Robert se réveilla, se disant en lui-même:
«Le rêve que j'ai fait est d'une horreur extrême!»
Mais lorsqu'il se tourna sur son dur oreiller
Pour fuir ce rêve horrible et mieux se réveiller,
Il entendit frémir la paille de sa couche.
Alors il entr'ouvrit un oeil sombre et farouche,
Et vit, à ses côtés, le casque et les grelots,
Et les coursiers fougueux qui de leurs durs sabots
Battaient, en hennissant, le pavé de l'étable;
Il vit, dans un des coins de ce lieu détestable,
Accroupi près du mur et grugeant un quignon,
Le singe qu'il avait alors pour compagnon.
Ce n'était pas un rêve! et sa gloire première
S'était, dans un moment, en allée en poussière!
Plus d'un jour s'écoula. La Sicile eut encor,
Comme au temps de Saturne, un heureux âge d'or!
Chaque automne on avait, sous le règne de l'Ange,
Champs couverts de moissons et féconde vendange!
Et l'antique géant que Jupin enchaîna,
Encelade dormait sous le brûlant Etna!
Mais Robert cependant voyait fuir les journées
Sans que rien n'adoucit ses tristes destinées.
Il était sombre et dur, et portait les chiffons
Dont on avait toujours affublé les bouffons.
Pour se moquer de lui les valets et les pages
Venaient lui demander si ces beaux apanages
Avaient toujours été ses vêtements royaux.
Sur sa table on portait les plus mauvais morceaux,
Les superbes coursiers et le vieux singe immonde
Etaient les seuls amis qu'il connut dans le monde.
Il n'en était pourtant guère moins orgueilleux.
Lorsqu'il se promenait, pensif et malheureux,
Souvent l'ange, prenant une démarche grave,
Venait à sa rencontre, et d'une voix suave
Mais d'un ton qui pouvait lui causer de l'effroi,
En se penchant vers lui, disait: «Es-tu le roi?»
Alors une rougeur couvrait ses traits livides,
Il relevait son front sillonné par les rides,
Et puis lui répondait avec rage et hauteur:
--«Oui! oui! je suis le roi! Tu n'es qu'un imposteur!»
Trois ans étaient passés. Une riche ambassade
Vint s'arrêter, un soir, devant la colonnade
De l'antique palais des rois siciliens,
Après avoir quitté les bords danubiens.
Elle se composait de brillants personnages,
Nobles et fiers porteurs de gracieux messages
Que l'empereur Valmond à Robert envoyait,
Pour lui dire qu'Urbain leur frère le priait
D'oublier, un moment, les soucis du royaume,
Et de venir passer la Grand'Semaine à Rome,
Afin d'être témoin de la solennité
Que l'on apporte au culte en la sainte cité.
L'Ange reçut alors, avec magnificence,
Ces nobles envoyés d'une grande puissance.
Il les fêta, leur fit les présents les plus beaux:
De riches bracelets, de superbes anneaux,
Des manteaux de velours bordés de peaux d'hermine,
Et des habits brodés d'une étoffe très-fine.
Il partit avec eux, et les légers vaisseaux,
Toutes voiles au vent, sillonnèrent les eaux.
Sur le sol italien la noble cavalcade
Fièrement chevaucha, de bourgade en bourgade,
Avec éperons d'or et vigoureux coursiers,
Grands panaches de plume et brillants étriers.
Assis comiquement sur une vieille rosse
Dont le poil rude et long défiait toute brosse;
Qui, tour à tour, amblait, galopait, trottinait,
A la suite des grands le roi Robert venait.
Ses légers oripeaux voltigeaient à la brise;
Le singe, à ses côtés, grimaçait à sa guise;
Et des troupes d'enfants ricaneux et bavards,
Pour le voir chevaucher, venaient de toutes parts.
Le pape reçut bien ses hôtes magnifiques,
Et vint au-devant d'eux sous ses vastes portiques.
Dans l'église Saint-Pierre, avec émotion,
A chacun il donna sa bénédiction.
De ses musiciens la bande réunie
Fit résonner les airs d'une douce harmonie.
Or pendant qu'avec l'Ange il conversait gaîment,
Robert le vieux bouffon s'avance hardiment,
Range la multitude et s'écrie à voix haute:
--«Je suis le roi Robert! Chasse, bien loin, cet hôte!
«C'est un vil scélérat qui se déguise en roi!
«Le seul roi de Sicile, ô saint Père, c'est moi!
«Si je suis malheureux, ma pénible misère
«Ne doit pas t'empêcher de reconnaître un frère!»
Surpris de ce discours le vénérable Urbain
Interroge des yeux le visage serein
De l'Ange qui sourit et ne veut rien lui dire.
Mais l'empereur Valmond, en éclatant de rire:
--«C'est vraiment, reprit-il, une belle façon
«De garder à ta cour un vrai fou pour bouffon!»
Et le pauvre Robert, honteux, la tête basse,
Est bientôt relégué parmi la populace.
Cependant l'on chôma, dans l'illustre cité,
La Sublime Semaine avec solennité;
Et, le samedi-saint, une vive lumière
Resplendit dans le ciel d'une étrange manière.
La présence de l'ange, avant que le soleil
N'eut doré les coteaux de son éclat vermeil,
Faisait briller les airs d'une divine teinte,
Et les chrétiens, remplis de ferveur et de crainte,
Croyaient que le Sauveur, sorti de son tombeau,
S'élevait triomphant vers le ciel de nouveau!
Le malheureux bouffon sur sa couche de cendre
Vit, dans le même temps, quelques rayons descendre
Et remplir son taudis d'une grande splendeur;
Puis, une voix du ciel vint lui parler au coeur,
Il entendit frémir, dans l'air limpide et calme,
Les replis d'un linceul, les feuilles d'une palme;
Et, tombant à genoux, navré par les douleurs,
Le front contre le sol, il versa bien des pleurs,
Après un mois passé sous le beau ciel de Rome
Les deux frères d'Urbain vinrent dans leur royaume,
Le monarque Valmond, aux bords Danubiens
Fut avec allégresse accueilli par les siens;
Et l'ange dirigea ses pompeux équipages
Jusques à Salerno qui dort sur les rivages;
Et de là ses vaisseaux fendant le flot amer,
Voguèrent vers Palerme au-delà de la mer.
Longtemps après, un jour qu'il était sur son trône,
Le sceptre dans la main, sur le front la couronne,
Il entendit sonner, au clocher du couvent,
La prière du soir que les ailes du vent
Ou les anges de Dieu portaient, avec mystère,
Et de la terre au ciel et du ciel à la terre.
Il invita sa cour à sortir un moment,
Et fit dire au bouffon de venir promptement.
Et quand ils furent seuls dans la salle splendide
Il lui dit de nouveau d'un ton doux et candide:
«Es-tu le roi?» Robert courbant la tête alors,
Et poussant un soupir, l'âme en proie aux remords,
Répondit humblement aux paroles de l'ange:
«Je ne suis qu'un méchant dont le Très-Haut se venge!
«Mon orgueil a tourné contre moi le Seigneur!
«L'aspect de mon péché me remplit de terreur:
«J'entrerai dans un cloître et ferai pénitence!
«Et, jusqu'à ce que j'aie expié mon offense,
«Je monterai, pieds-nus, devant le monde entier
«Du ciel qui me punit le douloureux sentier!»
Et pendant qu'il parlait, plus suave que l'ambre,
Un céleste parfum remplit toute la chambre.
D'un éclat merveilleux l'ange saint resplendit.
Et par une fenêtre alors on entendit,
Malgré tout le fracas et les cris de la place,
Le chant alternatif plein de force et de grâce
Des bons religieux du vieux cloître voisin
Qui chantaient ce verset du cantique divin:
Deposuit potentes de sede, et exaltavit humiles!
«Son bras a renversé les puissants de leur siège,
«Elevé le mortel que l'infortune assiège!»
Et plus haut que ce chant retentit une voix,
Douce comme les choeurs des oiseaux sous les bois,
Les murmures joyeux d'une vive fontaine,
Ou les vibrations d'une cloche lointaine:
--«Robert, je suis un ange, et vous êtes le roi!»
En entendant ces mots Robert, saisi d'effroi,
Pour voir l'ange leva son humide paupière,
Hélas, il était seul! Et l'ange de lumière,
Vers le divin séjour avait pris son essor!...
Il était revêtu d'un manteau de drap d'or;
Son noble front portait la couronne royale!
Et quand les courtisans entrèrent dans la salle
Ils le trouvèrent seul qui priait humblement
A genoux et plongé dans le recueillement!
AU PREMIER DE L'AN.
Bon! l'aurore
Brille et dore,
Sur leurs rochers,
Les hauts clochers
De la ville
Bien tranquille!
Ah! ce matin,
Comme un lutin
Je trottine,
Je butine
De tous côtés
Les nouveautés!
Je vous jette
La gazette
Fidèlement
Et poliment.
Je m'attache
A ma tâche.
Sans préjugé,
J'ai bien jugé
Son immense
Importance.
Messieurs, hélas!
J'ai sur les bras
Ce qu'écrivent
Ceux qui vivent
Pour critiquer,
Pour démasquer,
Les misères,
De leurs frères;
Les rêves d'or
Que fait encor
A son aise,
Dans sa chaise,
Ou sous son drap,
L'homme d'État;
L'amertume
De la plume
Des rimailleurs,
Des criailleurs;
Ce que pense
En silence,
Tout écrivain
Au coeur serein.
Ma personne
Porte et donne
A chaque seuil,
Et sans orgueil,
La sagesse
De la Presse.
Sous ce fardeau
Pesant mais beau
Je succombe
Et je tombe
Assez souvent,
Quoique prudent,
Car la neige
Met un piège
Sur le trottoir,
Puis il fait noir.
Mais en route!...
Il m'en coûte
Un petit mal
Mais c'est égal,
Je l'endure
Sans murmure
Dans mon désir
De vous servir
La bonne année
Dans ma tournée.
Les derniers feux du soir empourpraient le nuage
Et les oiseaux, perchés sur le rameau discret,
Faisaient de leur babil retentir le feuillage
Où la brise berçait leur doux nid de duvet.
Mélina jeune et belle ainsi que la verveine
Tenait sur ses genoux une charmante enfant:
La brise parfumée agitait en passant
Les longs cheveux dorés de la petite Hélène.
Mélina n'avait plus son vertueux époux!
Elle voyait, hélas! du seuil de sa chaumière
La croix qui protégeait sa mortelle poussière
Dans l'enceinte sacrée où les morts dorment tous.
Et puis, ce souvenir de sa mélancolie
Nourrissait l'amertume et les tendres langueurs:
Elle se consumait comme une fleur jolie
Pour qui le frais matin n'aurait jamais de pleurs.
Sur ses genoux, devant le perron solitaire,
Elle berça sa fille et se mit à chanter,
Sa douce et triste voix n'était point de la terre:
Les mères d'alentour sortaient pour l'écouter:
«Comme on voit dans le ciel une brillante étoile
«Percer de ses doux feux le voile noir des nuits,
«Ainsi ton oeil d'azur perce le sombre voile
«Qui couvre ma pauvre âme, hélas! pleine d'ennuis!
«Repose encor sur moi tes doux yeux je t'en prie,
«Objet tendre et sacré pour qui j'aime le jour!
«Et le coeur de ta mère, ô ma fille chérie,
«Toujours te répondra par un soupir d'amour!
«Comme une belle fleur, au lever de l'aurore,
«Vient charmer nos regards par son frais coloris,
«Ainsi me charme en toi, jeune fleur que j'adore,
«Cette bouche de rose où joue un doux souris!
«Souris-moi! souris-moi! gentille et jeune mie,
«Ton souris m'est plus doux que l'aspect d'un beau jour!
«Et le coeur de ta mère, ô ma fille chérie,
«Toujours te répondra par un soupir d'amour!
«Comme les bruissements des flots sur le rivage,
«Ou de la fraîche brise à travers les roseaux,
«Ta voix est ravissante! et ton charmant ramage
«Est plus beau que celui de nos petits oiseaux!
«Parle-moi! parle-moi! t'entendre c'est ma vie!
«Parle-moi donc encore avant la fin du jour!
«Et le coeur de ta mère, ô ma fille chérie,
«Toujours te répondra par un soupir d'amour!»
Elle se tut soudain et demeura pensive.
Alors l'enfant lui dit de cette voix naïve
Qui sait charmer,
Demain tu chanteras, maman: «Beauté suprême,
«C'est ma voix même
«Qui dit: «Je t'aime,
«Veux-tu m'aimer?»
II
Un vent léger soufflait; la feuille, en la vallée,
Crépitait vivement au faîte de l'ormeau;
La lune dans le ciel avait pris sa volée;
Sa coquette clarté se reflétait dans l'eau.
Aux nuages donnant maints contours fantastiques
Elle en faisait des ponts, des rochers, des arceaux,
Et des temples de marbre, et de brillants portiques
Qui se brisaient toujours et renaissaient plus beaux.
L'oiseau chantait encor sur la branche de l'orme;
Et la grenouille, au bord de ses fangeux marais,
Croassait son refrain rude, rauque, uniforme,
Annonçant de la pluie aux arides guérêts.
A la molle lueur de la lune sereine
Mélina vint s'asseoir sur le gazon soyeux,
Et puis elle chanta la romance qu'Hélène
Lui demandait hier, en fermant ses beaux yeux.
«Si l'oiseau chante
«L'aube brillante
«Qui naît riante
«Pour l'enflammer;
«Beauté suprême,
«C'est ma voix même
«Qui dit: «Je t'aime
«Veux-tu m'aimer?»
«Si l'onde pure
«Roule et murmure
«Sous la verdure
«Pour l'animer:
«Beauté suprême,
«C'est ma voix même
«Qui dit: «Je t'aime
«Veux-tu m'aimer?»
«Si le zéphire,
«Le soir, soupire
«Comme une lyre
«Pour te charmer;
«Beauté suprême,
«C'est ma voix même
«Qui dit: «Je t'aime
«Veux-tu m'aimer?»
Dix-sept printemps ont noué leur couronne
Autour de ton front radieux....
Dix-sept printemps!... la vierge s'environne
Alors d'un charme gracieux!
Dix-sept printemps dont j'aperçois les traces
Dans ton oeil noir comme la nuit!
Dix-sept printemps dont tu gardes les grâces
Sur tes lèvres où l'amour luit!
L'amour!... pardonne à ce mot redoutable
Échappé de mon pauvre coeur.
Il te fait rire!... il me trouble et m'accable;
Pourtant l'amour c'est le bonheur!
Qui peut nier de ce divin dictame
Le prestige mystérieux?
C'est une fleur qui parfume notre âme,
C'est un bien qui nous vient des cieux.
C'est une lampe, une brillante étoile
Qui chasse l'ombre du malheur;
C'est un beau rêve, un ciel d'azur qui voile
Le souvenir de la douleur.
Autour de nous tout palpite, tout aime,
Oui, tout ce qui vit, Sélima;
L'amour, vois-tu, c'est une loi suprême
Que le roi du ciel proclama.
Près du ruisseau, la légère alouette
Aime l'eau qui flatte son pied;
Et le grillon aime le feu qui jette
Un rayon d'or sous le trépied;
Le papillon aime le gai rivage
Où nous le voyons badiner;
L'active abeille aime la fleur sauvage
Qu'elle s'empresse à butiner!
Le jeune oiseau, la gentille compagne
Qui reste fidèle à son nid;
Et le chasseur, l'écho de la montagne,
Lorsque le jour se rembrunit.
Moi, Sélima, dont chaque jour redouble
La mélancolie et l'effroi,
Ah! j'aime aussi, car mon âme se trouble
Quand ton oeil noir s'attache à moi!
Jeune fille craintive,
A ma lyre plaintive
Tu viens demander des accords:
Aimes-tu la prière
Du barde à l'âme fière
Qui passe inconnu sur ces bords?
Sois heureuse, douce et gentille:
D'un pur amour subis la loi.
Sois plus heureuse, jeune fille,
Que celui qui chante pour toi!
Déjà ma lyre est prête:
La tâche du poète
Est de chanter dans ce séjour;
Chanter l'heure de peine,
Chanter l'heure sereine,
Chanter le ciel, chanter l'amour.
Sois heureuse, douce et gentille
D'un pur amour subis la loi.
Sois plus heureuse, jeune fille,
Que celui qui chante pour toi!
Dans son nid de feuillage
Le jeune oiseau sauvage
Craint moins la serre du vautour,
Et toi, près de ta mère,
D'une pensée amère
Tu redoutes moins le retour.
Sois heureuse, douce et gentille:
D'un pur amour subis la loi.
Sois plus heureuse jeune fille,
Que celui qui chante pour toi!
Avec l'aube vermeille
Un doux espoir s'éveille
Souvent dans notre pauvre coeur:
Souvent le soir efface
La radieuse trace
Qu'avait laissée un court bonheur.
Sois heureuse, douce et gentille:
D'un pur amour subis la loi.
Sois plus heureuse, jeune fille,
Que celui qui chante pour toi!
La fraîche sensitive,
Sur le bord de la rive
Sourit aux rayons du matin:
Que l'âme sans mystère
D'un ami sur la terre
Vienne sourire à ton destin!
Sois heureuse, douce et gentille:
D'un pur amour subis la loi.
Sois plus heureuse, jeune fille,
Que celui qui chante pour toi!
Au vent livrant son aile
La légère nacelle
Glisse sur les flots radieux:
Glisse, glisse comme elle,
Simple, tendre et fidèle!
Glisse doucement vers les deux!
Sois heureuse, douce et gentille;
D'un pur amour subis la loi.
Sois plus heureuse, jeune fille,
Que celui qui chante pour toi!
Ecoutez! écoutez! Quel bruit se fait entendre,
Au fond de la forêt, sous les sombres rameaux?
Sur les flancs vaporeux des arides coteaux?
Dans les nuages noirs qu'on regarde s'étendre,
Comme de grands linceuls, au bord de l'horizon?
Dans les flots irrités dont la crête écumeuse
Se déchire et se tord sur la rive brumeuse?
Parmi la mousse humide et le pâle gazon?
C'est comme une plainte
Qu'inspire la crainte!
C'est un long soupir
Qui semble sortir
Du fond de la terre,
Comme une clameur
Qu'exhale le coeur
Que la douleur serre!
C'est un amer sanglot;
C'est un cri de peine,
Eternelle et vaine
Que la brise traîne,
Comme elle traîne un flot!
Ou c'est une prière
Que chaque rameau,
Que chaque arbrisseau
De l'épaisse bruyère,
Que l'airain de la tour,
Le temple solitaire
Semblent, avec mystère,
Nous faire tour à tour!
Ecoutez! écoutez! Le bruit sans cesse augmente!
Là c'est comme un torrent dont la puissante voix
Sourdement retentit dans l'épaisseur des Lois;
Ou comme une forêt qu'un ouragan tourmente;
Ou comme le fracas d'un vieux mur s'affaissant.
Ici l'on croit entendre une plainte pareille
Aux sinistres accents de la triste corneille
Sur le chauve sommet d'un chêne frémissant!
Et le jour se déroule en vagues ténébreuses
Qui tracent au ciel gris de noirâtres sillons:
Le soleil désolé dépouille ses rayons:
Puis des globes de flamme aux crinières poudreuses
Glissent, en bourdonnant, sous le ciel attristé;
Les lambeaux d'un feu sombre, endettés au passage,
Font briller un instant le vagabond nuage
Qui replonge aussitôt dans son obscurité.
On dirait un sanglot immense
De la nature autour de nous:
Enfants du Christ, entendez-vous
Cette plainte qui recommence?
Sais-tu ce que c'est, voyageur?
Ton âme a-t-elle quelque doute?
N'aurais-tu pas vu sur ta route
Quelqu'esprit souffrant ou vengeur?
Petit enfant, dans ta prière
A genoux bien dévotement,
As-tu pensé, quelque moment,
Aux habitants du cimetière?
Sais-tu ce que c'est, le sais-tu,
Jeune fille tout étonnée,
Toi que le ciel a couronnée
Des grâces et de la vertu?
Jeune homme plongé dans l'ivresse,
Sais-tu ce que c'est? dis-le-moi:
Lorsque tout pleure autour de toi
Tu ris et tu chantes sans cesse!
De temps en temps, près des ruisseaux,
On voit glisser un blanc fantôme;
On en voit glisser sous le dôme
Des grands pins au front des coteaux!
C'est un père dont les années
Avaient argenté les cheveux:
Il gémit de longues journées
Pour rendre ses enfants heureux.
Semblable aux jours de sa vieillesse
Il est courbé sous la tristesse:
Il lève, vers son fils,
Ces mains, qu'avec mystère,
Il levait sur la terre
Pour le bénir jadis.
Et sa voix funèbre et plaintive,
Portant la tristesse et l'effroi,
Murmure à l'oreille attentive:
«O mon cher fils, priez pour moi!»
C'est une mère, hélas! trop tendre
Pour les chastes fruits de son sein!
Son amour n'a pu la défendre
Au tribunal du Souverain.
Elle est au seuil de sa chaumière;
Des larmes voilent sa paupière:
Un souris vient mourir
Sur ses lèvres flétries,
Fleurs que dans les prairies
L'automne fait périr!
Et sa voix funèbre et plaintive,
Portant la tristesse et l'effroi,
Murmure à l'oreille attentive:
«O mes enfants, priez pour moi!»
C'est une soeur charmante et bonne
Que son printemps ornait encor:
Elle tomba fleur que moissonne
Avant l'été, la serpe d'or!
Et maintenant sa voix plaintive
Portant la tristesse et l'effroi
Murmure à l'oreille attentive:
«O mon frère, priez pour moi!»
C'est un frère, un ami d'enfance
Que nous a ravis le tombeau!
Ils partageaient notre souffrance
Et nous rendaient le jour plus beau!
Et maintenant leur voix plaintive,
Portant la tristesse et l'effroi,
Murmure à l'oreille attentive:
«O mon ami, priez pour moi!»
C'est un homme que l'infortune,
Jusqu'à la tombe, a poursuivi:
Sa présence était importune;
Et nul regret ne l'a suivi!
Et maintenant sa voix plaintive,
Portant la tristesse et l'effroi,
Murmure à l'oreille attentive:
«Vous malheureux, priez pour moi!»
Seigneur, c'est assez de vengeance!
Ah! désarmez votre courroux!
Vous êtes un Dieu d'indulgence;
Et pardonner vous est si doux!
Nous ne sommes qu'une poussière,
Mais nous vous prions à genoux!
Ecoutez notre humble prière:
O Dieu clément, écoutez-nous!
Pitié! pitié! Dieu de justice!
Pitié pour vos pauvres enfants!
C'est plus faiblesse que malice
S'ils furent désobéissants!
Quand votre bras frappa leur tête
Afin de les éprouver tous,
Serein comme en un jour de fête.
Leur front s'est courbé devant vous.
Si vous êtes un Dieu sévère
Où trouverez-vous la blancheur?
Comment le pauvre homme pécheur
Soutiendra-t-il votre colère?
Créature charmante,
Douce, vive, innocente,
Qui me ris au berceau,
Tu commences ta course
Pure comme à sa source
Le limpide ruisseau.
J'aime ta voix mignonne
Et ton front, que couronne
A peine un blond duvet!
j'aime ta lèvre rose
Qu'un tiède lait arrose
Et qu'un souris revêt!
J'aime ton pied d'albâtre
Que je vois se débattre
Dans tes langes défaits,
Et ta main blanche et grasse
Qui joue et s'embarrasse
Dans mes cheveux épais!
Ta mère te caresse,
Et combien sa tendresse
Ne te plaît-elle pas?
Pourtant si je t'appelle
Tu te détournes d'elle
En me tendant les bras.
Tu ris bien, ma coquine,
Et ta voix enfantine
Gazouille un chant bien doux,
Quand avec complaisance
Je te fais en cadence
Sauter sur tries genoux;
Repose, petit ange,
Repose dans ton lange,
Sans peine et sans ennuis!
Le bonheur à ton âge,
N'est point semé d'orage
Comme au temps ou je suis!...
Je la voyais passer à chaque aube nouvelle,
Marchant d'un pas rêveur, le regard abattu:
Comme par son parfum la rose se révèle
Elle se révélait par sa douce vertu.
Comme une feuille tombe avant le froid d'automne,
Comme tombe un épis avant que de mûrir,
Du monde n'aimant plus le refrain monotone
Elle pencha son front et ce fut pour mourir.
Et comme une colombe étend ses blanches ailes,
Roucoule et prend son vol vers l'Orient de feu,
Entre nos bras laissant ses dépouilles mortelles
Son âme s'envola, s'envola jusqu'à Dieu.
I
Lorsque la nuit étend son pâle voile
Comme un drap noir sur un sombre cercueil,
Dans la noirceur quand apparaît l'étoile
Comme l'espoir dans un coeur plein de deuil.
II
Mon oeil humide à travers sa tristesse
Voit s'écouler la foule des heureux,
Pareille aux flots qu'avec bruit et sans cesse,
Roule au rivage un souffle rigoureux.
III
Je vois passer, comme au jour d'une fête,
Quelques amis vêtus pompeusement
Et qui de moi détournèrent la tête...
Que fit rougir mon grossier vêtement.
IV
Je vois passer, légère et palpitante,
Comme une fleur que promène le vent,
Une beauté dont l'oeil trompeur enchante
Et dont le coeur vous trahit bien souvent...
V
Puis je chemine où le hasard me pousse,
La tête basse et d'un pas indécis:
Et sous un toit que recouvre la mousse,
Quand je suis las, je cache mes soucis.
VI
Et là debout devant une fenêtre
Par où le jour ne peut qu'à peine entrer,
Plein d'amertume, oh! je regrette d'être...
Et je voudrais dans la poudre rentrer!
VII
Coulez! coulez! ô longs jours de tristesse!
Dans votre fuite emportez mes douleurs!
Coulez! coulez avec plus de vitesse!
Assez longtemps j'ai répandu des pleurs!
VIII
Loin de la rive où j'ai laissé l'ivresse,
Infortuné, je sèche dans l'ennui!
Je ne vois point de terme à ma détresse!
L'espoir, hélas! ne m'offre plus d'appui!
IX
Mon coeur souvent, à la brise qui passe,
Confie, en vain, des plaintes, des souhaits!
Souvent mes yeux s'égarent dans l'espace
Cherchant le ciel sous lequel je chantais!
X
La jeune fleur s'épanouit et tombe
Jouet futile emporté dans les champs;
Comme elle, moi, dès l'aube je succombe,
Et je dirai bientôt mes derniers chants!
Sèche tes pleurs, heureuse mère:
Le jour où ton fruit gracieux
Laissa cette pauvre terre,
Tu donnas un ange aux cieux.
Contemplant sans cesse, en extase,
Comme une fleur dans un beau vase
Cette âme blanche en ce beau corps,
Un ange veillait auprès d'elle,
Et gardien aimable et fidèle
Il ne la quitta pas alors!
Cette enfant tant chérie
Sur ton coeur s'est flétrie
Malgré l'effort de ton amour.
Dieu te l'avait donnée
Mais déjà couronnée
Pour la fête de son séjour.
Déjà son aimable sourire
Jetait dans un divin délire
Ton coeur qui bénissait le ciel,
Quand sa petite lèvre rose,
Pareille à la fleur demi-close
Sentait le baiser maternel.
Comme dans les vallées
De silence voilées
Le berger-aperçoit souvent
De la frêle pervenche
petite fleur blanche
S'en aller au souffle du vent,
De même une haleine mortelle
Vint de la tige maternelle
Détacher l'adorable enfant,
Mais l'ange, chantant son cantique,
Avec elle, au divin portique,
Alors s'envola triomphant.
Sèche tes pleurs, heureuse mère:
Le jour où ton fruit gracieux
Laissa cette pauvre terre,
Tu donnas un ange aux cieux.
Quel sort mystérieux nous entraîne à la ville
Nous, timides enfants du simple laboureur?
O champ de nos aïeux! ô campagne tranquille!
N'étiez-vous pas assez pour notre pauvre coeur?
Je ne suis plus au temps où de ma douce mère
Sur mon front, chaque soir, je sentais le baiser!
Au temps où le malheur nous semble une chimère
Où le Destin se laisse aisément apaiser!
Des souvenirs d'alors mon âme est toute avide;
Ils relèvent le coeur lorsqu'il a succombé.
C'est le parfum qui reste au vase que l'on vide!
Le feu qui reste au ciel quand le jour est tombé!
Depuis que j'ai laissé les sentiers de l'enfance,
Et mes rêves de rose, et ma mère, et mes jeux,
Souvent je me suis vu rejeté sans défense,
Comme une feuille au vent dans ce monde orageux!
Bien des jours sans soleil ont glacé ma jeunesse!
Et mes pleurs ont noyé le feu qui m'animait!
Plus d'un homme jaloux que le bonheur caresse
A foulé sous ses pas le luth qui me charmait!
Je veux bien oublier la haine ou la malice
Des hommes au coeur dur qui me laissent souffrir;
Je ne souhaite point qu'ils boivent mon calice,
Ni qu'ils mangent le pain qu'ils me veulent pétrir!
Mais vous ne savez pas, gens heureux de la terre,
Comme la vie est dure à celui qui n'a rien!...
Jamais aux coupes d'or il ne se désaltère...
Il cueille une douleur où vous cueillez un bien!
MADRIGAL
Un paisible sommeil enchaînait ma paupière,
Puis un rêve bien doux enivrait mon esprit.
Heureux, je souriais quand mon oeil s'entrouvrit...
Alors j'aurais osé maudire la lumière!...
--«Sur la verte pelouse où jouait le zéphyr
Je voyais s'avancer une vierge candide,
Plus fraîche que la fleur, plus pure qu'un saphyr;
Je lui dis d'une voix amoureuse et timide:
--«Qui t'amène à mes yeux, la plus belle des fleurs?
«O toi pour qui je vis! toi qui sèches mes pleurs!
«Toi que j'aime à jamais, dis-moi donc qui t'amène?»
Elle sourit alors, et son oeil scintilla!...
Ciel! elle allait parler! le plaisir m'éveilla!...
Mais qu'aurait-elle dit?... Dis-le moi, ma Climène.
Quel parfum! quel éclat dans les fraîches campagnes!
Que l'oiseau chante bien! que le soleil est beau!
Tout revit, tout s'anime, ô mes jeunes compagnes,
Mais je sens sur mon front le vent froid du tombeau!
Voyez ma joue est pâle et ma voix est moins forte:
Mes yeux n'ont plus l'éclat qu'ils avaient l'autre jour:
Je ne m'abuse point, un mal secret m'emporte:
Il me faudra bientôt vous laisser sans retour!
Et je ne verrai plus les blés de la prairie!
Je n'irai plus cueillir, près des eaux, le glaïeul!
Je n'irai plus jouer sur la mousse fleurie!
Je n'irai plus dormir à l'ombre du tilleul!
Mais à peine ai-je vu dix-sept printemps éclore,
Et la vie à mes yeux semble pleine d'attraits!
La mort peut écouter le vieillard qui l'implore,
Je suis trop jeune, moi, pour mourir sans regrets!
La fontaine limpide où l'on se désaltère
Ne tarit pas sitôt sous un ciel radieux;
Et la jeune hirondelle à son doux nid de terre,
Avant les jours de froid ne fait pas ses adieux.
Ma main tremble en cueillant la blanche pâquerette:
Sur le sable perlé mon pied glisse incertain.
Retournons, retournons dans notre humble retraite,
Nous reviendrons encor jouer demain matin.
Quand l'aube déplia son voile d'écarlate,
Que les champs et les bois reprirent leurs couleurs,
Et que le gai pinson fredonna sa cantate,
Elle ne revint point sur la pelouse en fleurs.
Elle mourut le soir à l'heure solennelle
Où le dernier rayon lutte avec l'ombre encor,
A l'heure où dort l'oiseau la tête sous son aile,
Où l'étoile apparaît comme une lampe d'or.
Voici la brise
Qui ride et brise
Le flot dormant!
Ouvrons la voile
De blanche toile
Et sous l'étoile
Voguons gaîment!
Tout fait silence!
Le mât balance,
La barque fuit!
Point de nuage
Qui nous présage
De sombre orage
Pour cette nuit.
Sur la ravine
Notre oeil devine
Le grand pin noir
Comme un fantôme,
Et, dans le chaume,
On voit le dôme
Du vieux manoir.
Tout près se penche
L'écorce blanche
D'un vieux bouleau;
Tout près murmure,
Sous la verdure,
La vague pure
D'un clair ruisseau.
Vois-tu descendre
Cette filandre
D'or et de feu
Qui te caresse
Et qui se tresse
Avec souplesse
Comme un cheveu?
Serait-ce un ange
Dont l'oeil t'échange
Un doux regard,
Ou bien la lune
Qui sur la dune
Pour toi, ma brune,
Reluit si tard?
Tous deux ensemble
Le temps nous semble
Rapide et doux:
C'est un mystère
Que je veux taire
Car sur la terre
On est jaloux.
Fraîche soirée,
Vague moirée,
Ombre et lueur,
Ciel qui scintille,
Oeil noir qui brille,
O brune fille,
Que de bonheur!
Le vent qui joue
Vient sur ta joue
Prendre un baiser;
Mon coeur s'agite
Et s'en irrite,
Je veux, petite,
Pour l'appaiser....
Mais plus de brise!
Et l'onde grise
Dort à son tour!
Plions la voile
De blanche toile
Et sous l'étoile
Parlons d'amour.
ROMANCE
Si l'hirondelle
A tire-d'aile
Fuit nos climats,
Son nid de glaise
Et la falaise
Tout en frimas;
Restons fidèles
A nos amours.
Ployons nos ailes,
Chantons toujours:
Restons fidèles
A nos amours!
Si la charmille,
Partout fourmille
De pauvres fleurs,
Hier vermeilles,
Aujourd'hui vieilles
Et sans couleurs;
Restons fidèles
A nos amours.
Ployons nos ailes,
Chantons toujours:
Restons fidèles
A nos amours!
Si l'onde douce
Fuit sous la mousse
De la forêt,
Traînant la feuille
Du chèvrefeuille
Qui se mirait;
Restons fidèles
A nos amours.
Ployons nos ailes,
Chantons toujours:
Restons fidèles
A nos amours!
Si la gelée
La giboulée,
Flétrit, au champ,
La frôle rose
Qu'un pied morose
Foule en marchant;
Restons fidèles
A nos amours.
Ployons nos ailes,
Chantons toujours:
Restons fidèles
A nos amours!
Si la jeunesse,
Avec ivresse
Bue à longs traits,
Fuit comme un songe,
N'est qu'un mensonge
Tout plein d'attraits;
Restons fidèles
A nos amours.
Ployons nos ailes,
Chantons toujours:
Restons fidèles
A nos amours!
Et si la foule,
Sur cette boule,
Bravant son sort,
Rit, pleure, chante,
Bonne ou méchante
Jusqu'à la mort;
Restons fidèles
A nos amours.
Ployons nos ailes,
Chantons toujours:
Restons fidèles
A nos amours!
Quand notre vie
Sera finie
En ce bas lieu,
Et que nos âmes,
Comme deux flammes,
Iront à Dieu;
Restons fidèles
A nos amours.
Ployons nos ailes,
Chantons toujours:
Restons fidèles
A nos amours!
Ma bonne mère,
Va, ne crains rien:
Ma bonne mère,
Sur l'onde amère
Je vogue bien!
Pas une étoile
Ne luit encor!
Pas une étoile,
Pas une voile
Sur les flots d'or!
Mais la Madone
Veille sur moi:
Mais la Madone
Veille et me donne
Courage et foi.
Avec ma rame
Je suis sans peur:
Avec ma rame
De toute lame
Je suis vainqueur!
Ma bonne mère,
Va, ne crains rien:
Ma bonne mère,
Sur l'onde amère
Je vogue bien!
Hâte donc tes pas!
Ne m'entends-tu pas?
Femme Adèle,
Quand, de nouveau
Sur le rameau,
Chante l'oiseau,
Ma voix t'appelle.
Hâte donc tes pas!
Ne m'entends-tu pas?
Femme Adèle,
Lorsque la fleur
Ouvre son coeur
Que noie un pleur
Ma voix t'appelle.
Hâte donc tes pas!
Ne m'entends-tu pas?
Femme fidèle,
Assis pensif
Dans mon esquif
Pour toi tardif,
Ma voix t'appelle.
Hâte donc tes pas!
Ne m'entends-tu pas?
Femme fidèle,
Quand le jour fuit
Et que la nuit
Eteint tout bruit,
Ma voix t'appelle.
Voici le gai jour de l'an,
Trêve de tristesse!
Chaque âme prend son élan
Devers l'allégresse!
Arrière! enfin la douleur!
En ce jour point de bonheur
Sans que ça paraisse!
Oh! gai!
Sans que ça paraisse!
L'enfant naïf et mutin
Que sa mère presse
Sur son coeur pur et serein,
Fièrement se dresse:
«Oh! voyez depuis un an
«Comme j'ai grandi, maman,
«Sans que ça paraisse!
«Oh! gai!
«Sans que ça paraisse!»
Le jeune amoureux Firmin,
Palpitant d'ivresse,
Sur les lèvres de carmin
D'Anne sa maîtresse,
Vient tendrement déposer,
En soupirant, un baiser,
Sans que ça paraisse!
Oh! gai!
Sans que ça paraisse!
Tout le monde est radieux:
La sombre vieillesse
Montre un visage joyeux
Comme la jeunesse:
Mais cependant plus d'un coeur
Est plongé dans la douleur
Sans que ça paraisse!
Oh! gai!
Sans que ça paraisse!
On n'est pas doux qu'à demi
Envers qui nous blesse:
On reçoit un ennemi
Avec gentillesse;
Mais peut-être que demain,
On dira: «C'est un vilain
«Sans que ça paraisse!
«Oh! gai!
«Sans que ça paraisse!»
Maintenant d'un vol léger,
Plein de hardiesse,
Glissons-nous à l'étranger
Qui nous intéresse:
Soyons bon politiqueur;
Arborons toute couleur
Sans que ça paraisse!
Oh! gai!
Sans que ça paraisse!
Mais en partant saluons
Avec politesse
Nos diplomates profonds
Qui, dans leur sagesse,
Sauront donner au pays
Autre tête, autres habits
Sans que ça paraisse!
Oh! gai!
Sans que ça paraisse!
Chez les Yankees, nos voisins,
Où l'habile presse
Fait mille héros divins
Pour une prouesse,
Depuis trois ans, ô terreur!
On se tue avec fureur
Sans que ça paraisse!
Oh! gai!
Sans que ça paraisse!
Le Polonais vétéran
Qui cède et s'affaisse
Sous l'affreux joug d'un tyran
Que son, sang engraisse,
S'écrie encore à genoux:
«O France, secoure-nous
«Sans que ça paraisse!
«Oh! gai!
«Sans que ça paraisse!»
Le chef de la nation,
Invoquant sans cesse
La non-intervention,
Dit avec rudesse;
«Bah! pourquoi se déranger?
«L'Ours du Nord peut le manger
«Sans que ça paraisse!
«Oh! gai!
«Sans que ça paraisse!»
Ce même illustre mortel
Qui mène en liesse
Sieur Victor Emmanuel,
À fait la promesse
De conduire, paraît-il,
A Rome le roi Gentil
Sans que ça paraisse!
Oh! gai!
Sans que ça paraisse!
Doux est le souffle du zéphire
Durant un soir silencieux;
Au fidèle ami qui soupire
Doux le bosquet mystérieux;
Mais du soir l'haleine embaumée,
Le bosquet de l'amant rêveur,
Sans toi, ma jeune bien aimée,
Pour moi n'ont aucune douceur.
Agréable est l'onde bruyante
Qui de roche en roche s'enfuit;
Avec son étoile brillante
Agréable est la sombre nuit;
Mais l'onde, l'herbe parfumée,
L'étoile perçant la noirceur,
Sans toi, ma jeune bien aimée,
Pour moi n'ont aucune douceur.
Belle est la fleur qui vient d'éclore
Parmi les pleurs d'un frais matin;
Belle est au lever de l'aurore
La voix de quelqu'oiseau lointain;
Mais la fleur de pleurs parsemée
Et la voix d'un oiseau chanteur,
Sans toi, ma jeune bien aimée,
Pour moi n'ont aucune douceur.
Jeune Vierge douce et candide,
Jeune vierge, tu l'a quitté
Ce monde enchanteur et perfide,
Ce temple de l'iniquité,
Avant d'avoir penché la tête
Sous le lourd fardeau des ennuis;
Avant d'avoir maudit la fête
Qui trouble la paix de nos nuits!
Tu l'as fui comme la colombe
Fuit l'aspect d'un cruel vautour,
Ou comme lorsque la nuit tombe
L'enfant fuit une vieille tour.
Vierge, ne verse point de larmes,
Vierge, chante et réjouis-toi.
Le monde n'a que de faux charmes;
On est esclave sous sa loi.
Et pour une heure d'allégresse
Quelles angoisses! quels soupirs!
Et toujours la pâle tristesse
Suit de prés les futils plaisirs.
La petite rose sauvage
Qui croit dans le sombre vallon
Fleurit sans redouter l'orage
Ni le souille de l'aquilon.
Tranquille au fond de sa retraite
Elle exhale son doux encens,
Et le zéphire à la pauvrette
Murmure d'amoureux accents.
Au pied de l'autel de Marie,
Humble comme cette humble fleur,
Tu vas de ton âme attendrie
Répandre la constante ardeur.
Et tes voeux brûlants, tes prières,
Monteront au parvis des cieux
Comme le baume des bruyères,
Et comme l'encens des saints lieux!
Tu veux qui! je déçoit
Ce livre blanc encore
D'un coup de mon pinceau,
Mais je crains, jeune fille,
Que ma main qui vacille
Ne le rende moins beau.
Si le premier je glane
Une fleur qu'un rien fane
Pour te faire un bouquet.
Un autre, à ta demande.
Achèvera l'offrande
Par ce qui me manquait.
Puissent, ma bonne amie,
Les pages de ta vie
Avoir aussi leurs fleurs!
La paix et l'allégresse,
Un plaisir, une ivresse
Et jamais d'amers pleurs!
Traduit de Longfellow.
O mes enfants! pendant bien des années
Vos petits pieds iront, déchirés et sanglants,
A travers faux plaisirs, vains espoirs, voeux brûlants,
Qui jonchent tous nos jours comme des fleurs fanées!...
Moi qui verrai bientôt devant mes pas s'ouvrir
La porte de ces lieux où le repos commence,
Je me sens accablé, chers enfants, quand je pense
Au long chemin qu'il vous faut parcourir.
O mes enfants! vous allez croître en âge,
Et vos petites mains, fidèles au devoir,
Devront longtemps donner, ou même recevoir,
Et faire le travail qu'entre tous Dieu partage!...
Moi qui sur mon papier sens ma main s'affaiblir,
Qui longtemps, ici-bas, travaillai sans relâche,
Je me sens accablé quand je pense à la tâche
Que vous avez maintenant à remplir!
O jeunes coeurs remplis d'ivresse!
Vous vous ouvrez gaîment aux fraîches passions!
Mille rêves dorés et mille illusions,
Comme des fleurs au vent vous agitent sans cesse!...
Mon coeur vieillit! ses jours ne seront pas nombreux;
Il a vu son espoir comme une ombre passer!
Il a vu ses désirs, tour à tour, s'effacer!
Et la cendre des ans couvre aujourd'hui ses feux!
O jeunes âmes ingénues!
Vous possédez l'éclat d'un rayon de soleil!
Vous avez la blancheur de l'albâtre vermeil!
La pureté du ciel d'où vous êtes venues!
Mon âme, à moi, languit! Un voile de douleur
Me dérobe l'éclat de ma première aurore!
Et mon soleil couchant qui se rougit encore
N'a plus ses beaux rayons, ni sa douce chaleur!
Dieu! mes jours commencent d'éclore
Et le malheur les vient flétrir!
Comme une fleur avant l'aurore
Je me dessèche et vais périr!
Mais pourquoi regrettera vie
Quand il faut pleurer chaque jour?
Ici-bas la paix m'est ravie,
Allons vers un autre séjour!
Ceux qui m'accordaient leur tendresse
S'éloignent de moi tour à tour!
Ils ont horreur de ma détresse!
Ils comptent pour rien mon amour!
Je sais bien que ma plainte est vaine;
Je ne demande aucun secours:
Mais je me nourris de ma peine
Et je veux la chanter toujours!
La descente des Iroquois dans l'île d'Orléans.
Le chant des voltigeurs canadiens.
A mes petites soeurs Léontine et Angéline.
[Fin des Essais poétiques par Pamphile Le May]